REVUE MÉDICALE SUISSE
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La lettre de sortie dans la transition entre l’hôpital et l’ambulatoire
La lettre de sortie d’hospitalisation est un important outil de transmission d’informations médicales lors de la transition entre les soins hospitaliers et ambulatoires. Elle favorise la continuité des soins, ainsi que la qualité et la sécurité de la prise en charge médicale. Néanmoins, au sein d’un service hospitalier universi- taire existent plusieurs défis pouvant empêcher la transmission de ces documents dans les délais adéquats. Dans cet article, nous décrivons un projet d’amélioration de la qualité et de la tempora- lité de la transmission des lettres de sortie dans notre service de médecine interne, composé de mesures organisationnelles et formatives.
The discharge summary in the transition between hospital and ambulatory care
The hospital discharge letter is an important tool for transmitting medical information during the transition from inpatient to out
patient care. It promotes continuity of care, as well as quality and safety of medical care. Nevertheless, several challenges exist within a university hospital department that may make it difficult to trans
mit these documents in a timely manner. In this article we describe a project to improve the quality and rapidity of the transmission of discharge letters in our internal medicine department, composed of organizational and formative measures.
INTRODUCTION
La transition entre les soins hospitaliers et ambulatoires est un moment délicat de la prise en charge médicale d’un patient. Pour assurer la continuité et la qualité des soins après l’hospitalisation, la transmission d’une lettre de sortie adressée au médecin traitant est nécessaire. La forme et le contenu de ce document sont donc des éléments clés pour la bonne cor- respondance d’informations. Dans cet article, nous abordons le rôle de la lettre de sortie comme outil de communication entre les médecins hospitaliers et ambulatoires, l’évidence scientifique existante dans ce domaine encore peu étudié, ainsi qu’un projet d’amélioration de la qualité ayant vu le jour ces dernières années dans le Service de médecine interne (SMI) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
APERÇU HISTORIQUE
Les premières publications existant sur la lettre de sortie remontent aux années 70. En 1973, dans un article publié dans
The Lancet, Stevenson critiquait la lettre de sortie utilisée à l’époque dans son service de médecine à Glasgow, car elle était trop narrative et peu concise.1 La « nouvelle lettre de sortie » devrait s’inspirer du dossier médical orienté par pro- blèmes, défendu par Lawrence Weed dans son fameux article
«Medical records that guide and teach», publié en 1968 dans le New England Journal of Medicine.2 Cette nouvelle lettre contiendrait principalement le motif d’hospitalisation, la liste des problèmes, celle des médicaments à l’entrée et à la sortie, ainsi que les interventions effectuées, le tout accompagné de propositions de prise en charge en ambulatoire (tableau 1).3 Le délai pour la transmission au médecin de famille considéré comme idéal à l’époque était de 24 heures.
Malgré ces recommandations, plusieurs études ont montré que des lacunes importantes persistent dans les lettres de sortie rédigées par les médecins hospitaliers.4,5 Dans une étude réa- lisée en 2007 par Kripalani, les résultats des tests diagnos- tiques réalisés durant le séjour sont absents dans 33 à 63 % des lettres et les résultats en attente omis dans 65 % des comptes rendus. Ceci est aussi le cas pour les informations et conseils transmis au patient et à sa famille (90 à 92 %). La disponibilité de la lettre de sortie lors de la première consultation ambula- toire après le séjour hospitalier était très faible (12 à 34 %), et restait faible à 30 jours après la sortie (51 à 77 %). D’autres études ont suggéré une association entre les erreurs et omis- sions existant dans les comptes rendus et des conséquences cliniques indésirables, voire des réadmissions hospitalières.6
DÉFIS EXISTANTS
Dans les hôpitaux universitaires, les médecins en formation sont souvent les premiers responsables de la rédaction des lettres de sortie. Selon l’étude de Wenger et coll., publiée en 2017, un total de 2 heures par jour en moyenne est consacré dans Drs ALEXANDRE GOUVEIA a, b, VANESSA KRAEGE a et Pr CLAUDIO SARTORI a
Rev Med Suisse 2018 ; 14 : 2128-30
a Service de médecine interne, Département de médecine, CHUV, 1011 Lausanne,
b Centre de médecine générale, PMU, 1011 Lausanne alexandre.gouveia@hospvd.ch | vanessa.kraege@chuv.ch claudio.sartori@chuv.ch
TABLEAU 1 Lettre de sortie idéale pour une bonne transition de soins hôpital-ambulatoire
• Diagnostic principal et liste de problèmes
• Plan diagnostique et thérapeutique réalisé durant le séjour
• Résultats de laboratoire validés/en cours
• Directives anticipées du patient
• Examen clinique à la sortie, y compris l’état cognitif du patient
• Pronostic et plan de soins ambulatoires
• Liste des médicaments après réconciliation médicamenteuse, comprenant les réserves
• Interventions, soins et consultations prévues
• Identification du médecin responsable de la prise en charge ambulatoire, du proche aidant et du centre de soins à domicile, si existants
• Plan de secours et professionnel de santé de contact si besoin (nom, numéro de téléphone, adresse de courrier électronique) (Adapté de réf.3).
