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« Black lives matter » : mobilisation politique des Noir·e·s contre le racisme systémique dans l’Amérique d’Obama

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Academic year: 2022

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114 | 2020

Géographies de la colère

« Black lives matter » : mobilisation politique des Noir·e·s contre le racisme systémique dans

l’Amérique d’Obama

« Black lives matter » : black political organizing against systemic racism under Obama

Charlotte Recoquillon

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/gc/15201 DOI : 10.4000/gc.15201

ISSN : 2267-6759 Éditeur

L’Harmattan Édition imprimée

Date de publication : 1 juin 2020 Pagination : 171-192

ISBN : 978-2-343-22146-5 ISSN : 1165-0354 Référence électronique

Charlotte Recoquillon, « « Black lives matter » : mobilisation politique des Noir·e·s contre le racisme systémique dans l’Amérique d’Obama », Géographie et cultures [En ligne], 114 | 2020, mis en ligne le 07 avril 2021, consulté le 24 septembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/gc/15201 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.15201

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«   Black   lives   matter   »   :   mobilisation politique   des   Noir·e·s   contre   le

racisme systémique dans l’Amérique d’Obama

« Black lives matter » : black political organizing against systemic racism under Obama

Charlotte Recoquillon

1 Deux jours après la mort de Tamir Rice, 12 ans, tué par un policier le 22 novembre 2014 à Cleveland alors qu’il jouait avec un pistolet en plastique, Tené, une éducatrice guyanaise-américaine vivant à Brooklyn, se demande sur Facebook ce qu’elle peut répondre à son fils Kamau, âgé de 6 ans, qui lui demande : « Maman, pourquoi les Noirs meurent autant ? » Michelle Alexander, universitaire et intellectuelle engagée pour les droits civiques1, témoigne du même désarroi dans une tribune intitulée « Parler de Ferguson à mon fils »2. Son fils de dix ans veut, lui aussi, des réponses. Ces deux petits garçons ont raison d’être inquiets, ils ont déjà bien assimilé la vulnérabilité qui sera la leur tout au long de leur vie vis-à-vis des violences policières. En quelques semaines, Eric Garner, Michael Brown, Ezell Ford, ou Akai Gurley ont rejoint les 2 238 personnes tuées par la police américaine entre 2015 et 20163. Onze des victimes étaient des garçons noirs ayant moins de 18 ans, portant leur part à 28,2 % des personnes mineures tuées par la police entre 2015 et 2016, alors qu’ils ne représentent que 7,2 % de la population de moins de 18 ans. Les hommes noirs de 18 à 34 ans représentent quant à eux 15 % des victimes tuées par la police entre 2015 et 2016, une surreprésentation spectaculaire par rapport à leur part dans la population totale (1,6 %).

2 Dans le prolongement de travaux sur les mobilisations politiques contemporaines des Noir·e·s américain·e·s4, ce texte esquisse une réflexion sur les modalités de reproduction de l’ordre racial dont la police est un instrument institutionnel central, et les résistances collectives qui s’y opposent en vue de son démantèlement. Postulant que les morts répétées de Noir·e·s américain·e·s aux mains de la police, loin d’être des

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événements isolés et anecdotiques, « sont l’héritage continu et généralisé de l’exploitation matérielle et du fondement raciste de l’esclavage et la ségrégation » (Feagin, 2010, p. 98), ce texte propose de montrer comment 1) les violences policières ont constitué le point de départ de la résurgence de la lutte pour l’égalité raciale dans l’Amérique post-raciale d’Obama d’une part, et de montrer comment 2) le mouvement Black Lives Matter contribue à la lutte contre le racisme systémique par la réaffirmation d’une place dans la communauté nationale, la déconstruction des stéréotypes racistes et la production de représentations alternatives d’autre part.

3 Le point de départ de cette longue et minutieuse recherche se trouve dans un article5 préparé pour le journal Le Monde en août 2014, dans lequel il s’agissait d’expliquer les événements de Ferguson où la population locale, en colère, manifestait et occupait les rues suite à la mort de Michael Brown. La réflexion de cet article sur la mobilisation politique des Noir·e·s dans l’Amérique d’Obama était esquissée dans une communication à l’université de Cergy-Pontoise en 2016, dans le cadre d’un colloque organisé par Yohann Le Moigne et Julien Zarifian. Depuis 2014, six longs séjours de terrain aux États- Unis, notamment à New York, Saint-Louis et Atlanta ont donné lieu à plusieurs dizaines d’entretiens longs semi-dirigés avec des militant·e·s, des universitaires, des leaders communautaires et associatifs, des journalistes. Lors de ces séjours, il a également été possible de participer à des rassemblements politiques comme le Left Forum, ou encore aux manifestations et réunions préparatoires de mobilisations contre les violences policières à New York en 2015, par exemple. Une veille attentive des publications académiques et de la presse a complété le suivi de nombreux leaders de Black Lives Matter sur les réseaux sociaux, permettant ainsi une appréhension des représentations et positionnements individuels et collectifs. Cette immersion de terrain et une attention particulière aux sources journalistiques et aux réseaux sociaux permettent d’appréhender de manière fine et réactive des événements très contemporains. La méthode géopolitique, en s’attachant notamment à l’analyse des représentations des différents protagonistes, se révèle être un outil particulièrement efficace pour saisir les rapports de force et les clivages culturels et politiques qui traversent la société américaine.

