INFECTIONS
A ARBOVIRUSEN TUNISIE
:NOUVELLE ENQUÊTE
SÉROLOGIQUECHEZ
LESPETITS
MAMMIFÈRES SAUVAGESPar C. CHASTEL
(1),
D. BACH-HAMBA(2), H. LAUNAY (3),G. LE LAY (1), H. HELLAL (4) & J. C. BEAUCOURNU(3) (5)
RÉSUMÉ
Les sérums de 103 petits mammifères sauvages (rongeurs, insectivores, microchirop- tères), capturés en plusieurs régions de Tunisie au début de 1980, ont été examinés vis-à-vis
de 15 arbovirus. En inhibition de l'hémagglutination,des réactions positives ont été obtenues avec le virus Dengue type 2 (2,2 0/0), Tahyna (18,4 0/0), Arumowot (42,7 %) et fièvre à phlébotomes type Sicile (31 0/0)' Aucun anticorps n'a été décelé pour 8 arbovirus transmis par des tiques. Ces résultats montrentpar rapport aux enquêtes précédentes réalisées dans
ce pays, le déclin du virus WN et au contraire l'émergence du virus TAH. L'existence de
cycles sauvages faisant intervenir des micromammifères dans la circulation des deux phle-
bovirus paraît vrat*semblable.
Mots-clés : ARBOVIRUS, ENQUÊTE SÉROLOGIQUE, PETITS MAMMIFÈRES SAUVAGES,
TUNISIE.
SUMMARY
New serosurvey on arbovirus infections in small wild mammals of Tunisia.
Sera of 103 small wild mammals (rodents, insectivora, cheiroptera) trapped at the beginning of 1980 in different areas of Tunisia were studied for antibody against 15 arbo- viruses.
In
inhibition haemagglutinationtests, positive reactionswere found against Dengue type 2 (2.2%),
Tahyna (18.4 %), Arumowot (42.7 %) and Siciliansandflyfever (31 %)viruses. No antibody was found for 8 tick-borne viruses.
In
comparisonwith previoussero-surveys, our results indicateda fall of West Nile virus activity and the emergence of Tahyna virus. The possibility that wild cycles involving small mammals and the two phleboviruses
may exist in Tunisia is discussed.
Key-words: ARBOVIRUSES, SEROEPIDEMIOLOGY, SMALL WILD MAMMALS, TUNISIA.
I1) Laboratoire de Virologie, Faculté de Médecine, BP 815, 29279 Brest Cedex, France.
(2) Laboratoire de Parasitologie (Pr. M. S. BEN RACHID), Faculté de Médecine, Tunis, Tunisie.
(3) Laboratoire de Parasitologie (EntomologieMédicale), Faculté de Médecine,35043 Rennes VillejeanCedex, France.
(4) Ministère de la Santé Publique, Sous-Directionde l'Action Sanitaire (Dr. BE.N AMMAR), Tunis, Tunisie.
l") beance du 9 juin 1902.
La Tunisie a déjà fait
l'objet
de plusieurs enquêtes sérologiques concernantles infections à arbovirus,
tant
chez l'homme (22, 23, 27) que chez les animaux sauvages ou domestiques (6, 13, 16, 17, 23). Ces enquêtes ont été réalisées par inhibition de l'hémagglutination (IH) ou par séroneutralisation (NT).Il ressort de ces
travaux
que la circulation chez l'homme du virus West Nileétait
évidente en 1963 (J. S. PORTERFIELD,cité par B. NABLI (23)) et en 1970 (23),tandis que celle du virus de la fièvre à phlébotomes type Sicile
était
attestée par la mise en évidence d'anticorps IH (22) et NT (27). Le virus Sindbis, par contre, se manifestait très discrètement (22, 23).Chez les petits mammifères sauvages,
l'activité
du virus West Nileétait
encore décelée en 1976 et 1977, aussi bien dans le Nord du pays (Muridae et Gliridae) que dans le Sud (Ctenodactylus gundi et Vespertilionidae), en même temps que des réactions
d'IH
positives isolées rendaient possible la circulationde deux arhovirus transmis par des tiques, Bhanja et Uukuniemi (6, 13).
