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1775 : l’abolition de la contrainte solidaire en France 

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1775 : l’abolition de la contrainte solidaire en France 

Marie-Laure Legay

To cite this version:

Marie-Laure Legay. 1775 : l’abolition de la contrainte solidaire en France . Benoît Garnot. Justice et argent, Les crimes et les peines pécuniaires du XIIIe au XXIe siècle, 2005. �hal-01706006�

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1775 : l’abolition de la contrainte solidaire en France

Justice et argent, Les crimes et les peines pécuniaires du XIIIe au XXIe siècle, Editions Universitaires de Dijon, collection Sociétés, 2005, p. 189-198.

La déclaration du 3 janvier 1775 abolit la contrainte solidaire pour le paiement des impositions royales

1

. Cette mesure prit place dans un ensemble de dispositions visant à établir une plus grande justice fiscale dans le royaume. Rappelons que l’usage de la contrainte solidaire fut très précisément réglementé au temps de Sully, lorsque ce ministre autorisa les receveurs de taille à délivrer des contraintes contre les principaux habitants des paroisses en cas de rébellion, de défaut de nomination des collecteurs ou d’insolvabilité constatée de ces derniers

2

. Nécessaires pour garantir le bon recouvrement des deniers royaux, les jugements de solidité devinrent néanmoins peu utiles lorsque les intendants furent pourvus d’attributions tutélaires sur les paroisses et les communautés d'habitants. Cependant, la décision de Turgot de supprimer ces contraintes au nom de l’inspiration physiocratique n’en fut pas moins audacieuse car elle exposait l’administration royale au risque de voir les plus riches contribuables se désengager de la collecte, et surtout, elle supposait une responsabilité politique plus grande des communautés, amenées à s’affranchir du principe ancien de solidité pour revêtir les atours neufs de la municipalité.

Trois raisons principales, outre la qualité des sources qu’il nous a été donné de consulter, nous ont amenés à présenter cette étude sur l’abolition de la contrainte solidaire dans le cadre de ce colloque. En premier lieu, elle révèle la diversité des pratiques de contrainte exercées sur les contribuables d’une province à l’autre. Les Français n’ont pas vécu la même justice fiscale en Bretagne, Bourgogne, Dauphiné, Languedoc, Normandie, Ile-de- France, Provence…. et certaines provinces d’Etats en particulier, en expérimentant des formes juridiques de prélèvement moins arbitraires et en reconnaissant plus nettement la responsabilité des corps politiques municipaux, ont pu servir de modèles au ministre de Louis XVI. L’étude met également en scène les parlements dont la jurisprudence, en matière de contrainte solidaire, s’opposa systématiquement à la loi de 1775. Les cours souveraines prononcèrent des jugements de solidité pour règlement de frais de procès des communautés, jugements qui entraient en contradiction avec la volonté de l’exécutif royal de faire cesser ce type d’iniquité. Enfin, la question de la contrainte solidaire fut à l’origine d’un processus législatif original à la fin de l’Ancien Régime, celui d’une rédaction, commune aux ministres et aux Magistrats du Parlement de Paris, d’une seconde loi susceptible d’unifier les pratiques exécutives en cette matière.

Ainsi, l’abolition de la contrainte solidaire constitue à nos yeux un dossier aux multiples lectures possibles, à la jonction des problématiques d’ensemble sur la justice, le despotisme et les finances à la fin du XVIIIe siècle.

Pratiques de la contrainte solidaire en France au XVIIIe siècle

Les sources nous permettraient de revenir dans le détail sur les pratiques de la contrainte solidaire dans les provinces françaises. Plutôt que de présenter l’ensemble des

1 A.N., H1 1635, pièce 278, Declaration du Roy portant abolition des contraintes solidaires contre les principaux habitans des paroisses pour le paiement des impositions royales, excepté en cas de rébellion, 3 janvier 1775.

2 Il s’agit des trois cas évoqués dans les règlements sur les tailles de 1600, de 1634 et 1663.

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règlements en vigueur, nous avons préféré insister sur les caractéristiques majeures permettant de distinguer les régimes d’une province à l’autre.