MÉDECINE INTERNE GÉNÉRALE
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notre service à la rédaction des notes et des lettres de sortie dans le dossier électronique du patient.7 Les médecins supervi- seurs participent plutôt à la finalisation et à la signature des comptes rendus, qui sont ensuite envoyés par les secrétaires au médecin ambulatoire du patient. Il est surprenant de noter que les connaissances et compétences des médecins pour la rédac- tion des lettres sont encore peu évaluées durant la formation médicale de base. Il est donc faux d’estimer qu’un médecin sans formation préalable spécifique sera suffisamment performant sur les différents aspects liés aux soins de transition, dont les lettres de sortie.8 Dans cette optique, Myers et coll. ont prouvé l’efficacité d’un enseignement ciblé sur la qualité de la lettre de sortie (complète, organisée, succincte, valide et lisible), combiné avec une séance individuelle de feedback donnée ultérieure- ment par un médecin superviseur hospitalier ou généraliste.9
LE SOUHAIT DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES : OBJECTIVITÉ, RAPIDITÉ ET DIALOGUE
Lors des différentes études, les médecins généralistes expri- ment apprécier des lettres de sortie courtes ( jusqu’à deux pages) et qui se focalisent sur l’information pertinente à la prise en charge des patients lors de leur retour à domicile, comme par exemple la raison du changement du traitement habituel ou l’examen clinique à la sortie.10,11 Ces éléments ont été confirmés lors d’une enquête réalisée, en 2016, par notre service auprès des médecins généralistes.
Le style de rédaction narratif, ainsi que l’histoire médicale complète, notamment l’ensemble des antécédents médicaux et chirurgicaux du patient, sont parmi les éléments jugés les moins importants pour les médecins ambulatoires. Néanmoins, ces informations s’avèrent importantes à la tarification des prestations somatiques aiguës selon le système tarifaire Swiss Diagnosis Related Groups (SwissDRG), ainsi qu’à la transmis- sion d’informations à une institution ou intervenant médico- sanitaire sans accès à l’historique du patient.
Le délai idéal pour la réception des lettres varie entre 1 et 7 jours après la sortie. A titre d’exemple et afin de promouvoir la continuité des soins, le National Health Service britannique utilise comme critère d’évaluation de la qualité des hôpitaux la transmission des lettres de sortie en 24 heures, et des péna- lités financières sont possibles pour les hôpitaux transgres- seurs.12 A signaler que le moyen de transmission actuellement le plus efficace est le courrier électronique, qui présente des avantages significatifs de sécurité de transmission de données par rapport au fax.
En complément à la lettre de sortie, les médecins généralistes estiment que le fait de pouvoir discuter téléphoniquement avec un collègue hospitalier avant la sortie du patient favorise la création d’un projet de prise en charge adapté au patient et au réseau de soins ambulatoires.