Par
contre,pratiquement
aucun signe de diffusion du virus Tahyna dans cette partiedu Bassin méditerranéen
n'était
décelé (6, 22, 23), si cen'est
deux réactions positives chez des faucons crécerelles (Falco tinnunculus) capturés en Tunisie au cours de la migration de printemps (17).Mais, en 1980, N. HADDAD (16),
étudiant
556 sérums de chevaux et d'ânes,ne
retrouvait
que des traces sérologiques très discrètes du virus West Nile (deux réactions positives et à untitre
non significatif : 10), laissant présager au moins un déclin et peut-être la disparition temporaire de Tunisie, de ce virus.Au cours d'une brève mission entomologique, réalisée au début de 1980 (3),
une nouvelle enquête sérologique a été réalisée chez des petits mammifères de Tunisie. Toutefois, pour des raisons indépendantes de notre volonté, la
plupart
des prélèvements proviennent de points géographiques différents de ceux qui avaient été étudiés en 1976-1977 (6). De plus, nous avons délibérément
introduit
de nouveaux antigènes dans cette enquête
tout
en conservant la majorité de ceux qui avaient été utilisés précédemment. Enfin, au moment de notre enquête, sévissait une sécheresse très importante,surtout
dans le Sud, vraisemblable- ment responsable de l'extrême pauvreté de la faune mammalienne que nous avons rencontrée (3).Pour ces différentes raisons, et sans doute pour
d'autres
qui seront à discuter,nos résultats sont en fait différents de ceux de 1976-1977,
montrant
une évolution certaine du problème en quelques années.MATÉRIEL ET MÉTHODES
I) Lieux et dates de capture; espèces capturées ; tiques associées.
En
tout,
103 petits mammifères (rongeurs, insectivores et microchiroptères) capturés par piégeage en janvier-février 1980, ont pu être inclus dans l'enquête sérologique. Leur identification spécifique a été complète (*). Par ailleurs, les(*) Grâce à l'amabilité des Professeurs J. NIETHAMMER (Bonn) pour les Gerbillidae et J. GOSALBEZ (Barcelone) pour les Muridae, du Docteur I. VESMANIS (Francfort-sur-le-Main) pour les Soricidae, que nous remercions très sincèrement.
tiques
rencontrées sur les mammifères ainsi qued'autres tiques provenant
desmêmes biotopes
ont
été récoltéeset
identifiées (**). Ellesappartenaient toutes
à des espèces déjà décrites de Tunisie
(la, II,
18, 29, 31, 32, 33)et ont
été exa-minées au
point
de vue virologique :aucun
virusn'a
été isolé de 392 tiques, constituées en 49 lots inoculés à des souriceaux. De mêmetoutes
lestentatives d'isolement ont
été négatives àpartir
de 61 Oeciacushirundinis
(Cimicidae) récoltés dans des nids de Delichon urbica à Ain Djemala (Téboursouk).(**) En grande partie, grâce à l'aide précieuse du Professeur H. HOOGSTRAAL (Le Caire) que nous remercions très sincèrement.
Les points de capture des micromammifères sont indiqués dans la figure 1.
Ils correspondent à 4 gouvernorats différents et 9 groupes de stations :
a) Gouvernorat de Zaghouan (29-31 janvier 1980).
Zaghouan. Temple des Eaux, ait. 290 m ; Pipistrellus kiihli
=
6 dont unparasité par Argas sp. (LL). Pentes du Djebel Zaghouan, ait. 350 à 390 m, maquis méditerranéen : Apodemus sylvatieus
— 5 et Croeidura russula yebalensis
— 2,
parasités par Ixodes sp. (LL).
Moghrane. Ferme Ain Djour, ait. 110 m, haie d'Opuntt'a : Rattus rattus
=
3et Mus spretus
=
I. Argas(P.)
persieus (66, Sj2Sj2, NN) sur le tronc et les branchesd'un
olivier, lieu de repos des poules ; poulailler également infesté.Ezzriba. Ferme à 3 km de Bou Ficha, ait. 70 m, haie d'Opuntia : Mus spre- tus
=
16 et Eliomys tunetae=
I, parasités par Haemaphysalis e. erinacei (NN).b) Gouvernorat de Sfax (2-3 février 1980).
