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« Laboratoire d’enseignants encore apprenants » au sein d’un établissement scolaire : enjeux, méthodes et effets sur la formation des enseignants

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« Laboratoire d'enseignants encore apprenants » au sein d'un établissement scolaire : enjeux, méthodes et effets sur la formation

des enseignants

RIA, Luc, LUSSI BORER, Valérie

RIA, Luc, LUSSI BORER, Valérie. « Laboratoire d'enseignants encore apprenants » au sein d'un établissement scolaire : enjeux, méthodes et effets sur la formation des enseignants. In: Actes du Congrès AREF 2013 « Actualité de la Recherche en Education et Formation ». 2013.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:116490

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Ria, L. & Lussi Borer, V. (2013). « Laboratoire d’enseignants encore apprenants » au sein d’un établissement scolaire : enjeux, méthodes et effets sur la formation des enseignants. Actes du Congrès AREF 2013 « Actualité de la Recherche en Education et Formation », Université de Montpellier :

http://www.aref2013.univ-montp2.fr/cod6/?q=content/%C2%AB-laboratoire-d%E2%80%99enseignants-encore-apprenants-%C2%BB-au-sein- d%E2%80%99un-%C3%A9tablissement-scolaire-enjeux-0

« Laboratoire d’enseignants encore apprenants » au sein d’un établissement scolaire : enjeux, méthodes et effets sur la formation des

enseignants

Luc Ria

Laboratoire ACTé, Institut Français de l'Éducation, ENS Lyon, France Valérie Lussi Borer

Laboratoire CRAFT, IUFE, Université de Genève, Suisse

Mots clés : Enseignants débutants, établissement formateur, développement professionnel.

Résumé : Dans le cadre des travaux de la chaire Unesco « Former les enseignants au XXIe siècle», un laboratoire d’analyse de l’activité enseignante a été créé pour expérimenter de nouvelles modalités de formation des enseignants au sein même de leur établissement. L’enjeu est d’appréhender leur activité en classe avec une rigueur d’analyse, une pertinence contextuelle et une entraide intergénérationnelle pour favoriser le développement d’une culture professionnelle d’établissement.

A partir d’une approche scientifique de l’analyse de l’activité enseignante pour concevoir des dispositifs visant à favoriser son développement, notre corpus de recherche a été composé de traces (photos et vidéos) de l’activité en classe d’enseignants débutants volontaires pour être filmés puis autoconfrontés à ces traces, selon des modalités individuelles et collectives. Des recueils de données ont été effectués lors des différentes étapes du dispositif de formation pour en apprécier les effets sur la transformation des dispositions à percevoir, penser et agir des enseignants.

Les premiers résultats montrent la nécessité : a) de construire un cadre éthique garantissant aux débutants d’expliciter leurs activités dans des espaces collaboratifs protégés et sécurisants, b) d’offrir des formats progressifs d’explicitation des activités : de l’usage de traces d’activité peu « intrusives » (photos) à des traces d’activité plus exposantes (vidéo), de sessions de formation individuelles à d’autres collectives, de la mobilisation première de l’activité débutante à celle seconde d’enseignants plus chevronnés, c) de mobiliser des outils réflexifs pour apprendre successivement à décrire l’activité, l’interpréter en s’appuyant sur la description du vécu professionnel et proposer des pistes concrètes de modification et d) de s’appuyer sur une perspective développementale de l’agir débutant pour mettre en avant ses transformations typiques et leur proposer des projets de transformation de leurs propres activités en classe compatibles avec leurs dispositions à agir.

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Dans le cadre des travaux de la chaire Unesco « Former les enseignants au XXIe siècle1 », un laboratoire d’analyse de l’activité enseignante a été créé au sein même d’un établissement classé en éducation prioritaire pour expérimenter de nouvelles modalités de formation de néo-titulaires débutant dans le second degré. L’enjeu est de les accompagner dans leur développement professionnel à l’aide d’un dispositif s’appuyant sur des traces de leurs activités réelles et mobilisant des méthodologies plurielles d’explicitation et d’analyse de leurs expériences dans des situations professionnelles ou des thèmes partagés. Le dispositif vise plus largement à développer une entraide intergénérationnelle pouvant progressivement donner le jour à une culture professionnelle d’établissement.

1. Contexte international de la recherche : former au sein des établissements scolaires ?

Depuis trois décennies, les enjeux liés à la professionnalisation de la formation des enseignants sont régulièrement débattus tant dans la littérature scientifique qu’au sein des organismes internationaux. Après s’être centrés sur la formation initiale au sein d’institutions progressivement universitarisées, ces organismes s’intéressent de plus en plus à l’entrée dans le métier et au développement professionnel des enseignants tout au long de leur carrière. Les préconisations énoncées suite au colloque de 2013 intitulé Perspectives internationales sur la professionnalisation de la formation des enseignants en témoignent : « Les enseignants doivent être aussi soutenus lors de leur entrée dans la profession. Parmi les exemples de bonnes pratiques qui ont été mises en avant, on notera : l’accompagnement des jeunes enseignants dans les premières années comme il est développé en Allemagne […] ; le tutorat par des enseignants plus expérimentés ; l’échange régulier entre les enseignants pour partager les méthodes pédagogiques innovantes. […] Un troisième élément fondamental à la réussite est le développement professionnel des enseignants. La formation professionnelle a en effet autant d’importance, si ce n’est plus, que la formation initiale. » (Gurria, 2013).