Le cas général

Nous serons bref sur les aspects déjà connus : en général, la contrainte solidaire s’appliquait lorsque tous les recours prévus par les règlements étaient épuisés. Si après plusieurs commandements du receveur de taille, visés et taxés par les officiers de l’élection, les communautés restaient arriérées, on obtenait d’abord des élus la contrainte contre les collecteurs. Mais si l’huissier constatait sur les rôles que le retard de paiement était dû à l’insolvabilité absolue de ces derniers, le receveur pouvait solliciter de l’élection une contrainte contre les biens des quatre (ou six) principaux habitants, en vertu du principe selon lequel la taille est une dette de chaque paroisse et non de particuliers

3

. Normalement, ce recours ultime contre les plus hauts cotisés ne s’exerçait qu’à l’encontre de leur biens meubles. Le droit public français défendait aux administrateurs d’emprisonner les particuliers s’il n’y avait un quelconque délit

4

. Cette loi générale concernait la grande majorité du territoire français, même si, çà et là dans les provinces d’Etats, les règlements différaient quelque peu.

Au XVIIIe siècle, la mise en œuvre de la contrainte pour défaut de paiement des impositions royales contre les principaux habitants était rare. L’on relève néanmoins quelques cas de condamnations solidaires, comme dans la paroisse de Neuilly, en Ile-de-France, assignée en solidité en 1729

5

. En pays de Bresse, où le régime général était appliqué aux 230 communautés, l’intendant Dupleix ne comptabilisa que six procédures de cette sorte en vingt ans. Dans les pays de Bugey, Valromey et Gex, qui totalisaient 226 paroisses, trois cas furent recensés dans le même temps

6

. Dans la généralité de Montauban, Terray ne releva qu’un cas en dix ans

7

. En Artois, pays d’Etats, les règlements provinciaux de 1677 et 1706 prévoyaient également la contrainte solidaire sur les principaux habitants des villages, au cas où la saisie des meubles et bestiaux des contribuables défaillants demeurait insuffisante, mais très peu d’affaires de cette nature ont été identifiées

8

. Il faut dire que, des trois cas pour lesquels la solidité était prévue, celui de rébellion n’advint quasiment jamais au XVIIIe siècle, celui de défaut de nomination des collecteurs demeurait improbable, étant donnée la surveillance exercée par les administrateurs provinciaux sur les paroisses. Seul le cas d’insolvabilité des collecteurs pouvait effectivement voir aboutir la procédure, et même dans cette situation, l’on procédait plutôt par réimposition sur l’ensemble de la paroisse, comme les arrêts des 4 juillet 1664, 5 janvier 1665 et 14 mars 1676 le permettaient. En revanche, les jugements de solidité pour règlement de frais de procès des communautés étaient plus fréquents dans l’ensemble du royaume. Pour pallier la défaillance d’une communauté condamnée aux dépens, bien des particuliers obtinrent de la justice royale la saisie exécutoire des biens des plus hauts cotisés.

On trouvera de nombreux exemples dans les sources locales et nationales

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. A Etaples en Boulonnais par exemple, le laboureur Jacques Compiègne fut condamné à acquitter 6 198

3 Sur ces aspects, voir Edmond Esmonin, La taille en Normandie au temps de Colbert (1661-1683), Paris, Hachette, 1913, p. 495 et sq.

4 Voir Guy Coquille, Institution du droict des François, Paris, A. L’Angelier, 1607, p. 21-22.

5 B.N., NAF 2603, f° 173 r°, lettre de Harlay, 23 mars 1729.

6 A.N., H1 1635, pièce 234.

7 A.N., H1 1635, pièce 263, lettre de l’intendant Terray, 26 février 1775.

8 Marie-Laure Legay, « Le prélèvement fiscal dans les Pays-Bas français au XVIIe siècle (1660-1715), in actes du colloque L’impôt des campagnes, 2 et 3 décembre 2002, Comité pour l’histoire économique et financière, à paraître, 2004.

9 Pour ces dernières, voir les dossiers H1 1635, 1636 et 1637 des archives nationales.

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livres en 1774 pour régler les frais d’un procès dans lequel sa paroisse avait succombée, sans être lui-même constitué partie dans cette instance

10

.

