• Aucun résultat trouvé

Une nouvelle alliance médecins-Etat

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Une nouvelle alliance médecins-Etat"

Copied!
1
0
0

Texte intégral

(1)

Il est bien probable que nous soyons à l’aube d’une guerre commerciale dans la distribution des soins. Quantité de nouveaux acteurs lor- gnent sur le marché de la médecine : des com- mençants qui, jusque-là n’avaient qu’un petit pied dans la santé (la Migros par exemple), des laboratoires d’analyse, des industries phar ma- ceutiques, des cliniques et des hôpitaux envi- sagent d’ouvrir des centres médicaux. Avec de gros moyens, des bâtiments bien situés et prati- ques, des stratégies marketing sophistiquées.

Si les médecins ne veulent pas que leur échap pe tout pouvoir (pouvoir au sens de : capacité de faire vivre leurs valeurs et de décider de leur destinée), il leur faut réagir : exister eux aussi comme des acteurs.

L’autre problème qui rend l’action urgente, c’est l’attitude du Conseil fédéral envers les médecins. Depuis Pascal Couchepin, le coup de force est devenu la règle. Ainsi, la baisse des tarifs de laboratoires sans la moindre considé- ration pour le travail des praticiens. Ou le rem- boursement des lunettes supprimé par ukase, symbole du jeu d’esbroufe («voyez, nous agis- sons !») auquel se livre un gouvernement qui ne cherche plus qu’à communiquer. Domine une stratégie du non-négociable, qui avance, circon- stance aggravante, avec la désarmante certi- tude de faire juste, un paternalisme étatique envers les médecins qui «n’ont rien compris»

ou «sont des enfants gâtés qui font semblant de se plaindre». Contre ces tendances, l’offen- sive médicale a jusqu’à pré sent été, reconnais- sons-le, un cuisant échec.

Enfin, il y a la subjugation du monde politi que par les caisses-maladie. Même les initiatives visant à les faire entrer dans un rôle construc- tif ne représentent qu’une tentative (certes ab- solument nécessaire) d’échapper à leurs idées tout en restant sous leur emprise. La politique de santé tourne autour d’elles comme une chèvre autour de son piquet.

Le moment est venu de sortir de ces impasses politiques et des fétiches qui leur servent de justification, qu’ils soient autoritaires ou pseudo- libéraux. Mais aussi de considérer les fonda- tions elles-mêmes de l’action politique du corps médical. De se demander non seulement : com- ment se faire entendre alors que plus personne ne s’intéres se à notre avis ?». Mais aussi, plus radicalement : «que signifie pour nous le fait d’être médecins ? Voulons-nous réellement être actifs en politique ?»

La réponse est évidemment que nous n’avons pas le choix. L’unique alternative est celle de la lente disparition de la culture médicale, de la réduction du métier de médecin au statut ordi- naire, de la marchandisation de la pratique avec,

comme unique originalité, quelques reliquats d’éthique et d’autonomie.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la surprenan te et novatrice Convention cadre que la Société vaudoise de médecine (SVM) a signé avec le Département de la santé et de l’action sociale du canton de Vaud, en septembre 2010.1 Son but : faire travailler ensemble les médecins et les responsables de l’Etat. D’abord, de manière concertée, recueillir des données, puis définir des solutions qui placent de bons incitatifs. Mais il s’agit simultanément d’une affaire de pouvoir.

Car on est «plus forts à deux» pour garder la main sur le remodelage par le marché du paysage sanitaire, ou pour soutenir, au travers d’arbitra ges raisonnés, les subtils équilibres privé-public, ambulatoire-stationnaire, médecine technique- médecine de premier recours. Sans compter l’importance – le partenariat lui consacre un groupe de travail – du contrôle des réseaux.

Autrement dit, si les médecins vaudois ont eu cette idée (car elle est d’eux) de faire allian ce avec l’autorité cantonale, c’est pour des raisons stratégiques et philosophiques. Le canton re- présente en effet le niveau naturel d’une colla- boration. Il a dans ses mains une partie subs- tantielle du pouvoir sanitaire. En même temps, son principal but dans ce domaine (au-delà d’un toujours possible parasitage par des intérêts électoralistes) s’avère proche de celui des mé- decins : c’est la qualité des soins offerts à la population. Comme eux, il doit sans cesse af- fronter les problèmes liés au pou voir démesuré des assureurs maladie. Comme eux encore, il est en conflit avec le Gouver nement national, par exemple sur la question de la répartition des réserves, ou avec le Parlement – le Con- seil des Etats surtout – qui ne cesse de pro- mouvoir une médecine pro-assureurs. D’où une proximité qui n’est pas feinte mais repose sur des problèmes communs et une réelle conver- gence des buts.

