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De l’école à l’emploi : des représentations de l’informatique hostile aux femmes

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De l'école à l'emploi : des représentations de l'informatique hostile aux femmes

COLLET, Isabelle

Abstract

L'enseignement secondaire est théoriquement le même en France pour les filles et les garçons depuis 1924 et c'est en 1971, que pour la première fois, il y a eu autant de bachelières que de bacheliers. Depuis cette date, les filles ont creusé l'écart et aujourd'hui représentent 57.5% des bacheliers généraux et 52.6% des bacheliers technologiques1.

Par la suite, les filles arrivent plus nombreuses au bac puis plus nombreuses à entrer à

l'université (elles sont 58% des étudiants). Elles sont aussi 51% a y obtenir un diplôme de l'enseignement supérieur pour 37 % des garçons.

COLLET, Isabelle. De l'école à l'emploi : des représentations de l'informatique hostile aux femmes. In: Fatima Sadiqi. Femmes et Nouveaux Médias dans la Région

Méditerranéenne. Rabat : Fondation Hanns Seidel, 2012. p. 101-112

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:27176

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Collet, Isabelle. (2012). De l’école à l’emploi : des représentations de l’informatique hostile aux femmes. In Fatima Sadiqi (Ed.) Femmes et Nouveaux Médias dans la Région Méditerranéenne, (pp. 101-112). Rabat : Fondation Hanns Seidal

L’enseignement secondaire est théoriquement le même en France pour les filles et les garçons depuis 1924 et c’est en 1971, que pour la première fois, il y a eu autant de bachelières que de bacheliers. Depuis cette date, les filles ont creusé l’écart et aujourd’hui représentent 57.5%

des bacheliers généraux et 52.6% des bacheliers technologiques1. Par la suite, les filles arrivent plus nombreuses au bac puis plus nombreuses à entrer à l’université (elles sont 58%

des étudiants). Elles sont aussi 51% a y obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur pour 37 % des garçons.

Mais malgré leur apparent avantage en terme d’éducation, on constate que les choix d’orientation restent encore largement sexués : si les filles représentent 58 % des élèves du cycle général, on ne retrouve pas cette proportion au sein des différentes séries où elles sont, soit surreprésentées (Littéraire 79% ; Économique et Sociale 61%), soit sous-représentées (Scientifique 45%).

La séparation des filles et des garçons durant la formation initiale se retrouve de manière attendue sur le marché du travail qui offre le paysage d’une double ségrégation horizontale et verticale. Toutes les professions salariées voient leur effectif féminin augmenter2 mais ces progrès ne doivent pas faire oublier une forte concentration des femmes dans un petit nombre de professions : 6 catégories3 (et moins d’un tiers de la population active) regroupent 60% des femmes avec une féminisation égale ou supérieure à 65%. S’il y a une montée générale de l’emploi féminin, cela signifie aussi que de plus en plus de femmes viennent grossir les rangs des professions les plus féminines, augmentant leur taux de féminisation4.

Dès 1985, le ministère de l’Education Nationale parle du “gaspillage du potentiel national”

en constatant que les filles ne font pas d’études scientifiques et ont plus de mal que les garçons à s’insérer dans la vie professionnelle. Tenant compte de cet état des lieux, il décide :

“dès à présent, les Académies prendront toutes dispositions pour atteindre comme objectif dans un délai de trois à cinq années scolaires, une progression de 10 à 20% de la proportion des filles dans ces formations [scientifiques et techniques]”. Comprenant bien que mathématiques, sciences et informatique font partie d’un même groupe d’enseignement, la même année, la Communauté Européenne lance un programme d’action intitulé : “Egalité des chances entre filles et garçons à l’école et nouvelles technologies de l’information”.

Le rapport Génisson5 précise en 1999 : “Les résultats des filles dans les disciplines scientifiques, notamment en classe de seconde, n’expliquent pas ces choix. La différence est encore forte pour les études supérieures dans la mesure où l’obtention d’un baccalauréat scientifique pour les filles est beaucoup moins suivie d’une orientation scientifique (sauf dans les « sciences de la vie ») ”.