Il apparaît donc clairement que, vis-à-vis des deniers royaux (à distinguer des frais de procès), la loi de 1775 abolissant la contrainte solidaire actualisait une législation tombée en désuétude sans avoir de réelles conséquences sur les habitants. Néanmoins, l’acharnement du Conseil à la défendre après 1775 révélera

a posteriori cette loi comme une profession de foi

libérale des plus symptomatiques de son temps.

Les cas particuliers

Certaines provinces échappaient à la loi générale. En Lorraine, selon l’intendant de La Galaizière, les contraintes n’étaient jamais solidaires et n’étaient mises à exécution que contre les contribuables défaillants

11

. Ailleurs, les commissions de taille pouvaient toujours mentionner le droit de décerner des contraintes solidaires, mais elles laissaient aussi la possibilité aux administrateurs d’agir en cette matière « selon l’usage de la province ». Ainsi dans le Dauphiné, un receveur de taille lésé préférait-il faire ordonner une réimposition du débit sur l’ensemble de la paroisse

12

. En Artois, les Etats optaient plus sûrement, comme en Lorraine, pour une rigueur exercée contre les contribuables insolvables eux-mêmes, souvent emprisonnés.

Indépendamment des textes réglementaires, il faut surtout insister sur les particularités politiques de certaines provinces. En premier lieu, l’on doit rappeler la spécificité du gouvernement des Etats provinciaux, non que leurs règlements variaient fondamentalement des lois générales au XVIIIe siècle, mais ces assemblées avaient une culture politique différente de celle des administrateurs centraux. Dans cette culture politique entrait, avec plus ou moins de force selon les Etats, le principe du « doux gouvernement » où la rigueur judiciaire devait en quelque sorte être atténuée par les bons offices que l’assemblée accordait à ses administrés. L’on retrouve cette sensibilité politique en Bretagne par exemple, où les cas de jugement de solidité prévus par les textes n’avaient pas lieu, essentiellement parce que l’assemblée prenait soin de limiter la rigueur fiscale en accordant de nombreuses décharges, au besoin en finançant les non-valeurs sur ses fonds. En 1775, l’intendant Caze de La Bove insista sur la modicité des sommes prélevées dans la province dont il avait la charge, non seulement à propos des fouages, mais aussi à propos des vingtièmes et de la capitation. Le collecteur n’y était pas tenu pour responsable de l’insolvabilité d’un contribuable qui obtenait aisément des ordonnances de modération ou de décharge. Dans le cas d’une défaillance du collecteur lui-même, les poursuites contre lui n’étaient guère poussées très loin non plus et l’on vit plus d’une fois, nous informe Caze de La Bove, « les Etats remplir ces déficits avec leurs hors fonds ou reporter ces sommes dans leur état de fonds »

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. Au demeurant, il suffit de parcourir les innombrables requêtes instruites par les assemblées provinciales pour se rendre compte de l’importance des procédures de remises dans l’administration des Etats.

Le deuxième type de particularités de ces provinces tenait précisément dans cette organisation générale des institutions qui, tout en s’emboîtant les unes dans les autres en une pyramide d’assemblées (municipalités, assemblées de diocèses, assemblées de province), conservaient une autonomie certaine de la gestion des fonds publics. Cette responsabilité financière s’accompagnait nécessairement d’une responsabilité politique des administrateurs locaux. En Bretagne, en Languedoc ou dans la généralité de Montauban, le choix des collecteurs par les délibérants des paroisses était libre. Dans les généralités de Montpellier et

10 A.N., H1 1636, pièce 25.

11 A.N., H1 1635, pièce 271, lettre de l’intendant La Galaisière, 24 février 1775.

12 A.N., H1 1635, lettre de Pajot, 10 mars 1775.

13 A.N., H1 1635, pièce 252, lettre de Caze de La Bove, 31 mai 1775.

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Toulouse, l’on procédait en partie par adjudication et les candidats devaient présenter des cautions solides pour remporter le marché. L’absence de tour de rôle (l’ordre des tableaux) engageait donc la responsabilité du corps politique municipal et en cas de défaillance des collecteurs, ce dernier supportait le rejet du déficit. De même en Bretagne, les douze délibérants de chaque paroisse, mandants des collecteurs, étaient tenus pour collectivement responsables devant le receveur diocésain.