Présentes dans les rapports de l’OCDE (PISA, 2011), ces thèses visent l’amélioration des pratiques pédagogiques et, par répercussion, des apprentissages des élèves en insistant sur l’importance à la fois du développement professionnel individuel des enseignants et d’une collaboration accrue entre eux. Elles restent toutefois souvent au stade de recommandations basées sur de « bonnes pratiques » identifiées dans tel ou tel pays, sans questionner les soubassements conceptuels et contextuels qui leur ont donné naissance, les conditions nécessaires à leur transfert éventuel dans d’autres contrées ni les effets générés sur les enseignants eux- mêmes.

Dès lors, nous nous questionnons sur ce que « former au sein des établissements scolaires » signifie. Si de nombreux travaux, notamment de sociologie, s’accordent à montrer que, pour les enseignants, l’entrée dans les établissements scolaires représente la période la plus marquante de leur histoire professionnelle (Cattonar, 2006 ; Portelance, Mukamurera, Martineau & Gervais, 2008), quelles sont les modalités d’accompagnement favorables tant pour les débutants que pour leurs accompagnateurs ? Lorsque l’on met en avant l’importance d’un tutorat par des enseignants plus expérimentés, quels sont le statut, la légitimité et la professionnalité

1 Cette étude s’inscrit dans les activités de recherche de la chaire Unesco « Former les enseignants au XXIe siècle » de l’Institut Français de l'Education de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon : http://www.ens-lyon.fr/chaire-unesco-formation

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que doivent développer ceux-ci ? Si l’on prône l’échange régulier sur les méthodes pédagogiques innovantes entre enseignants, comment créer, solidariser et faire durer un collectif au sein des établissements, notamment dans ceux les plus défavorisés qui subissent un turn-over très important de leur personnel ? Enfin, si le développement professionnel est essentiel, comment le susciter et l’accompagner tout au long de la vie professionnelle ? C’est à ces questions – qui se posent tant à la formation qu’à la recherche sur la formation – que nous avons été confrontés lors de la mise sur pied d’un programme de recherche technologique et empirique (Durand, 2008) portant sur la création et l’animation d’un « Laboratoire d’Enseignants Encore Apprenants » (LEEA) au sein même de leur lieu de travail.

2. Contexte et problématiques de la recherche

L’étude de ce laboratoire d’analyse de l’activité professionnelle s’est déroulée au collège Garcia Lorca (Saint-Denis - 93) faisant partie d’un réseau ECLAIR2 du plan national de l’éducation prioritaire en France. Chaque année, du fait du renouvellement régulier des équipes du collège, de nouveaux enseignants débutent leur carrière dans cet établissement. La plupart sont de jeunes enseignants, novices ou quasiment. Deux problématiques de recherche et de formation propres à ce type d’établissement émergent alors :

La première est liée à la nécessité d’accompagner l’arrivée et le développement professionnel des enseignants du collège car ils n’ont pas reçu de formation professionnelle suffisante pour effectuer leurs débuts dans un tel contexte sans rencontrer de nombreuses difficultés. Si un accueil est organisé par les professeurs référents de l’établissement durant les premiers mois de l’année scolaire, la création d’un laboratoire d’analyse du travail enseignant vise à le compléter en proposant

« d’aller au cœur des pratiques enseignantes » pour décrire, analyser et repérer des ressources et des activités qui semblent efficaces devant un tel public scolaire. Se pose également la question de l’accompagnement de ces jeunes enseignants par des enseignants référents3, à peine plus âgés qui deviennent, chemin faisant, des cadres intermédiaires sans avoir eu jusque-là de formation au sujet des spécificités de la formation d’adulte ou encore de l’analyse du travail enseignant. Leur changement de professionnalité (avec une double mission d’accompagnement des élèves en difficulté et des enseignants parfois en difficulté) nécessite un changement profond de repères professionnels qu’il s’agit aussi d’accompagner.

La deuxième problématique touche l’ensemble de l’équipe éducative et concerne l’existence même d’un collectif d’enseignants. Le collège, du fait de son inscription dans un réseau ECLAIR, bénéficie de moyens humains et financiers importants avec une incitation de plus en forte et récurrente – par les textes officiels et par l’équipe de pilotage – à travailler de manière collective. Mais force est de constater que les enseignants ont avant tout encore des habitudes de travail individuelles : ils méconnaissent les pratiques, les organisations, les niveaux d’exigence de leurs collègues. S’ils ressentent la nécessité de se réunir et de se concerter pour construire des projets disciplinaires ou transdisciplinaires, ils ne savent pas forcément sur quelles dimensions construire leur collectif. L’enjeu est donc de créer

2 ECLAIR : Ecoles, Collège et Lycée pour l’Ambition, l’Innovation et la Réussite

3 Les professeurs référents dans les réseaux ECLAIR se voient confiés par le chef d’établissement des missions particulières : aide des élèves en difficulté, accompagnement des enseignants débutants, coordination de projets disciplinaires ou interdisciplinaires, articulation entre le primaire et le secondaire, etc. Ils continuent en général à enseigner dans des classes à mi-temps.

