• Aucun résultat trouvé

Une géographie de la multi-localisation familiale : ruralités nicaraguayennes à l'épreuve des mobilités (cas de la vallée du Río Negro)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Une géographie de la multi-localisation familiale : ruralités nicaraguayennes à l'épreuve des mobilités (cas de la vallée du Río Negro)"

Copied!
591
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: tel-02975524

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02975524

Submitted on 22 Oct 2020

HAL is a multi-disciplinary open access

archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

de la vallée du Río Negro)

Anaïs Trousselle

To cite this version:

Anaïs Trousselle. Une géographie de la multi-localisation familiale : ruralités nicaraguayennes à l’épreuve des mobilités (cas de la vallée du Río Negro). Géographie. Université Paul Valéry - Mont-pellier III, 2019. Français. �NNT : 2019MON30087�. �tel-02975524�

(2)

Délivré par l’Université Paul-Valéry Montpellier III

Préparée au sein de l’école doctorale 60 « Territoires,

Temps, Sociétés et Développement »

Et de l’unité de recherche

ART-Dev « Acteurs, Ressources

et Territoires dans le Développement » (UMR 5281)

Spécialité : Géographie et aménagement de l’espace

Présentée par Anaïs Trousselle

Soutenue le 9 décembre 2019 devant le jury composé de

Mme Virginie BABY-COLLIN, Professeure des universités, Université de Provence Aix-Marseille

Rapporteure Mme Florence BOYER, Chargée de recherche,

Institut de Recherche pour le Développement (IRD)

Examinatrice Mme Geneviève CORTES, Professeure des universités,

Université Paul-Valéry Montpellier III

Directrice M. Laurent FARET, Professeur des universités,

Université Paris Diderot

Examinateur Mme Sandrine FRÉGUIN-GRESH, Chercheure,

Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad)

Directrice

M. Pierre GASSELIN, Ingénieur de recherche,

Institut National de la Recherche Agronomique (INRA)

Examinateur Mme Delphine MERCIER, Directrice de Recherche,

Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)

Rapporteure M. Thomas PFIRSCH, Maître de conférences,

Université Polytechnique Hauts de France

Examinateur

UNE GÉOGRAPHIE DE LA

MULTI-LOCALISATION FAMILIALE.

RURALITÉS NICARAGUAYENNES À L’ÉPREUVE DES

(3)

UNIVERSITÉ PAUL-VALÉRY – MONTPELLIER III Arts, Lettres, Langues, Sciences Humaines et Sociales

Ecole Doctorale n°60 « Territoires, Temps, Sociétés et Développement » UFR III « Sciences Humaines et Sciences de l’Environnement »

Laboratoire ART-Dev – UMR 5281

Acteurs, Ressources et Territoires dans le Développement

DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ PAUL-VALÉRY – MONTPELLIER III Discipline : Géographie et aménagement de l’espace

THÈSE présentée par Anaïs TROUSSELLE

UNE GÉOGRAPHIE DE LA MULTI-LOCALISATION FAMILIALE. Ruralités nicaraguayennes à l’épreuve des mobilités (cas de la vallée du Río Negro)

Sous la direction de

Mme Geneviève CORTES et Mme Sandrine FRÉGUIN-GRESH Soutenue le 9 décembre 2019 devant le jury composé de

Mme Virginie BABY-COLLIN, Professeure des universités,

Université de Provence Aix-Marseille Rapporteure

Mme Florence BOYER, Chargée de recherche,

Institut de Recherche pour le Développement (IRD) Examinatrice Mme Geneviève CORTES, Professeure des universités,

Université Paul-Valéry Montpellier III Directrice

M. Laurent FARET, Professeur des universités,

Université Paris Diderot Examinateur

Mme Sandrine FRÉGUIN-GRESH, Chercheure, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad)

Directrice

M. Pierre GASSELIN, Ingénieur de recherche,

Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) Examinateur Mme Delphine MERCIER, Directrice de Recherche,

Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) Rapporteure M. Thomas PFIRSCH, Maître de conférences,

(4)
(5)

1

Résumé

Cette thèse s’inscrit dans une réflexion géographique sur les recompositions rurales à l’œuvre au Nicaragua. Elle interroge les incidences des mobilités spatiales sur les pratiques, les stratégies et la reproduction socio-économiques des familles. Plus généralement, elle questionne le devenir des agricultures et des sociétés rurales.

À travers le concept de système familial multi-localisé, la thèse analyse la manière dont les espaces de vie familiaux se construisent dans la dispersion géographique à partir du maintien des liens sociaux dans la distance et le temps. L’objectif est de comprendre comment ces liens, et l’ensemble des arrangements qui se jouent à l’échelle de la famille nucléaire ou élargie, font ressource dans les stratégies et les trajectoires de moyens d’existence des ruraux.

La région d’étude est la vallée du Río Negro, au nord du Nicaragua, située en périphérie des axes de développement du pays. Dans cette région rurale soumise à de fortes contraintes agro-climatiques, les populations diversifient leur système d’activité, en pratiquant des mobilités circulaires de proximité et frontalières, ou en migrant vers des destinations plus lointaines, en Europe ou dans les Amériques. Pour documenter ces dynamiques, la recherche se fonde sur une méthodologie plurielle de collecte de données croisant entretiens, récits de vie, observations participantes, reconstitutions des trajectoires familiales, dans le cadre d’enquêtes multi-situées, visant à suivre les familles dans leurs lieux de résidence et d’activité à travers plusieurs pays (Nicaragua, Costa Rica, Espagne, États-Unis).

La thèse propose au final une géographie par le bas, qui accorde une place primordiale aux pratiques et aux représentations, aux expériences vécues et aux trajectoires de vie, ainsi qu’aux stratégies et aux intentionnalités des individus et de leurs familles dans leur rapport à l’espace. Les dynamiques de l’espace local d’origine sont ainsi pensées dans leurs liens à l’ailleurs. La thèse met à jour la force du lien familial à distance dans les stratégies quotidiennes des populations, la flexibilité des organisations familiales aux contours mouvants et, au final, le rôle central de la ressource sociale. Dans le même temps, elle met en évidence une différenciation des familles dans leurs manières de faire avec l’espace, du fait d’une inégalité d’accès aux différentes ressources (migratoires, économiques, physiques, sociales) et d’une asymétrie des rapports sociaux intra-familiaux. La thèse pose également la question cruciale du coût social élevé des systèmes familiaux multi-localisés, lié à l’épreuve du franchissement des frontières, aux difficiles conditions d’emploi à destination, ou encore à la séparation et à l’absence qu’induit la dispersion au sein du monde d’aujourd’hui.

Mots-clés : Enquête multi-située, famille, mobilités spatiales, multi-localisation familiale, Nicaragua, ruralité, trajectoires.

(6)

2

Abstract

This thesis is part of a geographical reflection on rural recompositions at work in Nicaragua. It examines the impact of spatial mobility on the socio-economic practices, strategies and reproduction of families. More generally, it questions the future of agriculture and rural societies.

Through the concept of a multi-localized family system, the thesis analyses how family living spaces are constructed in geographical dispersion from the maintenance of social ties in distance and time. The objective is to understand how these links, and the set of arrangements that are played out at the level of the nuclear or extended family, are a resource in rural livelihood strategies and trajectories.

The study area is the Río Negro valley in northern Nicaragua, located on the periphery of the country's development axes. In this rural region subject to strong agro-climatic constraints, populations diversify their system of activity, by practicing circular local and border mobility, or by migrating to more distant destinations in Europe or the Americas. To document these dynamics, the research is based on a plural methodology of data collection combining interviews, life stories, participating observations, reconstructions of family trajectories in the context of multi-sited surveys, aimed at following families in their places of residence and activity across several countries (Nicaragua, Costa Rica, Spain, United States).

The thesis finally proposes a bottom geography, which gives a primordial place to practices and representations, to lived experiences and life trajectories, as well as the strategies and intentionalities of individuals and their families in their relationship to space. The dynamics of the original local space are thus thought in their links to the elsewhere. The thesis reveals the strength of the remote family link in the daily strategies of populations, the flexibility of family organizations with shifting contours and, ultimately, the central role of the social resource. At the same time, it highlights a differentiation of families in their ways of dealing with space, due to unequal access to different resources (migratory, economic, physical, social) and an asymmetry in intra-family social relations. The thesis also raises the crucial question of the high social cost of multi-localized family systems, linked to the challenge of crossing borders, the difficult conditions of employment at destination, or the separation and absence that dispersion induces in today's world.

