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Les nombres p-adiques
Nicolas Billerey
Laboratoire de mathématiques Blaise Pascal Université Clermont Auvergne
Jeudi 13 février 2020
Sommaire
1 Les nombres p-adiques
2 Distance p-adique
3 Équations diophantiennes et nombresp-adiques
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Sommaire
1 Les nombres p-adiques
2 Distance p-adique
3 Équations diophantiennes et nombresp-adiques
Bases
Il est d’usage d’utiliser la base 10(système décimal) pour représenter les entiers naturels.
Il n’en a pas toujours été ainsi : diverses civilisations ont employé des bases différentespour compter (Babyloniens, Mayas, Aztèques,. . .).
Aujourd’hui encore les ordinateurs utilisent la base 2(système binaire) et la base 60(système sexigésimal) est utile dans les mesures de temps.
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Compter en base b
Comment s’écrivent enbaseb =5les nombres suivants ? 7, 23, 73, 97, 456.
Réponse :
7=125, 23=435, 73=2435, 97=3425, 456=33115. On dit que
1+1×5+3×52+3×53 =33115 est ledéveloppement 5-adique de 456.
Calculer en base 5 (sans convertir en base 10 !) :
2435+3425 =11405 et 125×435=11215. On vérifie qu’on a bien 11405 =170 et 11215 =161.
Développement 5-adique de −1 ?
On calcule
−1=4+ (−1)×5
=4+ (4+ (−1)×5)×5
=4+4×5+ (−1)×52
=4+4×5+ (4+ (−1)×5)×52
=4+4×5+4×52+ (−1)×53
=. . .
=4+4×5+4×52+4×53+4×54+. . .
Ainsi,
−1=. . .444445 =
∞
X
n=0
4×5n.
? ? ? ?
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Les nombres 5-adiques
On considère l’ensemble Z5=
. . .a3a2a1a0 |0≤ai <5, pour tout i ≥0 de tous les entiers 5-adiques.
On peut addtionner,soustraireet multiplierdeux éléments deZ5 pour en former un troisième, avec les règles de calcul habituelles.
L’ensembleZ5 forme donc unanneauquicontientZ. Pour diviser, c’est plus compliqué. . .
Décomposer un entier 5-adique
Soitx =. . .a3a2a1a0=X
n≥0
an5n∈Z5 un entier 5-adique.
On décomposex ainsi : x= a0
|{z}x1
+a1×5
| {z }
x2
+a2×52
| {z }
x3
+· · ·
de sorte que pour toutn ≥1, on a
xn=a0+a1×5+· · ·+an−1×5n−1. Les entiers(xn)n≥1 vérifient, pour toutn ≥1 :
0≤xn <5n et xn+1 ≡xn (mod5n).
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Représenter un entier 5-adique
L’entier 5-adique
x =. . .141142140434042314022332431212
=2+1×5+2×52+1×53+3×54+· · · vérifie (xn)n≥0 = (2, 7, 57, 182, 2057, . . .) et se représente ainsi :
57 182 307 432 557
7 32 57
gg
82 107
2 7
77
12 17 22
2
gg
Entiers 5-adiques et congruences
Réciproquement, toute suite (xn)n≥1 d’entiers vérifiant :
0≤xn<5n et xn+1≡xn (mod 5n), pour toutn ≥1, définit un unique entier 5-adiquex =. . .a3a2a1a0.
Il suffit de poser
a0 =x1, a1= x2−x1
5 , . . . , an= xn+1−xn
5n , . . . On en déduit que Z5 s’identifie (comme anneau) à
lim←−
n
Z/5nZ=n
(xn)n≥1 ∈Y
n≥1
Z/5nZ|xn+1 ≡xn (mod 5n),∀n≥1o .
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Digression : pourquoi 5 et pas 10 ?
On aurait pu considérer Z10=
. . .a3a2a1a0|0≤ai ≤9, pour tout i ≥0
=
(xn)n≥1 ∈Y
n≥1
Z/10nZ|xn+1 ≡xn (mod 10n),∀n≥1 (ouZ2) au lieu deZ5.
Or, pour toutn ≥1, on a, par le lemme chinois, Z/10nZ'Z/2nZ×Z/5nZ.
On en déduit en particulier que
Z10'Z2×Z5
n’est pas intègre(i.e. il existe des couples d’éléments non nuls dont le produit fait 0).
Division dans Z
5Un entier 5-adiquex = (xn)n≥1 est inversible dansZ5 si et seulement si, pour tout n≥1,xn est inversible dansZ/5nZ.
On en déduit que les éléments inversibles deZ5 sont précisément ceux qui ne sontpas multiples de 5dansZ5 :
Z×5 =Z5\5Z5. Par exemple, 3 est inversible dansZ5 d’inverse
1
3 =. . .3131313132=2+3×5+1×52+3×53+· · · En particulier, l’anneauZ5 estintègre.
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Des entiers aux fractions
On construit lecorps Q5 des nombres 5-adiques à partir de (l’anneau intègre)Z5 comme on construit Qà partir de (l’anneau intègre)Z. Tout nombre 5-adique s’écrit donc avecune infinité de chiffres avant la virgule etun nombre fini après!
Par exemple,
x =. . .3412043212123001,2104∈Q5.
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Valuation p-adique
Tout ce qui a été vu avec 5 se généralise avecp premierquelconque.