Iles Kerkhennah, ait. I à 3 m. Ile Chergui, Presqu'île d'Allama, zone sableuse halomorphique avec Chenopodiacées et quelques touffes d'Alfa : Dipodillus zakariai
= 10.
Ile Chergui, Ennajet, haie d'Opuntb*a : Mus museulus praetex- tus — 3 et R. rattus=
I. Ile Gharbi, ElKantara
et Sidi Youssef : D. zakariai=
2et M. musculus praetextus
=
6.c) Gouvernorat de Médenine (5-9 février 1980).
Route de Médenine à Beni-Kheddache : plusieurs points, depuis une plaine sableuse à Retama retam, ait. 100 m,
jusqu'à
des éboulis rocheux avec Artemisia, ait. 450 m : Gerbillus aureus=
5, Meriones libycus=
I, Gerbillus eampestris=
2dont un parasité par Rhipieephalus fulvus (NN) et Gerbillus nanus
=
2.Ksar Hadada, ait. 330 m, falaise calcaire fissurée : Otonyeteris hempriehi
=
1et Tadarida taeniotis
=
1.Tataouine, route de Kirchaou, ait. 19° m : plaine sableuse parsemée de touffes d'Aristida : M. libycus
=
I et G. aureus= 13.
Sebkhet el Melah, route de Zarzis, ait. — I m, zone dunaire à Ziziphus lotus, au-dessus de la Sebkha : M. libyeus
— I, parasité par Rhipicephalus sp. (NN)
et G. aureus
=
I.Banlieue de Médenine : Argas persieus (66, Sj2Sj2, NN) dans un poulailler.
d) Gouvernorat de Siliana (12-13 février 1980).
El Gharia, éboulis rocheux avec Opuntia à 29 km de Makthar, ait. 750 m :
G. aureus
=
I et Ctenodactylus gundi=
2. Argas persieus (66, ÇÇ, NN) dans le poulailler d'une ferme à El Ksar.Ezzitoun, à l'apic de Kesra, ait. 800 m ; vallon étroit de l'oued Zitoun, parsemé de ronciers (Rubus sp.) et quelques figuiers : M. spretus
=
13 et A. syl-vatieus
=
3, tous les trois parasités par Haemaphysalis e. erinacei (LL, NN).Ixodes ricinus ($Ç) récolté au drapeau sur plages herbeuses, dans le lit de l'oued.
II) Prélèvements de sang, traitement des sérums, méthodes sérologiques.
Ce sont les mêmes méthodes que celles que nous avons utilisées précédem- ment (6) : sangs prélevés sur bandelettes de papier buvard ; élution au laboratoire
suivie de
l'extraction
desinhibiteurs
non spécifiquespar l'acétone
et de l'élimi-nation
des agglutininesnaturelles pour
les globules rouges de poussin. Les sérumstraités
ont été examinés vis-à-vis de 15 antigènesd'arbovirus,
soit :a)
En
inhibition del'
hémagglutination(IH)
: les antigènes Sindbis (SIN), West Nile (WN), Denguetype
2 (DEN2), Wesselsbron (WSL), encéphalite européenne àtiques
(TBE),Tahyna
(TAH), fièvre à phlébotomestype
Sicile(SFS), Arumowot (AMT), Uukuniemi (UUK) et
Bhanja
(BHA).b)
En
fixation du complément(FC)
: les antigènes Qalyub (QYB), Quaran-fil (QRF), Tribec (TRB) et deux virus isolés d'Ornithodoros
(A.)
maritimus pro-venant
de l'îled'Essaouira,
au Maroc (7) :Brest/Ar/T222,
virus du groupeKemerovo, et
Brest/Ar/T234,
unvariant
antigénique du virus Soldado.Lors
d'un
criblage, les réactionsd'un titre >
à 20 en IH ou>
8 en FCont
été
retenues
comme positives. Toutes les réactions positivesont
été contrôléespar
untitrage
complet. 29 sérumsavaient
uneactivité anticomplémentaire
plusou moins marquée.