Keywords: Multi-site survey, family, spatial mobility, multi-site family, Nicaragua, rurality, trajectories.

(7)

3

Remerciements

Cette thèse a été une aventure humaine exceptionnelle, une histoire de rencontres, un voyage avec moi-même et une découverte d’un monde riche et pluriel. Je tiens ainsi à remercier les personnes qui ont accompagné ce parcours à la fois personnel et professionnel.

Mes plus chers remerciements sont adressés à mes directrices de thèse, Geneviève Cortes et Sandrine Fréguin-Gresh, pour leur confiance envers ma personne et leur engagement dans la réalisation de cette recherche. Leurs conseils, leur rigueur et leur détermination ont largement alimenté mon travail et ont impulsé, à chaque étape, mon envie de renforcer ma maîtrise de la démarche scientifique. Je me remémore avec joie nos moments à réfléchir à trois autour d’une table et ces instants partagés sur mon terrain d’étude.

Plus particulièrement, je remercie Geneviève Cortes pour son écoute constante et sa disponibilité permanente. Au-delà de l’exercice de la thèse, son accompagnement dans mon expérience de ce monde professionnel et notamment, de l’enseignement et du fonctionnement institutionnel, m’a été précieux. Je remercie Sandrine Fréguin-Gresh pour avoir été, bien avant que cette thèse ne commence et tout du long, un soutien remarquable sur le terrain dans toutes les dimensions qu’il impose. Grâce à son dynamisme, j’ai pu participer à différents évènements scientifiques et communiquer, sous de multiples supports, mes travaux.

Je tiens à remercier Laurent Faret, Hélène Guétat-Bernard et Jean-Michel Sourisseau, membres de mon comité de suivi de thèse, dont les conseils ont participé à améliorer la qualité du manuscrit et m’ont permis de construire et d’assumer mon identité de chercheure.

J’ai réalisé ma recherche dans l’UMR « Acteurs, Ressources et Territoires dans le Développement » au sein de laquelle j’ai pu bénéficier des compétences cartographiques de Stéphane Coursière, statistiques de Lala Razafimahefa et du soutien administratif (et pas que) de Christiane Lagarde, Géraldine Mette, Lalao Ranaivo Rainizanatsoa-Suire, Corinne Calvet et Évelyne Defort. Je les remercie ainsi que les collègues avec qui j’ai échangé et qui m’ont conseillé au cours de ces années, en particulier, Stéphane Ghiotti, Valérie Lavaud-Letilleul, Lucile Médina et Julie Trottier.

Durant mes séjours au Nicaragua, j’ai été chaleureusement accueillie au sein de l’institut Nitlapan grâce à l’équipe de recherche de Selmira Flores. Je les remercie pour leur appui sur le terrain, nos échanges sur mon travail ainsi que pour ces bons moments partagés à chacun de mes retours à la capitale.

Mon envie de me lancer dans le doctorat est née suite à ma rencontre avec Jean-Philippe Colin, Pierre Gasselin et Éric Léonard lors de leurs interventions à l’Istom. Je les en remercie, ainsi que pour nos discussions lors de nos rencontres.

Je remercie l’équipe de l’Istom de faire perdurer nos liens aujourd’hui encore.

Je remercie grandement Virginie Baby-Collin, Florence Boyer, Laurent Faret, Pierre Gasselin, Delphine Mercier et Thomas Pfirsch qui ont accepté de participer au jury de cette thèse.

(8)

4 Cette thèse trouve son sens, et son auteure sa motivation, dans ces rencontres avec ces femmes, ces hommes et ces enfants originaires de la vallée du Río Negro. Je leur exprime toute ma reconnaissance pour la confiance et le temps qu’ils m’ont accordés ainsi que les récits qu’ils m’ont livrés.

Merci à Pierre Merlet pour nos moments partagés et son humour, et pour avoir fait, avec sa famille, de leur maison mon point de repère au Nicaragua.

Merci à Frédéric Riquier d’avoir sillonné, certaines journées trop chaudes ou trop pluvieuses, les routes de la vallée du Río Negro à mes côtés, d’avoir écouté les réalités de ses habitants et d’être toujours là, prêt à m’accueillir.

Merci à Agnès Delefortrie de m’avoir permis d’enquêter auprès de différents acteurs de la filière ananas à Pital, au Costa Rica.

Partager avec eux ces années de doctorat, a été une expérience unique et une joie immense. Merci à mes collègues doctorants et amis, de la salle 252 et d’ailleurs : Lucile Garçon, Sergio Magnani, Paula Dolci, Célia Innocenti, Rita Albuberque, Louise Clochey, Nora Nafaa, Marion Fracassi, Lauriane Gay, Maria Fernanda de Torres Álvarez, Marème Niang Ndiaye, Karim Kadir, Fadia Merabet, Emanuele Giordano, Camille Jahel, Chloé Salembier et Noémie Gonda. Merci à Jeanne Perrier pour sa délicatesse et sa présence tout du long.

Merci à Itane Lacrampe-Camus pour son énergie, sa sensibilité et ses rires.

Je remercie sincèrement mon amie Nelly Leblond qui a accompagné, au quotidien et dans toutes ces étapes, ces années de doctorat de ses qualités scientifiques et humaines hors pair.

Je tiens à remercier mon équipe de relecteur·rice·s dont l’engagement m’a touché et a permis de parfaire ce manuscrit : Léa Bonenfant, Alice Demangel, Paula Dolci, Lucile Garçon, Camille Jahel, Martine Jouitteau, Fanny Jouitteau, Julie Launay, Tamara Le Duc, Nelly Leblond, Nathalie Leroy, Corentin Lesurque, Jeanne Perrier, Chloé Salembier et Héloïse Simon.

Avec tout mon amour,

merci à mes ami·e·s qui accompagnent si joliment ma vie.

merci à mes parents de m’avoir donné l’envie de découvrir et de comprendre l’ailleurs et tout autant de raisons de revenir à chaque fois. Merci pour leur indéfectible soutien et leurs encouragements permanents dans ce projet comme dans tous les autres.

merci à ma sœur d’être présente à chaque instant et dans toutes les situations, dotée de sa joie de vivre et de son humour inégalable.

merci à Tam pour son intérêt constant pour mon sujet, pour sa sérénité tout du long, pour la douceur de notre quotidien et pour nos ancrages à venir.

(9)

5

Sommaire

Résumé ... 1 Abstract ... 2 Remerciements ... 3 Sommaire ... 5

Sigles et acronymes utilisés ... 8

Lexique des termes en espagnol ... 10

Avant-propos ... 11

Introduction générale ... 12

Enjeux de la recherche : ruralités, mobilités et développement ... 13

La vallée du Río Negro au Nicaragua comme point de départ de la recherche ... 15

Contribuer à une géographie de la multi-localisation familiale ... 18

Une méthodologie de recherche qualitative et multi-située ... 20

Organisation de la thèse ... 21

Chapitre 1 Dynamiques territoriales de la vallée du Río Negro : une zone périphérique et d’interface ... 23

1. Des ruralités périphériques, historiquement marquées par la diversification des activités et la mobilité ... 24

2. Organisation territoriale de la vallée du Río Negro : vulnérabilités et nouveaux élans d’une région d’interface... 47

Conclusion ... 66

Chapitre 2 Conceptualiser et enquêter la famille multi-localisée ... 68

1. Ancrage théorique et cadre analytique de la multi-localisation familiale ... 68

2. Le dispositif global de recueil de données : une démarche méthodologique qualitative et multi-située ... 90

3. Justification du choix des sites d’enquête hors zone d’étude ... 105

4. Retour réflexif sur la démarche méthodologique ... 112

Conclusion ... 121

Chapitre 3 L’espace de dispersion des familles. Migrer et circuler. ... 122

1. L’hétérogénéité sociodémographique des sphères familiales ... 122

2. Diachronie de la dispersion et des mobilités ... 129

3. L’espace de dispersion aujourd’hui ... 142

Conclusion ... 148

Chapitre 4 Logiques et morphologies socio-spatiales de la famille dispersée ... 149