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une culture professionnelle commune à un niveau local, tout en permettant à chacun de conserver des marges d’autonomie dans ses modalités d’intervention.

Accompagner les enseignants débutants et les professeurs référents dans leur rôle d’accompagnateurs, accompagner le travail collectif, construire des points de repère pour intervenir efficacement devant des publics difficiles, tels sont les principaux objectifs de notre laboratoire d’analyse du travail enseignant. L’enjeu étant d’identifier et d’évaluer les conditions et les moyens nécessaires à ce projet local pour envisager d’autres cercles d’expérimentation plus larges : à l’échelle d’un bassin de formation de plusieurs établissements, à l’échelle académique voire nationale (notamment pour la politique de formation professionnelle continue en éducation prioritaire).

3. Postulats théoriques sur le travail enseignant et la formation au travail

Nos approches sont basées sur le postulat central de l'analyse de l'activité, à savoir : ce qui est formateur, ce qui produit du développement, est la confrontation organisée entre le travailleur et son activité. C’est donc l’organisation de cette confrontation que nous mettons au cœur de nos dispositifs de formation et de recherche sur ceux-ci, à travers une démarche d’enquête qui est menée sur l’activité de l’enseignant- travailleur. Nous insistons ici sur l’importance d’enquêter sur l’activité et non sur les personnes et de mettre le travail au centre, dans la lignée des différents courants théoriques portant sur l’analyse du travail dont l’expérimentation au sein du LEEA s’inspire fortement (cours d'action, clinique de l'activité, didactique professionnelle).

Cette enquête collaborative est co-construite entre les chercheurs/formateurs et les enseignants et vise à construire un point de vue commun (dit d’inter-objectivation) sur l’activité (Dewey, 1938/1993 ; Peirce, 1978 ; Zask, 2004) à partir d’un film réalisé en classe. La construction de ce point de vue commun nécessite de prendre en compte les préoccupations/intentions de l’acteur au plus proche de son activité ordinaire (Theureau, 2004). Elle priorise le travail réel par rapport au travail prescrit (Leplat, 1997) et propose de repérer le potentiel des situations présentes dans l’activité (Jullien, 2009) et de s'appuyer sur ce potentiel pour proposer des pistes de développement afin de déclencher un processus de transformation de l’activité (Durand, 2008).

Du fait du caractère d’autonomie et d’indétermination de l’activité, le dispositif de formation implique de concevoir le processus d’influence formatrice et de transmission comme des perturbations potentielles du formé et non comme des prescriptions de son activité (Durand, Veyrunes & Ria, 2010). Les dispositifs et moyens de la formation sont conçus comme des artefacts placés dans l’environnement des formés, qui peuvent ou non être significatifs pour eux, en fonction de leur culture, de leur engagement dans la situation, et de leur expérience et histoire personnelles. Autrement dit, c’est toujours le formé qui a l’initiative et cette influence formatrice potentielle peut opérer de diverses manières, notamment : a) en conférant à la situation scolaire une autre signification (des indices nouveaux dans la classe, de nouvelles préoccupations), b) en ouvrant le champ des possibles des formés (sans qu’une réalisation du possible ne se concrétise dans l’immédiat) et c) en contribuant à la validation, invalidation des savoir faire déjà mobilisés, mais aussi à la construction de nouveaux savoir faire que les enseignants vont pouvoir tester en classe (Ria, Serres & Leblanc, 2010).

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4. Objectifs de recherche et de formation au sein du LEEA

La création d’un laboratoire expérimental de formation continue des enseignants au sein de l’établissement scolaire – car la formation professionnelle ne peut s’arrêter là où elle devrait au contraire prendre tout son sens – a démarré lors de l’année scolaire 2012/13 sous l’impulsion de la direction de l’établissement qui voulait renforcer l’accompagnement de ses enseignants débutants en mobilisant une équipe de recherche. Ce laboratoire s’inscrit dans les brisées d’une première série d’expérimentations de « formation d’enseignants débutants au fil de l’eau » dans le même contexte d’enseignement et avec des visées similaires (Ria, 2010).

L’objectif pour cette nouvelle expérimentation – toujours en cours – est triple : a) accompagner les enseignants débutants (1ère ou 2ème année d’expérience) en répondant à leurs attentes relatives à l’amélioration de leurs interventions individuelles devant des publics hétérogènes, b) permettre la construction de repères communs dans la façon d’enseigner entre enseignants débutants ou plus expérimentés pour contribuer au partage au sein du collectif enseignant de valeurs, de critères d’exigence, de modalités d’action et c) évaluer les effets des dispositifs proposés au sein du LEEA pour mieux comprendre la professionnalisation en cours de construction des enseignants débutants mais aussi des enseignants (professeurs référents) qui les accompagnent dans leur entrée dans le métier.

Dans la poursuite des deux premiers objectifs, les méthodologies de l’analyse du travail ont été utilisées de manière heuristique, en concevant et en testant des protocoles hybrides (provenant d’origines théoriques diverses). En ce qui concerne le troisième objectif relatif à l’appréciation des effets du dispositif sur la professionnalisation des enseignants, des observations, des entretiens semi-directifs ont été effectués ainsi que des entretiens d’autoconfrontation en s’attachant à mobiliser des registres de relance utilisés dans le cadre du cours d’action (Theureau, 2004) pour appréhender l’activité et sa transformation en formation.