Ainsi, l’enquête menée par l’administration Turgot dans les provinces pour connaître les différentes modalités d’application de la contrainte solidaire fit apparaître les avantages réels à supprimer cette procédure en obligeant en contrepartie les délibérants, et non plus les seuls quatre ou six plus hauts cotisés, à supporter les dépens.

Les objectifs de la loi de 1775 : une profession de foi physiocratique Faire cesser les injustices les plus criantes

Il est aisé de cerner les objectifs de la loi du 3 janvier 1775. En premier lieu, l’administration royale se préoccupa de faire cesser les injustices les plus flagrantes. Rares au temps de Louis XVI, les cas d’iniquité semblent avoir été plus fréquents sous les règnes précédents, du fait notamment de « la suscitation (sic) des seigneurs et autres gens puissants de nommer des collecteurs insolvables auxquels ils donnent des indemnités et promettent que lorsqu’ils seront prisonniers, ils leur donneront de quoi subsister »

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. Au temps des premiers Bourbons, la législation royale avait tenté de protéger les taillables de la tentation des puissants de préserver leurs immunités. Dans les pays de taille réelle notamment, les biens que les nobles faisaient valoir par leurs mains pouvaient être soumis à la taille. Dans le cas de l’Artois par exemple, nous avons montré l’ampleur des fraudes pratiquées par les nobles dans leurs déclarations de biens au collecteur

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. Les membres du second ordre tendaient également à multiplier les demandes d’exemption et l’instruction de leurs requêtes demandait au moins une année entière aux administrateurs locaux. Des contentieux entre les communautés d’habitants et les nobles particuliers existaient donc et pouvaient faire succomber une paroisse entière dans le paiement de ses charges en attendant la fixation des quotes-parts des privilégiés.

Néanmoins, l’essentiel de la philosophie de la loi ne se trouvait pas dans cette préoccupation première qui ressortait du devoir du roi d’être juste.

Préserver les citoyens utiles

Turgot eut pour principal souci, en abolissant la contrainte solidaire, de préserver les efforts de l’agriculteur des aléas de la conjoncture. Malgré les précautions prises par les règlements en effet, les accidents climatiques ou économiques plongeaient parfois les communautés rurales dans de douloureuses situations financières et soumettaient les fermiers les plus utiles à la Nation à des prélèvements improductifs.

Quel dérangement cette exécution solidaire ne peut-elle pas occasionner dans la fortune des malheureux taillables qui ont déjà bien de la peine à payer leurs cottes. Ces maux ne sont pas aussi sensibles aux environs de paris et dans les provinces de grande culture ou l’on peut souvent trouver des fermiers en état de faire des avances. Mais dans les provinces ou l’argent est peu

14 Citation de l’article 34 du règlement des tailles de 1634.

15 Marie-Laure Legay, « Le prélèvement fiscal dans les Pays-Bas français au XVIIe siècle (1660-1715), in actes du colloque L’impôt des campagnes, 2 et 3 décembre 2002, Comité pour l’histoire économique et financière, à paraître, 2004.

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abondant et ou la culture est abandonnées à de petits métaïers, ces contraintes solidaires peuvent opérer la ruine d’une paroisse et y occasionner les plus grands désordres pour la culture16.

La profession de foi physiocratique apparaît clairement ici

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. Elle était relayée dans l’opinion publique par de nombreux auteurs de l’Ecole comme Le Trosne, mais également par des économistes moins inféodés à celle-ci, comme Claude Dupin qui rappela dans ses

Oeconomiques que François Ier défendit en 1543 d’user de contraintes solidaires contre les

particuliers, de les emprisonner, ni de saisir leurs immeubles, bœufs, chevaux, charrues et autres instruments rustiques

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. La loi de 1775 doit donc se lire comme une mesure qui, parmi d’autres, cherchait à établir l’immunité de la culture et à promouvoir l’individualisme social.