1. Appréhender la famille dispersée : cycle de vie et membres mobiles ... 151

2. S’organiser dans la dispersion : recomposition des situations résidentielles et des ménages ... 164

(10)

6 3. Construire l’espace de dispersion : morphologies des multi-localisations familiales 180

4. Articuler la migration avec les mobilités circulaires ... 193

Conclusion ... 194

Chapitre 5 Vivre et travailler dans la vallée du Río Negro ... 196

1. Produire. Les activités agricoles et d’élevage au cœur des moyens d’existence des familles rurales ... 199

2. Diversifier ses activités hors de l’exploitation : les opportunités locales ou au Nicaragua ... 230

Conclusion ... 257

Chapitre 6 Vivre et travailler hors des frontières ... 260

1. Les grandes tendances de l’insertion professionnelle et des activités hors des frontières ... 263

2. Costa Rica : ancienneté du champ migratoire, diversité des emplois et des formes de mobilité ... 271

3. Le Salvador : proximité, emplois à dominante masculine et saisonnière ... 282

4. Le Guatemala : le travail masculin dans l’industrie du textile ... 287

5. Le Panama, une nouvelle alternative à proximité ... 292

6. États-Unis : de la précarité aux perspectives incertaines d’ascension sociale ... 295

7. La migration vers l’Espagne : une filière féminisée et tournée vers les services à la personne ... 305

8. Effets de porosité entre les destinations migratoires ... 308

Conclusion ... 317

Chapitre 7 Mise en mobilité et réseaux ... 319

1. Le rôle de la famille dans la mise en mobilité ... 321

2. Traverser la frontière sud des États-Unis : une mobilisation collective pour une épreuve en solitaire ... 340

3. Les autres registres de la migration : être accueilli et travailler ... 360

Conclusion ... 368

Chapitre 8 Projets de mobilités et circulations ... 370

1. Construction du projet de mobilité : du sens à donner au départ au « contrat de mobilité » ... 372

2. Les projets de mobilité à l’épreuve de l’expérience ... 393

3. Les circulations comme levier des projets de mobilité ... 412

Conclusion ... 431

Chapitre 9 Moyens d’existence, trajectoires et architectures des systèmes familiaux multi-localisés ... 433

1. Trajectoires des moyens d’existence des familles nucléaires de la vallée du Río Negro au prisme de la multi-localisation ... 434

2. Les systèmes familiaux multi-localisés à l’échelle du groupe familial et de la sphère familiale : asymétrie des liens et reproduction intergénérationnelle ... 462

(11)

7

Conclusion ... 481

Conclusion générale ... 484

Retour sur les défis méthodologiques d’une démarche centrée sur la famille multi-localisée ... 484

Un élargissement de l’espace de dispersion, des filières familiales de mobilité ... 485

Les arrangements familiaux dans la dispersion : un levier de l’accès aux ressources et de mise en œuvre de systèmes d’activité composites... 486

La capacité inégale à combiner les activités et articuler les lieux ... 488

Les circulations au prisme des projets de mobilité…et du développement ? ... 489

Le coût social des systèmes familiaux multi-localisés ... 491

Ébauches de pistes pour poursuivre ... 492

Bibliographie ... 494

Table des illustrations ... 518

Table des matières ... 527

(12)

8

Sigles et acronymes utilisés

Les sigles et acronymes sont définis dans le texte lorsqu’ils sont mentionnés pour la première fois.

ALBA Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América – Alliance Bolivarienne des Amériques

ANN Asamblea Nacional de Nicaragua – Assemblée Nationale de Nicaragua

APP Area de Propiedad del Pueblo – Aire de Propriété du Peuple

BCN Banco Central de Nicaragua – Banque Centrale de Nicaragua

BID Banco Interamericano de Desarrollo – Banque Interaméricaine de Développement

BND Banco Nacional de Nicaragua – Banque Nationale de Développement

CA-4 Convenio Centroamericano de libre movilidad – Accord Centraméricain de libre mobilité

CARUNA Cooperativa de Ahorro y Crédito Caja Rural Nacional – Coopérative d’Epargne et de Crédit de la Caisse Rurale Nationale

CAS Cooperativas Agricolas Sandinistas – Coopératives agricoles sandinistes

CCS Cooperativas de Créditos y Servicios – Coopératives de crédits et de services

CEI Centro de Exportaciones e Inversiones – Centre des Exportations et des Investissements CELADE Centro Latinoamericano y Caribeño de Demografía –

Centre Latino-américain et des Caraïbes de Démographie CEPAL Comisión Económica para América Latina y el Caribe – Commission Économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes CIA Central Intelligence Agency – Agence Centrale de Renseignement

CSM Cooperativas de « Surco Muerto » – Coopérative du « Surco Muerto »

DAES Département des Affaires Économiques et Sociales des Nations-Unies ENOS El Niño de la Oscilación Sur

FDL Fondo de Desarrollo Local – Fond de Développement Local

FMI Fondo Monetario Internacional – Fonds Monétaire International

FSLN Frente Sandinista de Liberación Nacional – Front Sandiniste de Libération Nationale GF Groupe familial

GRAB Groupe de Réflexion sur l’Approche Biographique

INE Instituto Nacional de Estadística – Institut National de Statistique

INEC Instituto Nacional de Estadística y Censos – Institut National de Statistique et des Recensements INED Institut National d’Études Démographiques

INETER Instituto Nicaragüense de Estudios Territoriales – Institut Nicaraguayen des Études Territoriales

(13)

9

INIDE Instituto Nacional de Información de Desarrollo – Institut National d’Information sur le Développement INSEE Institut National de la Statistique et des Études Économiques INTA Instituto Nacional de Technología Agropecuaria –

Institut Nicaraguayen de Technologie Agricole

IRAM Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement MAGFOR Ministerio Agropecuario y Forestal – Ministère Agricole et Forestier

MARENA Ministerio del Ambiente y los Recursos Naturales – Ministère de l’Environnement et de Ressources Naturelles

MCCA Mercado Común Centroamericano – Marché Commun Centraméricain

MEFCCA Ministerio de Economía Familiar, Comunitaria, Cooperativa y Asociativa – Ministère de l’Économie familiale, Communautaire, Coopérative et Associative MTI Ministerio de Transporte e Infraestructura – Ministère du Transport et des Infrastructures

NEMT Nouvelle Économie des Migrations de Travail

OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques ODD Objectifs du Développement Durable

OIM Organisation Internationale pour les Migrants ONG Organisation Non Gouvernementale

ONU Organisation des Nations Unies OP Orientation Productive

PAS Plans d’Ajustement Structurels

PEN Plan Estratégico Nacional – Plan Stratégique National

PIB Produit Intérieur Brut

PNA Programa Alimentario Nacional – Programme Alimentaire National

PNAIR Plan Nacional de Agroindustria Rural – Plan National pour l’Agro-industrie Rurale

PNDH Plan Nacional de Desarollo Humano – Plan National de Développement Humain

PNF Programa Nacional Forestal – Programme Forestier National

RAAN Región Autónoma del Atlántico Norte – Région Autonome Atlantique Nord

RAAS Región Autónoma del Atlántico Sur – Région Autonome Atlantique Sud

SALIMA Sécurité ALimentaire des Individus des Ménages Agricoles au Nicaragua SF Sphère familiale

SFM Système familial multi-localisé

SICREMI

SIstema Continuo de Reportes sobre Migración Internacional en las Américas –

Système d’observation permanente des migrations internationales pour les Amériques

SRL Sustainable Rural Livelihoods – Moyens d’existence durables en milieu rural

(14)

10

Lexique des termes en espagnol

Apante Troisième cycle de culture se réalisant de novembre à mars.

Censo Correspond au recensement de la population.

Contras

Désigne les « contre-révolutionnaires », réunissant l’oligarchie agraire, l’Église, les anciens somocistes et les classes populaires déçues lors de la guerre civile qui sévit de 1982 à 1989 au Nicaragua.

Coyote Le coyote est le nom donné aux passeurs qui guident les migrants sur la route

migratoire vers les États-Unis.

Cuajada Lait de vache transformé en caillé frais et déguster comme un fromage.