Trois principes clefs ont présidé à l’élaboration du LEEA : a) un cadre éthique mis au cœur des outils proposés lors de chaque session de formation pour insister sur le respect et la bienveillance nécessaire entre les différents participants, le jugement porté sur les activités (et non les personnes), b) des pistes de formation concrètes se déployant en écho avec les attentes des enseignants et respectueuses des contraintes liées à leurs conditions de travail et c) une possibilité pour chacun des enseignants d’expliciter ses motifs de satisfaction ou d’insatisfaction par rapport au dispositif de formation et de pouvoir à tout moment le quitter.

5. Résultats

5.1 Partie 1 : Description des étapes de constitution du LEEA

L’activité annuelle du LEEA s’est déployée en 2012/2013 sur trois sessions de deux jours et en 2013/14 sur quatre sessions de deux jours (processus en cours). Sans décrire de manière exhaustive et chronologique l’ensemble des sessions, sont présentées dans les lignes suivantes les phases les plus significatives de son développement et les principaux effets sur l’activité des enseignants.

5.1.1 1ère session du LEEA (novembre 2012) : phase d’amorçage

L’équipe de recherche a proposé aux enseignants débutants de l’établissent un premier dispositif d’enregistrement de l’activité en classe suivi d’un entretien d’autoconfrontation. Trois d’entre eux ont accepté spontanément, espérant améliorer

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leurs modalités d’intervention en classe mais sans savoir de quelle nature pouvaient être les transformations à opérer. Lors du premier enregistrement, les trois ont vécu la présence d’un chercheur et d’une caméra dans leur classe comme une nouvelle expérience un peu stressante. Des entretiens d’autoconfrontation d’une vingtaine de minutes ont été conduits dans un premier temps à partir de photos prises en classe lors de la mise au travail de leurs élèves (thème de travail demandé par les trois), suivi d’un autre bref entretien à partir de l’enregistrement de leur activité en classe.

L’objectif pour les chercheurs était de proposer des supports d’explicitation de l’expérience mettant les débutants progressivement en jeu et en mouvement pour que ceux-ci s’approprient graduellement leur image et les effets produits par leur action sur celles des élèves.

Ces trois volontaires ont accepté le lendemain d’expliciter leur expérience lors de la mise au travail de leur classe devant la douzaine d’enseignants débutants et plus expérimentés du LEEA, à partir des supports photo puis d’extraits des enregistrements vidéo. Relevons que la description individuelle préalable auprès des chercheurs a largement favorisé l’explicitation devant le collectif. Des échanges à propos des activités visualisées et explicitées ont permis de dégager des points d’accord et de désaccord quant aux niveaux d’exigence à avoir avec ces publics difficiles. Pour alimenter ces échanges, les chercheurs ont présenté des ressources produites par la recherche sur les activités typiques des débutants lors de la mise au travail de leurs élèves en début de cours (ressources de la plateforme de formation de NéoPass@ction4) ainsi qu’un cadre d’analyse de l’activité en trois phases (description – interprétation – évaluation) pour donner au collectif un premier outil d’analyse garantissant le cadre éthique du LEEA (Lussi Borer & Muller, sous presse).

5.1.2 2ème session du LEEA (avril 2013) : phase de construction de la pertinence du collectif

Après avoir vécu les modalités de formation mobilisées lors de la première session, plus de la moitié des enseignants débutants ont demandé à être filmés en classe et à procéder à des entretiens d’autoconfrontation avec les chercheurs. Suite à ces entretiens, les chercheurs ont travaillé avec les enseignants référents pour dégager une thématique commune émergeant dans ces films : « comment faire pour travailler avec les élèves et non pas contre eux ? ». Ce qui a permis de sélectionner des extraits des activités de classe, concrétisant cette thématique, parmi l’ensemble des matériaux recueillis, pour en faire le contenu principal de la deuxième séance collective de formation au sein du LEEA.

D’autre part, la première session de formation en novembre avait aiguisé la curiosité des débutants à propos de la façon dont un enseignant expérimenté, réputé dans l’établissement pour sa grande expertise, procédait pour accueillir et mettre ses élèves au travail. Celui-ci a accepté d’être filmé et de participer à un entretien d’autoconfrontation conduit par les chercheurs devant l’ensemble des membres du LEEA ; le chercheur s’attachant à faire expliciter à l’enseignant les détails – souvent tacites ou transparents – de son activité. L’écart perçu par les enseignants entre l’énonciation des modalités d’action in abstracto (détachées de l’activité) en novembre et l’explicitation présente de modalités situées et dynamiques à partir de la vidéo de classe leur a permis de mieux comprendre les ajustements locaux implicites

4http://neo.ens-lyon.fr

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nécessaires pour actualiser dans l’action un faisceau de préoccupations subordonnées les unes aux autres. Le dévoilement des organisateurs d’une activité experte a ainsi permis de proposer aux débutants d’autres possibles dans les configurations de début de cours et de mise au travail de leurs élèves.

