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La Première Guerre mondiale et la gare ferroviaire d Haydarpaşa

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Academic year: 2022

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Revue d’histoire des chemins de fer 

50-51 | 2018

Gares en guerre, 1914-1918

La Première Guerre mondiale et la gare ferroviaire d’Haydarpaşa

World War I and the railway station of Haydarpaşa Sevtap Demirci et Nevin Coşar

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/rhcf/2906 DOI : 10.4000/rhcf.2906

Éditeur Rails & histoire Édition imprimée

Date de publication : 1 octobre 2018 Pagination : 275-299

ISSN : 0996-9403 Référence électronique

Sevtap Demirci et Nevin Coşar, « La Première Guerre mondiale et la gare ferroviaire d’Haydarpaşa », Revue d’histoire des chemins de fer [En ligne], 50-51 | 2018, mis en ligne le 01 avril 2022, consulté le 24 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/rhcf/2906 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhcf.2906

Tous droits réservés

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275 Sevtap DEMIRCI & Nevin COŞAR

ésumé : L’objectif du présent article est d’éclaircir le rôle de la gare d’Haydarpaşa au cours de la Première Guerre mondiale. La ligne de chemin de fer atteignit Alep en 1917, soit un an avant la fin de la guerre.

Cependant, un événement tragique se produisit le 6 septembre 1917.

Une immense explosion retentit dans la gare d’Haydarpaşa, causant des pertes importantes en hommes et en matériel militaire. Des civils et des employés de la gare furent également comptés parmi les morts. La grande difficulté à former les fronts fut l’une des raisons principales de la défaite de l’empire. Ce document tentera de fournir une réponse quant au rôle crucial joué par Haydarpaşa au cours de cette guerre, pour les Ottomans ainsi que pour les grandes puissances européennes.

Abstract: The purpose of the paper is to shed a light on the role of the Haydarpaşa Station during World War I. The railway line was completed in 1917 to Aleppo, a year before the war came to an end. However an unfortunate event took place on September 6, 1917. A huge explosion occurred in Haydarpaşa station where a number of military personnel and materials were lost. There were also civilians and station staff among the dead people. The appalling delay in catering the fronts was one of the major reasons in the Empire’s defeat. The paper will seek an answer to how Haydarpaşa played a crucial role in the course of the war for Ottomans as well as the Great Powers.

Sevtap DEMIRCI

sdemirci@boun.edu.tr

Boğaziçi University Nevin CO฀฀AR

nevincosar@gmail.com

Yildiz Technical University

LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE ET LA GARE FERROVIAIRE D’HAYDARPA฀฀A WORLD WAR I AND THE RAILWAY STATION

OF HAYDARPAŞŞA

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Mots-clés : gare d’Haydarpaşa, Première Guerre mondiale, transport.

Keywords: Haydarpaşa Station, First World War, transportation.

L’histoire de la Première Guerre mondiale pour l’Empire ottoman est, en quelque sorte, l’histoire de l’ambition d’étendre le réseau ferroviaire pour assurer la sécurité et la défense de l’empire. Des retards importants dans la livraison de matériels militaires, de nourriture, munitions et fournitures médicales affectaient considérablement les batailles de l’empire, et contribuèrent, dans certains cas, aux facteurs décisifs de la défaite militaire.

La réponse à ces obstacles reposait dans les progrès en transports (le chemin de fer). Il devint assez clair que la construction du chemin de fer était – et deviendrait – essentielle pour l’empire afin de préserver son intégrité territoriale (Coşar et Demirci, 2009, p. 22). Il est à cet égard important de rappeler le rôle qu’eut la gare d’Haydarpaşa (Haidar Pasha) dans la construction du projet du chemin de fer Berlin-Bagdad.

Cette gare, construite dans la période précédant la guerre (1906-1908), est un témoignage architectural qu‘on ne peut dissocier de la politique des grandes puissances et de la construction ferroviaire dans l‘empire.

Contexte historique

La « question orientale », qui était l’expression utilisée pour souligner les nombreux problèmes engendrés par le déclin latent de l’Empire ottoman, fut l’un des aspects principaux des projets de relations internationales en Europe depuis le milieu du XIXe siècle. Au cœur de la problématique se trouvait la question du devenir de l’Empire ottoman, alors en déclin.

À mesure que les intérêts économiques et stratégiques des grandes puissances grandissaient, la question orientale s’enracinait dans les relations diplomatiques et politiques européennes. Il est dit que, pour l’Empire ottoman, la Grande Guerre de 1914-1918 représenta le moment culminant de son déclin.

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Les grandes puissances européennes étaient, déjà depuis les XVIe et XVIIe siècles, engagées dans une course effrénée pour l’acquisition de territoires et l’établissement d’empires coloniaux 1. L’expansion économique à travers la colonisation et les investissements internationaux apportèrent à ces pays richesse et prospérité. Au XIXe siècle, lors de la révolution industrielle, ces rivalités s’accentuèrent, aussi bien à l’heure d’acquérir et de contrôler les matières premières, qu’en termes d’investissements dans les mines et chemins de fer, à l’intérieur et au-delà des lignes frontalières.

L‘Empire ottoman, en tant que vaste entité s’étendant alors à travers le Proche et Moyen-Orient, et depuis l’Ouest des Balkans jusqu’en Afrique du Nord, ainsi que la péninsule arabique, participa également à ces rivalités.