Ejido

Forme particulière de propriété foncière. Elle correspond à un collectif de paysans doté d’une personnalité juridique et d’un patrimoine foncier attribué par l’État (Léonard, 2014).

Hacienda Grande exploitation agricole et/ou pastorale en Amérique latine (Dictionnaire

Larousse).

Manzana Unité de mesure équivalant à 0,7 hectare ou 7 000 mètres carrés.

Maquiladora/ Maquila

Zone de traitement pour l’exportation en Amérique latine. Ces usines

d’assemblage bénéficient par exemple d’une exonération des droits de douane.

Municipio Unité administrative équivalent à la commune en France.

Padrón Correspond au registre municipal, outils utilisé par les statistiques de démographie en Espagne. Postrera Deuxième cycle de culture se déroulant d’août à novembre.

Primera Premier cycle de culture se réalisant de mai à juillet.

Solar Il s’agit de l’emplacement où se situe la maison. Sa taille avoisine en moyenne

0,25 manzanas soir 1 800 mètres carrés.

(15)

11

Avant-propos

Afin de faciliter la lecture du manuscrit :

L’italique est employé pour les termes en anglais, en espagnol ou en latin ainsi que pour distinguer les extraits d’entretiens et les citations issues de la littérature.

Les guillemets sont utilisés pour encadrer des concepts ou des notions théoriques, les extraits d’entretiens et les citations issues de la littérature.

Les extraits d’entretien ont été traduits de l’espagnol par l’auteure.

Les citations issues de la littérature avec un astérisque ont été traduites par l'auteure de l’espagnol ou de l’anglais.

Les prénoms et noms des enquêtés ont été modifiés afin de préserver leur anonymat. Les âges présentés correspondent à ceux des individus en 2015.

Cette version électronique comporte des renvois vers les chapitres et les illustrations afin de faciliter la navigation au sein du manuscrit.

Des fiches de synthèse par chapitre sont également proposées en annexe 1. Leur objectif est de faciliter la compréhension des données utilisées pour chaque analyse et l’identification des principaux résultats obtenus.

(16)

12

Introduction générale

« Les migrants, peut-on dire, ont une « science du concret ». Ils bricolent avec

ce qu’ils sont, avec d’où ils viennent et où ils vont. La migration en effet montre des trajets compliqués plus que des trajectoires linéaires. » (Boulbina, 2013: 21)

Avril 2016, La Nouvelle-Orléans (États-Unis). Cela ne fait que quelques jours que je connais Lila. Comme d’autres, cette rencontre, m’a semblé relever de l’évidence tant elle était naturelle. Lila et son mari m’ont accueillie chaleureusement, comme l’avaient fait auparavant ses parents et ses sœurs lors de mes séjours dans la vallée du Río Negro (Nicaragua). Nos échanges se sont de suite inscrits dans un quotidien éphémère, parfois pour les objectifs de ma recherche, parfois pour le simple fait de partager, ensemble, sa vie là-bas.

Ce jour-là, Lila, son fils et son frère m’invitent au buffet chinois. La majorité de la clientèle est hispanique, et je comprends alors que la fréquentation de ce restaurant est une façon d’exprimer une certaine réussite dans la poursuite du rêve américain. Sur la route, mon hôte, soucieuse de me montrer qu’elle avait les moyens de sa générosité, avait fait une première escale dans un café pour que j’avale un petit déjeuner tardif. Moins d’une heure plus tard, je me retrouve attablée sans appétit mais ravie. Nous rions d’anecdotes et de souvenirs relatifs à la vallée du Río Negro et à La Nouvelle-Orléans, chacun à notre manière témoignant de notre expérience d’un monde en mouvement.

« C’est bien ce monde en mouvement qui dérange et effraie car une position n’a

de sens qu’à être stable, de même qu’une place n’a de signification qu’à être prise. Que d’autres bougent et c’est l’effroi garanti pour qui tient à sa position ou à sa place. C’est pourquoi la mobilité est toujours apparue à la fois comme un danger politique et une figure de l’intelligence philosophique. » (ibid.: 21)

Derrière Lila, la télévision tourne en continu. Nous n’y prêtons guère attention, nos voix couvrant largement son bruit. Puis, Donald Trump, alors candidat républicain, apparaît. Il s’exprime sur l’un des thèmes phares de son programme politique, l’immigration. Lila se tait et écoute de dos. « Renforcer le mur », « Expulser les immigrants clandestins et criminels », « Abroger le droit du sol », « Renforcer les effectifs de police » énonce-t-il.

J’observe Lila et ce candidat, tous deux face à moi, puis je parcours du regard ces inconnus installés à d’autres tables, états-uniens ou étrangers. La plupart sont les cibles du discours que Donald Trump est en train de proférer. Je repense alors à cette phrase d’Edward Saïd, qui dit qu’il suffit de parler pour faire taire ces autres

(17)

13 que l’on accuse1. À cet instant, face à Lila et sa famille, j'éprouve la conscience aigüe que tous ces gens sont ces sans-voix, ceux dont on postule le silence pour mieux les nommer et maintenir ainsi un ordre du monde2 dont ils sont exclus.

Lila regarde son fils faire son troisième aller-retour vers le buffet avec pleins de nouvelles envies de dégustation, puis nous regarde, son frère et moi : « Voilà comment te rappeler ce que tu es aux yeux de certains. Moi qui pensais avoir plutôt bien réussi et avoir fait mes preuves ici et au pays ».

Cet épisode m’a renforcée dans l’idée que ma recherche poursuivait un but, celui de documenter les différentes réalités auxquelles sont confrontés les individus mobiles, loin de la vision réductrice et stigmatisante du candidat à la présidentielle. Je me suis alors consacrée, au travers de cette thèse, à réinscrire les pratiques de Lila et d’autres depuis leur lieu d’origine, la vallée du Río Negro au Nicaragua. Je voulais ainsi rendre compte des parcours de ces individus ; relater les risques qu'ils ont encourus, eux et leurs proches ; énoncer les projets qu'ils avaient au départ, mais aussi ceux qu'ils ont abandonnés, recréés et modifiés au cours de leurs trajectoires ; raconter les mobilités mais aussi les immobilités qu'ils ont pu mettre en œuvre et le coût émotionnel qui leur est associé. En somme, mon objectif était de redonner corps, à travers cette recherche, aux conditions et aux identités plurielles de ces femmes et de ces hommes.

Enjeux de la recherche : ruralités, mobilités et développement

La logique est aujourd’hui au renforcement et à la multiplication des frontières liée, entre autres, à des politiques migratoires toujours plus restrictives en dépit de leurs résultats mitigés (Sassen, 2010), des murs toujours plus imposants (Quétel, 2012) et des discours à la fois médiatique et politique qui, pour certains, amplifient et stigmatisent le phénomène migratoire dans les sociétés de destination (Boulbina, 2013). La migration économique, et plus généralement les mobilités spatiales liées à la quête d’un emploi et de meilleurs revenus, recouvrent pourtant des réalités humaines multiples (Agier, 2016), qui se sont largement complexifiées au cours des dernières décennies.

1 Saïd, Edward. 2000. Culture et Impérialisme. Paris: Fayard. 555 p. Se référer également à Bourdieu, Pierre. 1977.

« Une classe objet ». Actes de la Recherche en Sciences Sociales 17 (1): 2Ǧ5. Dans ce texte, il analyse le cas des paysans témoignant de réalités similaires.

2 Comme l’explique M. Agier (2016), l’« étranger » est utilisé par les gouvernements pour redéfinir le « nous » en

désignant qui fait partie ou non de la société. Les migrants sont souvent perçus comme faisant effraction dans les sociétés, ébranlant l’ordre en place (Boulbina, 2013).

(18)

14 Si le processus généralisé d’urbanisation explique l’origine de plus en plus urbaine des flux migratoires, le monde rural dans les pays des Suds reste particulièrement marqué par la mobilité des populations, à la fois aux échelles nationales et internationales. Comme l’attestent de nombreux travaux, en particulier certaines recherches en géographie développées depuis les années 2000 en Amérique Latine (Cortes, 2000; Vassas Toral, 2011; Rebaï, 2012; Prunier, 2013; Vaillant, 2013), les mobilités dans les sociétés rurales, sous des formes plurielles, sont souvent très anciennes, tout comme la diversification des activités, associées ou non à ces mobilités. Les familles rurales, en effet, ne sont pas uniquement agricoles mais développent des activités largement diversifiées économiquement et spatialement (Reardon et al., 2001; De Grammont, 2004), en même temps qu’elles entretiennent des liens étroits avec la ville (Chaléard et Dubresson, 1999; Cortes et Faret, 2009).