5.1.3 3ème session du LEEA (septembre et novembre 2013) : phase d’autonomisation progressive du dispositif

Un tiers des enseignants de l’établissement (18) s’est inscrit au LEEA pour la deuxième année scolaire. La demande d’enregistrement suivie d’autoconfrontation à l’activité en classe (répondant davantage à des attentes individuelles qu’au niveau du collectif LEEA), s’est encore accrue, portée également par des enseignants plus expérimentés. Ce qui a pointé les limites du dispositif « film-autoconfrontation individuelle » tenu uniquement par les chercheurs (en terme de surcharge) ainsi que l’importance de constituer et d’outiller une équipe interne de pilotage du LEEA pour que des modalités d’analyse du travail à partir de la vidéo puissent se dérouler de manière autonome, c’est-à-dire sans la présence (trop ponctuelle et limitée) des chercheurs dans l’établissement. Une formation aux outils d’analyse du travail en deux temps a donc été mise en place (novembre 2013) : au niveau de l’équipe de pilotage constituée de trois professeurs référents et de trois débutants participant pour la deuxième année au LEEA et au niveau du collectif LEEA.

A partir d’extraits vidéo complétés par des entretiens d’autoconfrontation, une analyse de l’activité – appelée enquête collaborative – a été effectuée par petits groupes en quatre étapes consistant à : a) décrire la situation de travail (seulement à partir de l’extrait vidéo de classe) en s’attachant à lister des faits observables (en retenant ses jugements), b) mettre en relation les faits observables avec les préoccupations explicitées par l’enseignant (dans l’entretien d’autoconfrontation filmé ou en présentiel), c) évaluer la pertinence de l’activité (et non de la personne) selon les critères co-construits et d) proposer, en tirant parti de ses propres expériences, des pistes de transformation réalistes, viables pour l’activité observée. La première séance de formation de l’équipe de pilotage a été conduite par les chercheurs ; la seconde avec le collectif LEEA par les membres de cette équipe. Si les enseignants référents de l’équipe de pilotage avaient énoncé au début de la deuxième année scolaire des doutes importants quant à leur propre légitimité à conduire une formation adressée à des collègues du même établissement, force est de constater que les modalités structurées de conduite de l’enquête collaborative ont permis à certains d’entre eux de dépasser ces doutes identitaires et de mettre leurs capacités d’analyse et expériences au profit du collectif enseignant (même si des différences très nettes sont apparues dans leurs capacités à analyser l’activité avec une extériorité, neutralité suffisantes par rapport à leurs propres pratiques d’enseignants).

La construction expérimentale du LEEA de Garcia Lorca est un work in progress. Le projet d’autonomisation de l’équipe de pilotage vis-à-vis des chercheurs est encore fragile et partiel (d’ailleurs doit-il l’être totalement ?5). Plusieurs modalités de formation sont envisagées pour : a) poursuivre l’appropriation par les enseignants des outils de l’analyse du travail, b) exploiter en formation le corpus vidéoscopique local constitué depuis plus d’une année (correspondant à plusieurs dizaines d’heures d’enregistrement) et c) continuer de constituer de nouveaux corpus susceptibles de

5 Il semblerait pertinent qu’une équipe de formateurs, provenant des écoles supérieures du professorat et de l’éducation – plus largement des universités – et familiers de l’usage des outils issus de l’ergonomie du travail, puisse accompagner régulièrement l’équipe locale.

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soutenir le développement professionnel des collègues volontaires tout en leur permettant d’échanger autour de leur activité en classe afin de construire une culture commune. Au sein du LEEA, plusieurs groupes se sont constitués autour de thèmes d’enquête partagés. Les enseignants ont aussi constitué des doublettes de co- observation et de co-intervention avec l’intention de se filmer réciproquement et de sélectionner les extraits les plus significatifs de leurs activités par rapport au thème d’enquête choisi pour les exploiter lors d’une prochaine session de formation collective du LEEA (février 2014).

5.2 Partie 2. Etude de la transformation de l’activité d’Hervé par la médiation du LEEA

5.2.1 Description longitudinale de la transformation de l’activité d’Hervé

La monographie du cas d’Hervé, professeur de physique (titulaire deuxième année dans l’établissement en 2012-13) et partie prenante du LEEA dès sa création, illustre les effets d’un tel dispositif de formation sur son activité professionnelle.

Hervé a été photographié/filmé [Etape 1 du synopsis de formation], puis autoconfronté aux photos et à la vidéo de son cours de physique de manière individuelle [Etape 2] avant de présenter son activité sur photos lors du premier regroupement du collectif au sein du LEEA [Etape 3]. Lors de cette présentation/confrontation a émergé une opposition assez véhémente avec Zouhir, professeur de mathématiques expérimenté, sur le format de début de cours (se tenir debout, en silence, enlever les manteaux) [Etape 4]. Zouhir l’estimant nécessaire pour mettre les élèves dans des conditions d’apprentissage optimales ; Hervé s’en dédouanant : « […] de suite je leur présente l’activité de la fois d’avant pour recontextualiser ce qu’on a fait, pour pouvoir ensuite lancer la suite […] Pour moi il y a un impératif, c’est rentrer – s’asseoir – trousse – cahier. […] Déjà moi quand j’étais élève, je ne comprenais pas pourquoi rester debout derrière la chaise […] Moi, j’arrive à me concentrer en corrigeant des copies sur mes genoux dans le métro, etc.