COMMENT OPTIMISER LA TRANSMISSION DES LETTRES À LA SORTIE D’HOSPITALISATION ?
Un groupe de travail multidisciplinaire existe au sein de notre service afin de réfléchir au processus de création, rédaction,
finalisation et transmission des lettres de sortie au médecin traitant dans des délais jugés acceptables (8 jours après la sortie selon les directives institutionnelles, 48 heures selon les objectifs du service). La lettre de sortie vise trois objectifs principaux dans notre service : documenter la raison de l’hos- pitalisation et le traitement réalisé durant celle-ci, permettre la facturation des prestations hospitalières selon SwissDRG, et transmettre au médecin de premier recours les informa- tions nécessaires à la transition de soins entre l’hôpital et l’ambulatoire.
Le groupe de travail « lettres de sortie » a initialement tra- vaillé sur l’adoption du format télégraphique de la lettre de sortie, ce qui est le fruit d’un compromis entre les besoins des médecins ambulatoires et la facturation des séjours hospita- liers. Le processus de leur création et finalisation a été subsé- quemment optimisé par des mesures visant la délégation d’activités administratives, l’anticipation des sorties lors d’un colloque quotidien multidisciplinaire (point de 8 heures) et la mutualisation de la rédaction des lettres, en cas de besoin accru (tableau 2). De plus, un monitorage permanent des délais et des contrôles de qualité des lettres sont réalisés périodiquement par les médecins cadres et les responsables de la facturation. Après l’implémentation de ces différentes mesures, les résultats obtenus sont très positifs (figure 1).
PERSPECTIVES D’AVENIR
La transmission d’informations médicales sera de plus en plus électronique et automatique, comme le montre l’implé- mentation actuelle de Medex (système d’envoi électronique des documents médicaux émis par le CHUV aux médecins installés).13 Dans le futur, les échanges de données se réaliseront de façon bidirectionnelle entre le dossier électronique du patient et le dossier médical utilisé dans chaque institution ou cabinet.14 La lettre de sortie ne nécessitera pas d’exister dans son format actuel et donnera probablement lieu à une notification de sortie qui s’affichera directement dans le logiciel du médecin généraliste et qui contiendra toutes les informa- tions nécessaires à la prise en charge. Cet interfaçage entre
TABLEAU 2 Mesures visant à optimiser la création et la transmission des
lettres adoptées dans le SMI SMI : Service de médecine interne.
Mesures organisationnelles
• Anticipation par discussion quotidienne en colloque des patients capables de rentrer à domicile dans les 48 heures suivantes
• Délégation de la création et finalisation des lettres à une secrétaire de médecin
• Mutualisation entre médecins de la responsabilité pour la finalisation des lettres de sortie en cas d’absences et/ou surcharge
(création d’un pot commun)
• Visualisation hebdomadaire de la performance par unité Mesures formatives
• Formation donnée à chaque nouveau médecin sur la forme, le contenu et le processus de création de la lettre de sortie
• Supervision régulière et contrôle qualité des lettres de sortie par les médecins cadres et les responsables de la facturation
• Intégration de la compétence de rédaction des lettres de sortie dans l’évaluation trimestrielle de chaque médecin en formation
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différents dossiers médicaux électroniques commence déjà à voir le jour en Suisse, afin de répondre aux exigences émises par la Loi sur le Dossier électronique du patient. Le patient doit être aussi invité à assumer un rôle actif dans la transition des soins et être un partenaire dans la communication des
La lettre de sortie est un outil important de transmission d’informations médicales importantes à la transition des soins entre l’hôpital et l’ambulatoire
Les médecins généralistes souhaitent des lettres de sortie succinctes et transmises le plus rapidement possible, idéalement dans les 48 heures après le retour à domicile
Les délais de transmission adéquats et la qualité des lettres de sortie peuvent être obtenus par l’implémentation de mesures organisationnelles et formatives adaptées au contexte local de chaque service hospitalier et de son réseau ambulatoire
IMPLICATIONS PRATIQUES
1 Stevenson JG, Boyle CM, Alexander WD. A new hospital discharge letter.
Lancet 1973;1:928-31.