Dans ces contextes de ruralités complexifiées, pourtant encore largement marquées par le poids de l’agriculture familiale, ces travaux posent, sous des angles variés, la question des incidences des mobilités sur la reproduction sociale des familles, tout comme sur le devenir des agricultures et des sociétés rurales plus généralement. Il est depuis longtemps admis que la mobilité, et les activités non agricoles, jouent un rôle important et croissant dans les stratégies d’existence des familles rurales. Pour autant, leur prégnance ne cesse d’alimenter le débat crucial sur le lien entre migrations (versus mobilités) et développement, suscitant une grande diversité de points de vue et d’angles d’analyse, selon que ce lien soit perçu comme positif ou négatif (Skeldon, 1990; Massey et al., 1998). Toujours est-il que l’analyse de ce lien a été particulièrement renouvelée par la prise en compte des dispositifs réticulaires et des circulations d’argent mais aussi de biens ou de savoir-faire, qui accompagnent les déplacements des individus et des groupes, et qui tissent des liens entre espaces d’origine et de destination (Simon, 1979; Béteille, 1981; Rosental, 1999). La portée de ces dispositifs réticulaires et des circulations qui en résultent, liée aux conditions de la mise en mobilité, a particulièrement été débattue au regard des ressources qu’elle génère pour les familles et du maintien des ruraux dans leur espace d’origine.

Ma thèse prolonge ces différents travaux en s’inscrivant dans cette réflexion large sur le lien entre mobilités, ruralité et développement. S’interroger sur ce lien demeure crucial aujourd’hui, dans un contexte contemporain où l’on fait le constat de plusieurs processus conjoints, entre autres : i) la persistance de la pauvreté rurale au Sud ; ii) les fortes contraintes environnementales et économiques qui pèsent sur le développement d’une agriculture familiale

(19)

15 viable, dont les instances internationales et gouvernementale reconnaissent pourtant l’importance pour la sécurité alimentaire aux échelles locales, nationales ou globales ;

iii) la fermeture des frontières et le durcissement des contrôles, alors même qu’augmentent les

mobilités et que leurs formes se diversifient (migrations internes et internationales, mobilités circulaires de courtes durées, etc.). Cette intensification des mobilités est liée à de multiples facteurs corollaires – urbanisation, recomposition des marchés du travail, facilitation des déplacements et des mises en réseaux par les moyens de communication, etc. –, que beaucoup d’auteurs associent à un processus de mondialisation mais aussi d’inégalités croissantes (Lindert et Williamson, 2002; Simmons, 2002; Abélès, 2008; Berthomière, 2009).

Nourrie par ces contextes de changement, ma thèse cherche à éclairer le « fait mobilitaire » en milieu rural, en le confrontant à la question des dynamiques économiques et sociales de ces espaces où le devenir des agricultures familiales, et plus largement les perspectives d’existence des familles, constituent un enjeu fort. En décryptant le quotidien de la population originaire de la vallée rurale du Río Negro au Nicaragua, cette recherche positionne les pratiques de mobilité, aux échelles nationales et internationales, au cœur des stratégies familiales. Ces mobilités se déploient dans des lieux pluriels, dans des destinations plus ou moins lointaines, où les individus et les familles construisent des ancrages, éphémères ou permanents, confrontés à des insertions plus ou moins précaires dans les économies des pays de destination. En mettant la focale d’analyse sur le lien à l’origine, tout en mettant un pied dans les pays de destination, c’est à une réflexion sur les ruralités à « l’épreuve » des mobilités que cette thèse entend contribuer.

La vallée du Río Negro au Nicaragua comme point de départ de la

recherche

Ma recherche a pour point de départ le Nicaragua, pays d’Amérique centrale, dont la population s’élève à 6 223 000 d’habitants en 2015 (CELADE, 2019). Les enjeux autour du lien entre mobilités, ruralités et développement se posent avec acuité dans ce pays, dont l’histoire est traversée par de multiples crises. Pays à faible revenu au sein de l’isthme centraméricain, son itinéraire a été ponctué de crises sociales, politiques et économiques couplées à des catastrophes naturelles. À la différence des autres pays centraméricains qui ont amorcé un changement structurel au cours du 20ème siècle, l’économie nicaraguayenne repose, historiquement et aujourd’hui encore, largement sur l’agriculture. Le secteur primaire

(20)

16 représente 71% des exportations du pays vers les marchés centraméricains puis états-unien, 21% du Produit Intérieur Brut (PIB) et génère 31% des emplois (Pérez et Fréguin-Gresh, 2015). Ce secteur s’est historiquement et aujourd’hui encore, construit sur la promotion d’un modèle unique : l’agro-exportation. À l’heure actuelle, l’agriculture fait face à des limites comme le faible niveau de développement technologique, l’insécurité alimentaire qui continue d’être une réalité dans certaines zones du pays et la production agricole et pastorale qui sont sensibles aux variations climatiques3. Enfin, chaque année, entre 30 000 et 40 000 actifs ruraux ne parviennent pas à trouver un emploi dans le secteur agricole (Grigsby V. et Pérez, 2007). Les orientations politiques nationales ont, qui plus est, conduit à la détérioration et la marginalisation des économies agricoles familiales, pourtant majoritaires, représentant 85% des exploitations agricoles du pays (Pérez et Fréguin-Gresh, 2014). En effet, l’agriculture familiale au Nicaragua joue un rôle majeur en termes d’activité économique dans les zones rurales. À partir de 2007, un changement de paradigme s’est opéré avec la mise en place de projets gouvernementaux destinés à soutenir l’agriculture familiale et avec la promotion de ce modèle par les institutions internationales (Fréguin-Gresh et Pérez, 2018). Toutefois, l’agriculture familiale a été très longtemps pénalisée par les politiques publiques successives et l’histoire conflictuelle du pays, ce qui explique, en partie, la forte incidence de la migration interne et internationale des ruraux. En effet, ces mobilités traduisent la volonté des populations de diversifier leurs sources de revenu, voire de fuir les conflits internes comme celui qui s’est instauré depuis 20184. Aujourd’hui, plus de 600 000 nicaraguayens résident à l’extérieur du

3 Au niveau mondial, le Nicaragua est le troisième pays le plus affecté par le changement climatique (Harmeling

et Eckstein, 2012). Lutter contre le changement climatique est alors devenue une priorité du gouvernement, comme le démontre le Plan National de Développement Humain (PNDH) (INIDE, 2012).

4 Depuis avril 2018, le Nicaragua fait face à la pire crise sociale et politique de ces dernières décennies. Environ

62 000 personnes ont été contraintes de quitter le Nicaragua pour fuir la répression du gouvernement de Daniel Ortega. La majorité s’est rendue au Costa Rica. Aujourd’hui le processus de dialogue n’a toujours pas abouti.

(21)

17 pays (environ 11% de la population) et alimentent un champ migratoire qui a la particularité, en Amérique centrale, d’être composé de multiples destinations des Amériques à l’Europe5.

Ma thèse s’ancre en particulier dans la vallée du Río Negro, située au nord du pays, à la frontière avec le Honduras (Carte 1). Cette vallée occupe une position d’interface du fait de sa localisation entre les plaines fertiles du Pacifique et les flancs des montagnes qui traversent le Nicaragua du nord au sud, mais également par sa proximité avec des pôles frontaliers et urbains. La vallée du Río Negro fait face à des contraintes plurielles concernant les conditions de production qui rendent les revenus agricoles insuffisants à la reproduction des familles. Celles-ci recherchent alors par la mobilité régionale, nationale ou internationale, des alternatives pour réduire leurs vulnérabilités économiques. Dans ce contexte, la vallée du Río Negro – que j’appellerai « zone de référence » dans toute la thèse – est propice à l’analyse des transformations rurales actuelles, et en particulier des relations entre mobilités et ruralités.