8. Confronta on d’un professeur référent à l’ac vité du débutant Format dyadique :

enseignant + chercheur

Format triadique : enseignant + professeur référent +

chercheur Format collec f :

laboratoire LEEA

1. Enregistrement de l’ac vité en classe

2. Autoconfronta ons sur photos et vidéo

9. AC collec ve sur vidéo d'un professeur référent 3. AC collec ve sur photos

4. Controverse professionnelle Novembre 2012

10. Enregistrement de

l’ac vité en classe 11. Autoconfronta on sur vidéo 7. AC sur vidéo « controverse » 5. Enregistrement de

l’ac vité en classe 6. Autoconfronta on sur vidéo Avril 2013

Septembre 2013

Transforma on de l’ac vité d’Hervé, professeur de physique, par la média on du LEEA

Lussi Borer & Ria, 2013

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Je vois pas pourquoi un gamin qui est avec un manteau ne peut pas arriver à se concentrer… Donc à partir de là, j’ai pas envie de perdre de temps et de risquer un conflit avec un élève juste pour qu’il retire son manteau… » [verbatim de l’AC sur photo].

Lors du premier entretien d’autoconfrontation avec les chercheurs, Hervé s’était déjà exprimé sur sa façon d’agir dans cet établissement différente de celle qu’il avait instaurée dans un contexte d’enseignement plus facile : « ce que je faisais durant mon année de stage [de fin de formation initiale] dans le sud-ouest, là, je ne pouvais plus le faire… Le problème c’est que ça ne marchait pas ici et que j’avais pas envie de me prendre la tête et de leur prendre la tête sur « on reste debout, silence, on sort les affaires ». Maintenant [dans cet établissement difficile] le but, c’est de lancer le truc le plus rapidement possible. Je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à faire d’autre méthode. Du coup je fais ça avec toutes mes classes… ».

Un deuxième enregistrement de son activité en classe, suivi d’un entretien d’autoconfrontation a été effectué en avril 2013 [Etapes 5 et 6]. Les modalités d’accueil et de mise au travail des élèves étaient similaires à celles observées quatre mois plus tôt : une priorité donnée au travail sans instauration d’un rituel scolaire de début de cours ; ce qui fait que les élèves rentraient bruyamment et individuellement – et de manière non satisfaisante d’un point de vue extérieur – dans la leçon. En plus, un entretien de d’autoconfrontation a été conduit à partir du visionnement de la controverse ayant eu lieu avec Zouhir lors de la session précédente [Etape 7] pour comprendre l’expérience vécue par Hervé lors de celle-ci et les effets éventuels de celle-ci sur son activité actuelle. Si Hervé dit comprendre le point de vue de Zouhir, il dit ne pas voir « comment mettre cette nouvelle façon de faire [sans les manteaux]

en application puisque depuis deux-trois mois je faisais d’une manière différente. Par rapport aux élèves, il aurait fallu que je trouve une bonne raison de changer mes habitudes en fait… J’ai préféré conserver ce que je faisais plutôt que de tenter autre chose en plein milieu de l’année… J’aimerais vraiment voir comment ça se passe dans la classe de Zouhir car je suis convaincu qu’il se ménage lui aussi des marges de manœuvre… ».

Suivant la demande d’Hervé, les chercheurs ont proposé deux dispositifs différents : a) la confrontation, conduite par les chercheurs, de Zouhir à l’activité d’Hervé pour que le premier essaie de donner au second des éléments à partir de sa propre expertise [Etape 8]. Mais à la suite de cette confrontation, Hervé ne semble pas convaincu : « si je fais comme ça, c’est que je vois pas la solution pour avoir un réel silence ou un silence plus correct que ça… », b) une autoconfrontation collective dans le LEEA de l’activité de Zouhir filmé en classe pendant laquelle ce dernier a pu expliciter dans le détail ses registres d’action et les conditions qui en dépendaient [Etape 9].

A la rentrée de septembre 2013, Hervé accepte à nouveau d’être filmé en classe et autoconfronté [Etapes 10 et 11]. Son format de début cours s’est transformé par rapport à l’année précédente : il exige des élèves qu’une fois entrés en classe, ils se tiennent debout face à lui en silence. Hervé décrit sa nouvelle activité de la manière suivante : « J’ai posé le cadre dès le début d’année. Je savais depuis la formation [de l’année précédente] qu’il me fallait changer les choses… J’attendais le début d’année pour le faire avec des règles très simples. J’essaye en fait de leur expliquer pourquoi je les fais attendre debout… que c’est une façon de se dire bonjour, on est

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ensemble pour 55’, ‘vous êtes debout face à moi, droits, et moi aussi…’. Le souci que j’avais, c’est que je n’arrivais pas à mettre du sens derrière ça [rituel debout] et à l’expliciter aux élèves… En gros si c’est ‘debout’ juste pour qu’ils se taisent et d’un avec certaines classes ça marche pas, j’ai jamais réussi, et de deux heu… ça fait un peu le ‘dictateur’ qui fait ‘restez debout’. Et ça, dès la première heure de cette année, j’ai mis du sens à toutes les règles que je leur ai demandées. Si je n’avais pas réussi à mettre ce sens-là derrière, je pense que j’arriverai toujours pas à le faire et que même moi je ne m’imposerai pas ça et je ne leur imposerai pas ça… »