La compétition entre les grandes puissances européennes quant à l’avenir de l’empire fut particulièrement intense dans la sphère économique, et cette domination économique et financière se refléta dans tous les aspects de la sphère publique. Les banques, les mines, les gisements pétroliers, les installations hydrauliques et hydroélectriques, les ports et transports maritimes, les entreprises municipales étaient détenus et contrôlés par les capitales européennes, tandis que le commerce extérieur était monopolisé par des capitaux étrangers ou par les Grecs, les Arméniens et les marchands juifs.

Parmi toutes ces grandes puissances, l’Angleterre fut indéniablement la plus influente. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, entre la guerre de Crimée et la Première Guerre mondiale, la politique britannique à l‘égard de l‘empire changea graduellement, passant de l‘amitié à un rapport glacial et hostile, où l‘Angleterre cessait de défendre l’indépendance et l’intégrité des empires contre la Russie. L’occupation de l’Égypte, en 1882, l’appui aux intérêts des sujets chrétiens du Sultan, et une vive aversion pour tout ce qui pouvait représenter un danger pour les intérêts britanniques dans le golfe Persique et en Inde furent les points clés pour

1 Les colonies britanniques : Égypte, Soudan, depuis le Cap à l’Est méditerranéen de l’Afrique, l’Inde de Ceylan, le Sud-Est de l’Asie, Nouvelle-Zélande et Amérique du Nord. Les territoires contrôlés par la Grande-Bretagne atteignirent jusqu’à 104 fois sa propre superficie. Plus modérée, la France détenait le Nord-Ouest de l’Afrique, l’Algérie, la Tunisie, le Sahara, et l’Indochine en Asie, 20 fois son territoire national. La Hollande : Java, Sumatra, les îles de Bornéo, la Nouvelle- Guinée, l’Afrique du Sud. La Belgique : la rivière du Congo. La Russie ne rejoint la course qu’à partir du XIXe siècle.

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la Grande-Bretagne, et nécessitaient de l’aide pour démanteler l’empire, déjà au bord de l’agonie. Des intérêts économiques furent ajoutés aux considérations stratégiques. Puis l‘empire accorda les concessions du chemin de fer de Berlin à Bagdad, en 1903, geste qui fut vécu comme une provocation par les Britanniques. Pour les Allemands, cette concession devait élargir le Proche et Moyen-Orient aux exploitations économiques et influences politiques, surveiller la domination britannique dans le golfe Persique et au-delà, ainsi qu‘offrir un passage vers l’épicentre de l’empire britannique, l’Inde (Kent, 1976, p. 4). La Grande-Bretagne ne perdit pas de temps pour réagir, et les responsables politiques affirmèrent que « trancher le nœud Gordien » était la seule voie pour résoudre le problème ; en d’autres termes, il fallait procéder à une plus importante

« amputation de l’empire » (Heller, 1983, p. 2).

L’attitude de la Russie à l’égard des Ottomans différait peu de celle des Britanniques. La Russie assurait être le protecteur des fidèles chrétiens orthodoxes de l’empire (Grecs et Serbes étaient l’objet des efforts russes dans les Balkans, tandis que dans les provinces de l’Est, les Russes aidaient les Arméniens). De plus, l’Empire ottoman représentait un obstacle pour la Russie dans son expansion vers le sud, lui bloquant l’accès à la méditerranée. En effet, les détroits (du Bosphore et des Dardanelles) étaient cruciaux pour les Russes.

La France s’était assurée une position dominante dans les domaines ferroviaire et financier, ainsi que dans quelques parties du territoire ottoman, dans l’Est méditerranéen et l’Afrique du Nord. Sa politique consistait à acquérir la Syrie et la Cilicie, dans un premier temps, ainsi que la Palestine, pour le moins dans la première partie de la guerre.

L’objectif fut « d’établir, dans cette région, une sphère d’influence la plus vaste possible » (Dutton, 1998, p. 165).

Parallèlement aux aspirations d’expansion de la France et de la Russie, l’Italie cherchait à gagner davantage de territoires et de concessions dans certaines parties de l’Anatolie et du Sud de la Méditerranée. L’Autriche- Hongrie annexa la Bosnie-Herzégovine, qui était supposée faire partie de

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l’Empire ottoman mais sous occupation de l’Autriche-Hongrie depuis plus de 40 ans. Les Ottomans ne sortirent pas gagnants du contrôle d’une zone sur laquelle ils n’avaient pas exercé leur autorité depuis 1878, mais les Autrichiens avaient gagné en nombre d’habitants (chrétiens orthodoxes)

« ethniquement proches des Russes et de même sang que les Serbes de Bosnie, qui étaient sur le point de passer officiellement sous l’aile de la puissante Église romaine catholique » (Foot, 1956, p. 142). Cela signifiait que l’annexion de ces deux provinces à l’Autriche-Hongrie ne fit qu’accroître les majorités ethniques opposées aux Allemands et Magyars.

L’Allemagne était la dernière arrivée dans cette course. Une fois son unification achevée, en 1817, elle devint une puissance économique et militaire et voulut recevoir sa part, comme le prévoyait la répartition.

Cependant, l’Allemagne avait également besoin d‘alliés et signa, en 1879, une alliance avec l’Autriche, puis plus tard avec l’Italie, formant la Triple Alliance. La France et la Russie, fort inquiètes du programme politique mené par l’Allemagne, créèrent leur propre alliance en 1884 2. La France voulut également inclure la Grande-Bretagne dans cette alliance, pour constituer une sorte de contrepoids à l’Allemagne. En 1904, l’Entente Cordiale entre l’Angleterre et la France fut signée et, grâce à la signature d’un accord avec la Russie, la Triple Alliance fut officiellement ratifiée. C’est à cela que ressemblait l’atmosphère politique à la veille de la Première Guerre mondiale. Les heurts entre les deux blocs allaient se décider dans le théâtre de la guerre.