En particulier, on a Zp=
(xn)n≥1 ∈Y
n≥1
Z/pnZ|xn+1 ≡xn (mod pn),∀n≥1
et tout élémentx deQp s’écrit de façon unique x =pNy avecy ∈Zp\pZp.
L’entier N s’appellela valuation dex; on note N=vp(x).
Par exemple, on a
v5(45/11) =1, v5(. . .140142233211,231041) =−6, v5(8) =0.
Valuation p-adique et distance
La valuation p-adique vérifie pour tousx,y ∈Qp :
1 vp(0) =−∞;
2 vp(xy) =vp(x) +vp(y);
3 vp(x+y)≥min(vp(x),vp(y)).
On voudrait rendre compte du fait que pn−−−−→
n→+∞ 0 lorsque n=vp(pn)→+∞.
Lafonction distance associée devra notamment vérifier
|xy|p=|x|p|y|p, quels que soient x,y ∈Qp. Quelle fonctiontransforme les sommes en produits?
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Q
pest ultramétrique
Pour toutx ∈Qp, on pose
|x|p =p−vp(x).
La fonction| · |p est unedistance. En particulier, on a :
|x|p=0⇔x=0 et |xy|p =|x|p|y|p. Elle vérifie de plus l’inégalité ultramétrique:
|x+y|p≤max(|x|p,|y|p) plus forte que l’inégalité triangulaire !
Topologie dans Q
pDeux points de Qp sont d’autant plus proches que leur différence est multiple dep.
Deux boules deQp sontdisjointes ou concentriques! Chaque pointd’une boule enest son centre!
Tous les triangles sont isocèles!
Une série à coefficients dansQp converge si et seulement sison terme général tend vers 0 !
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Digression : R et les Q
pOn aurait pu construireQp par un procédé analogue à celui utilisé pour construireRà partir deQ :
Qp=C(Q,| · |p)/∼,
où C(Q,| · |p)désigne l’ensemble des suites de CauchydeQpour la distancep-adique et
(xn)∼(yn) si(xn)−(yn) converge (p-adiquement) vers 0.
Ainsi construit, Qp est automatiquementun espace complet.
Un théorème d’Ostrowskiaffirme queR et les corpsQp avecp premier, formenttousles complétés deR.
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Le principe « local-global »
Le principe « local-global » interroge la possibilité de montrer qu’une équation polynomiale donnée admet, ou non, une solution rationnelle en étudiant ses solutions dansRet chacun desQp.
Sens direct : du global au local
Solution dansR Solution dansZ/2Z
Solution dansQ // 66 !!
Solution dansQ2
66// ))
Solution dansZ/22Z
. . .
Solution dansQ3 // (( ""
Solution dansZ/3Z
Solution dansZ/32Z
. . . . . .
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Un cas concret
Vérifions par ce procédé que l’équation x2−x−1=0
n’apas de solution rationnelle (ce que l’on sait être le cas !).
Une telle solution donnerait lieu à un couple(a,b)∈Z2 tel que pgcd(a,b) =1 et
a2−ab−b2 =0.
D’où, sib est impair,a2−a−1≡0 (mod 2) et unecontradiction, et de même sia est impair.
On dit que cette équation présente uneobstruction locale(en 2).
Sens réciproque : des solutions approchées aux solutions exactes
On veut construire unesolution exacte à partir d’approximations successives.
En analyse classique, on dispose de la méthode de Newton.
Son analoguep-adique s’appelle le lemme de Hensel.
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Lemme de Hensel : cas concret
On cherche une solution x =. . .a4a3a2a1a0 ∈Z5 à l’équation x2+1=0.
On pose a0=2 (l’autre choix seraita0 =3).
Six est solution, on a
(a0+a1×5)2+1≡0 (mod 52)⇐⇒a1×5≡ −a20+1 2×a0
(mod 52)
⇐⇒a1 =1.
Plus généralement, xn+1 s’obtient à partir dexn par la formule xn+1 =xn−f(xn)
f0(xn), où f(x) =x2+1 etxn=a0+· · ·+an−1×5n−1. On obtient x =. . .141142140434042314022332431212.
Sens réciproque : du local au global
L’existence de solutions dansR et dans chacun des corpsQp suffit-elleà assurer de l’existence d’une solution rationnelle ?
Théorème (Hasse–Minkowski) Toute forme quadratique
q(X1, . . . ,Xn) =X
i≤j
ai,jXiXj
à coefficients rationnels représente 0 dansQ si et seulement si tel est le cas dans Ret dans chacun desQp avecp premier.
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Contre-exemple au principe de Hasse
Le théorème de Hasse–Minkowski ne s’étend pasaux formes de degré >2.
Selmer a montré que l’équation cubique 3x3+4y3+5z3=0
n’admetaucune solution rationnelle (non nulle) mais a dessolutions dansRet dans chacun des corps Qp.
L’étude des situations dans lesquelles le principe « local-global » s’applique est undomaine de recherche actif en géométrie arithmétique.
Courbes de Fermat et obstruction locale
Dans le cas des courbes de Fermat, Halberstadt et Kraus ont conjecturé que l’absence de solution (non triviale) s’explique souvent par l’existence d’obstructions locales.
Conjecture
Soient a,b,c trois entiers ne vérifiant aucune relation linéaire à coefficients dans {−1,0,1}. Alors, il existe une constanteg(a,b,c) telle que pour tout nombre premierp >g(a,b,c), la courbe d’équation
aXp+bYp =cZp admet au-moins une obstruction locale.
À ce jour, on ne sait pas démontrer un tel énoncé !
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