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«Ça va devenir compliqué !» ou les difficultés de l’innovation

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Academic year: 2022

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Ça va devenir compliqué !...». Cette formule, nouvellement promue au rang d’accessoire incontournable du vocabulaire des commen- tateurs sportifs, aura marqué la grande messe médiatique des Jeux Olympiques de Londres. S’appliquant indifféremment à toute situation où un sportif n’avait plus aucune chance de gagner, qu’il s’agisse d’un cycliste helvétique ayant chuté dans un virage ou d’un grand champion de tennis s’étant pris les pieds dans un filet aux couleurs de l’Union Jack (toute res- semblance…), tout était décidément bien compliqué dans ces JO.

En médecine, ce qui est en passe de devenir compliqué, c’est l’innovation.

Nous en avons vécu un exemple frappant cette année avec l’introduction de nouveaux anticoagulants oraux, qui ont pourtant tout pour supplanter les antivitamines K (AVK) : administration orale, effet biologique prévi-

sible rendant la surveillance de l’effet anticoagulant inutile, interactions moins fréquentes que les AVK. Nous ne parle- rons ici que du dabigatran, qui a été ap- prouvé par Swissmedic le 29 mai 2012 pour «la prévention de l’accident vas- culaire cérébral (AVC) et de l’embolie systémique chez les patients présen- tant une fibrillation auriculaire non valvulaire associée à un ou plusieurs…

facteurs de risque».1 Cet inhibiteur direct de la thrombine a, selon la dose choisie (110 ou 150 mg deux fois par jour), une efficacité équivalente ou supérieure à la warfarine et un risque hémorragique équivalent ou infé- rieur.2 Or, voici que l’expérience américaine doit nous inciter à une cer- taine prudence, ainsi qu’en témoigne un article d’opinion récemment paru dans les Annals of Internal Medicine.3 En effet, dans les trois mois qui ont suivi sa commercialisation en octobre 2010, le dabigatran s’est positionné d’emblée dans le top ten des médicaments responsables d’effets indési- rables, selon l’Institute of Safe Medication Practice (ISMP). Dans son rapport annuel 2011, cet institut qui tire ses données de la Food and Drug Admi- nistration, mentionne que les deux médicaments en tête de cette liste ont été le dabigatran (3781 effets indésirables rapportés dont 542 décès) et la warfarine (1106 effets indésirables rapportés dont 72 décès).4 S’agissant de déclarations volontaires, faites en ce qui concerne le dabigatran en majorité par des médecins, cela ne prouve nullement que le dabigatran provoque davantage d’accidents hémorragiques que la warfarine. En effet, les effets indésirables médicamenteux sont notoirement sous-rapportés et il est probable qu’il y a là une sorte de prime à la nouveauté : chacun connaît le risque de saignement associé aux AVK et sera donc moins prompt à signaler une hémorragie survenue chez un patient sous warfa- rine que sous dabigatran. Il n’empêche, cela signifie en tout cas que le risque hémorragique avec ce médicament est bien réel, et probablement plus important en population générale que ce qui a été observé dans des essais randomisés aux critères d’inclusion contraignants. Une analyse post- hoc de l’étude RE-LY a d’ailleurs montré que le risque hémorragique du dabigatran était, tout comme celui de la warfarine, fortement lié à l’âge,

«Ça va devenir compliqué

ou les difficultés de l’innovation

«… le dabigatran s’est positionné d’emblée dans le top ten des médicaments responsables d’effets

indésirables …»

éditorial

Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 17 octobre 2012 1947

Editorial

A. Perrier

Arnaud Perrier

Médecin-chef

Service de médecine interne générale Département de médecine interne, réhabilitation et gériatrie HUG, Genève

Articles publiés

sous la direction du professeur

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avec une tendance à un risque plus élevé que l’AVK chez les patients âgés de plus de 75 ans à la dose de deux fois 150 mg/jour (5,1% vs 4,4%).5 Ceci est d’ailleurs à l’origine de la recommandation d’envisager la pres- cription de la dose plus faible (deux fois 110 mg/jour) chez les patients âgés au Royaume-Uni. Le dabigatran étant éliminé essentiellement par voie rénale, sa prescription est contre-indiquée en Suisse au-dessous d’une clairance de 30 ml/min, au contraire des Etats-Unis où son adminis- tration est autorisée dans ce cas à la dose de 2 x 75 mg/jour sur la base

exclusive et critiquable de données pharmaco- cinétiques.6 Les interactions médicamenteu ses, moins fréquentes avec le dabigatran qu’avec les AVK, existent néanmoins, en particulier avec l’amiodarone au niveau de la glycoprotéine-P,7 et il n’y a à ce jour pas de moyen efficace de contrecarrer rapidement l’effet anticoagulant du dabigatran en cas de saignement. Enfin, et hélas comme souvent, le rapport de l’ISMP démontre une utilisation hors indication du dabigatran dans plus de la moitié des cas.

Que conclure ? Il ne s’agit pas de décrier les nouveaux médicaments, dont le dabigatran n’est ici qu’un exemple. Tous, patients et médecins, nous avons intérêt au développement de nouvelles molécules plus effi- caces et plus sûres. Il ne s’agit pas non plus de diaboliser l’industrie phar- maceutique. Dans notre modèle économique, seule l’industrie dispose des fonds gigantesques nécessaires au développement d’un nouveau médicament. Et si l’on peut regretter parfois la confusion par les firmes entre information rigoureuse et publicité, on ne peut que constater que c’est la logique de ce modèle, où la condition de la pérennité d’entre- prises financée par des actionnaires est le profit. C’est donc au médecin que revient le devoir de prudence et de rigueur. Prudence dans l’inter- prétation des résultats des essais cliniques et rigueur dans leur application, en particulier dans la sélection des patients. C’est l’essence même de ce que, internistes universitaires, nous tentons d’enseigner au quotidien aux jeunes médecins en formation dans nos services. Gageons que cela n’est pas incompatible avec l’enthousiasme pour l’innovation !

1948 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 17 octobre 2012

«… C’est donc au médecin que revient le devoir de prudence et de rigueur …»

Bibliographie

1 Pradaxa, information professionnelle. Com pen­

dium suisse des médicaments, 2012.

2 Connolly SJ, Ezekowitz MD, Yusuf S, et al.

Da bigatran versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2009;361:1139­51.

3 Radecki RP. Dabigatran : Uncharted waters and potential harms. Ann Intern Med 2012;157:66­8.

4 Moore TJ, Cohen MR, Furberg CD. Quar ter­

watch annual report : Institute for Safe Medication Practices ; 2011. Available from : www.ismp.org/

QuarterWatch/pdfs/2011Q4.pdf

5 Eikelboom JW, Wallentin L, Connolly SJ, et al.

Risk of bleeding with 2 doses of dabigatran compared

with warfarin in older and younger patients with atrial fibrillation : An analysis of the randomized eva­

luation of long­term anticoagulant therapy (RE­LY) trial. Circulation 2011;123:2363­72.

6 Liesenfeld KH, Lehr T, Dansirikul C, et al. Popu­

lation pharmacokinetic analysis of the oral thrombin inhibitor dabigatran etexilate in patients with non­

valvular atrial fibrillation from the RE­LY trial. J Thromb Haemost 2011;9:2168­75.

7 Mavrakanas T, Bounameaux H. The potential role of new oral anticoagulants in the prevention and treatment of thromboembolism. Pharmacol Ther 2011;130:46­58.

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