2 La France et la Russie avaient déjà développé des relations économiques et politiques avant la Première Guerre mondiale. Elles avaient signé des traités de collaborations économiques et militaires bilatéraux.

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L’entrée de l’Empire ottoman dans la Première Guerre mondiale : des liens économiques

mènent à l’alliance politique

Les grandes puissances européennes croyaient que la Première Guerre mondiale allait mettre fin à la « question orientale », une conviction qui s’avéra fondée. Mais, tout au long de la guerre, des efforts pour démanteler l’Empire ottoman faisaient déjà leur chemin. Au lendemain du déclenchement de la guerre, un certain nombre de négociations secrètes conduites par les grandes puissances aboutirent à la signature de traités 3. Lorsque la guerre se termina en 1918, l’Empire ottoman achevait son déclin. Le traité de paix de Sèvres, signé par les Alliés (10 août 1920) consécutivement à l’armistice, démantela « l’homme malade de l’Europe », apportant une conclusion à la question orientale.

Au regard des évolutions décrites ci-dessus, il est facile de comprendre le ralliement des Ottomans aux Empires Centraux dans la guerre. Paral- lèlement à leurs objections quant au programme des Alliés et projet de partition, les Ottomans s’associèrent, dans la guerre, aux côtés de l’Allemagne dans l’espoir de retrouver leurs territoires confisqués par les Européens antérieurement à la Grande Guerre. Les Ottomans avaient

3 Le traité d’Istanbul, signé le 18 mars 1915, fut une série d’assurances secrètes faites par la Triple Entente (Grande Bretagne-France-Russie). La Grande-Bretagne promit, en cas de victoire, de remettre Istanbul et les détroits à la Russie dans le but de conserver pour elle l’Anatolie et le Moyen- Orient. Un mois après, le 26 avril 1915, un nouveau pacte secret vit le jour entre la Triple Entente et l’Italie, dans lequel l’Italie quittait la Triple Alliance pour rejoindre la Triple Entente en retour des îles du Dodécanèse (12 îles détenues par l’Italie depuis 1912) et une partie de l’Anatolie, dans la région méditerranéenne adjacente à la province d’Adalia. En outre, l’accord Skyes-Picot, signé le 16 mai 1916 entre les gouvernements de la Grande-Bretagne et de la France, avec l’assentiment de la Russie, définit leurs sphères d’influence et de contrôle dans le Moyen-Orient, au cas où la Triple Entente devait réussir à vaincre l’Empire ottoman. Un autre accord, celui de Saint-Jean-de-Maurienne, fut signé entre la Grande-Bretagne, la France et l’Italie, le 26 septembre 1917, pour assurer la position des forces italiennes au Moyen-Orient. Ce traité promettait à l’Italie des territoires de la mer Egée et de la Méditerranée. Enfin, par la déclaration de Balfour du 2 novembre 1917, le ministre britannique des Affaires étrangères, Arthur James Balfour, annonça un soutien britannique vis-à-vis d’une patrie juive en Palestine ottomane. Après la défaite des Empires Centraux, les Ottomans ont été contraints de signer l’armistice de Mudros, le 30 octobre 1918, et l’ensemble des terres anatoliennes et territoires du Moyen-Orient de l’empire passèrent sous occupation des Alliées. En outre, avec le déclenchement de la guerre, la Grande-Bretagne réquisitionna les deux navires militaires ottomans, nommés Sultan Osman et Reshadiye, qui étaient sur le point d’être livrés à la marine ottomane par un chantier naval anglais.

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4 Les Allemands crurent que la déclaration de jihad des Ottomans inciterait un soulèvement des musulmans en Grande-Bretagne et en France, facilitant la position des Empires Centraux.

5 Liman von Sanders commanda la première armée à Istanbul puis, plus tard, en Syrie. Le général Hans von Seeckt fut en charge des ressources humaines de l’armée ottomane. Le général von Falkenhayn était commandant en Palestine.

également pensé que l’Allemagne aurait été une forte puissance éco- nomique, militaire et politique pouvant remporter la guerre. La proposition du ministre de la Guerre Enver Pasha pour un rapprochement fut détournée par l’ambassadeur allemand à Istanbul, Hans Von Wangenheim, mais deux jours après l’annonce du Pasha, le Kaiser destitua son ambassadeur.

« À ce jour, remarqua-t-il (l’ultimatum autrichien sur la Serbie ayant été posé la veille), il est dans l’intérêt des Ottomans de prendre avantage de la Triple Alliance par pur pragmatisme » (Trumpener, 1968, p. 15) 4. Au 1er août 1914, deux navires de guerre allemands (le Goben et le Breslau), poursuivis par la flotte britannique, furent autorisés, contrairement aux règles navales de guerre, à se réfugier dans le détroit, tandis que les règles d’engagement définissaient soit le renvoi au port d’attache, soit le désarmement. Au contraire, les navires furent adoptés comme vaisseaux ottomans, renommés Yavuz et Midilli, et les équipages allemands furent coiffés du fez, la coiffe ottomane. Les navires de guerre allemands/ottomans entrèrent dans la mer Noire et attaquèrent les navires et fortifications russes, et bombardèrent Odessa et Sébastopol, le 29 octobre. La compensation ottomane offerte aux Russes en dédommagement fut rejetée, et la Russie déclara la guerre aux Ottomans le 2 novembre, puis, le lendemain, les Anglais et Français répliquèrent. Le 11 novembre, le Sultan riposta en déclarant la guerre et appela à un jihad.

