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Passer de l’ordonnancier au blog à succès (2)

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2204 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 9 novembre 2011

actualité, info

Passer de l’ordonnancier au blog à succès (2)

Poursuivons notre lecture de ce blog médi- cal devenu livre,1 histoire intime personnelle et professionnelle d’une consœur anonyme (Rev Med Suisse du 2 novembre 2011). On sait de longue date que les rites initiatiques indispensables à la pratique de la médecine peuvent ouvrir la voie à l’écriture. Et depuis François Rabelais (près de Chinon, entre 1483 et 1494 – Paris, 9 avril 1553) et Louis-Ferdi- nand Destouches (Courbevoie, 27 mai 1894 – Meudon, 1er juillet 1961), la question est posée de savoir si cette association est ou non de nature à dynamiter une langue écrite an- cienne pour en élaborer une nouvelle. Deux rires inversés. Deux cas également mons- trueux, parfaitement documentés à cinq siè- cles de distance. Sont-ils suffisants pour en- visager une hypothèse ?

Quelques spécialistes nous ont déjà offert de possibles éléments explicatifs. Les premiè- res perspectives de la Renaissance libératrice pour l’un ; pour l’autre les déflagrations in- humaines et la boucherie industrialisée de la der des ders (1914-1918). Oxygénation for cée de l’air ambiant versus bombes de destruc- tion massive, gueules cassées et chirurgie maxillo-faciale. C’est là que se situeraient les causes premières qui, au terme de mul-

tiples résonances personnel- les, produiraient ce style, cette respiration, ce souffle recon- nais sable entre toutes les plu- mes. De là, cette petite musi­

que en partie immortelle, en- crée sur vélin ou papier bible ? Peut-être.

Et notre hypothèse ? En quoi l’œil vivant jeté sur l’anato- mie humaine après ouver- ture de cadavre (une assez grande nouveauté à l’époque de Rabelais, une banalité à celle du soldat Céline) aura- t-il, sinon poussé à l’écri ture, du moins radicalisé sa for- me ? Et quid de l’écoute infi- nie des souffrances humai nes quand on n’a pas encore de

véritables analgésiques dans sa manche ? Rabelais, croit-on savoir, ne pratiqua guère ; et Céline, comme souvent, affirma sur ce point bien des choses et leur exact contraire.

S’agissait-il, dans les deux cas, de ménager un emploi du temps au service de l’écriture – une écriture qui n’était pas destinée à l’or- donnancier mais à l’encre des imprimeurs ?

Peut-être.

Redescendons sur Terre. Quelles qu’en soient les raisons, c’est une chose d’écrire quand on est passé sous (à travers ?) les fourches qui conduisent à la soutenance de la thèse et aux joies infinies de la confrater- nité. Mais c’en est une autre que de trouver dans son propre exercice le sujet essentiel de en marge

© iStockphoto.com/kokouu

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 9 novembre 2011 2205 ses exercices d’écriture. Que dirait-on d’un

peintre qui ne trouverait d’autres motifs que l’intérieur de son atelier ? Et qu’apprécie- rait-on si ses tableaux ne dépeignaient que l’homme croquant ses sujets ? Jusqu’où peut- on aller dans les vertiges, parfois pervers, de la mise en abyme ?

Le vertige, sinon la perversité, grandit quand le peintre s’efface et prend la forme du médecin. Non pas le médecin qui, la chose est commune, rapporte un cas. Non pas le médecin qui, tout en respectant pleinement le secret médical, raconte quelques histoires de chasse. Mais le médecin qui tient le journal de bord de son exercice quotidien en mettant également en scène sa personne et celles qui viennent à lui. C’est l’exercice doublement anonyme auquel se prête depuis quelques années l’autobaptisée «Jaddo». D’abord sur un blog, depuis peu dans un livre.

L’une des vertus (parfois malsaines) du blog est de fournir dans un temps présenté comme réel l’audience rencontrée par votre production. Dans certains cas, et pour des raisons encore bien mystérieuses, un blog commence à dominer les autres, à enfler. Les commentaires se multiplient sur un mode presque exponentiel. Le phénomène s’auto- amplifie alors comme par magie. C’est pré- cisément, rapportent les observateurs spé- cia lisés, ce qui s’est passé en peu de temps avec «Juste après dresseuse d’ours» (www.

jaddo.fr). Peut-être ne faut-il voir là que le succès, jamais démenti, de la révélation des secrets d’alcôves, a fortiori quand l’alcôve

est médicale.

Les réquisitoires d’hier sont ici ou là de- venus des lieux communs. Les progrès tech- ni ques qui nourrissent la pratique de la médecine moderne n’en seraient pas vérita- blement. Le vieux chromo progressiste (le mé decin reculant chaque jour un peu plus les frontières de la maladie, de la souffrance et de la mort) a perdu de son éclat. Grisé par ses nouveaux outils d’analyse du vivant, le médecin ne saurait généralement plus écou- ter ceux qui viennent, comme toujours, par- ler de leur corps pour chercher un réconfort.

Les mythiques «médecins de famille» ont décidément bien disparu et les contraintes socio-économiques font que leurs descen- dants généralistes n’ont ni le temps, ni le sa- voir (ni peut-être même l’envie) de réinven­

ter leur pratique.

«Ne vous y trompez pas, lecteur. Ce livre marquera une date dans l’histoire des rela- tions entre les médecins et leurs malades. Le malade, l’usager du système de santé, le fu- tur consommateur de médecine, doit savoir comment il veut être considéré, s’il veut être écouté et décider s’il a vraiment quelque chose à dire qui lui appartient en propre, écrivait en 1997 le regretté Edouard Zarifian en pré- face d’un ouvrage signé par un psychologue clinicien.2 Ce que nous dit clairement et pour la première fois l’auteur, c’est que tout ma- lade aux représentations personnelles de sa propre souffrance possède un savoir sur sa maladie qui n’est pas le savoir purement

technique du médecin. Découvrir ce "savoir du malade" doit être mérité par le soignant.

C’est une entreprise complexe que la rela- tion thérapeutique. Elle demande une ouver- ture d’esprit, une disponibilité, une chaleur humaine qui permettent petit à petit au soi- gnant d’entendre ce qui est réellement ex- primé par le malade.»

Loin de son blog et du narcissisme qu’im- pose ce genre, dans ce petit livre foutraque mais fort bien structuré, Jaddo nous dit-elle autre chose que cette donne essentielle ? Sans doute le réalise-t-elle à sa façon, avec cette énergie de celles et ceux dont l’action est portée par une volonté de désacralisation.

Mais en chemin cette anonyme charmeuse d’ours nous fait un grand présent : sa petite musique.

(Fin)

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

1 Jaddo. Juste après dresseuse d’ours. Paris : Editions Fleuve noir, 2011. ISBN 978-2-265-09431-4. Titre dis- ponible en version numérique. www.fleuvenoir.fr 2 Keller PH. La Médecine psychosomatique en question,

le savoir du malade. Paris : Editions Odile Jacob, 1997.

ISBN 978-2-7381-0478-6.

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