L’informatique constitue un cas particulier très intéressant parmi les études scientifiques : alors qu’on connaît une pénurie d’informaticiens qui devrait encore s’aggraver pour les

1 Repères et références statistiques, 2009, DEPP-MEN

2 sauf “Ouvrier Qualifié Artisan”, “Ouvrier Non Qualifié Industriel” et bien sur le clergé

3 Enseignantes, professions intermédiaires de la santé, du travail social, employées d’entreprise et d’administration, commerce, personnel de service direct aux particuliers.

4 INSEE 1995

5 Rapport de Catherine Génisson au Premier Ministre (1999) : “Davantage de mixité professionnelle pour plus d’égalité entre hommes et femmes”

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années à venir, on constate que les filles désertent de plus en plus les filières informatiques.

Alors que les informaticiens sont recherchés par les entreprises, qu’ils ont des hauts salaires et un certain prestige dû à l’omniprésence des Technologies de l’information et de la communication (TIC), les femmes semblent cantonnées à des rôles d’utilisatrices passives de systèmes conçus, programmés, mis en place et contrôlés par les hommes.

On peut se souvenir pourtant qu’à l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Rennes en 1979, à une époque où pourtant il n’était guère à la mode d’être ingénieurE, les étudiantes étaient majoritaires dans la filière informatique (55%). Mais au forum des jeunes mathématiciennes et des jeunes informaticiennes organisé par l’association “Femmes et Mathématiques” en mars 2002, des enseignantes s’inquiétaient de la disparition des filles dans leur promotion. Actuellement, que ce soit à bac + 2 (IUT et BTS) ou au niveau ingénieur, les étudiantes ne représentent plus que 10 à 15% de l’effectif. Si on reprend l’exemple de l’INSA de Rennes, en 2000, les femmes étaient plus nombreuses en Génie civil (25%) ou en Génie mécanique (20%) qu’en Informatique (14%)6 (Collet, 2006)

De nombreuses études menées en sciences de l’éducation (Duru-Bellat, 1990; Mosconi, 1994;

Zaidman, 1996) démontrent de diverses manières que l’école confond mixité et égalité des sexes, ou plutôt considère qu’il suffit d’éduquer ensemble garçons et filles pour être en situation d’égalité des chances. L’école devrait œuvrer à un projet de société égalitaire mais est conçue pour former une élite qui est incarnée par l’élève mâle, blanc et de milieu social supérieur. Pour Nadine Plateau (1995), “Les plaies contemporaines de l’enseignement, échecs, retard, décrochages, violence en sont la manifestation la plus visible » p. 61. Mais plutôt que de développer ici les discriminations provoquées par l’école, il est bon de rappeler, même si cela peut sembler trivial, que l’école est en aval et pas en amont de la société. Les élèves ne sont pas une pâte molle que les enseignants (eux-mêmes insérés dans cette société) peuvent modeler à leur guise. Les présupposés sexistes de l’environnement viennent peser sur les parcours scolaires, choix d’orientation et par la suite, carrière. Car il ne suffit pas de former des femmes scientifiques pour augmenter le taux de féminisation de ces métiers : une fois qu’elles ont embrassé ces carrières, encore faut-il qu’elles s’y sentent suffisamment bien pour s’y maintenir. En fait, les choix d'orientation et de carrière sont reliés au rôle social de chacun. Les filles se détournent des sciences car l'environnement social leur montre que leur place n'y est pas. Elles sont en outre rappelées à l'ordre régulièrement par leur entourage : leur famille, leurs enseignants, leurs collègues et supérieurs et par les médias.

Deux représentations se confrontent ici : l’image que les femmes ont d’elles-mêmes (et de leur place dans la société) et la représentation de l’idéal-type7 du scientifique.