Il y avait en réalité d’autres raisons au ralliement des Ottomans aux Allemands dans la guerre. Les relations politiques et économiques entre l’Empire ottoman et l’Allemagne avaient augmenté depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Fort occupés par la modernisation et la réforme de l’armée ottomane dans la période de l’avant-guerre, les conseillers militaires allemands (Trumpener, 1975 ; Özgüldür, 1993, p. 5-8 et 10-11) représentaient pour les observateurs étrangers la « prussianisation » de l’armée du Sultan. La plupart des hauts officiers militaires ottomans, au moment de la guerre, étaient allemands 5. En addition à cela, les Allemands

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contrôlaient la plupart des quartiers généraux, y compris les quartiers du ministère de la Guerre aux opérations, intelligences, lignes de chemins de fer, approvisionnements, munitions et remparts (Fieldhouse, 2006, p. 39).

De même que les coopérations militaires et politiques, les relations économiques et commerciales s’étendirent après les années 1880.

L’activité économique allemande dans l’Empire ottoman, avant la guerre, était caractérisée par de gros investissements dans les domaines des

« transports publics, les installations électriques, l’industrie agricole et minière, ainsi que par l’accroissement des échanges commerciaux » (Trumpener, 1968, p. 8-9) entre les deux pays. Parmi les compagnies allemandes renommées échangeant avec l’Empire ottoman, on comptait Deutsche Bank of Berlin, Deutsche Orient Bank, Deutsche Palastina Bank, Krupp and Mauser Companies, Siemens Bau A.G., Hamburg-Amerika Steamship Company, Deutsche-Levantinische Baumwollbau-Gesellschaft, et Anatolishe Handels-und Industriegesellschaft (ibid.).

Les Allemands avaient également fortement investi dans les lignes ferroviaires ottomanes. Le chemin de fer Berlin-Bagdad fut construit par l’accord de 1903 entre le gouvernement ottoman et la Compagnie ferroviaire de Bagdad, les droits de concession ferroviaire existants furent confirmés et étendus par l’autorisation d’étendre la ligne jusqu’à la frontière perse, la Méditerranée et le golfe Persique (Kent, 1976, p. 9-11), ainsi que la construction de ports, à Bagdad, Barsac et à l’extrémité du golfe Persique (carte 1). La « pénétration pacifique des terres du Sultan » par l’Allemagne couronnée par les débuts du projet de « chemin de fer de Bagdad », provoqua naturellement des confusions chez les Russes, les Anglais et les Français, qui, chacun, cultivaient « traditionnellement » des intérêts dans l’Empire ottoman et/ou les régions alentour (Trumpener, 1968, p. 5).

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Carte 1. Le chemin de fer, source de conflits pour les empires en présence (source : https://automaticballpoint.files.wordpress.com/2010/02/360327212_orig.jpg).

Le chemin de fer fut finalement le progrès le plus important et le plus caractéristique du XIXe siècle, et la construction ferroviaire dans l’Empire ottoman fut l’un des aspects les plus remarquables de son histoire économique et politique.

Les investissements ferroviaires firent leur entrée dans l’économie ottomane dans les années 1850, dans le cadre d’une expansion des relations commerciales entre la Grande-Bretagne et l’Empire ottoman, ainsi que les pays comme la France et l’Allemagne, suivant les pas de la Grande- Bretagne de façon à amplifier leur influence sur ou dans l’économie ottomane. Les grandes puissances avaient des intérêts financiers 6 et

6 Au cours de la guerre de Crimée avec la Russie (1853-1856), les Ottomans durent emprunter au Britanniques et aux Français pour couvrir leurs dépenses. Les premiers emprunts, qui débutèrent en 1854, furent suivis par d’autres, ce qui mena la Suprême Porte à la faillite, en 1875. Le 20 décembre 1881, par le décret de Muharrem, l’administration de la dette publique ottomane fut créée. Elle comptait huit membres, élus pour représenter les divers obligataires européens des titres ottomans. Ce conseil dirigeait les taxes sur la soie, les timbres, le sel, le poison, etc., et se rendit efficace dans sa tâche de collecte. L’administration de la dette publique contrôla en définitive un quart des revenus de l’Empire ottoman. Avant la guerre, les Français contrôlaient 60 % de la dette totale de l’Empire, tandis que l’Allemagne n’en contrôlait que 24 %, et la Grande-Bretagne 14.

Ainsi, à la veille de la guerre, l’Allemagne et les Empires Centraux – et en particulier l’Allemagne – détenaient une position dominante dans les chemins de fer ottomans, classés à côté de la France dans la finance ottomane, et réalisaient des gains significatifs dans le commerce turc.

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économiques dans l’empire, et parmi ces intérêts, le chemin de fer joua un rôle important ; cela signifiait que les grandes puissances saisirent cette opportunité pour racheter aussi bien les contrats de prêts que les chemins de fer. En outre, à travers les investissements ferroviaires, l‘empire adopta le rôle d’un distributeur de matières premières pour l’Occident, et de client pour ses produits manufacturés.

Les indicateurs économiques et financiers illustrent le fait qu‘antérieurement à 1888 l’Allemagne n’avait aucun intérêt ferroviaire dans l’empire pour les terres anatoliennes 7. Avant la guerre, les Britanniques contrôlaient seulement les chemins de fer de İzmir-Afyon, tandis que la France contrôlait les lignes İzmir-Afyon-Alaşehir (1873-1897) et Manisa-Balıkesir- Bandırma. Ni la Russie, ni l’Italie n’avait de droits d’administration ou de contrôle sur les lignes ferroviaires ottomanes 8.