2 * Weed LL. Medical records that guide and teach. N Engl J Med 1968;278:593-600.
3 Snow V, Beck D, Budnitz T, et al.
Transitions of care consensus policy statement: American college of physicians – Society of general internal medicine – Society of hospital medicine – American geriatrics society – American college of emergency physicians – Society of academic emergency medicine. J Gen Intern Med 2009;24:971-6.
4 van Walraven C, Weinberg AL. Quality assessment of a discharge summary system. CMAJ 1995;152:1437-42.
5 * Kripalani S, LeFevre F, Phillips CO, et
al. Deficits in communication and information transfer between hospital- based and primary care physicians.
Implications for patient safety and continuity of care. JAMA 2007;297:831-41.
6 van Walraven C, Seth R, Austin PC, Laupacis A. Effect of discharge summary availability during post-discharge visits on hospital readmission. J Gen Intern Med 2002;17:186-92.
7 Wenger N, Méan M, Castioni J, et al.
Allocation of internal medicine resident time in a Swiss hospital : a time and motion study of day and evening shifts.
Ann Intern Med 2017;166:579-86.
8 Legault K, Ostro J, Khalid Z, Wasi P, You JJ. Quality of discharge summaries prepared by first year internal medicine
residents. BMC Med Educ 2012;12:77.
9 * Myers JS, Jaipaul CK, Kogan JR, et al.
Are discharge summaries teachable ? The effects of a discharge summary curriculum on the quality of discharge summaries in an internal medicine residency program.
Acad Med 2006;81(10 Suppl):S5-8.
10 ** van Walraven C, Rokosh E. What is necessary for high-quality discharge summaries ? Am J Med Qual 1999;14:160-9.
11 ** Clanet R, et al. Revue systématique sur les documents de sortie d’hospitalisation et les attentes des médecins généralistes.
Santé Publique 2015;27:701-11.
12 www.pulsetoday.co.uk/news/
commissioning-news/hospital-fined-for- failing-to-send-discharge-summaries- on- time/20005123.article
13 www.chuv.ch/fr/chuv-home/
professionnels-de-la-sante/vous-etes- medecin/envoi-des-documents- medicaux/
14 Denecke K, Dittli PA, Kanagarasa N, Nüssli S. Facilitating the information exchange using a modular electronic discharge summary. Stud Health Technol Inform 2018;248:72-9.
15 ** Kattel S, Manning DM, Erwin PJ, et al. Information transfer at hospital discharge: a systematic review. J Patient Saf 2016;epub ahead of print.
* à lire
** à lire absolument
FIG 1 Pourcentage de lettres envoyées dans les 8 jours après la sortie du SMI
du CHUV
Le nombre de lettres de sortie envoyées dans les 8 jours s’est nettement amélioré en 2018, en comparaison aux années précédentes et en tenant compte des fluctuations trimestrielles. L’optimisation du format de la lettre de sortie, ainsi que l’implémentation des mesures organisationnelles et formations décrites, ont été d’une importance significative.
SMI : Service de médecine interne.
T1 : premier trimestre ; T2 : deuxième trimestre ; T3 : troisième trimestre ; T4 : quatrième trimestre.
90 % 80 % 70 % 60 % 50 % 40 % 30 % 20 % 10 %
0 % 2015
Optimisation du format de la lettre de sortie
Implémentation des mesures organisationnelles
et formatives
T1 T2 T3 T4
2016 2017 2018
informations entre les différents niveaux de soins en recevant une copie, voire un résumé de son hospitalisation, au moment de regagner son domicile.
CONCLUSION
Les défis concernant la qualité et la temporalité de la trans- mission des documents de sortie sont multiples et les amélio- rations difficiles à obtenir, néanmoins possibles.15 Afin de garantir une bonne qualité de prise en charge et de transition entre les soins hospitaliers et ambulatoires, il est indispensable que les documents de sortie soient discutés et finalisés avant la fin de l’hospitalisation, ceci de manière multidisciplinaire.
Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.