Toujours une idée de nature…

On croirait entendre là un discours d’un autre temps, de 1867 par exemple, quand Fénelon prend soin de trier les savoirs masculins et féminins dans son Traité de l’éducation des filles :

« Pour leur sexe : une pudeur pour la science presque aussi délicate que celle qu’inspire l’horreur du vice » écrit-il. Un discours remontant au XIXe siècle, quand l'enseignement des mathématiques semble incompatible avec la vie pratique des femmes. Il sera donc très limité dans les nouveaux lycées de jeunes filles. Jules Verne, au lycée de filles d’Amiens, déclare dans Le Progrès de la Somme, le 30 juillet 1893 : les cours de chimie des filles leur serviront

6 source : Association des Ingénieurs INSA Rennes

7 L'idéal-type est un outil conceptuel défini par Max Weber. C’est une reconstruction stylisée d'une réalité dont l'observateur a isolé les traits les plus significatifs. C’est en comparant la réalité d’un phénomène et la logique de son idéal-type qu’on repère les causes extérieures qui agissent sur ce dernier.

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à “savoir confectionner un pot-au-feu”. Pour une raison assez mystérieuse, la logique mathématique est qualifiée de “desséchante” et ne pourrait que “dénaturer” les femmes.

Croyances vivaces s’il en est. En 1998, un parfum masculin nommé π a été lancé. Un magazine féminin écrit : “pour la majorité des femmes, le symbole et le nom rappellent de douloureuses prises de tête, flash-back de CM1. La plupart des hommes le reconnaissent infailliblement et frétillent de l'intelligence dès que son nom est prononcé : c'est pi. Le 3,14, l'infini” (Mariotti, 2000). A l'automne 2000, un parfum féminin est lancé qui s'appelle

"Intuition". Toujours dans un magazine féminin, on lira cette fois : “l'intuition mène la vie des femmes... l'intuition, ce 6ème sens si féminin...”. L’intuition, caractéristique noble et masculine dans l’antiquité, devenue soudain fantaisiste et féminine avec l’avènement de la Raison.

Cette question “essentielle” devient un enjeu important à l’adolescence. Les jeunes filles éprouvent le besoin de faire état de leur “nature” féminine et de jouer à fond leur rôle de sexe.

Elles le traduisent en manifestant de l’effroi devant une dissection, en refusant de se salir dans les disciplines technologiques ou en faisant preuve d’une maladresse ostentatoire. C’est en restant à leur place qu’elles seront plus populaires auprès des garçons, à une période où on réaffirme son genre en vue de séduire l’autre. D’ailleurs, les intérêts valorisés à 10 ans deviennent chez les filles incongrus à l’adolescence. Les filles qui s’intéressent aux sciences sont rejetées par les garçons sauf si elles s’intéressent à d’autres capacités masculines plus

“populaires” comme le sport (Lage, 1991; Measor, 1983). En classe, les filles croient davantage à la “bosse des maths” que les garçons, c’est à dire à un caractère inné de la compétence mathématique. Quand elles réussissent, elles soulignent leurs efforts alors que les garçons se vanteront plutôt de réussir sans avoir travaillé, même si c’est faux (Duru-Bellat, 1993).

D’une façon détournée, cette question de nature est au fondement de certaines convictions.

Par exemple, les filles craignent de manière diffuse de ne pas réussir à se marier si elles font carrière8, en particulier dans des métiers réputés masculins, comme si, perdant leur

“fémininité”, elles devenaient moins désirables. Ce genre de croyance a été constaté chez des femmes surdouées qui ont du mal à réaliser leur potentiel en raison des pressions sociales qu’elles subissent (Reis, 1987) ou chez des femmes de très grandes écoles scientifiques.

L’idéal-type du scientifique

En psychologie sociale, l’expression des préférences professionnelles est essentiellement considérée comme le résultat d’une activité de comparaison effectuée par l’individu entre la représentation qu’il a de lui-même et celle qu’il se fait du monde professionnel (Huteau, 1982).

Cette conception de l’élaboration des préférences professionnelles impliquerait de la part du sujet la mise en œuvre d’un mécanisme d’appariement entre représentation de soi et représentations professionnelles.

Ce modèle fonctionne bien quand le degré d’implication du sujet est faible, par exemple quand on demande à des lycéens de classer par ordre de préférence une liste de métiers imposés. Lorsqu’il s’agit de choix plus personnels, la congruence diminue, en particulier dans les métiers considérés comme peu prestigieux car en général, on a plus d’estime pour soi que pour le métier peu valorisant qu’on vise. Par contre, dans les filières scientifiques prestigieuses, on peut s’attendre à trouver une bonne congruence soi-prototype.