Cependant, un accord fut signé en 1899 entre l’Allemagne et l’empire par lequel l’administration de la dette publique ottomane joua un rôle important. Cet accord créa une médiation entre le gouvernement et le concessionnaire dans les réseaux routiers et de transports principaux, incluant la ligne Allemagne-Bagdad. C’est en 1903 que la Deutsche Bank obtint la ratification de l’accord pour le projet de la ligne Berlin-Bagdad (Anderson, 1970, p. 142-146), une concession qui devait durer au plus 90 ans et permettre la construction d’un lien ferroviaire entre Konya et Bagdad via Adana, ainsi qu‘Alep et Mossoul. Ces lignes gravissaient de hautes montagnes et traversaient de vastes déserts, le long d’une des plus anciennes et riches routes au monde, là ou passaient auparavant les caravanes, entre l’Inde et l’Europe. Le chemin de fer allait apporter de grands avantages économiques, « rapprochant la nouvelle industrie lourde européenne aux ressources métalliques d‘Anatolie, l’industrie textile liée au coton, à la laine, au chanvre des Balkans et du Moyen-

7 Pour plus d’informations sur ce sujet, voir également Pick (1975).

8 Les chemins de fer de l’Empire ottoman, en 1870, s’étendaient sur une distance de 557 km, et atteignirent 1 372 km en 1890, puis les investissements dans les chemins de fer s’accentuèrent à la fin des années 1890, où ils atteignirent 2 623 km. Les compagnies britanniques avaient construit 440 km, les françaises 1 266 km et les allemandes 1 020 km, entre 1860 et 1898. Il y avait, en 1914, 6 309 km de voies ferrées dans l’Empire ottoman, dont 3 940 km appartenaient à des entreprises étrangères.

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Orient, mais cela permettait également une route pour le pétrole depuis la Perse » (Walsh, 2009, p. 65).

En application des termes de la convention de 1903, le gouvernement ottoman entreprit de financer partiellement la construction du chemin de fer Berlin-Bagdad. Le financement allait devoir être assuré par « la désignation d’une Administration de la dette publique prévue à cet effet, dans certains districts où le chemin de fer devait passer ». Les terres appartenant au gouvernement et nécessaires pour le droit de passage furent attribuées sans compensations aux concessionnaires. Le bois et le bois de charpente nécessaires à la construction et à la mise en place du chemin de fer provenaient des forêts appartenant à l’État sans contrepartie.

De plus, les concessions – exemptes de droits de douane – purent « opérer dans les mines dans une zone de 20 kilomètres de chaque côté de la ligne, sujette aux régulations comme le prévoyait le ministre des Travaux publics » (Earle, 1923, p. 77-78). La compagnie ferroviaire ottomane d’Anatolie, accordée à la concession, fut également autorisée à mener, le long de la ligne ferroviaire, des recherches dans les domaines de l’art et de l’antiquité. La compagnie fut chargée d’apporter un service de ferry efficace, entre Istanbul et Haydarpaşa, afin d’assurer un service de voitures-lits de l’Europe à l’Asie et fournir davantage d’installations pour la circulation (ibid., p. 80).

Ce projet de chemin de fer est apparu quand « l’augmentation de la production industrielle de l’Allemagne a fait de la question des matières premières, des nouveaux marchés et de la sécurité contre les interférences extérieures une question aiguë. L’ingérence extérieure qui menaçait le développement économique de l’Allemagne était l’État qui contrôlait le commerce du marché mondial par son contrôle des mers : la Grande- Bretagne » (Walsh, 2009, p. 64). Le dessein des Britanniques fut d’empêcher tout chemin de fer contrôlé par les Allemands d’atteindre le golfe Persique. Lord Cranbourne, secrétaire aux Affaires internationales, écrivit en 1902 qu’il existait un risque à prolonger le chemin de fer Berlin- Bagdad, ne serait-ce que jusqu’à Basra, à savoir celui d’éroder le commerce anglais mis en place par les marchands et capitaux anglais entre l’Inde et le canal de Suez aux lieux les plus opportuns (Walsh, 2009, p. 60).

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Le projet de chemin de fer Berlin-Bagdad menaçait divers intérêts nationaux sur de multiples fronts : les intérêts français en Syrie (la France, classée au second rang par l’Allemagne dans le domaine des chemins de fer dans l’empire) ; les intérêts britanniques en Égypte et en Mésopotamie, et particulièrement à Basra, étant donné que Basra contrôlait le golfe Persique (cela affectant directement le commerce mondiale), et ainsi le chemin de fer menaça de bouleverser fondamentalement les axes économiques des marchés internationaux en faveur de l’Europe continentale et en faveur des territoires maritimes britanniques (Walsh, 2009, p. 65) ; et les intérêts russes dans le détroit et aux frontières du Caucase et perses. Le projet ferroviaire Berlin-Bagdad fut de grande importance pour l’Empire ottoman.

Étant donné qu’il était la principale artère de trafic pour l’empire, ce projet allait remplir la mission d’unifier le pays, de l’équiper économiquement et politiquement, ainsi que de permettre, en cas de danger pour le gouvernement, d’affronter toute menace extérieure à ses frontières.

Carte 2. Les principales lignes ferroviaires turques, en 1914 (source : DDY.org.tr ; dessin : JP Charrey).