5 Les autres pays de l’isthme centraméricain ont pour principale destination l’Amérique du Nord, en particulier,

les Unis (Doña Reveco et Martínez Pizarro, 2002). Les Panaméens partent majoritairement vers les États-Unis et le Mexique, les Salvadoriens vers les États-États-Unis, et le Guatemala dans une moindre mesure. Les Costaricains privilégient aujourd’hui les États-Unis même s’ils se sont, au cours des décennies précédentes tournés vers leurs voisins au sud (Panama, Venezuela) (ibid.). Les Guatémaltèques migrent vers le Mexique et les États-Unis et circulent sur la frontière sud mexicaine (Petrich, 2011; Aragón, 2014). Seul, le Honduras présente un espace migratoire plus ou moins similaire à celui du Nicaragua en termes de pluralités de pays de destination. Les migrations honduriennes se sont polarisées vers les États-Unis, principale destination aujourd’hui encore, et, dans une moindre mesure, vers le Salvador et le Guatemala. Depuis le début des années 2000, les Honduriens ont aussi fortement alimenté la filière migratoire vers l’Espagne. Ils représentent aujourd’hui la population centraméricaine la plus présente sur ce territoire (plus de 70 000 personnes, le double environ des migrants nicaraguayens) (Acuña et al., 2011; INE, 2018).

(22)

18

Carte 1 : La vallée du Río Negro au Nicaragua. Réalisation : auteure.

Contribuer à une géographie de la multi-localisation familiale

Ma thèse est ancrée dans une géographie sociale qui accorde une place primordiale aux pratiques et aux représentations, aux expériences vécues et aux trajectoires de vie, aux stratégies et aux intentionnalités des individus et de leur famille dans leur rapport à l’espace (Frémont et al., 1984; Di Méo, 1996). Elle croise trois champs thématiques de la discipline : la géographie rurale, la géographie des migrations et la géographie de la famille. Plus spécifiquement, elle propose de contribuer à une géographie de la multi-localisation familiale, en interrogeant la manière dont les espaces de vie familiaux se construisent. Ces derniers se caractérisent par la dispersion des résidences et des activités, du fait des mises à distance produites par les migrations mais aussi par les mobilités que j’appellerai circulaires6. L’enjeu est de proposer une analyse de l’incidence des dispositifs socio-spatiaux de la dispersion en matière de moyens d’existence, c’est-à-dire de la manière dont les pratiques de mobilité sont articulées aux activités – agricoles et non agricoles – dans le lieu d’origine ou ailleurs.

(23)

19 La problématique de ma recherche est alors : en quoi la multi-localisation produite par les migrations et les mobilités circulaires fait-elle ressource (ou non) du point de vue des stratégies d’existence des familles ? Autrement dit, comment les familles rurales de la vallée du Río Negro, à travers les liens sociaux et les circulations qui maintiennent une continuité socio-spatiale entre lieu d’origine et lieux de destinations, parviennent-elles à maintenir ou à renforcer leur système d’activité (agricole et non agricole), à augmenter leurs ressources (humaine, sociale, naturelle, physique, économique) ? En quoi ces manières de faire avec l’espace et la mobilité, sont-elles assorties de tensions et coûts sociaux, et traduisent-elles des différenciations et des asymétries socio-économiques entre les familles ? Il s’agit donc d’explorer les mutations rurales au Nicaragua à partir de l’analyse des systèmes familiaux multi-localisés.

En centrant mon cadre analytique sur la notion de « système familial multi-localisé », je me positionne à l’interface de la géographie et d’autres disciplines, mais aussi de plusieurs champs théoriques.

Je place l’unité sociale qu’est la famille – dont je préciserai les contours – au cœur de mon propos. Il n’est certes pas nouveau de dire que la famille est au cœur des processus décisionnels de la mobilité et des réseaux qui l’organisent ou encore des projets qui la motivent. Mais nombreux sont les travaux qui montrent que d’autres logiques collectives (associatives, ethniques, professionnelles) structurent à la fois socialement et spatialement les mobilités, en particulier les migrations internationales. En même temps, la permanence des modèles traditionnels, notamment en milieu rural, où les logiques familiales seraient premières, est largement questionnée par les processus croissants d’individuation au sein des sociétés contemporaines. Pour autant, je pars du postulat que la famille continue de faire sens, et surtout de faire système, non seulement dans la mise en mobilité des individus, mais également dans leurs stratégies quotidiennes de moyens d’existence. Je fais l’hypothèse que la configuration du « système familial », entendu comme un ensemble d’individus liés entre eux par des liens de parenté, mais surtout, par des liens sociaux fondés sur des relations plus ou moins fortes d’interdépendance, de solidarités et de cohésion détermine la capacité des individus et des familles à « faire avec la mobilité et la distance », c’est-à-dire avec l’espace. En ce sens, la lecture géographique de ces systèmes familiaux multi-localisés, qui prend également en compte les risques et le coût social de la mobilité, tout comme les tensions, voire les fractures qui traversent les rapports sociaux intra-familiaux, permet de décrypter la complexité des liens entre mobilités et ruralités.

(24)

20 Ainsi, en considérant le système familial multi-localisé comme un ensemble de liens déployés dans l’espace, ma démarche est largement inspirée par les apports de la sociologie et de l’anthropologie de la famille (Segalen, 2008; Déchaux, 2009). J’emprunte également à la littérature sur le transnationalisme ou encore sur les circulations migratoires (Glick Schiller et al., 1992; Basch et al., 1994; Ma Mung et al., 1998), les fondements d’une perspective d’analyse du lien à distance qui articule les lieux de la dispersion – ceux ici des familles – entre origine et destination. Enfin, je m’inspire largement des travaux en économie et en sociologie qui, dans le champs des études rurales, ont proposé certaines approches en termes de Sustainable Rural Livelihoods ou de systèmes d’activité, lesquelles ont permis de ne pas limiter le regard porté sur les sociétés rurales à leur seule vocation agricole (Chambers et Conway, 1991; Paul et al., 1994; Gasselin et al., 2012).

Une méthodologie de recherche qualitative et multi-située

Repenser le milieu rural nicaraguayen au regard des dynamiques de mobilités implique de proposer une méthodologie capable de capter les différentes dimensions de la multi-localisation à plusieurs échelles. C’est l’une des originalités et des propositions fortes de ma thèse.

La démarche méthodologique se traduit par un dispositif de différentes enquêtes qualitatives mobilisant des outils tels que les entretiens, les récits de vie, l’observation et la participation. Ce corpus de données est fondé sur des entretiens auprès d’acteurs clés mais surtout auprès de huit sphères familiales, terme défini par la suite. Ces unités familiales sont identifiées par la sélection initiale d’individus de référence, nommés « Ego », et de leur famille nucléaire dans la vallée du Río Negro. Puis, l’enquête s’est élargie à leurs parentèles sur trois générations afin d’enquêter sinon la totalité, au moins une grande partie des membres adultes de ces sphères de manière, précisément, à saisir les liens familiaux à distance. Pour cela, la démarche revête une dimension multi-située, qui consiste à « suivre » les membres de ces sphères familiales dans leur lieu d’activité ou de résidence à destination (au Nicaragua et au Costa Rica, à Saragosse en Espagne, à La Nouvelle-Orléans aux États-Unis). La mise en œuvre d’une telle démarche, qui au final totalise 314 entretiens conduits dans 37 localités de la zone de référence et 10 autres sites d’enquête dans le reste du Nicaragua, au Costa Rica, aux États-Unis et en Espagne, suppose de conférer un rôle central au travail de terrain. Cette immersion

(25)

21 dans des espaces et des réalités sociales diverses représente une durée de 14 mois à laquelle s’ajoutent des expériences préalables dans la vallée du Río Negro.

Cette proposition méthodologique qui remet en question les unités classiques d’analyse, cherche également à capter la dynamique des systèmes familiaux multi-localisés en inscrivant la dimension temporelle au cœur de la démarche. Il s’agit de conférer une place forte à l’approche diachronique grâce à l’analyse des trajectoires biographiques reconstituées à partir des récits de vie et de mes entretiens renouvelés auprès de certains membres des familles.

Organisation de la thèse

Cette thèse est structurée en neuf chapitres. Le premier chapitre rend compte du contexte de la vallée du Río Negro, des dynamiques sociales et économiques locales, ainsi que des principales caractéristiques de la zone de référence qui expliquent son dynamisme migratoire.