RÉSULTATS
Dans l'ensemble, 58 sérums sur 103, soit 56 %,
ont
donné des réactions posi- tives vis-à-visd'un
ou plusieurs desquatre
antigènessuivants
: DEN2, TAH, SFS et AMT. Aucuneréaction
positiven'a
été déceléepour
lesil autres anti-
gènes, en
particulier
ceux des arbovirustransmis par
des tiques.La
répartition
des réactions positivessubit d'importantes variations
en fonction du sexe des animaux, des différents antigènes, des points decapture et
des espèces capturées.I)
En
fonction du sexe.Les
captures ont porté
sur 66 mâles et 37 femelles. Cette prédominance des mâles esthabituelle
dans noscaptures,
mais il y a une beaucoup plus forte pro-portion
de mâles positifs, 42pour
66, soit 63,6 %, que de femelles positives :16 sur 37, soit 43,2 %. Cette différence est
statistiquement
très significative :X2
=
10,63pour l = 3 ;
0,01<
p<
0,02.II)
En
fonction des différents antigènes.Les antigènes les plus concernés
par
les réactions positives sont ceux des phlebovirus, AMT=
42,7 %et
SFS=
31 %.L'antigène
TAHintervient pour
18,4 % des réactions positives et
l'antigène
DEN2pour
seulement 2,2 %, soit trois réactionsdont
letitre
est faible : 20.Pour
les troisautres
antigènes, lestitres s'échelonnent entre
20 et160.
Il y a des réactions monospécifiques,mais aussi des réactions doubles,
triples et
même uneréaction quadruple.
Aucune
réaction pour
les antigènes WN, UUK et BHAn'a
été décelée, à la différence de ce quiavait
été observé en 1976-1977, bien que ces trois antigènesaient
été conservés danscette
enquête.III) En fonction des points de capture.
Les réactions positives pour l'antigène DEN2 n'intéressent que le gouvernorat
de Zaghouan et les îles Kerkhennah. A Ezzriba (Zaghouan), il s'agit
d'un
M. spre- tus etd'un
E. tunetae. Dans l'île Chergui (îles Kerkhennah), c'est un D. zakariai qui est positif (tableau I).TABLEAU 1
Répartition des réactions positives
en fonction des zones pluviométriques (VAN DEN ENDE, 1970), et des vecteurs des virus concernés.
Zone pluviométrique.. III IV IV III
Stations et altitudes : Zaghouan
29°-35° m Kerkhennah Médenine 100 m El Gharia : 750 m Moghrane nom 1 à 5 m Tataouine: 190 m Ezzitoun 800 m
Ezzriba 70 m Zarzis : < I m Antigènes
Virus transmis par des moustiques
DEN 2 2/34 (*) 1122 0/28 0/19
TAll 10/34 7/22 0/28 2/19
AMT 8/34 15/22 13/28 8/19
Virus transmis par des phlébotomes
SFS. 6/34 7/22 12/28 7/19
(*) Nombre de sérums positifs/Nombrede sérums testés.
Les réactions positives pour l'antigène TA H sont très nombreuses dans le gouvernorat de Zaghouan quel que soit le lieu de capture. Au pied du Djebel Zaghouan, au Temple des Eaux, 2
P.
khùli sur 6 sont positifs, faisant de ce micro- chiroptère un excellent indicateurd'activité
arbovirale, comme nous l'avions noté précédemment dans le Sud avec le virus WN (6).Les réactions positives pour TAH sont également fréquentes dans les îles
Kerkhennah, mais
surtout
àEnnajet
(haie d'Opuntia) et dans l'île Gharbi, à Sidi Youssef, principalement chez M. musculus praetextus.Mais ce qui est remarquable, c'est l'absence de réactions positives pour TAH dans le gouvernorat de Médenine et leur rareté dans la région de Makthar où
l'on décèle une seule réaction chez un C. gundi, à El Gharia, et une autre chez un M. spretus d'Ezzitoun.
