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L'aide humanitaire, une cible pour l'humour post-catastrophe

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L'aide humanitaire, une cible pour l'humour post-catastrophe

CHARPIN, Catherine

Abstract

Le dessin de presse est une des expressions les plus libres de l'humour, en particulier peu après les événements catastrophiques. Il est parmi les rares à oser émettre un commentaire critique sur l'aide humanitaire internationale et ses avatars onusiens plus ou moins armés qui interviennent après, parfois trop longtemps après, les catastrophes. L'analyse des cadres de compréhension qu'il dresse depuis 20 ans en France et en Suisse sur le sujet, proposée par ce texte, nous aide à cerner les représentations sociales d'une aide humanitaire rarement interrogée de manière aussi frontale.

CHARPIN, Catherine. L'aide humanitaire, une cible pour l'humour post-catastrophe.

Humoresques , 2014, no. 39, p. 15-31

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:97189

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Humoresques 39 – 2014

une cible pour l’humour post catastrophe

Catherine Charpin

Humour et aide humanitaire le mariage impossible ?

Évoquer l’humour à propos d’aide humanitaire peut sembler au premier abord vouloir marier la carpe et le lapin. Les travailleurs humanitaires savent pourtant par expérience que l’humour est très présent sur leurs terrains d’intervention, urgence et santé mentale obligent 1. Les organisations humanitaires se risquent même parfois à utiliser un ton décalé et humoristique pour interpeller leurs donateurs afin de financer leurs interventions. On se souvient de la campagne de la Croix-Rouge en 2008 qui mettait en scène Adriana Karembeu et ses avatars à perruque blonde, ou encore de l’association d’aide médicale internationale Première urgence qui fit intervenir Patrick Timsit pour ses campagnes de recherche de fonds à la suite du

séisme haïtien et de la catastrophe du Darfour, sur le thème de « Haïti/

le Soudan je ne sais pas si on peut en rire mais ce qui est sûr c’est qu’on peut agir » 2.

Les ONG utilisent également volontiers des dessins d’humour créés par des membres de leurs organisations pour illustrer des publications internes : Rash Brax, © Rash

Brax pour Médecins du Monde

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avant de sortir des colonnes des seules productions de Médecins sans fron- tières (MSF) France, y a longtemps permis à ses collègues de prendre une distance salutaire par rapport à leur quotidien, tout comme Dilo continue à le faire pour Médecins sans frontières Suisse.

Tant que les organisations humanitaires se moquent d’elles-mêmes, a priori personne n’a rien à redire à cet exercice, surtout si la psychologie clinique atteste qu’il constitue une prophylaxie de choix pour des structures soumises à rude épreuve. Mais quand l’humour utilisé par d’autres prend l’aide humanitaire comme cible, un pas est franchi, sur lequel peu d’études se sont penchées à ce jour. On aborde là en effet un tabou à forte consonance manichéenne : on ne rit pas de ceux qui font le « Bien » 3.

Du dessin de presse comme commentaire critique

Rony Brauman, professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris et ancien président de Médecins sans frontières France, relevait en 1996 que « la loi du cœur est terrible parce qu’elle élimine toute objection […] Elle déclare irrecevable, au nom de l’immensité de la souffrance, toute contradiction et tout débat autre que pratico- pratique 4 ». Le regard critique porté sur l’humanitaire est mal accepté, et difficilement soutenable face à l’engagement des volontaires. Les

© Dilo pour MSF Suisse

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spécialistes de la question ne s’y trompent pas et savent que ce n’est pas l’excellence de l’aide qui la situe hors du champ de la critique. Philippe Juhem précise que le discours de l’aide internationale appartient à la catégorie des « discours sans opposants », celle « des causes généreuses qui suscitent a priori la sympathie et qu’aucun acteur n’a intérêt à mettre en cause » 5. Outre les dessinateurs de presse, seuls d’anciens humanitaires s’y risquent. De fait, à quoi bon critiquer ce qui relève de la bonne action, et, qui plus est, que proposer à la place, si ce n’est l’absence d’intervention ? Luc Boltanski souligne que dans ce domaine