Le second chapitre présente les cadres théorique et méthodologique qui portent cette recherche. Il s’agit en particulier d’expliciter le concept de système familial multi-localisé et d’en dégager les principaux leviers d’analyse. Ce chapitre détaille également la démarche méthodologique de la thèse fortement ancrée dans le terrain, et le dispositif de l’enquête menée sur plusieurs sites, ayant permis de capter les effets de multi-localisation familiale aux différentes échelles sociales, spatiales et temporelles.

Le troisième chapitre analyse, dans un premier temps, les compositions des familles étudiées, lesquelles déterminent l’organisation spatiale de la multi-localisation familiale puis, dans un deuxième temps, la géographie de la dispersion des familles de la vallée du Río Negro et son évolution au cours du temps jusqu’au moment des enquêtes. Il propose ainsi de déconstruire puis reconstruire, au prisme de la multi-localisation familiale, les unités sociales et spatiales au cœur de cette thèse.

Le quatrième chapitre s’inscrit dans cette continuité en interrogeant les organisations sociales qui sous-tendent les espaces familiaux. Il propose ainsi une analyse sociodémographique de la morphologie des familles en s’intéressant aux étapes du cycle de vie, puis aux stratégies socio-résidentielles. Ce chapitre permet alors de proposer une lecture des morphologies différenciées de la multi-localisation familiale en croisant ces configurations sociales aux configurations spatiales de la dispersion.

Le cinquième chapitre s’intéresse aux activités de nature économique et productive que les familles nucléaires mènent à « l’origine », c’est-à-dire dans la vallée du Río Negro et au

(26)

22 Nicaragua. Il a pour objectif de cerner la diversité des situations des familles, mais également leurs niveaux d’organisation, de vulnérabilité et de stabilité dans la construction de leurs moyens d’existence.

De manière complémentaire, le sixième chapitre porte sur les activités conduites hors des frontières et sur les conditions de leur réalisation dans les différents lieux de destination. Il s’interroge sur les opportunités et les contraintes qui conditionnent l’insertion professionnelle différenciée des individus mobiles selon les lieux de l’espace de multi-localisation.

Le septième chapitre se focalise sur le rôle des réseaux intra et supra-familiaux dans la mise en œuvre de la mobilité, et plus particulièrement dans les départs en migration interne ou internationale. Un des objectifs est de rendre compte du coût social des systèmes familiaux multi-localisés.

Le huitième chapitre analyse les projets qui justifient les liens à distance entre les membres des familles et qui sous-tendent les circulations matérielles depuis et vers les différents lieux de l’espace de multi-localisation. Il permet ainsi d’appréhender les logiques familiales au cours du temps et en contexte de dispersion, afin de comprendre la portée et le coût social, à nouveau, des systèmes familiaux multi-localisés.

Le chapitre final poursuit la démonstration sur les effets de la multi-localisation en termes de moyens d’existence. Pour cela, il adopte une démarche diachronique en analysant, au prisme des cycles de vie, la manière dont les familles dispersées adaptent leurs stratégies et parviennent (ou non) à consolider, voire améliorer leurs moyens existence, c’est-à-dire à renforcer leur système d’activité et à augmenter leur dotation en ressources. En centrant son propos sur les trajectoires de moyens d’existence, ce chapitre met à jour l’asymétrie des rapports sociaux inter et intra-familiaux, ainsi que les capacités inégales et hétérogènes des familles à faire de la multi-localisation une ressource. La réflexion s’achève par une proposition de lecture des architectures sociales et géographiques des systèmes familiaux multi-localisés.

Cette structure globale de la thèse est reprise dans les fiches de synthèse par chapitre qui se trouve en annexe 1. Elles permettent de suivre, au fil de la lecture, les corpus de données utilisés pour chaque chapitre et les principaux résultats chiffrés.

(27)

23

Chapitre 1

Dynamiques territoriales de la vallée du Río Negro : une

zone périphérique et d’interface

Au Nicaragua, la vallée du Río Negro est un laboratoire d’étude particulièrement intéressant pour l’analyse des relations entre mobilités et ruralités. La région est, en effet, caractéristique des zones d’émigration où perdure l’agriculture familiale (Fréguin-Gresh et al., 2014; 2015; Trousselle, 2016). Quelles sont ses singularités ? Comment la vallée du Río Negro se positionne-t-elle dans les dynamiques de l’espace régional, national et centraméricain ? Quelle a été sa trajectoire historique et quels ont été les évènements marquants de la transformation de la société qui l’habite ? Comment les dynamiques de peuplement ainsi que les évolutions des structures sociales, économiques et rurales ont-elles conduit les familles à rechercher des moyens de subsistance hors de leurs localités et hors de l’agriculture ? En d’autres termes, quelle est la trame territoriale et historique de la vallée du Río Negro où la multi-localisation familiale est aujourd’hui marquée ?

Ce chapitre s’organise en deux sections. La première section présente l’analyse des dynamiques sociales et économiques générales du monde rural nicaraguayen et montre comment elles ont été marquées par les orientations des politiques publiques. Celles-ci ont encouragé le développement d’un modèle agro-industriel pour l’exportation au détriment de l’agriculture familiale. Je me centre ensuite sur la vallée du Río Negro pour montrer en quoi, tout en étant située dans la dorsale la plus développée et la plus peuplée du pays, elle occupe une position périphérique au nord de la plaine littorale du Pacifique. Cette frange est depuis longtemps le lieu de concentration de l’agriculture agroindustrielle promue par l’État nicaraguayen. La position périphérique de la zone d’étude explique en partie l’ancienneté de son dynamisme migratoire.

(28)

24 La deuxième section présente une caractérisation de l’environnement local et régional de la vallée au regard de son rôle d’interface7. Celui-ci est lié non seulement à sa position frontalière avec le Honduras mais également aux connexions de cette zone avec des villes plus ou moins proches. C’est en bénéficiant de cette double position d’interface que les familles rurales, dans un contexte de forte croissance démographique, développent des stratégies de mobilité et de diversification des activités, tout en maintenant une agriculture locale soumise à des contraintes agro-climatiques et foncières.

1. Des ruralités périphériques, historiquement marquées par la

diversification des activités et la mobilité

La vallée du Río Negro est une zone rurale où domine la paysannerie. Située sur la façade pacifique, poumon économique du pays, elle est cependant un territoire à la périphérie de cet élan économique. Les dynamiques de peuplement qui ont façonné le territoire nicaraguayen8 ont fait de la vallée du Río Negro une zone de refuge de la paysannerie et un territoire d’accueil pour des réfugiés honduriens. L’histoire nationale, marquée par de nombreux bouleversements sociaux, politiques et économiques, ont pénalisé l’agriculture vivrière locale. Pour pallier les contraintes productives locales et capter des opportunités, la population s’est déplacée.

De fait, les déplacements de population au sein du territoire national et au-delà de ses frontières ont largement façonné l’histoire du pays, s’inscrivant dans les stratégies d’existence de nombreuses familles. L’espace migratoire, dont la construction est ancienne, s’est progressivement élargi au fil de différentes vagues de migrations internes et internationales (Baumeister et al., 2008). Les données statistiques nationales et internationales, malgré leurs limites, permettent de retracer l’histoire migratoire du pays9. Le renouvellement des mobilités et la diversification des profils des individus mobiles est une réalité de ce début de 21ème siècle pour le Nicaragua.

7 La notion d’interface renvoie à l’idée d’une zone de contact entre des espaces différenciés engendrant des

dynamiques d’échange (Groupe de recherches « interfaces », 2008).

8 Je reviens plus en détail sur les dynamiques de migrations internes dans le chapitre 5.

9 Celle plus spécifique à la zone d’étude fera l’objet d’une analyse détaillée, à partir de mes enquêtes de terrain,

(29)

25

Un territoire rural à la périphérie des dynamiques

politico-économiques du Pacifique

Le Nicaragua compte trois macro-régions agro-écologiques qui regroupent 15 départements, 2 régions autonomes10, qui sont elles-mêmes subdivisées en 153 communes11 (Maldidier et Marchetti, 1996). La vallée du Río Negro est située dans la région Pacifique et inclue les communes de Villanueva, Somotillo, Santo Tomas del Norte, San Juan de Cinco Pinos, San Pedro del Norte et San Francisco del Norte (Carte 2).