Former des corps municipaux responsables

Dès lors que les servitudes communautaires prenaient fin, il fallait néanmoins prévoir de garantir le recouvrement des impôts d’une autre manière, et ce d’autant plus que le Contrôle général des finances espérait joindre l’ensemble des impôts directs dans un même et unique rôle. Les discutions préparatoires à la loi firent donc apparaître la nécessité de former des corps politiques responsables de la nomination des collecteurs et garants de leur solvabilité :

Il seroit peut-être sage, pour les prévenir (les inconvénients) d’assujettir les collecteurs à une surveillance qui seroit confiée dans les villes et les bourgs ou il y a municipalité au corps municipal, et dans les autres paroisses aux syndics et deux notables parmi ceux qui auroient déjà passé à la collecte… On pourroit contraindre ces surveillants à payer une portion du débet des collecteurs, telle que le tiers ou le quart ; après néanmoins que les collecteurs auroient discutés dans leur personne et dans leurs biens… Cela formeroit une petite municipalité dans chaque paroisse de campagne, éclaireroit les esprits sur leurs intérêts, établiroit de l’ordre »19.

Comme en Dauphiné, l’on souhaitait obliger les officiers de communauté à surveiller les collecteurs et les rendre, au cas où ils négligeraient de le faire, responsables du divertissement envers la communauté.

Il est intéressant de souligner que la promotion des municipalités, à l’ordre du jour depuis la réforme Laverdy, se concevait au Contrôle général des finances pour l’ensemble des paroisses, tant urbaines que rurales. Au demeurant, sept ans avant Turgot, Laverdy s’était penché sur cette question de la contrainte solidaire qu’il avait souhaité également abolir

20

.

Les difficultés d’application de la loi

La jurisprudence des parlements

Si la suppression semblait aller de soi pour le Contrôle général des finances, telle n’était pas néanmoins la position des cours souveraines de justice. Celles-ci admettaient en particulier l’usage de prononcer des condamnations solidaires contre les plus hauts taxés des communautés lorsqu’elles avaient succombées dans un procès et qu’elles n’avaient pas de

16 Idem, pièce 248, « Mémoire sur les contraintes solidaires en matière d’imposition ».

17 Sur l’ensemble de la législation physiocratique au temps de Turgot, voir Georges Weulersse, La physiocratie sous les ministères de Turgot et de Necker (1774-1781), Paris, P.U.F., 1950, particulièrement les p. 67-69.

18 Claude Dupin, Les Oeconomiques, 1745, publié par Marc Aucuy, t. II, Paris, Rivière, 1913, p. 308.

19 A.N., H1 1635, pièce 248.

20 A.N., H1 1635, pièce 312, note interne concernant un mémoire sir les contraintes que Laverdy fit transmettre à Maupeou, alors premier président du parlement, le 26 septembre 1768. Ce mémoire était accompagné d’une note du ministre soulignant les inconvénients des condamnations solidaires.

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fonds suffisants. Si les cours procédaient ainsi, c’est qu’elles profitaient de la faiblesse de l’authenticité des prérogatives de l’intendant. En effet, les arrêts du 4 juillet 1664, 5 janvier 1665 et 14 mars 1676 qui établissaient la possibilité de procéder par réimposition du débit sur avis de l’intendant, n’avaient pas été revêtus d’une déclaration royale

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. Le Contrôleur général Bertin répara cet oubli par la déclaration du 13 avril 1761, mais les cours n’en continuèrent pas moins à saper les compétences judiciaires du commissaire départi. Dès lors, le conflit d’intérêt entre Magistrats et commissaires devint manifeste et ralentit l’extinction des condamnations solidaires dans le royaume. A maintes reprises, le Conseil dut casser les arrêts de condamnations des principaux habitants prononcés par les parlements. Avec une certaine lassitude, les administrateurs centraux déplorèrent l’attitude retorse des cours :

Encore un arrêt de cour souveraine qui condamne un particulier à païer des dépens prononcés contre une communauté entière. Il doit incontestablement être cassé. Cela ne fait plus de question au Conseil, comme on peut s’en convaincre par les mémoires en observation22.