« la critique est aisée mais l’art est difficile » et que ces critiques ne proposent rien, sinon de se détourner du sort des affligés 6. La critique du dessin de presse sur la question précisément ne suggère rien, elle n’est en effet aucunement constructive, mais un discours pamphlétaire l’est-il et se doit-il de l’être ? L’aide humanitaire internationale est un sujet d’actualité parmi d’autres pour les dessinateurs, un sujet qu’ils sont parmi les seuls à tourner en dérision.

L’humanitaire et les conditions d’intervention de l’aide internationale ont beaucoup évolué depuis les années 1990. Les difficiles épisodes du conflit en ex-Yougoslavie, du génocide rwandais, du méli-mélo diplomatique et guerrier de la Somalie, le chaos des interventions à la suite des catastrophes naturelles toujours plus nombreuses, ont durablement modifié la vision médiatique de l’aide humanitaire. Plusieurs évolutions sociétales ont marqué ce secteur : « peopolisation », médiatisation des catastrophes, manipulation politico-militaro-commerciale, ingérence, etc. La perception des acteurs humanitaires occidentaux s’est par conséquent modifiée. Ceux-ci sont passés d’un statut de quasi immunité morale à celui de cibles de la critique et en particulier de la satire. La prolifération des ONG en accentuant la fragmentation de ce secteur en a aussi dévoilé les faiblesses, comme ce fut le cas en 2007 au Tchad avec la triste affaire de l’Arche de Zoé. Ces évolutions se sont traduites par un regard de la presse satirique plus acerbe. L’aide humanitaire – qui n’était pas forcément une cible de prédilection – est devenue, pour les dessinateurs, un sujet politique à part entière.

Peu après les catastrophes, qu’elles soient naturelles ou résultant d’affrontements meurtriers, passées les premières réactions compas- sionnelles à chaud, survient la recherche de responsabilités. Quand mère Nature et l’incurie des nations ne suffisent plus et que les situa- tions s’enlisent, il devient tentant pour les dessinateurs de presse de se

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tourner vers l’aide humanitaire afin d’en souligner les limites. Le dessin de presse constitue un commentaire critique de cette actualité spécifique sous couvert de jeux de mots, d’humour noir ou de parallèles osés. Il est un des seuls médias à le faire avec autant de violence symbolique, grâce au couvert humoristique dédouanant son effet irrévérencieux. Les mécanismes en jeu dans la caricature fonctionnent alors selon les règles d’une « anti-icône ». La cible choisie donne qui plus est les verges pour mieux se faire fouetter, car l’aide humanitaire ne recule devant aucun oxymore et parvient à faire s’apparier des concepts à mille lieux les uns des autres, ou du moins qui seraient censés devoir le rester : guerre humanitaire, concurrence humanitaire, cirque humanitaire, charity business… Autant de choux gras pour l’exercice satirique. Les effets humoristiques sont par conséquent puissamment marqués au sceau de l’absurde et de l’humour noir. Le ton des caricatures varie du ludique au caustique, de l’ironique au cynique.

Stéréotypes et cadres de compréhension

Des symboles (corridor humanitaire, croix rouge, parachutage de denrées, etc.) ainsi que des personnages types (le casque bleu, le fonction- naire international, le travailleur humanitaire, le réfugié, etc.) sont repérables et deviennent autant de points d’ancrage pour la compréhension immédiate de ces dessins sarcastiques.

