Lutter contre les bruches des légumineuses : des solutions chimiques et physiques au stockage

(1)

L

a bruche, coléoptère ravageur des légu- mineuses à graines, dégrade la qualité des graines récoltées. Les différentes espèces présentes sur le territoire français sont Bruchus rufimanus, prin- cipalement trouvée sur la féverole, B. pisorum, qui affectionne les pois, et B. signaticornis, retrouvée sur la lentille. L’insecte, présent au stade adulte en végétation, pond ses œufs sur les gousses de

légumineuses. La larve pénètre directement dans la gousse, puis dans la graine où elle se développe.

Lorsque la bruche a terminé son développement dans la graine, un adulte en sort, soit au moment de la récolte, soit au cours du stockage, en faisant un trou bien rond (graine dite « bruchée »).

Les bruches affectant les cultures de pois, féve- role et lentille ont une seule génération par an et ne se multiplient donc pas pendant le stockage.

l utter contre les bruches Des légumineuses

DeS SOlUTIONS CHIMIQUeS et physiques au stockage

la lutte contre les bruches s’effectue en culture, contre les adultes pour limiter les pontes, mais aussi au stockage, pour éliminer les bruches émergeant des graines ou se trouvant encore à l’intérieur.

LE DOSSIER

Stockage deS grainS à la ferme

PERSPECTIVES AGRICOLES N°467 - Juin 2019 PERSPECTIVES AGRICOLES

69 69

Juin 2019 - N°467 PERSPECTIVES AGRICOLES

68

(2)

Actuellement en France, les récoltes de féverole sont particulièrement impactées par les bruches : 60 % des lots avaient plus de 1 % des graines bru- chées en 2017. C’est un frein à la commercialisa- tion des féveroles à l’export, en particulier vers l’Égypte, car les normes sont de moins de 1 % de graines bruchées pour l’alimentation humaine et moins de 10 % pour l’alimentation animale. De même, les dégâts causés par les bruches sont une réelle préoccupation pour les acteurs du secteur de la lentille.

Une lutte au champ affectée par les nouvelles normes

La lutte contre les bruches se réalise donc en premier lieu en végétation. Elle vise les adultes pour éviter la ponte sur les gousses. Cependant, ces dernières années, plusieurs matières actives insecticides ont été retirées du marché ou ont perdu la mention « Abeille »⁽¹⁾, et la lutte chimique préventive est actuellement dans une impasse.

Des solutions de biocontrôle sont testées à l’heure actuelle (huiles, micro-organismes, kaolinite). Une innovation intéressante dans la lutte au champ contre la bruche de la féverole est à signaler : les

composés organiques volatiles attractifs, mis au point par l’Inra de Versailles en partenariat avec Arvalis puis Terres Inovia. Deux attractifs ont été produits : l’un reproduit l’odeur des fleurs de féverole et attire les bruches à leur arrivée sur la parcelle ; l’autre reproduit l’odeur des gousses, permettant le piégeage des femelles prêtes à pondre. Ils ouvrent la voie à des outils de surveil- lance, voire de piégeage de masse.

à plus long terme, la piste génétique cherche à mettre au point des variétés de féverole résis- tantes, produisant un faible taux de graines bru- chées. Deux génotypes résistants ont été identifiés par l’Inra de Dijon, utilisant des mécanismes de résistances différents, l’un qui semble non attractif et le second, qui induit une mortalité des insectes dans les graines. Ces génotypes pourront être croi- sés avec des variétés de féverole sensibles.

Trier et traiter rapidement les lots bruchés

La lutte contre les bruches au stockage vient dans un second temps et a deux objectifs : obtenir des lots indemnes d’insectes et réduire les popula- tions de bruches dans l’environnement des zones

plus de 15 jours d’affilée -20

sont nécessaires pour tuer les bruches, le simple gel n’étant pas létal.

° c

Des solutions curatives, chimiques mais aussi alternatives, sont disponibles pour traiter au stockage les lots de graines bruchées – comme cette féverole dont émerge Bruchus rufimanus.

les bruches (ici Bruchus pisorum sur des pois) sont préjudiciables aux cultures de légumineuses car les dégâts causés sur les graines les rendent impropres à la consommation humaine.

71 71

70 LE DOSSIER Stockage deS grainS à la ferme

(3)

de production de légumineuses pour les années suivantes.

Les lots de graines bruchées doivent être iden- tifiés dès leur réception sur le site de stockage, afin de les isoler et de les orienter vers un traitement curatif ou vers un débouché spécifique selon les attentes des clients. L’intervention au stockage doit être la plus précoce possible afin de détruire les bruches avant qu’elles ne sortent du silo, ne dégradent la qualité visuelle des graines et n’aillent infester l’environnement.

Des solutions curatives chimiques sont disponibles en conventionnel. Le traitement insecticide avec K-Obiol UVL 6 (deltaméthrine et pipéronyl butoxide), appliqué sur les graines, est efficace par contact sur les insectes adultes et est persistant six mois. Il ne tue pas les bruches à l’intérieur des graines mais seulement au moment où elles en émergent. Ce traitement laisse dans les graines des résidus de ces substances dans les limites réglementaires lorsque les doses homologuées sont appliquées. Toutefois ces résidus ne sont pas acceptés par certains débouchés.

La fumigation à la phosphine agit sur les insectes adultes et les larves à l’intérieur et à l’extérieur des graines, puisqu’il s’agit d’un gaz, et ne laisse pas de résidus dans les graines. Son application nécessite un personnel formé et des structures de stockage adaptées : le lot de graines à traiter doit être placé dans une enceinte étanche (ou une cellule pouvant être étanchéifiée temporairement) pour que la concentration en gaz soit maintenue durant quelques jours – voire plus si les tempéra- tures sont basses.

En conventionnel et en agriculture biologique, des solutions curatives physiques existent, agissant sur les bruches présentes dans et sur les graines.

Ainsi la thermo-désinsectisation, consistant en un passage rapide en séchoir à 50-70°C, tue larves et adultes et dénature peu le produit. La congélation est une autre solution, mais pour des petits lots à haute valeur car il faut atteindre -20°C pendant 15-20 jours.

Dernière possibilité plus exploratoire : l’atmos- phère modifiée, réservée aux petits lots en big bags. Les insectes périssent par anoxie car l’air est remplacé par du gaz carbonique.

Avant expédition d’un lot, le nettoyage mécanique, voire le triage optique s’il est disponible, per- mettent de ramener aux normes le taux de grains bruchés et d’évacuer les insectes vivants ou morts encore présents.

(1) La mention « Abeille » a pour objet de répondre à un besoin agronomique de traiter des végétaux pendant la période de florai- son ou de production d’exsudats, tout en limitant les impacts de ce traitement sur les insectes pollinisateurs.

Sylvie Dauguet - s.dauguet@terresinovia.fr Terres Inovia