Edirne

Istanbul Zonguldak

Apazari

Bursa Bandirma

Balikesir Kütahya Eskişehir

Ankara Irmak

Kayseri

Adana Gaziantep

Izkenderun

Aleppo Not completed

Sivas Çankiri Amasya

Samsun

Sarikamiş

Erzurum

Erzincan Elazig

Malatya Diyarbakir

Tatvan Van

Kurtalan Mardin

Nusaybin

SCP : Smyrna Cassaba & Prolongements

CFOA : Chemins de Fer Ottomans d’Anatolie ORC : Ottoman Railway Company Baghdad r.

CO : Chemins de fer Orientaux Russian r.

TURKEY MAIN RAILWAYS 1914

Divriği

Karş

Manissa Uşak Aliağa

Eğridir Izmir

Söke Denizli Burdur

Isparta Karaman Mersin Konya Afyon

Ödemiş

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La gare d’Haydarpaşşa et la guerre

Les gares et routes ferroviaires furent cruciales pendant la période de la guerre tant elles furent utilisées pour le transport de biens, de matériels et des armées depuis chaque pays jusqu’au front. Cela fut également le cas pour l’Empire ottoman durant la Grande Guerre. À cet égard, la gare d’Haydarpaşa (photo 1) joua un rôle très particulier, servant de centre d’approvisionnement en équipements et soldats, au sud du front, chose vitale pour la présence ottomane au Moyen-Orient.

Photo 1. La gare d’Haydarpa฀฀a (source : : https://www.archives.saltresearch.org/R/

8VSISAJTG9N1PK5BSKBVIUR3CAMCIM3USX1VIAELVJAV2FHBBK-03682?func=dbin-jump- full&object_id=962604&pds_handle=&pds_handle=GUEST).

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9 À l’origine, en 1872, le bâtiment fut construit en bois. Cependant, il fut détruit dans le tremblement de terre qui se produisit à Istanbul en 1894. Les Allemands s’efforcèrent simultanément de construire un port, ainsi qu’une nouvelle gare ferroviaire à Haydarpaşa. Le port, construit dans le but de contrôler le commerce asiatique, ouvrit en 1903. Ce fut l’accroissement du commerce et du nombre de passagers qui rendit nécessaire la construction de cette gare, entre 1906 et 1908, dans le cadre de la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad.

La gare d’Haydarpaşa, construite grâce à la technologie et aux capitaux allemands entre 1906 et 1908, fut le point de départ de la ligne ferroviaire de Bagdad du côté anatolien d‘Istanbul 9 (photo 2). Les Allemands, en général fort enclins à porter de l‘intérêt aux gares, ont construit à Haydarpaşa une gare monumentale, qui devint le point de départ de la ligne à Istanbul. Deux architectes allemands, Otto Ritter et Helmut Conu, prirent en main ce projet de style néo-renaissance, sur les rives du Bosphore (Kösebay Erkan, 2013). La seule connexion existante du côté européen (gare de Sirkeci) était par mer. Pendant la guerre, le matériel et le personnel arrivant d‘Europe débarquaient à la gare de Sirkeci en premier lieu, puis étaient transportés à la gare d‘ Haydarpaşa par bateau, puis ensuite vers les fronts de l‘Est et du Sud-Est, en Anatolie (photo 3). Tout au long de la guerre, la gare servit de centre administratif aux Allemands, qui supervisaient le transport de marchandises, des personnes et des soldats, puis plus tard, des Austro-Hongrois (Pomiankowiski, 1990, p. 227).

Les tensions constantes de l’empire dans ses engagements militaires amplifièrent avec le temps les faiblesses de ses réseaux de transports internes. Les chemins de fer construits par les compagnies européennes n‘étaient pas interconnectés et intégrés de manière à répondre aux besoins économiques et militaires ottomans. Les diverses lignes ferroviaires étaient discontinues et construites de façon à relier les centres de production aux ports. Au cours de la guerre, ces réseaux de chemin de fer entraînèrent en conséquence de graves problèmes militaires et administratifs, au désavantage des belligérants.

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Photo 2. La construction du chemin de fer de Bagdad (source : Harp Mecmuası, Journal de guerre).

Photo 3. Différents moyens de transport utilisés pour rejoindre les fronts (source : Harp Mecmuası, Journal de guerre).

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L‘un des plus grands obstacles opposés aux efforts de guerre ottomans entre 1914 et 1918 fut, malheureusement, le réseau de transport sous- développé de l‘empire. Le seul lien entre Istanbul, le cœur administratif et économique de l‘empire, et les fronts palestinien, syrien et irakien était constitué par la ligne, fortement tronquée, du chemin de fer Berlin- Bagdad. La ligne reliant Haydarpaşa au Sud de l‘Anatolie (Pozanti) comptait 1 028 km. Chaque jour, huit trains circulant entre Haydarpaşa et Pozanti (Adana) transportaient soldats et matériels depuis Istanbul jusqu‘aux lignes de front, en Palestine et en Irak 10 (photo 4). Au-delà de Pozanti, s‘étend un tronçon ferré de 37 km à travers les monts du Taurus, et un autre de 97 km dans la chaîne de l’Amanus. Ces deux tronçons étaient en construction durant la guerre ; les problèmes financiers et les difficultés de trouver de la main-d‘œuvre pour travailler dans les tunnels pendant la guerre causèrent de sérieux délais. Aussi, au-delà de Pozanti, les transports furent-ils effectués par camions et animaux, sous le contrôle de l‘armée allemande (Pomiankowiski, 1990, p. 227).