En tout, une soixantaine d’arrêts prononcés par les parlement de Paris, de Besançon, de Dijon, de Douai, de Rouen, de Toulouse… entre 1770 et 1789 furent cassés

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. Il est vrai que l’interprétation des textes législatifs était délicate. Prenons l’exemple du procès qui opposa la communauté d’Eslincourt (Cambrésis) au seigneur de Premont. La banalité du moulin seigneurial fut contestée par les habitants qui entrèrent en révolte et causèrent des dommages au bâtiment. Le parlement de Douai prononça une première condamnation contre les échevins à hauteur de 10 000 florins. Mais de Prémont attaqua individuellement le laboureur Maronnier, syndic du village, et comme la vente des meubles et effets de ce dernier ne suffit pas à couvrir les dommages et intérêts, le seigneur se pourvut contre plusieurs autres habitants, en vertu de l’arrêt du 10 septembre 1671 spécifiant qu’au cas où plusieurs condamnés seraient jugés pour une même sentence, la taxe pouvait être exécutée solidairement

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. Le parlement revint donc sur son premier jugement contre les échevins et condamna des particuliers, sentence jugée « injuste » et cassée par le Conseil.

De quel côté se trouvait la justice ? Une fois de plus, l’attitude des parlementaires français du XVIIIe siècle laisse perplexe. L’on ne doit pas néanmoins la juger trop vite. Nul doute que les Magistrats soient restés insensibles aux arguments physiocratiques de la loi de 1775. Cependant, l’on apprend par une pièce du dossier que « si le parlement de Dijon n’a pas enregistré la loi de 1775, non plus que tous les autres parlements, celle-ci [était] suivie en général »

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. Dès lors, l’on ne peut conclure à la mauvaise volonté systématique des Magistrats. Leur jurisprudence entra en contradiction avec la loi nouvelle du Conseil pour trois raisons essentiellement : lorsque la communauté condamnée aux dépens restait sciemment dans l’inaction et empêchait donc l’application de la sentence, lorsque qu’il s’agissait de confirmer les jugements de première instance et enfin lorsque les prérogatives de réimposition de l’intendant étaient mal établies. Il n’y a guère que dans ce dernier cas que les parlementaires pouvaient être soupçonnés d’esprit de parti.

Au demeurant, il est assez curieux d’observer les tentatives d’harmonisation des jurisprudences sur cette question à la fin de l’Ancien Régime. Afin de concilier les points de

21 Idem, pièce 317. Les arrêts de 1664 et 1665 permettaient aux cours des aides et élections d’ordonner la réimposition sur l’ensemble de la paroisse et sur une ou plusieurs années si le rejet était supérieur à 500 livres, mais après avis de l’intendant. L’arrêt du 14 mas 1676 défendait expressément aux élus de faire des rejets sans en avoir rapporté au commissaire départi, mais autorisait le rejet s’il était inférieur à 200 livres, toujours sur avis de l’intendant.

22 A.N., H1 1636, pièce 6.

23 Dossiers H1 1635, 1636 et 1637.

24 A.N., H1 1636, pièce 4, dossier Eslincourt, 1784.

25 Idem, pièce 262, dossier Loyette, 1786.

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vue, Necker réitéra en 1779 l’initiative prise en 1768 par Laverdy. Ce dernier avait tenté de soumettre le premier président du parlement de Paris à ses vues, mais sans succès. Necker envoya à son tour un projet de déclaration au parlement pour observation :

Tout sembloit annoncer que cet objet alloit être terminé lorsque le 8 avril 1783, vous (le garde des sceaux) mandater à mon prédécesseur (le Contrôleur général des finances) que le denier projet avait été examiné par M. le premier Président, M. le procureur général et M. d’Ammecourt et que le résultat de cet examen avait été d’en dresser un autre que vous lui faisiez parvenir avec le précédent26.

Une sorte de navette législative s’établit donc entre 1779 et 1785 entre les ministères et le parlement, sans que cependant un texte de loi définitif n’ait pu être rédigé sur les moyens d’éteindre une dette de communauté sans passer par la condamnation solidaire.