Aujourd’hui, les départements de la région Pacifique représentent 14% de la superficie du territoire12 national (INETER, 2000). Historiquement, c’est la région la plus développée du pays et la plus densément peuplée (Kinloch Tijerino, 2012). Selon les dernières estimations de l’Institut National d’Information sur le Développement (INIDE), la population nicaraguayenne serait estimée à 6 262 703 habitants en 2015, dont 52% vivraient dans la région Pacifique. Les départements de la région Centre (32% de la superficie) regroupent 34% de la population, tandis que la région Atlantique représente 46% du territoire et se divise en deux régions autonomes au sein desquelles vit 14% de la population (INIDE, 2016a).

10 La région Pacifique regroupe 7 départements, celle du Centre est composée de 8 départements et la région

Atlantique formée des deux régions autonomes Nord et Sud (INETER, 2000). La façade Atlantique du territoire a connu une trajectoire historique différente du reste du pays, bénéficiant d’une certaine autonomie. Suite à différents évènements historiques, la loi d’Autonomie est promulguée en 1987 et les deux régions actuelles de la Région Autonome Atlantique Nord (RAAN) et de la Région Autonome Atlantique Sud (RAAS) sont créées. Néanmoins, aujourd’hui encore, le pouvoir a du mal à reconnaître les droits amérindiens, voulant garder une maîtrise territoriale sur ces deux régions en prônant l’intégration territoriale (Hardy, 2005; Gros, 2014). Ces deux régions représentent aujourd’hui environ 50% du territoire, mal équipé, et environ 10% de la population, très diversifiée et pauvre (Leclerc, 2007).

11 En théorie, le département a une fonction administrative de première importance et la commune, nommé

municipio, en espagnol, dispose d’une autonomie politique, administrative et financière (Lois 40 et 261; Décret

numéro 45-2006). Les communes peuvent par exemple, définir leur plan de développement local ; gérer l’utilisation de leurs ressources naturelles ; produire, par ordonnance, des lois locales et elles ont accès à une part du budget national qu’elles peuvent gérer de manière autonome. En pratique, ce n’est pas le cas. Les mairies doivent rendre des comptes non pas au gouvernement central mais à la présidence directement. Cette réalité traduit un renforcement de la centralisation et du contrôle par le parti sandiniste depuis plusieurs années. Cette centralisation est particulièrement forte dans le développement agricole. Les mairies pouvaient en théorie définir les lignes directrices mais elles n’ont jamais reçu les fonds pour les mettre en place. Aujourd’hui, ce sont les entités centralisées qui exécutent des projets sur le terrain comme le Ministère Agricole et Forestier (MAGFOR), le Ministère de l’Environnement et de Ressources Naturelles (MARENA) et l’Institut Nicaraguayen de Technologie Agricole (INTA).

12 Le Nicaragua s’étend sur 130 373 kilomètres carrés dont 10 033 kilomètres carrés de lacs et lagunes (8%)

(30)

26

Carte 2 : Organisation territoriale du Nicaragua et principales dynamiques de peuplement. Source : élaborée à partir des données de l’INETER (2000, 2011). Réalisation : auteure.

(31)

27

Des mobilités anciennes, inscrites dans les trajectoires de

peuplement et de développement du pays

Le déséquilibre de peuplement, au bénéfice des régions Pacifique et Centre, est à resituer dans les dynamiques de développement du Nicaragua, historiquement liées à la mise en valeur agricole du pays. En effet, dès la fin du 19ème siècle, et surtout au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle, l’économie de plantation13 pour l’exportation est l’un des moteurs du développement économique. Pour cela, les politiques publiques encouragent le développement de certaines cultures (café, coton, banane, canne à sucre) et l’élevage extensif bovin. Ils se développent dans la région Pacifique, puis vers l’intérieur du pays, entraînant une concentration des terres aux mains des élites politiques et économiques14. Le développement de la culture du coton à partir des années 1930 dans les plaines du Pacifique est particulièrement illustratif de cette tendance. Des problèmes phytosanitaires et économiques affectent la culture qui est progressivement remplacée (à partir des années 1960) par d’autres denrées au niveau spatial (canne à sucre, arachide, bananes) et au niveau économique (café cultivé dans les montagnes de l’intérieur du pays)15. La région Pacifique est également celle où se concentrent les principaux pôles industriels de développement du pays. Dans les années 1950, environ 60% de la production industrielle est localisée dans la capitale et le développement de ce secteur va se poursuivre dans les 196016 (Bulmer-Thomas, 1985; CEI, 2001; Kinloch Tijerino, 2012).

Si la vallée du Río Negro est restée à l’écart de ces dynamiques de développement régional, la concentration foncière, résultante des politiques publiques ayant favorisé la privatisation des communs et l’installation de grandes exploitations capitalistes (Merlet, 2003),

13 Territoire conquis en 1523, colonisé entre le 16ème et 18ème siècle par les espagnols, le Nicaragua déclare son

indépendance en 1821. C’est au cours de ces siècles de colonisation que le modèle capitaliste se développe à travers l’extraction des ressources locales et l’économie de plantation. Le gouvernement colonial instaure l’ejido et les terres communales comme modes de tenure de la terre. Celles-ci correspondent à des groupes de paysans qui bénéficient de terres attribuées par l’État. Leur fonctionnement évolue au cours du temps et selon les pays. Les travaux de É. Léonard (2014) et de D. Prunier (2013) approfondissent ces concepts dans les cas du Mexique et du Nicaragua.

14 Les petits producteurs deviennent alors les acteurs de l’avancée de la frontière agricole vers l’intérieur et le sud

du pays ou migrent vers les villes pour trouver des emplois dans le secteur industriel.

15 Le café s’implante au milieu 19ème siècle, dans la région Centre, où il atteindra son apogée au milieu du 20ème

siècle (Rueda Estrada, 2013), avant de se propager vers le Pacifique à la fin du 19ème siècle (Dufumier, 1983). 16 À partir des années 1950, différents traités bilatéraux sont signés entre les pays centraméricains pour faciliter

les échanges commerciaux de produits manufacturés. En 1960, le Marché Commun Centraméricain (MCCA) est créé et les zones franches commencent à se développer. Ce contexte conduit le Nicaragua à être, en 1968, le premier exportateur de la zone centraméricaine d’huiles végétales, de soude caustique, d’insecticides et de résines synthétiques (Kinloch Tijerino, 2012).

Figure

Figure 2 : Les principaux pays de destination de la migration nicaraguayenne. Réalisation : auteure
Tableau 1 : Nombre d’habitants et densité de population dans les communes étudiées. Sources :INEC  2006; INIDE 2016a
Graphique 1 : Evolution de la population rurale au sein des communes de la zone d’étude
Tableau 2 : Accès à l’électricité et à l’eau potable dans les bourgs des communes étudiées
+7

Références

Documents relatifs

•  L’efficacité de réseaux de soutien aux familles ou aux personnes concernées par d’autres. familles a pu également

Ces acariens de taille moyenne, jaunes, rouges ou bruns (fig. 2.118), sont des coureurs rapides et des prédateurs de nombreux petits arthropodes, parmi lesquels on

Les visiteurs qui conjuguent une forte appétence pour l’art et un niveau de compétence moyen ou faible sont tout de même soucieux de cette compétence ; ils souhaitent à la

Cette notion peut compliquer l'abord de certaines maladies récessives ; elle pourrait aussi être une clef pour la compréhension de maladies

Montrer que trois points d’un espace affine sont alignés ou forment une famille libre.. Exercice 4 (Lien affine-vectoriel, Fresnel p. génératrice) dans E si et seulement si elle

- Tout ce qui contribue à rendre nos élèves plus heureux, plus détendus prépare le terrain à la pédagogie Freinet même dans une classe traditionnelle : la bonne

• La Ville vise à ce que les familles, les organismes et les acteurs locaux qui œuvrent pour le bien-être de ses résidents puissent s’impliquer autant dans l’élaboration du

sont donc pas gaussiennes en notre sens, mais nous verrons (Section 4, Théorème 4.3) que dans son cas on peut aussi utiliser des familles gaus- siennes en notre