Les réactions vis-à-vis des antigènes SFS et AMT sont étroitement intriquées
et
décelées dans les quatre gouvernorats. Toutefois, c'est aux îles Kerkhennah qu'elles dominent, avec 15 positifs sur 22 examinés pour AMT et 7 positifs sur 22 pour SFS. Dans la presqu'île d'Allama, les réactions positives intéressent exclu- sivement AMT, chez D. zakariai. Dans l'île Gharbi également, les deux D. zaka-riai
sont positifs pour le seul antigène AMT alors que chez M. musculus praetextus on observe des réactions doubles AMT+
SFS, voire triples AMT+
SFS+
TAH.IV)
En
fonction des espèces animales.Certaines espèces représentées
par un
seul spécimen ne sont pas dutout
réactives, telles que G. campestris et G.
nanus pour
les Gerbillidae, C. russula yebalensispour
les insectivores etTadarida
taeniotispour
les microchirop-tères (tableau
II).TABLEAU
II
Répartition
par
espèce etpar
station de capture des réactions positives.Stations
Espèces examinées
Zaghouan Iles Médenine El Antigènes concernés Moghrane Ker- Tataouine Gharia Total % par
Ezzriba khennah Zarzis Ezzitoun les réactions positives
Rongeurs Muridae
Musspretus 10/17(*) "— — 5/13 15/30 50,0 DEN2, TAH, AMT-SFS
Musmusculuspraelextus — 8/9 — — 8/9 88,8 TAH, AMT-SFS
Apodemus sylvaticus 3/5 — — 2/3 5/8 62,5 TAH, AMT-SFS
Rattusrattus 1/3 0/1 — — 1/4 — TAH
Gliridae:
Eliomys tunelae 1/1 — — — 1/1 — DEN2
Gerbillidae:
Merioneslibycus — — 2/3 — 2/3 — AMT-SFS
Dipodilluszakariai — 9/12 — — 9/12 75,0 DEN2, TAH, AMT
Gerbillusaureus — — 12/19 1/1 13/20 65,0 AMT-SFS
GerbillusGerbilluscampestrisnanus
-
— 0/2-
0/2-
—
-
0/2 — 0/2-
Ctenodactvlidae:
Ctenodact;ltisgundi — — — 1/2 1/2 — TAH, AMT-SFS
Insectivores Soricidae:
Crocidura russula yeba- 0/2
-
— — 0/2-
lensis
Chéiroptères Vespertilionidae:
Pipistrelluskühli 2/6 — — — 2/6 — TAH
Otonycterishemprichi — — 1/1 — 1/1 — AMT-SFS
Molossidae :
Tadaridataeniotis — — 0/1 — 0/1 —
Totaux 17/34 17/22 15/28 9/19 58/103 56,3
(*) Nombre de sérums positifs/Nombre de sérums testés.
Parmi
celles qui ne réagissentqu'avec un
seul antigène, on note R. rattus etP.
khülipour l'antigène
TAH,et
un seul E. tunetaepour l'antigène
DEN2.Les
autres
espècessont
polyréactives : les Muridaepour
TAH, AMT et SFS,certains
Gerbillidae(M.
libycus, G.aureus) pour
le coupled'antigènes
des phle- bovirus, AMTet
SFS.Parmi
les microchiroptères,l'unique
Otonycteris hemprichiréagit
également sur ces deux derniers antigènes.DISCUSSION
Cette nouvelle enquête sérologique fait ressortir trois points essentiels
par rapport
aux données antérieures :— Il y a une modification radicale dans les virus concernés
par l'enquête
: iln'y
a plus de réactions positives pour le virus WN, alors qu'il en est apparues pour le virus TAH, bien que les sérums aient été examinés dans des conditions identiques et que les souches viralesn'aient
pas changé.— L'introduction d'antigènes nouveaux dans nos réactions sérologiques a révélé de très nombreuses réactionspositives pour deux phlebovirus, SFS et AMT.
— Nos pourcentages très élevés de positivités posent le problème de la spé-
cificité des réactions observées.
Notre discussion portera donc sur ces trois points.
I) Spécificité des réactions.
La réaction
d'IH,
si elle est douée d'une très bonne sensibilité, est malheu- reusement influencée par des inhibiteurs non spécifiques dont on nepeut
jamais être sûr qu'ils ont ététotalement
éliminés. Nos sérums ont ététraités
deux fois par l'acétone à froid, mais en ce qui concerne le virus SFS, SABIN (24) a décrit un inhibiteur non spécifique présent dans les sérums humains. Iln'est
pas éli-miné par l'acétone, ne l'est que partiellement par l'alcool et le serait
totalement par
filtration sur Seitz. Ce dernier procédé nepeut
pas être appliqué aux très faiblesquantités
de sérum recueillies sur du papier buvard.On
peut
retenir contre l'hypothèse des inhibiteurs non spécifiques les obser- vations suivantes :— Les pourcentages de réactions positives
varient
en fonction des pointsde capture : dans la région de Zaghouan et aux îles Kerkhennah, nous avons
de très nombreuses réactions positives pour le virus TAH, elles sont moins nom- breuses à Makhtar et disparaissent dans le Sud.