Mais il ne sera pas ques- tion de ces récurrences iconiques dans le présent article 7. Le dessin de presse retient des images mais aussi des thèmes idéologiques qui deviennent des postulats bâtissant un cadre de compré- hension. Ce sont quelques- uns d’entre eux que nous nous proposons de recenser comme autant de cadres (ou frames) de référence spéci- fiques 8, ne nécessitant plus aucune explication, dressant

© Barrigue – Le Matin, 8 février 1994

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un modèle d’interprétation ponctuelle et structurant la perception de l’actua- lité. Nous nous intéresserons donc ici aux assertions devenues stéréotypes qui n’en finissent pas de nous faire rire jaune. Entendons-nous bien : il s’agit bien de stéréotypes. La réalité humanitaire est complexe, pétrie de paradoxes et empêtrée, malgré une neutralité revendiquée, dans des réalités géopolitiques difficiles à concilier avec un ordre moral simple. C’est un sujet à propos duquel les interprétations critiques rapides, en particulier celles véhiculées par le dessin de presse nécessitant une compréhension immédiate de son propos, ne peuvent qu’être formulées à l’emporte-pièce. Loin des gloses universitaires et des discours autorisés sur le pourquoi du comment de l’action humanitaire, les dessinateurs de presse croquent à la hâte ce qu’ils ne sauraient analyser sans perdre de leur efficacité et de leur verve.

De l’inaction à la guerre humanitaire

Postulat martelé dans notre corpus de référence : les pays riches n’interviennent que lorsqu’ils ont un intérêt économique ou politique à le faire – ressources naturelles, mainmise géopolitique, etc. Leur égoïsme n’a d’égal que leur indifférence envers des causes jugées perdues par avance. L’aide arrive toujours trop tard, pas assez vite. Les processus décisionnels alambiqués, ralentis par une diplomatie bureaucratisante, ne sont pas assez réactifs. Tout ce que voit le grand public ce sont des atermoiements qui au mieux ne mènent à rien, et au pire légitiment les

exactions de despotes et de génocidaires. Les dessinateurs parviennent à tirer de ces tristes constats des images cinglantes mettant en exergue l’absurdité de situations désespérées.

 © Delambre – Le Canard enchaîné, 27 novembre 1996

 © Cardon – Le Canard enchaîné, 20 novembre 1996

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On peut ne pas agir parce que d’autres priorités priment ou par méconnaissance des réalités des victimes que l’on décide d’ignorer, on parle alors d’indifférence. La plupart du temps une crise ou un événement locaux suffisent à éclipser soudainement la gravité d’une catastrophe lointaine, reléguée au second plan, là où elle a de fait toujours figurée.

Le simple retour des vacances ou un événement sportif peuvent enrayer les actions entreprises et détourner l’attention des donateurs.

On peut aussi ne rien faire par incapacité, en particulier en raison des intérêts intriqués des États et des organisations, on parlera alors d’impuissance.

Les casques bleus onusiens en feront plusieurs fois l’expérience du Rwanda à l’ex-Yougoslavie, et les dessins à ce sujet sont légion 9.

© Alex – La Liberté (Fribourg), 18 août 2008 © Siné – Siné Hebdo, 20 janvier 2010

© Delambre – Le Canard enchaîné, 6 mai 1992

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A contrario l’interventionnisme justifié par le « droit d’ingérence » reven- diqué par certains 10 semble s’exercer en dépit du bon sens et en particulier contre les intérêts des populations civiles pour lesquelles il semblait pourtant avoir été mis en œuvre initialement. On assiste alors à des interventions forcées et à des

« guerres humanitaires » brouillant les

cartes du caritatif. L’acte de charité s’impose violemment aux popula- tions, à qui on ne demande pas leur avis ; le fameux « shoot to feed », initié en 1992 en Somalie par les USA, justifie tristement le recours aux armes pour distribuer l’aide humanitaire au risque de sinistres dommages collatéraux 11. Les interventions deviennent grotesquement militaro-humanitaires et se muent en injonctions. Lorsqu’en 1996 Jacques Chirac, alors président de la République, demande une inter- vention militaro-humanitaire à la frontière zaïro-rwandaise 12, Willem ne rate pas l’occasion de relever l’impossibilité de réconcilier qui que ce soit sous la menace d’une arme.