5.2.2 Analyse de la transformation de l’activité d’Hervé

Différentes étapes peuvent être pointées dans le processus de transformation de l’activité d’Hervé en début de cours en analysant l’évolution de ses préoccupations/intentions. Tout d’abord, Hervé évoque la configuration apprise et mise en œuvre lors de sa formation initiale (année de stage dans le sud-ouest) : un dispositif structuré (debout, silence, manteaux enlevés), tenu par l’intention de mettre les élèves dans des conditions favorables au démarrage du travail scolaire. Lors de sa première année à Garcia Lorca, face à un public d’élèves difficiles pour la gestion duquel il n’a pas développé d’outils spécifiques, il n’arrive plus à tenir cette configuration. Mis en danger dans sa posture et sa légitimité d’enseignant, il change en faveur d’un format limitant la prise de risque : démarrer au plus vite son cours pour éviter tout rituel susceptible de susciter un conflit avec un élève.

Lors de la présentation au LEEA de ce format et de sa remise en question par un enseignant expérimenté [Etapes 3 et 4], la préoccupation d’Hervé est de le défendre devant le collectif en invoquant son propre vécu passé (d’élève) et présent (d’enseignant). Ce sont donc des arguments centrés sur sa propre expérience qu’il utilise, sans prendre en compte le point de vue de l’élève qui sous-tend les propos de l’enseignant expérimenté lors de la controverse évoquée plus haut.

A la session suivante, lorsqu’il est confronté au film de la controverse, sa position évolue : il ne défend plus aussi fermement son format de début de cours, mais reconnait ne pas savoir comment s’y prendre pour changer. On voit donc émerger (ou se renforcer) chez lui la conscience d’une inadéquation de son format par rapport à ses valeurs/normes personnelles et la projection d’une activité potentiellement différente. Cette projection s’accompagne de nouvelles préoccupations : conserver de la continuité dans sa façon d’intervenir et ne pas changer en cours d’année. Lors de la confrontation de Zouhir à l’activité d’Hervé [Etape 8], ce dernier reconnaît son incapacité à obtenir un « silence plus correct ». On perçoit ici l’émergence chez Hervé d’un conflit de normes : désir d’être capable d’avoir un format de début de cours structuré, mais sans faire preuve d’« autorité autoritariste » (crier, être dictateur) et sans trop s’exposer face à des élèves coutumiers des incivilités face aux professeurs.

Lors de la rentrée scolaire suivante, il saisit l’occasion de changer son format de début de cours et reprend la configuration apprise et utilisée en stage (prônée par son collègue expérimenté) et plus proche de ses propres valeurs. Toutefois, pour pouvoir tenir cette configuration, on voit qu’Hervé a besoin de la renormaliser, de lui donner un sens qui soit le sien (ego-centré) : il n’argumente pas sur la pertinence de la configuration pour les élèves ou sur sa « robustesse » (qui fait qu’elle est pratiquée par ses collègues expérimentés), mais surtout par rapport au sens qu’il a pu lui construire (debout, en silence = se dire bonjour avant de travailler ensemble).

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On voit donc qu’il a dû passer par un processus de renormalisation6 pour pouvoir croire en sa capacité à tenir une configuration qu’il avait abandonnée à son arrivée dans cet établissement difficile.

Et quand il est finalement confronté au film (monté par les chercheurs) qui reprend les différents extraits des sessions et qui montre ce cheminement, il le reconnaît comme le sien et insiste sur le temps d’intégration qui lui a été nécessaire pour l’effectuer : à.

6. Discussion générale

6.1 Conditions de création d’une culture professionnelle locale ?

Lors de leurs débuts, les enseignants du secondaire en France sont nombreux à considérer que les quelques outils ou savoir faire qu’ils ont construits en formation initiale ne sont pas suffisants pour intervenir devant des publics scolaires souvent plus difficiles que ceux de leurs stages professionnels. Ils ont aussi le sentiment d’être livrés à eux-mêmes et de devoir s’accommoder de modalités d’action transitoires et partiellement satisfaisantes (Ria, 2009). Leurs modalités d’engagement dans leur travail sont aussi pour la plupart individuelles. Le collectif enseignant au sein de ces collèges difficiles n’existe pas ou du moins, il se limite à des activités entre enseignants reliées entre elles « de l’extérieur », c’est-à-dire seulement articulées par des points de jonction plus ou moins formels (réunions, salle des professeur, etc.) et rarement focalisées sur le cœur de leur métier : leurs modalités d’action devant élèves et les apprentissages de ces derniers.

A ce titre, notre laboratoire d’analyse du travail enseignant a pour objectif de partir de l’explicitation des activités individuelles, dans des formats sécurisants et bienveillants, de les adresser à des cercles de plus en plus collectifs pour briser l’isolement de chacun. En retour, cela permet de bénéficier du potentiel de ce collectif trans-générationnel créatif (dans ces contextes les enseignants doivent s’adapter en permanence à des publics évolutifs) pour enrichir les activités de chacun et partager des orientations qui peuvent jouer le rôle de « ciment collectif », de culture locale commune. Les outils de l’analyse du travail proposés au sein du LEEA (explicitation des expériences, enquêtes collaboratives, etc.) permettant des médiations entre l’individuel et le collectif, les débutants et les plus expérimentés, les enjeux pédagogiques et didactiques.