— Les pourcentages de positivité sont plus élevés chez les mâles que chez les femelles, comme si les mâles qui
sortent
plus fréquemment des terriers et qui sontd'un
naturel moins «prudent
Ȏtaient
plus souvent infectéspar
des virusqui leur sont transmis hors du
terrier
par des vecteurs hématophages.— Les
titres
moyens des réactions monospécifiques (tous virus confondus)augmentent
en fonction de lamaturité
des micromammifères : les immatures etles subadultes ont un
titre
moyen de 25,4(il
réactions) contre 47,5 pour lesadultes (16 réactions), comme si les chances
d'être
infecté, dans les mêmes condi- tions que précédemment,augmentaient
avec l'âge.— Lors d'une enquête qui se poursuit, nous avons trouvé en Italie du Sud, chez des micromammifères voisins de ceux de la Tunisie du Nord, des réactions positives pour WN, SFS, mais
pratiquement
pas pour AMT.On
peut
doncadmettre
que laplupart
des réactions positives observées correspondent bien à des anticorps spécifiques.II) Évolution
dans
le temps des virus concernéspar
les réactions positives.On
peut retenir
ladisparition
outout
au moins lefort
déclin del'activité
du virus WN en Tunisie, au cours des trois dernières années, lesconstatations
faitesrécemment
chez les équidésétant
enfaveur d'une
telle évolution (16). Les seulsanticorps
quiaient
été déceléspour
les flavivirus, genre auquelappartient
levirus WN,
intéressent
le virus DEN2. Ilssont
rares (2,2 %) et detitre
faible.Ils
peuvent
correspondre à des réactions croisées àl'intérieur
du genre flavivirusplutôt qu'à
uneactivité
de ce virus en Tunisie : Aedes aegypti qui a étéabondant
autrefois dans ce pays (5)n'est
plusretrouvé actuellement,
enparticulier
aucours des enquêtes entomologiques les plus récentes réalisées
par l'un
de nous (H. H.).Parallèlement
à l'effacement du virus WN, nous avons observé des anticorpspour
le virus TAH : certains sont monospécifiques et leurtitre peut atteindre
160. Ils sont plus fréquents dans le Nord du pays, dans les régions les plus humides.
Ils sont
totalement
absents de nos points decapture
les plus méridionaux, où la sécheresseétait
intense lors descaptures.
Le virus
Tahyna
a pu être importé, ouréimporté, récemment
en Tunisie etcette importation-a
pu se faire àpartir
del'Afrique
Tropicale ou del'Italie,
où ce virus a été isoléprécédemment d'un
lot mixte d'Aedes caspius+
Aedesvexans (2). La
capture
en Tunisie, au cours deleur migration
deprintemps, d'oiseaux
(Falco timunculus)porteurs d'anticorps
TAH (17)apporte
des argu- ments enfaveur
decette
hypothèse. Sur place,existent
des moustiques capablesd'assurer
latransmission
de ce virus : A. caspius (5, 9, 30), espèce halophile etvecteur méditerranéen
de TAH et A. vexans (5, 30),autre vecteur
en Europe Centrale (4). Enfin,d'autres
moustiques tunisienspourraient
servir devecteurs,
tel Culex pipiens,trouvé
infecté en Roumanie (4, 14) et qui est « le moustiquele plus
répandu
de Tunisie » (5).III)
Circulationd'un
ou plusieurs phlébotomes en Tunisie.La présence du virus SFS en Tunisie
était attestée par
des enquêtes sérolo-giques chez l'homme, soit en
IH
(22), soit en NT (27).Dans
l'enquête
de NABLI et coll. (22), lamajorité
des sérumsprovenait
de l'île de Djerba où, dès 1911, WEISSavait trouvé
Phlebotomuspapatasi,
le seulvecteur
connu de ce virus, àHoumt
Souket
à Adjim (33). Depuis, larépartition
géographique de ce phlébotome en Tunisie a été précisée enparticulier
dans la monographie de CROZETet
coll. (12).L'origine des sérums étudiés
par
TESH et coll. (27)n'est
pas connue, mais semble correspondre à la région de Tunis. Or, àl'intérieur
des maisons des fau- bourgs decette
ville,P. papatasi constitue
84 % descaptures
de phlébotomes (12).Dans le
reste
de la Tunisie,P. papatasi
est connu,notamment
de Zaghouan,Tataouine et
Médenine, ce qui correspond en gros à nosstations
decapture.