L’Empire du bien, au nom duquel se livre une véritable guerre, apparaît dans plusieurs dessins à propos de l’intervention de l’OTAN au Kosovo en particulier. L’humour se positionne alors sur la ligne de l’oxymore de la guerre humanitaire, une guerre ne pouvant par principe pas « soigner » (voir illustrations page suivante).

© Chappatte – Le Temps, 27 février 2007

© Willem – Charlie Hebdo, 13 novembre 1996

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De l’inutilité de l’aide à son détournement

Lorsque l’aide parvient enfin aux victimes, elle s’avère parfois inadaptée, voire totalement inutile. Les dessinateurs reprennent ce thème en le pous- sant jusqu’à l’absurde : l’envoi de radiateurs en Somalie, le parachutage de jambon d’Auvergne à des réfugiés musulmans, de lance-pierres aux combattants kurdes ou de fourchettes à des populations affamées.

D’autres relèvent les dommages infligés par des parachutages humanitaires non maîtrisés aux populations déplacées en Afghanistan, ou au Zaïre en juillet 1994 lorsque des largages organisés en catastrophe avaient lâché leurs caisses d’aide dans une zone volcanique inaccessible.

Certains dessinateurs n’hésitent pas à témoigner du détournement de l’aide humanitaire par des régimes corrompus ou des pillards. D’autres posent ouvertement la question du positionnement de l’aide humanitaire en tant que « service après-vente » des marchands d’armes.

© Charb – Charlie Hebdo, 5 mai 1999 © Ghertman – Le Canard enchaîné, 10 octobre 2001

Ci-contre 1. © Riss – Charlie Hebdo, 23 décembre 1992 • 2. © Lefred Thouron – Charlie Hebdo, 3 août 1994 • 3. © Willem – Charlie Hebdo, 21 juillet 2010 • 4. © Riss – Charlie Hebdo, 23 décembre 1992 • 5. © Cardon – Le Canard enchaîné, 22 juin 1994

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Des médias au band aid

La représentation conjointe de l’humanitaire suivi de près par un journaliste ou plutôt par un cameraman, emblématique de tout le corps médiatique, ne date pas des années 1990. Mais il est vrai que depuis l’épopée de ce qu’il est convenu d’appeler les « French doctors », la caméra est devenue comme l’ombre portée du secouriste. Les humanitaires, dans le sillage des déclarations de Bernard Kouchner pour qui on ne fait jamais assez de tapage médiatique, ont en effet vite compris que pour faire exister la victime lointaine au sein de l’opinion il devient nécessaire de s’allier aux médias. Mais pour les dessinateurs et leurs lecteurs cette alliance tient parfois du monstrueux, et ils se plaisent à en souligner l’indécence. L’humour noir est alors convoqué, les victimes reléguées au second plan pouvant finir piétinées par des journalistes distraits.

  © Brito – Le Canard enchaîné, 17 août 1994

  © Cabu – Le Canard enchaîné, 9 décembre 1992

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Lorsque les vedettes du cinéma et de la chan son prennent la relève des médias télévisés, la détresse devient occasion d’entertainment, « l’heure est aux larmes aux yeux, à la théâ- tralité du bien 13 ». Le concert orga- nisé par George Harrison au Madison square Garden en août 1971 en faveur des affamés du Bangladesh inaugura une série de shows dont le plus mémo- rable reste le Live Aid de Bob Geldof en 1985. L’année du We Are the World marque le point de départ du phéno- mène « charity rock ». Encensé pour sa générosité et son énorme potentiel en termes de collecte de fonds, ce mariage de la musique et de l’acti- visme fut aussi vivement critiqué dès le départ pour avoir vulgarisé à

outrance des problèmes humanitaires complexes. La recette sera reprise par d’autres formations à la suite de la famine au Darfour, ou du séisme à Haïti, dont l’aide serait inadéquate, voire aussi nuisible que la cause même de la catastrophe.