Pour les médecins, le gain sera aussi celui de la codécision. Non pas obéir à de multiples décisions que doit prendre l’autorité cantonale les concernant, mais y participer de plein droit et même en définir les modalités. Non pas subir les incitatifs mais contribuer à leur élaboration.

Plutôt que d’influencer les décisions dans les ultimes détails, obtenir un accès précoce aux dossiers. En résumé : plutôt que de rester der- rière un hublot, agir comme copilotes du sys- tème cantonal de santé.

Autre originalité de ce partenariat privé-public : son volet scientifique. Dans leur manière de récolter et d’utiliser les données, les fonction- naires, il faut l’avouer, ne comprennent pas les

subtilités de la réalité du terrain et les médecins manquent de moyens pour les défendre. Mais surtout, phénomène plus préoccupant, la poli- tique de santé a un rapport de plus en plus ténu avec la vérité. L’Etat a pris, ces dernières années, de nombreuses décisions à l’envers du bon sens. A cause certes de l’influence des lobbies et de la primauté donnée à l’idéologie, ces deux travers maladifs de notre système politique. Mais l’ignorance et la prétention ad- ministrative ont aussi joué un rôle. Or, rien n’est plus frustrant pour les praticiens de terrain que de voir la médecine s’organiser sous le règne de l’approximation, de l’erreur ou, pire, d’une mise en scène d’intérêts grossièrement grimés.

Une question, encore, qu’il faut bien poser à ce partenariat : est-il risqué ? Bien sûr. Le ris que n’est pas celui d’une étatisation de la méde- cine, ce vieux spectre qui hante les débats : le partenariat ne s’oppose en aucune façon à la médecine privée. Ni celui de mettre la tête de la SVM dans la gueule du lion Maillard (au con- traire : le partenariat permet de cogérer son dynamisme). Il tient plutôt au mélange possible des responsabilités et au brouillage de l’image des médecins. Mais ce risque reste limité. Rien, dans le contrat signé par la SVM, n’empêche les médecins de continuer de jouer leur rôle de contre-culture, de critique de la société, de mise en cause de ce qui produit de la maladie et de la souffrance. Leurs critiques, d’ailleurs, la plupart du temps, ne visent pas les cantons, ces restes d’Etat-Providence que la concurrence respecte comme des démarcheurs commer- ciaux une vieille dame.

Ce partenariat représente un changement ma- jeur dans la configuration des forces en jeu : c’est son intelligence stratégique. Mais il ap- porte en même temps autre chose : il restaure l’ambiance de «confiance» qui avait disparu, selon les mots de Pierre-André Repond, le se- crétaire général de la SVM dans ce journal.

Cette confiance en un Etat-partenaire est fra- gile mais essentielle si l’on veut éviter que la médecine se referme sur elle-même, ne cher- chant plus que l’autoconservation. Elle est une avancée vers la reconstruction d’une architec- ture médicale commune. «Il ne s’agit plus seu- lement, comme auparavant, de défendre l’indi- vidu médecin, affirme encore Repond, mais de devenir les protecteurs d’une identité collec- tive qui est en train de se forger».

Bertrand Kiefer

Bloc-notes

1384 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 22 juin 2011

1 Voir le dossier : Un partenariat entre médecins et Etat : le «new deal vaudois», pp 1373-5 de ce numéro.

Une nouvelle alliance médecins-Etat

48.indd 1 20.06.11 12:38

Références

Documents relatifs

Appelé Mandala ou non, beaucoup de culture ( pour ne pas dire toutes ) utilise dans leur art sacré, le cercle dans lequel sont inscrites, symbolisées : la divinité, la croyance,

Antigone refuse que son oncle Créon, qui exerce le pouvoir suite au décès de ses deux frères, prive son frère Polynice de funérailles (ce dernier a en effet été jugé

[r]

Recopie les phrases ci-dessous en transformant au pluriel tous les noms.. Accorde si besoin, les autres mots de

Cela étant une urgence à l’échelle sociétale, nous devons nous rallier à d’autres groupes profession- nels progressistes, dans le domaine de la santé et autres, pour que

Son père Louis VIII, qui lui-même n'avait pas été associé à la dignité royale du vivant de son propre père, était mort au loin sans avoir fait encore sacrer son fils aîné

Le catéchisme quotidien cherche encore à masquer les effondrements en un "toujours plus" (de consommation, d'investissements, de besoins...), fuite

Si l’on accepte de verser quelques euros à nos camarades marseillais pour éviter ce scénario, si l’on décide de faire de même au bout de notre rue ou un peu plus loin