Pour ce faire, plusieurs conditions sont à réunir : a) construire un cadre éthique garantissant à tous les enseignants volontaires d’expliciter leurs activités sans craindre de jugement et d’évaluation, b) offrir des formats progressifs d’explicitation des activités : de l’usage de traces d’activité peu « intrusives » (photos) à des traces d’activité plus exposantes (vidéo), de sessions de formation individuelles à d’autres collectives, de la mobilisation première de l’activité débutante à celle seconde d’enseignants plus chevronnés, c) mobiliser des outils réflexifs pour apprendre successivement à décrire l’activité, l’interpréter en s’appuyant de la description du vécu professionnel et proposer des pistes concrètes de modification et d) s’appuyer sur une perspective développementale de l’agir débutant ou plus expérimenté pour

6 Pour Schwartz, l’activité procède d’un processus de renormalisation, c’est-à-dire « de reconfiguration par l’être humain d’un milieu porteur de normes afin d’en faire son milieu. Ces normes antécédentes (règles, buts, modèles, savoirs formalisés, procédures, etc.) peuvent être : extérieures à l’individu, exogènes, et s’imposer à lui – comme par exemple, les prescriptions ; ou intérieures à lui, endogènes, c’est-à-dire relatives aux règles explicites ou implicites qu’il se donne pour agir » (Muller, 2013, p. 220).

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mettre en avant ses transformations typiques et proposer à tous des projets de transformation de leurs activités en classe compatibles avec leurs dispositions à agir.

6.2 Des boucles courtes et longues de transformation de l’activité professionnelle

Nos recherches sur le suivi longitudinal des activités des enseignants débutants membres ou non du LEEA, nous ont permis d’observer des transformations variées que l’on peut distinguer les unes des autres selon les critères suivants :

1. des transformations autonomes, c’est-à-dire l’enseignant seul dans sa classe (sans recours au LEEA) (Ria, 2009, 2012) et d’autres directement liées à l’influence des actions du dispositif de formation in situ (effets combinés de la vidéo, des outils d’analyse, du collectif, des pairs, des enseignants- formateurs, des chercheurs, etc.) ;

2. des modalités d’enquête de la part des enseignants visant prioritairement une transformation des situations de classe (avec secondairement des effets sur leur propre identité au travail) ou des modalités visant prioritairement la transformation dans leur façon « d’être enseignant » (avec secondairement des effets sur les situations de classe) ;

3. des transformations prioritairement animées par un souci d’efficacité portant sur le travail et l’apprentissage des élèves ou prioritairement animées par un souci de recherche de normes de viabilité personnelles, d’économie de soi pour mieux vivre l’accomplissement du travail tout en tentant de les rendre compatibles avec des exigences de l’institution (ces deux dimensions étant le plus souvent fortement imbriquées) ;

4. des transformations plutôt rapides (jours, semaines) ou au contraire plutôt lentes (mois, années).

A ce titre, la transformation de l’activité d’Hervé a été médiée par les différents outils et interactions au sein du LEEA. Elle a nécessité une transformation sur une durée longue de ses propres dispositions à agir en début de cours, impliquant une modification profonde de ses valeurs et croyances vis-à-vis de son métier. La transformation de soi en tant qu’être enseignant constituant un prérequis à la transformation de la situation scolaire. L’efficacité accrue de son action s’est accompagnée d’une plus grande efficience de sa part (une action plus en congruence avec son système de valeur pour « mieux vivre » les contraintes inhérentes aux formes scolaires).

Lors des dispositifs proposés dans le cadre du LEEA, les enseignants ont pu à nombreuses reprises découvrir, analyser, évaluer la pertinence concrète (via la vidéo) d’autres modalités d’action, pour certaines « compatibles » avec leurs propres préoccupations de classe et « directement assimilables » dans leur registre d’action.

Le caractère directement opératoire de ces nouveaux savoir faire ou de ces nouvelles configurations d’activités répond à un des critères premiers des enseignants : une orientation pragmatique comblant certains des manques ressentis de manière plus ou moins explicite compte tenu des objectifs visés. Dans d’autres cas, comme celui illustré par la transformation de l’activité d’Hervé, le potentiel d’appropriation est moins direct. En effet, il nécessite une transformation d’une partie ou de l’ensemble des dispositions à agir indexées à d’autres préoccupations non directement assimilables ou compatibles avec celles mobilisées dans la situation précédente. La transformation nécessite un processus de renormalisation au niveau

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individuel du système de valeurs, de croyances, de façon de percevoir les situations d’enseignement pour agir autrement.

Finalement, le laboratoire en cours d’expérimentation peut être, sous certaines conditions, un lieu d’incubation et de développement des activités individuelles au profit de projets collectifs. Notre approche théorique et méthodologique privilégie une entrée par l’activité et l’expérience individuelles pour appréhender leur potentiel de transformation qui peut être activé, nourri, enrichi, étayé par l’activité collective d’analyse, de compréhension et de re-normalisation des registres et valeurs de chacun. C’est de ces dynamiques ascendantes, cognitives et expérientielles que des relations inter-individuelles peuvent émerger et constituer progressivement une culture en action, par l’action et pour l’action au sein d’un même établissement.

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