8 A la fin des années 1980, des études américaines ont prétendu que les femmes diplômées ou carriéristes restaient célibataires. Bâclées ou mensongères, elles sont dénoncées dans l’ouvrage de Susan Faludi (1991) Backlash, traduit chez Des Femmes

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La science est définie avec des termes qui vont à l’encontre de l’identité culturelle féminine (Dhavernas, 1995; Marro, 2003) : utilitarisme, rationalité, obsession de l’objet au détriment de la relation, exclusion de la sensibilité, versus, du côté des femmes : relations interpersonnelles, fantaisie, imagination, affectivité…

Dans une expérience, on demande à des garçons et des filles de filières scientifiques au lycée d’affecter des descripteurs à eux-mêmes et à la personne-type du métier envisagé (Marro &

Vouillot, 1991). On constate chez les garçons une bonne congruence soi-prototype. Chez les filles, la congruence est moyenne voire faible. Elle est surtout médiocre en terme de compétence. En fait, la description du scientifique type s’apparente au stéréotype masculin : ambitieux, combatif, audacieux… que cette description émane d’un garçon ou d’une fille.

Mais la description de soi-même correspond au stéréotype de son sexe, ce qui pour les garçons assure une bonne congruence mais pour les filles, donne des résultats du type : émotive, impulsive, sociable…

L’informatique étant une science jeune, certains auteurs ont initialement pensé qu’elle échapperait aux stéréotypes sexistes et à une hiérarchie masculine ancienne et hostile aux femmes (Laufer, 1982), voire qu’elle pourrait être une chance pour les femmes. Or, cette discipline s’est installée parmi un univers masculin de techniciens ou de cadres administratifs.

Elle s’est ensuite fortement implantée chez les garçons par le biais du micro-ordinateur (Collet, 2006), de sorte que son univers s’est rempli de références masculines (l’heroic- fantasy, les simulateurs de vol ou de conduite, la science-fiction…). Les femmes informaticiennes doivent non seulement se positionner par rapport à l’idéal-type du scientifique, mais en plus, sont amenées à composer avec l’image du hacker qui constitue l’idéal-type de la profession (Collet, 2006). Cette image s’est imposée dans l’esprit du public dans les années 1990, mais elle n’existait pas en 1980, quand les filles étaient encore présentes à hauteur de 50% dans les cursus d’informatique. Et le fait qu’elle ne corresponde pas aux réalités du métier n’a qu’une faible incidence sur la représentation qu’on peut se faire de ce métier.

En effet, pour rompre cette représentation des métiers, il faudrait avoir des images d’identification positive qui irait à l’encontre de l’idéal-type. Or, les filles manquent de modèles féminins scientifiques. Autour d’elles gravitent en général peu de femmes scientifiques. Quant aux quelques exemples de femmes scientifiques incontestables, comme Marie Curie ou Emilie Noether, on insiste en général sur leur dureté et leur manque de féminité, à tel point qu’Emilie Noether était surnommée LE Noether. En informatique, les rares femmes ayant compté, comme Ada Lovelace ou Grace Hopper sont inconnues du public et jamais citées aux cours des études.

Projection dans la vie future

Choisir un futur métier ne signifie pas uniquement choisir une occupation pour les heures ouvrées. Ce choix conditionne aussi un rythme et un style de vie. Le métier d’une personne est un des éléments qui le caractérisent fortement (avec le sexe, l’âge, etc.) Se déclarer scientifique, exercer un métier scientifique a des conséquences, réelles ou supposées, pour la vie de tous les jours et l’image de soi.

Tout d’abord, les filles pensent qu’elles auront du mal à trouver du travail en tant que femmes dans un métier considéré comme masculin. En outre, elles choisissent le métier où le compromis entre travail et famille est supposé être le plus facile, tel l’enseignement. Mais si une étudiante en mathématiques, en physique ou en chimie peut opter pour l’enseignement comme premier choix de carrière ou comme choix de repli et ce, quelque soit le métier exercé

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par la suite, ce n’est pas possible en informatique car il n’existe pas d’enseignement dédié à l’informatique dans le secondaire.