Après le concert de Geldof, « la version glamour de l’humanitaire » – comme l’appelle Philippe Mesnard 14 – se généralise : Sophia Loren pour le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) en Somalie, Bernard- Henri Lévy en Bosnie, Sean Penn en Haïti ou George Clooney au Darfour. Les ONG font appel aux people pour attirer l’attention des médias et bénéficier du capital de sympathie dont jouit la star. Le dessin de presse met en lumière le fossé caricatural existant entre le monde des populations touchées par les catastrophes et les stars évoluant dans une autre réalité. Le coup médiatique porté par la star du cinéma ou de la chanson est antinomique avec la durabilité de la souffrance (avant et après cette intervention). Ce bizness devenu pour un temps charité rapproche deux univers que tout sépare, et que le don voudrait associer le temps d’un concert, d’un clip vidéo ou d’une intervention télévisée.

Le dessin de presse met en lumière l’obscénité, le décalage indécent du voyeurisme inévitable lié à l’ultra-visibilité des people et de la

© Catherine – Charlie Hebdo, 27 janvier 2010

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misère, de la famine, de la mort 15. Il joue sur ce décalage entre fiction et réalité : si seulement la mort pouvait être factice comme au cinéma, si les malheureux touchés par les crises humanitaires pouvaient à leur tour devenir des stars, ultra-individualisés là où ils sont généralement perdus dans la masse.

Ci-dessus

1. © Kerleroux – Le Canard enchaîné, 25 novembre 1992 •

2. © Petillon – Le Canard enchaîné, 2 février 2005 • 3. © Mix et Remix – L’Hebdo, 4 mai 2006

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De la concurrence au cirque humanitaire

Sur le terrain, le chaos généré par la catastrophe se renforce de celui engendré par la multiplication des associations humanitaires attirées par ces coups de projecteurs subjectifs. Prolifère avec elles l’amateurisme, qui culminera avec l’affaire de l’Arche de Zoé en 2007 16. L’aide inter- nationale se révèle potentielle source de nuisance, et le gentil travailleur humanitaire rejoint la figure de l’ogre sous le crayon sarcastique de Mix et Remix.

L’afflux d’argent généré par la surmé- diatisation de certaines crises engendre un phénomène de course au bénéficiaire. C’est désormais à qui sauvera le premier la victime instrumentalisée. Les ONG et les acteurs non gouvernementaux, militaires, publics, proli- fèrent sans coordination au gré des catas- trophes médiatisées. On l’a vu au Kosovo en 1999, ou pas moins de 400 ONG étaient présentes sur un territoire grand comme un département français. En Haïti en 2010 ce sont plusieurs centaines voire plusieurs

© Mix et Remix – L’Hebdo, 1er novembre 2007 © Pétillon – Le Canard enchaîné, 30 octobre 2007

© Jul – Charlie Hebdo, 17 novembre 2010

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milliers d’ONG qui sont intervenues17, au point que certains ont baptisé l’île « la République des ONG », pour un bénéfice rendu loin des attentes.

Vu de l’extérieur, l’humanitaire englobe un grand tout : l’Huma- nitaire avec un grand H, entreprise morale et bienfaisante, du côté de l’intérêt des plus démunis. Il s’agit en fait d’une constellation d’orga- nisations qui associatives, qui étatiques, qui religieuses, dont on a bien vu lors des grandes catastrophes du début du xxie siècle qu’elles avaient tendance à se positionner dans un rapport de concurrence plutôt que d’entraide. Évoquer une course à la reconnaissance alors que tout dans la notion d’aide évoque le désintéressement et la compassion exempte d’ego suffit à créer un ressort comique fondé sur l’inconciliable.