Toutes les marchandises expédiées vers les fronts de l‘Est devaient être déchargées à deux reprises et déplacées jusqu’aux sections de lignes les plus proches par des routes de montagne mal équipées. En d‘autres termes, jusqu‘à la fin de la guerre, aucune liaison ferroviaire adéquate ne pouvait transférer les soldats, matériels et équipements militaires à travers les monts du Taurus et de l’Amanus. Les troupes et approvisionnements expédiés depuis l‘Anatolie durent être transportés par mulets, locomotives et automobiles, puis ensuite acheminés à nouveau par des véhicules au sud ou au nord des tunnels non achevés. Depuis Alep jusqu‘au Sud, un certain nombre de lignes ferroviaires, à systèmes d‘écartement de voie différents, furent étendues jusqu‘en Palestine, ainsi que vers le Hejaz, mais les forces ottomanes en Mésopotamie et en Perse se retrouvèrent assez éloignées des terminus provisoires du chemin de fer Berlin-Bagdad

10 Mais cela ne fut qu’un pas dans cette aventure. Il restait six autres étapes afin d’atteindre le front : par exemple, de Pozanti à Çamalan ou à Yenice par la route ; entre Yenice et Mamure par le chemin de fer ; entre Mamure et Islahiye par des voies Decovile ; entre Islahiye et Tern-Rayak par une ligne à voie étroite. Les retards dans la construction des routes ferroviaires dans cette région ont entraîné la pratique de divers types de transport pour répondre aux besoins logistiques des fronts au Moyen-Orient (Genel Kurmay Askeri Tarih ve Stratejik Etüd Başkanlığı, Birinci Dünya Harbinde Türk HarbiI V, V.I, Filistin Cephesi, (Askeri Tarih Yayınları; Ankara 1979), p. 276 and v. IV, p. 66).

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11 La partie du projet de chemin de fer Berlin-Bagdad de Haidar Pasha à Eskisehir et Ankara avait été construite par les Allemands en 1892, dans le cadre du projet ferroviaire anatolien, et avait rejoint Afyon-Konya en 1896. La construction de la partie entre Konya et Adana (Potanzi)- Meydan-ıEkbez-Aleppo-Çobanköy-Nusaybin-Musul jusqu’à Bagdad commença en 1910.

(Trumpener, 1968, p. 68) 11. C‘est seulement après 1917 que l‘on commença à utiliser les trains de travaux pour transporter l’armée depuis Pozanti jusqu’aux monts de l’Amanus, puis au-delà. Tout cela causa des délais d‘acheminement, et beaucoup de biens périssables se détérioraient pendant le trajet, à cause de la durée de transit. Les mouvements de troupes à travers les monts Amanus auraient été rendus possibles dès l‘automne 1915 par voie ferroviaire si l’on avait combiné l’utilisation de trains de travaux et des trains à voie normale. Cependant, ce projet conçu par l‘armée allemande ne put être concrétisé (Pomiankowiski, 1990, p. 259).

Photo 4. L’arrivée d’un train militaire à la gare d’Haydarpa฀฀a (source : Resimli Kitap, 1913, p. 562-563).

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Outre les difficultés mentionnées ci-dessus, les Ottomans souffrirent d‘un manque de livraison de matériels depuis Istanbul vers les capitales des Empires Centraux. Du fait d‘une insuffisance du nombre de routes ferroviaires en Allemagne, Autriche-Hongrie, Serbie et Bulgarie, l‘empire manqua l‘occasion de réunir assez de matériel de support comme il l’escomptait. Certaines denrées alimentaires cruciales, telles que le sucre et le blé (Genel Kurmay Askeri Tarih ve Stratejik Etüd Başkanlığı, 1979, p. 442), ainsi que les matériaux, armes, machinerie, huile, avions, véhicules à moteur, locomotives, bateaux ainsi même que le charbon ne purent être importés qu‘à partir du milieu de la guerre. C‘est seulement après 1916, quand les lignes ferroviaires européennes furent presqu’entièrement opérationnelles, que les Ottomans purent recevoir des biens et des équipements militaires.

Photo 5. Réservistes d’Anatolie arrivant à la gare d’Haydarpa฀฀a (source : Resimli Kitap, 1913).

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Du fait de l‘utilisation exclusivement militaire des liaisons ferroviaires, les villes ottomanes souffrirent également de livraisons en marchandises inadéquates. La rareté des biens de première nécessité, tels que le blé, le pain et le sucre, mena à l’augmentation des prix et en conséquence à toutes les formes d’opportunisme mercantiliste. L‘un des problèmes majeurs auxquels les Ottomans eurent à faire face fut d‘assurer l’approvisionnement d‘Istanbul, en assurant le transport sans obstacle des marchandises depuis l’Anatolie jusqu’à la capitale impériale. Pour surmonter cette difficulté, le gouvernement ottoman prit la décision d‘importer depuis l‘étranger.

La gare de Sirkeci, du côté européen, et celle d‘Haydarpaşa, du côté asiatique, étaient les points de transfert des troupes et des matériaux venus de Berlin vers les fronts de l‘Ouest comme de l‘Est (photo 6). Les seules jonctions entre ces stations furent desservies par bateau, par les forces navales et les transports privés (navires Şirket-i Hayriyye) (Ocakaçan, 2009). À cet effet, deux divisions furent mises en place, proches de la gare d‘Haydarpaşa, pour entreposer carburant et matériel de rechange militaire (Pomiankowiski, 1990, p. 283). De plus, pour un usage militaire et pour compenser les retards d’acheminement, plusieurs stations de transport furent construites à Adana, à Jérusalem, à Hijaz, dans le désert du Sinaï et à Alep (Hatıralar, 1959, p. 308).