En outre, les métiers scientifiques, et en particulier l’informatique, sont réputés pour demander un investissement personnel allant au-delà des 35 ou 39 heures et les jeunes filles pensent que le bien-être de leurs futurs enfants ou la carrière de leur conjoint devra passer avant la leur. Par conséquent, à quoi bon investir dans des études prestigieuses et ardues si on doit en fin de compte sacrifier sa carrière à son conjoint ou à ses enfants (Ferrand, Imbert, &

Marry, 1996) ?

Une conséquence de ces différents facteurs est qu’une moindre contrainte pèse sur les filles : les garçons ne vont pas toujours en sciences par goût mais par obligation, en vue d'une carrière prestigieuse (le salaire de l’homme doit être le principal, voire le seul, salaire du couple). Les filles, ayant moins de pression, peuvent se diversifier et choisir les études davantage selon leur goût (Vouillot, 2007). Typiquement, les garçons disent aimer les maths même s’ils éprouvent des difficultés car ils ont intériorisé l’enjeu social. Les filles peuvent ne pas aimer les maths même si elles réussissent dans cette matière.

Entre la pression qui incite les garçons à faire des maths, même s’ils n’aiment pas et les manœuvres de découragement qui incitent les filles à ne pas en faire, mais si elles aiment, il n’est finalement pas très surprenant qu’on obtienne une telle différence dans ce qu’on prend à tort pour de l’auto-orientation.

Succès et estime de soi

Comme nous venons de l’aborder, un autre obstacle se dresse entre les femmes et les carrières scientifiques : l’accès est plus difficile pour les femmes dans les espaces de pouvoir et de prestige. Dans ce contexte, deux phénomènes sont à l’œuvre, qu’on appelle la peur de succès et le sentiment d’imposture (Bouteyre, 1996; Horner, 1968; Janman, 1989).

La peur du succès est l’attitude qui consiste à se limiter à des réalisations qui ne font pas appel à toutes les qualités intellectuelles ou physiques. Cette peur provoque l’inhibition chez ces personnes et les amène à adopter des comportements d’évitement de la réussite. En 1968, Horner estime que les femmes sont touchées à 68,5% et les hommes à 9,1%. On pourrait croire que l’évolution des mentalités diminuerait cette peur du succès. Or, Janman en 1989 et Etzion en 1990 reproduisent le test de Horner et aboutissent au même résultat que lui. Plus encore que la réussite en soi, les femmes évitent les conséquences négatives de la réussite, à savoir l’anxiété qui est engendrée par une situation jugée inconfortable à cause des paramètres suivants : réaliser un métier d’homme, entrer en compétition avec des hommes, risquer de perdre son identité sexuelle en réussissant.

Dans son expérience, Janman décrit une situation dans laquelle selon le cas, le conjoint ou la conjointe doit déménager pour bénéficier d’un meilleur emploi. Quelque soit le sexe des étudiants interrogés, le succès féminin est massivement jugé négativement. Les histoires choisies prioritairement font mention de femmes prêtes à abandonner leur carrière pour suivre leur mari.

Pour comprendre ce mécanisme, Olvigie et Tutko (1981) ont réalisé une étude dans le domaine du sport de haut niveau où la peur du succès est équivalente chez les hommes et les femmes. Il se dégage deux raisons principales. La première est la peur d’humilier l’adversaire (qui est rarement haï mais le plus souvent respecté et admiré) en le battant. La deuxième est liée aux conséquences de la victoire sur l’entourage. Une victoire met en première ligne, déclenche l’admiration et la haine. On doit ensuite renouveler la performance pour ne pas

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décevoir. Alors que, quand on est second, on est toujours encouragé, considéré avec bienveillance parce que porteur d’espoir.