Ci-contre 1. © Charb – Charlie Hebdo, 20 janvier 2010 • 2. © Chappatte – Le Temps, 9 janvier 2005

© Herrmann – La Tribune de Genève, 15 janvier 2010

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Le sens de l’humour

Les idées conventionnelles véhiculées et renforcées par le dessin de presse au sujet de l’aide humanitaire internationale peuvent être consi- dérées comme inexactes et manquant de pondération et de rigueur argu- mentative. Elles n’en constituent pas moins un terreau sémantique qu’il partage avec ses lecteurs et que les organisations d’aide auraient intérêt à mieux connaître pour mieux communiquer. Émettons l’hypothèse qu’il ne saurait y avoir de stéréotype dévalorisant dans ce cadre mais plutôt des figures iconiques récurrentes et des cadres de compréhension permettant l’ancrage de la notion même d’aide humanitaire au cœur de représentations sociales partagées.

Université de Genève

Notes

1. Lire à ce propos les travaux de Carmen Moran : « Evaluation of humour in emergency work », The Australasian Journal of Disaster and Trauma Studies, 1997, vol. 3, no1, p. 11 ; « Humor as a moderator of compassion fatigue », dans Charles R. Figlety (dir.), Treating Compassion Fatigue, New York, Brunner- Routledge (Psychosocial stress series ; 24), 2002, p. 139-154.

2. Voir en ligne : http://www.dailymotion.com/video/xg31h9_timsit-haiti-je-ne- sais-pas-si-on-peut-en-rire-mais_news et http://www.dailymotion.com/video/

xg31ip_timsit-le-darfour-je-ne-sais-pas-si-on-peut-en-rire_news.

3. Une question que Freud évoque dans toute sa complexité : « L’essentiel de la plaisanterie, c’est la satisfaction d’avoir permis ce que la critique défend » (Sigmund Freud, Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient [1905], trad.

Marie Bonaparte et M. Nathan, Paris, Gallimard [Idées], 1969 [1930], p.19). 4. Rony Brauman, Humanitaire, le dilemme : entretien avec Philippe Petit, Paris,

Textuel, 1996, p. 61.

5. Philippe Juhem, « La légitimation de la cause humanitaire : un discours sans adversaires », Mots, no65, mars 2001, p. 10.

6. Luc Boltanski, La souffrance à distance, Paris, Métailié, 1993, p. 323.

7. Cet article se fonde sur un corpus de 1135 dessins de presse français et suisses, publiés entre 1990 et 2010 dans un panel de 12 titres de la presse quotidienne ou hebdomadaire.

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8. Au sens où Goffman l’entend : le « cadre » (frame) se définit comme un schéma d’interprétation permettant aux individus de repérer, percevoir, identifier et nommer des occurrences au sein de l’espace dans lequel ils vivent et dans le monde en général (Erving Goffman, Frame Analysis, New York, Harper and Row, 1974, p. 21).

9. Sur la dernière période : Goran Jovanovic, Images de guerre, guerre d’images : la crise yougoslave dans le dessin de presse, 1991-1995, Thèse HEI, Université de Genève, 2001.

10. En particulier Bernard Kouchner dans Le malheur des autres, Paris, Odile Jacob, 1991.

11. Leslie H. Gelb, « Shoot to feed Somalia », The New York Times, 19 novembre 1992.

12. Le 15 novembre 1996 près de 500000 Rwandais réfugiés au Zaïre rentrent au Rwanda avant l’arrivée de la force internationale de l’ONU demandée par la France pour les protéger au Kivu.

13. Gilles Lipovetsky, Le crépuscule du devoir, Paris, Gallimard, 2000, p. 174. 14. Philippe Mesnard, La victime écran : la représentation humanitaire en question,

Paris, Textuel, 2002, p. 30.

15. « Tout ce que j’ai fait c’est de transformer la famine en événement à la mode » (Bob Geldof cité par Gilles Lipovetsky, Le crépuscule du devoir, ouvr. cité, p. 173).

16. L’Arche de Zoé, association française, déclarait avoir pour objectif l’aide aux enfants orphelins et l’aide humanitaire. En octobre 2007 les forces de police du Tchad arrêtent tous les participants alors qu’ils s’apprêtent à embarquer 103 enfants dans un avion en partance pour la France.

17. Les estimations oscillent entre 600 et 10 000 (chiffres de l’État haïtien et ceux de la Banque mondiale).

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