Ce fut en 1917 que les Empires Centraux perdirent la main dans la guerre et montrèrent des signes de fatigue. La Grèce déclara la guerre à la Turquie, la Russie joua les provocations, les Anglais prirent Bagdad et les États-Unis déclarèrent la guerre à l‘Allemagne. Il était alors clair, avec la suite des évènements, qu‘une victoire des Empires Centraux était peu probable. Les économies allemandes et ottomanes montraient des signes de faiblesse (Renouvin, 2004, p. 568). La défaite était imminente.

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Photo 6. L’armée allemande à la gare de Sirkeci (source : Resimli Kitap, 1913).

De plus, le 6 septembre 1917, un événement tragique survint à la gare d‘Haydarpaşa : alors que cette gare, un lieu stratégique en pleine guerre, abondait en troupes et en approvisionnements, une explosion immense retentit à 16 h 30, provoquant un incendie qui fit rage jusqu‘à minuit (photo 7). L‘équipement militaire, le matériel et les soldats envoyés depuis l‘Allemagne à la gare d‘Haydarpaşa pour être transférés à l‘armée d’Yıldırım sous les ordres du général Freiherr von Falkenhayn sur le front de Palestine et dans l‘espoir d’obtenir la reprise de Bagdad, furent totalement détruits. Leur expédition ne put être faite qu‘après trois jours, le 9 septembre, et le reste en novembre. Parmi les pertes, un grand nombre de personnels militaires et de matériels furent perdus, ainsi que des civils et des personnels de la gare. Tous les entrepôts furent détruits dans l‘incendie (Demirel, 2011, p. 249 ; Yılmaz, 1993, p. 79). L‘explosion aggrava la situation déjà délicate de l‘effort militaire ottoman, causant des graves conséquences pour son front de Mésopotamie. D‘après les archives ottomanes, l‘incident était dû à un accident professionnel 12.

12 BOA Dahiliye Nezareti Kalemi Mahsus Evrakı, document issu du ministère des Affaires intérieures, dossier n° 45-36l.

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13 BOA Hariciye Nezareti, Siyasi Kısım, dossier n° 24441-60.

Photo 7. L’explosion de la gare d’Haydarpa฀฀a, le 6 septembre 1917 (source : Haberturk.com.tr).

Cependant, des rumeurs accréditèrent l‘idée selon laquelle l‘accident résultait d‘un sabotage. Les Allemands considérèrent l‘accident comme un secret militaire, tandis que les Ottomans censuraient l‘incident dans la presse, réduisant son ampleur et lui accordant seulement quelques lignes dans les journaux. Cela dit, la presse internationale rapporta l‘acccident dans toute sa dimension, le décrivant comme une « catastrophe terrible », et dénombrant 20 000 morts 13. Sabotage ou non, l‘accident démontra clairement l‘inadéquation des mesures de sécurité mises en place et handicapa fortement l‘offensive militaire du front du sud.

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Conclusion

Pendant plus d‘un siècle et demi, la question orientale fut l‘une des sources de conflits les plus soutenues et les plus déplorables entre les grandes puissances européennes. La Première Guerre mondiale fut l‘une des étapes finales de cette question vieille de plusieurs siècles. L‘empire ottoman et ses alliés, les Empires Centraux, perdirent la guerre, et l‘empire fut démantelé.

Les faiblesses du réseau de transport ottoman, augmentées en particulier par les déficiences persistantes du réseau ferroviaire, désavantagèrent les Ottomans. Un meilleur système de transport aurait été nécessaire pour faciliter l‘exportation de matériels et denrées agricoles. Cela aurait permis également à l‘empire d‘exercer un contrôle plus efficace sur les provinces les plus reculées, et maintenir l‘ordre et la paix. De plus, grâce à un système de transport plus efficace, l‘Empire aurait pu conserver sa capacité à mobiliser et à expédier les troupes vers la ligne de front, ce qui aurait été vital pour sa survie. Achever la ligne jusqu’à Bagdad fut en cela un point crucial dans la stratégie des Empires Centraux pour s’opposer aux desseins politiques, économiques et militaires des Alliés au Moyen-Orient. D‘aprèsEarle, « dans les aspects politiques, le chemin de fer Berlin-Bagdad fut plus qu‘une simple ligne ferroviaire. C’était une grande étape de la course diplomatique pour l‘hégémonie, un pion dans le grand jeu entre l‘Alliance et l‘Entente, un élément dans la rivalité anglo- allemande sur les mers » (Earle, 1923, p. 27).

La gare d’Haydarpaşa, construite en 1908 comme élément du projet de chemin de fer Berlin-Bagdad, devint une base d‘opérations militaires, en abritant quartiers généraux, entrepôts, ports, écoles et centres médicaux tout au long de la guerre. Cependant, les lignes incomplètes, qui devaient originellement relier Haydarpaşa au front du sud, furent un obstacle majeur aux efforts de guerre ottomans. Par ailleurs, l‘explosion qui retentit à la gare en 1917 et les délais qui en résultèrent rendirent la situation encore plus difficile. Les transferts de biens et l’approvisionnement militaire furent sévèrement perturbés sur tous les fronts. Ce fut particulièrement le cas du front palestinien, qui fut gravement affecté par cet événement malchanceux et tragique, altérant en quelque sorte le cours de la guerre.

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Cette étude étant réalisée dans le cadre du centième anniversaire de la Première Guerre mondiale, on peut affirmer que le rôle, l’importance et l’influence de l‘empire dans la Grande Guerre ont insuffisamment été pris en compte dans les travaux scientifiques. Cette recherche contribue à enrichir la littérature dans ce domaine.

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Références

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