Toutefois, il
s'y
comporte comme une espècestrictement anthropophile
et domes-tique,
jamaiscapturée
en dehors deshabitations, par
exemple sur des piègesadhésifs placés en rase campagne (12). Si les anticorps que nous avons décelés chez les micromammifères correspondent bien à une circulation chez eux du virus SFS, il
faudrait
envisagerl'intervention d'un autre
vecteur, en particulierd'un
autre phlébotome. P. sergenti serait alors un bon candidat, car il est lar- gement distribué en Tunisie (12), des régions de Tunis et de Maktharjusqu'à
Médenine et Tataouine. C'est une espèce zoo-anthropophile, capturée couram- ment en rase campagne,
tant
en Algérie (15) qu'en Tunisie où l'on pense qu'ellepourrait
contribuer à «entretenir
le foyernaturel
de leishmaniose cutanée enservant
detrait
d'union entre Gerbillidae, réservoirs probablesde la maladie » (12).P. alexandri connu de Tataouine (12),
pourrait s'avérer
également intéres- sant.Dans le centre de
l'Iran,
oùP. papatasi apparaît
beaucoup plus zoophilequ'en
Tunisie (19), des anticorps NT pour le virus SFS ont été mis en évidencechez des Gerbillidae : 34 % des Rhombomys opimus
provenant
de champs situésà proximité des villages où le virus
avait
été isolé deP.
papatasi (25, 28). Uneautre
gerbille, Tatera indica, a également des anticorps, dans le Sud-Ouest del'Iran
(25). Onpeut
donc suspecter l'existenced'un
cycle sauvage du virus SFStant
en Asie Centralequ'en
Tunisie.Le virus AMT pose
d'autres
problèmes. Sa présence en Tunisien'a
pas étédécelée chez l'homme lors de l'enquête de TESH et coll. (27). De plus, c'est un
phlebovirus bien particulier puisqu'il
n'a
jamais été isolé àpartir
de phlébo- tomes (*) (4). Ses vecteurs connus sont Culex antennatus au Soudan (4) et C. rubi- notus en Afrique du Sud (21). Ces deux espèces ne font pas partie de la faune culicidienne de Tunisie, bien que C. antennatus, qui a une très large distribution intertropicale (**), soit connud'Égypte
et d'Israël. En fait, le virus AMT appa-raît surtout
comme un virus de petits mammifères : il a été isolé au Nigeria àpartir
de tissus de Tatera kempii (Gerbillidae), Arvicanthis niloticus, Thamnomys macmillani(Muridae)
et Crocidura sp. (Soricidae) (20), ainsi que de Masto-mys sp., en République Centrafricaine (i).
Bien que les anticorps que nous avons décelés
par
IH puissent correspondreà des réactions croisées à
l'intérieur
du genre phlebovirus (26), la circulation du virus AMT oud'un
agent très proche en Tunisieparaît
probable du fait de l'exis- tence de réactions monospécifiqueschez Dipodillus zakariai aux îles Kerkhennah.L'extrême ubiquité du virus AMT qui semblepouvoir s'accommoderde conditions écologiquestrès diverses plaide en faveur de cette thèse.
Nous avons également mis en évidence au Maroc des anticorps contre ce virus chez les micromammifères (8). Comme dans ce pays, divers Culex, tels que
C. pipiens, C theileri et C. univittatus, tous connus de Tunisie (5, 31) ou
d'autres
arthropodes hématophages actifs dans les terriers (tiques, autres acariens, sipho- naptères),pourraient
y assurer la circulation de ce virus parmi les Gerbillidae et les Muridae.(*) Deux autres phlebovirus partagent avec Arumowot cette particularité : un virus amé- ricain, Itaporanga et, en Afrique, le redoutable virus de la fièvre de la Vallée du Rift.