Les auteurs en concluent que pour gagner, il faut être peu sensible à l’opinion d’autrui : accepter d’être détesté par l’adversaire, admettre de décevoir, ne pas être avide de compliments toujours renouvelés et d’encouragements, accepter d’être seul. Le sport donne une gloire forte et fugitive et la peur du succès n’y est pas lié au sexe, les disciplines n’étant pas mixtes (la concurrence se fait à l’intérieur de son groupe de sexe).

Dans la vie professionnelle, la gloire obtenue a peu en commun avec la gloire sportive. Elle peut durer toute une vie, par exemple. En outre, la pression culturelle exercée sur les hommes (un homme doit être fort et bien gagner sa vie) aide ceux-ci à combattre la peur du succès.

Avec une éducation qui incite les filles à faire continuellement attention aux autres, à leur avis, à l’attention ou à l’affection qui leur est portée, au bien-être d’autrui, qui les pousse au dévouement, à privilégier le groupe ou le contentement des autres au leur, comment être surpris par l’effacement des femmes devant le succès possible ? Doit-on parler de peur du succès ? Il serait plus juste de dire qu’elles sont amenées à s’en détourner.

Le deuxième phénomène à l’œuvre est le sentiment d’imposture : les gens victimes de ce phénomène traînent une sensation de malhonnêteté intellectuelle. Ces personnes ont souvent le sentiment d’agir sous des apparences ou de jouer des rôles éloignés de ce qu’ils sont vraiment. Ce sentiment touche aussi bien les hommes que les femmes, mais l’impact du sentiment d’imposture sur la vie professionnelle est plus important chez les femmes qui exercent dans des métiers non conformes aux standards de leur sexe. Par ailleurs, les femmes l’avouent plus facilement à leur entourage alors que les hommes n’en font état que dans la plus stricte confidentialité (Clance & IImes, 1978).

On peut penser que le sentiment d’imposture est encore plus fort quand la congruence soi- prototype est mauvaise. Partant au départ avec la sensation qu’elles ne correspondent pas avec l’image qu’on se fait du scientifique, leur éventuel succès futur ne parvient pas à leur faire changer d’avis sur elles-mêmes.

Enfermés dans nos représentations ?

L’école prétend que ses élèves sont tous semblables. Or elle décrète l’égalité plutôt que de miser sur une véritable co-éducation (Marro & Collet, 2009). L’école mixte se préoccupe d’éliminer le féminin et d’imposer un masculin supposé être neutre. Mais ce déni de la différence sexuelle est en fait l’affirmation de la supériorité masculine (Mosconi, 1989).

Parallèlement, les influences sociétales destinent les hommes et les femmes à des rôles différents. On invoque la nature, les aspirations individuelles supposées librement choisies, le bien-être des enfants, ou toute instance supérieure supposée justifier ces différences. Mais loin d’être complémentaires, elles ne font que réaffirmer ce que Françoise Héritier (1996) appelle la valence différentielle des sexes.

Autrefois, la Théologie puis les Humanités étaient l’apanage des hommes et là se situaient prestige et pouvoir. Maintenant, la science et les ordinateurs dirigent le monde. Ce qui était masculin devient féminin et les hommes s’approprient les nouveaux espaces. Les images se remodèlent et s’adaptent pour que les nouvelles représentations se mettent au service de l’idéologie dominante. Les seules caractéristiques qui ne changent pas de sexe, c’est le pouvoir et le prestige. Comprendre à quel point nous sommes incités à nous cantonner à nos rôles de sexe et à quel point ces rôles se déforment pour servir la domination masculine ne suffit pas à s’en défaire mais y aide grandement.

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L’image stéréotypée de l’idéal-type de l’informaticien coïncide en grande partie avec le stéréotype de la masculinité hégémonique (Connell, 2005; Kendall, 2000) et elle s’apparie mal avec les valeurs supposées féminines. Si on suppose avec Huteau (1982) que

« l’expression des préférences professionnelles est essentiellement considérée comme le résultat d’une activité de comparaison effectuée par l’individu entre la représentation qu’il a de lui-même et celle qu’il se fait du monde professionnel », p.107, on est en droit de penser qu’il est plus difficile pour les étudiantes que pour les étudiants de s’imaginer dans la peau d’un-e futur-e informaticien-ne.

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