Les réticences des administrateurs provinciaux

La réticence des Magistrats à adopter la déclaration de 1775 s’explique également par la volonté de maintenir l’application des lois provinciales. En cela, leurs préoccupations ont pu rejoindre celles des assemblées d’Etats, compétentes pour l’exécution des contraintes fiscales. A la fin du XVIIIe siècle, les Etats s’étaient en général dotés d’un arsenal juridique complet pour se prémunir contre les contribuables défaillants. En d’autres endroits, nous avons évoqué ce « despotisme provincial », tant il est vrai que les assemblées, subrogées dans les droits du roi, finirent par calquer leur législation sur celle du souverain et étendre leurs pouvoirs exécutifs sur les administrés. Le pouvoir central pouvait-il à la fois réclamer des Etats provinciaux le prompt paiement des impôts au roi, lui déléguer pour ce faire une puissance fiscale co-active et abolir par ailleurs le recours à la contrainte solidaire ?

Les mêmes doutes travaillaient les commissaires départis, inspecteurs et administrateurs de tutelle des communautés d’habitants dans les pays d’élections. Les intendants de Bourgogne, en particulier, furent confrontés à plusieurs reprises à la nécessité d’admettre le recours contre des particuliers pour pallier la mauvaise volonté des communautés à payer ce qui restait dû. Condamnés aux dépens dans un procès portant sur la possession d’une fontaine, les habitants d’Igé en Maconnais tentèrent de se soustraire aux commandements qui leur avaient été faits. Trois habitants furent donc poursuivis par le parlement (arrêt de condamnation solidaire du 21 septembre 1779). Dans cette affaire, l’intendant Dupleix justifia pleinement la décision prise par les Magistrats, estimant qu’il n’existait aucun autre moyen de lutter contre l’inertie des habitants

27

. Plus tard en 1784, l’intendant Amelot prit l’initiative de prononcer solidairement la contrainte contre les quatre principaux habitants de la communauté de Darcey, en Bourgogne, sans égard pour l’esprit de la loi de 1775. Comme les arrêts des parlements, son ordonnance fut infirmée par le Conseil au nom de principes supérieurs de justice dictés par le pouvoir central:

On a pensé que la communauté de d’Arcey méritoit une faveur… Si les habitants de Darcey se refusent à l’imposition lorsque M. Amelot l’aura ordonné simplement sur le général des habitants, alors ce Magistrat avisera aux moïens les plus propres de les contraindre au païement d’une dette qu’ils ont contracté, mais il ne pourra dans tous les cas prononcer contre quelques individus une condamnation qui doit porter sur le corps entier28.

26 A.N., H1 1635, pièce 342, brouillon d’une lettre de Calonne au garde des sceaux, 3 mai 1785. Il s’agit de Lefevre d’Ammecourt, conseiller de Grand’chambre au parlement de Paris.

27 A.N., H1 1636, pièce 149, avis de Dupleix, 28 janvier 1779.

28 A.N., H1 1635, pièce 61, « Observations », 1784.

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Ces instructions cependant ne précisaient pas quels moyens alternatifs le commissaire départi était en droit d’utiliser.

Ainsi, la portée de la loi de 1775 supprimant la contrainte solidaire doit être appréciée à sa juste mesure. Certes, nous l’avons montré, la taxation des plus hauts cotisés jugés solidaires d’une paroisse entière n’était que rarement prononcée au XVIIIe siècle. Les règlements fiscaux permettaient bien des recours avant d’en arriver à cette extrémité. En ce sens, l’abolition de la condamnation solidaire n’eut guère de conséquences juridiques majeurs pour les Français. Cependant, l’enquête a également mis en évidence la constance avec laquelle les administrateurs centraux défendirent l’esprit de cette loi. C’est dans cette persévérance que l’on en apprécie la valeur car elle s’explique non seulement par la volonté de défendre le système physiocratique, mais plus généralement par la conviction des ministres d’agir selon les principes supérieurs de la justice. Ces principes supérieurs furent opposés à la fois aux cours souveraines et aux intendants. Néanmoins, la force du droit ancien eut raison de la philosophie administrative nouvelle. Les agents provinciaux de l’Etat, parfaitement soumis à la logique judiciaire mise en place au temps de Sully puis de Colbert, après un siècle d’adaptation, ne relayèrent pas avec suffisamment de promptitude les nouvelles dispositions de pouvoir central. La promotion de l’équité fiscale souffrit moins, dans ce cas, de la mauvaise volonté politique des administrateurs que du fonctionnement administratif d’un Etat trop centralisé.

Marie-Laure Legay

Université Charles-de-Gaulle Lille III

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