(**) Nous remercions bien sincèrement M. GERMAIN, O. R. S. T. 0. M., Bondy, et Mme
H. BAiLLY-CnouMARA, Montpellier, pour les précieux renseignements qu'ils nous ont commu- niqués concernant cette espèce et sa répartition en Afrique.
CONCLUSIONS
Nos
résultats
nousont montré
que la circulation du virus WN en Tunisie,précédemment
évidente chez l'homme et chezl'animal,
est devenue nulle audébut
de 1980, outout
au moins indécelable chez lespetits
mammifères sauvages.A l'opposé, nous avons assisté à l'émergence du virus TAH
et
ce phénomèneapparaît entièrement
nouveau, du moinspour cette
région du Bassin méditer- ranéen. Le déclind'activité
du virus WN,précédemment constaté
en Camargue au cours des années 1964-1966 (17) est unautre
exempled'activité
à éclipsed'un
arbovirus dans la même région.Ainsi, les infections à arbovirus,
trouvant
leur reflet sérologique au niveaudes faunes mammaliennes locales,
pourraient
évoluer danscette
régioninstable par
poussées successives, sans doute sous l'influence defacteurs
divers : séche- resse prolongée (16), campagnes de démoustications,introduction
ou réintro- duction de viruspar
des oiseauxmigrateurs,
desvents
violents, oud'autres
modes de
transport transsahariens.
La mise en évidence de
l'activité
probable dedeux
phlebovirus chez les micro- mammifères mérite égalementd'être
soulignée. Le virus SFSétait
déjà connuen Tunisie, mais le problème de
l'existence d'un
cycle sauvage de ce virus setrouve maintenant clairement
posé.Quant
au virus AMT, inconnujusqu'ici
en Tunisie, Ses propriétés virologiques et écologiques ne
s'opposent
pas entout
cas à sa présence et même à une large diffusion dans ce pays.
De nouvelles enquêtes sur le
terrain apparaissent
nécessaires avec, comme objectif,l'isolement
des virus àpartir
des vecteurs les plus probables de ces viroseset
àpartir
des micromammifères quipourraient
enconstituer
le réservoir sau- vage ou encore servird'hôtes
amplificateurs.RÉFÉRENCES
1. Anonyme. — Rapport annuel Institut Pasteur de Bangui, 1973, 38-39.
2. BALDUCCIlation(M.),of Tahyna virusVERANI (P.), LOPES (M.from AedesC.),mosquitoesSACCA (G.)in Northern& GREGORICItaly(B.).(Gorizia
-
Iso-Province). Acta Virol., 1968, 12, 457-459.
3. BEAUCOURNU (J. C.), BACH-HAMBA (D.), LAUNAY (H.), HELLAL (H.) & CHAS- TEL (C.). — Contribution à l'étude des siphonaptères de Tunisie (3e note).
Bull. Soc. Sc. Nat. Tunisie, 1981, sous presse.
4. BERGE (T. 0.). — International Catalogue of Arboviruses. U. S. Dep. Health, Educ. Welfare, 1975, 789 p.
5. CALLOT (J.). — Contribution à l'étude des moustiques de Tunisie et en particulier du Sud de la Régence. Arch. Inst. Pasteur Tunis, 1938, 27, 133-183.
6. CHASTEL (C.), ROGUÈS (G.), BEAUCOURNU-SAGUEZ (F.), HELLAL (H.), LE GOFF (F.)
& BEAUCOURNU (J. C.). — Enquête séro-épidémiologique mixte arbovirus- arénavirus chez les petits mammifères de Tunisie. Bull. Soc. Path. exot., 1977,
70, 471-479.
7. CHASTEL (C.), BAILLY-CHOUMARA(H.) & LE LAY (G.). — Pouvoir pathogènenaturel pour l'homme d'un variant antigénique du virus Soldado isolé au Maroc. Bull.
Soc. Path. exot., 1981, 74, 499-505.