 

Les violences policières ont mis fin au mythe de l’Amérique « post-raciale »

Les Noir·e·s américain·e·s, toujours les premières victimes de la brutalité policière

4 La surreprésentation des personnes noires, en particulier des hommes, au niveau des contrôles d’identité (stop & frisk) et des arrestations se vérifie dans tout le pays. Dans les rues de Chicago en 2014, ils étaient la cible de 72 % des contrôles d’identité alors qu’ils ne représentent que 32 % de la population. À Ferguson, la population noire ne représentait que 63 % de la population, mais 85 % des contrôles d’identité.

5 Ce ne sont que quelques exemples, car l’extrême décentralisation de l’institution policière rend difficile le suivi de l’action policière et le décompte de l’usage de la force, excessif ou non. D’ailleurs, il est difficile, de trouver une définition universellement acceptée et objectivement mesurable des violences policières (Craig Boylstein, 2018, p. 3). D’une part, parce que le contexte compte et qu’un même geste peut selon les

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circonstances sembler justifié ou totalement disproportionné. Un contrôle d’identité n’est pas en soi un acte violent, mais la répétition de ces contrôles peut constituer une forme de harcèlement et enfreindre le droit à la ville, à l’espace public, voire à l’espace privé, de certains groupes. Holmes et Smith (2008) rappellent en introduction de leur ouvrage Race and police brutality que « de nombreux·ses citoyen·e·s définissent la brutalité policière largement, pour y inclure un spectre de pratiques abusives, comme l’utilisation d’obscénités, d’insultes raciales ou de fouilles inutiles, qui n’impliquent pas l’usage de la force physique » (p. 6), raison pour laquelle ils préfèrent adopter une définition plus restrictive, l’usage excessif de la force, celui qui expose les responsables à de lourdes sanctions. Sur le plan légal, il n’y a pas de définition consensuelle.

L’Association internationale des chefs de police décrit l’usage de la force comme « le niveau d’effort requis par la police pour forcer l’obéissance d’un sujet non- coopératif »6. Le degré de force utilisée peut varier, mais doit être approprié et, selon la Cour Suprême7, « raisonnable », notion subjective s’il en est. De plus, les agent·e·s de police sont autorisé·e·s à faire usage de la force, y compris létale, en cas de légitime défense ou défense d’une autre personne. Là encore, ce n’est pas le danger lui-même qui est apprécié, mais le sentiment de danger ce qui permet d’exonérer de leurs actions nombre de policier·ère·s. La multiplication des témoignages et des vidéos, mais aussi des enquêtes journalistiques, attestent de la fréquence des coups, des insultes, des incivilités, des humiliations, des violences sexuelles et psychologiques qui échappent encore largement à une appréhension chiffrée précise, mais qui témoignent de la persistance d’inégalités structurelles. Nous utiliserons donc la notion de violence dans son sens le plus large – en incluant les abus verbaux, physiques, sexuels et, évidemment, les meurtres –, non seulement pour des raisons méthodologiques de définition, mais également parce que les effets et les perceptions de ces comportements abusifs sont importants : rupture de confiance police-population, insécurité et menaces pour l’intégrité physique et morale de certains citoyens, traumatismes psychologiques induits par les violences8, etc.

6 Cela dit, ce qui ne fait pas débat, c’est la disproportion dans laquelle les Noir·e·s sont affecté·e·s par ces violences et ce au point qu’« aux yeux des minorités, la police symbolise une société oppressive » et que beaucoup la perçoivent « comme un danger réel pour leur vie au quotidien » (Holmes et Smith, 2008, p. 6). Les personnes blanches, dont les interactions avec la police sont à la fois beaucoup moins nombreuses et de nature très différente (Weitzer et Tuch, 2006 ; Jones-Brown, 2007), pensent donc que les forces de l’ordre appliquent uniformément et équitablement la loi. Cela explique les écarts de confiance importants entre Noir·e·s et Blanc·he·s. Dans un sondage de 20169, le Pew Research Center rapporte ainsi que seuls 33 % des personnes noires interrogées pensent que la police utilise le juste degré de force pour chaque situation contre 75 % des personnes blanches. À l’échelle locale, 42 % des Blanc·he·s ont une grande confiance dans leur département de police, contre seulement 14 % des Noir·e·s.

7 Loin d’être inédite, la question des relations entre la police et les Noir.e.s constitue historiquement un motif de tensions (Kelley, 2000 ; Waldrep et Bellesiles, 2006 ; Rucker et Upton, 2007), voire de révolte, dans les villes américaines comme en attestent les soulèvements à Houston en 1917, à Harlem en 1935, à Watts (Los Angeles) en 1965, à San Francisco en 1966, à Newark et Detroit en 1967, à Miami en 1980, 1982 et 1989, à Los Angeles en 1992 et, plus récemment, à Oakland en 2009, Sanford en 2012, ou Baltimore en 2015. Didier Combeau rappelle dans son ouvrage sur les Polices américaines (Combeau, 2018, p. 187) que le caractère raciste de la violence policière est établi dans un rapport

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officiel dès 194710. Pour les auteur·e·s de Violence against Black Bodies (Weissinger et al., 2017), les brutalités policières et « les morts violentes aux mains de la police ne sont qu’un tentacule de l’ordre racial – une hiérarchie conçue pour produire traumatisme et discrimination en fonction de la race ou ethnicité perçue des individus. […] On n’a pas besoin de mourir pour être traumatisé par la violence extrêmement invasive née de cette hiérarchie » (p. 1-2).

8 À l’intersection de la double ségrégation sociale et raciale qui caractérise l’organisation spatiale des États-Unis (Massey et Denton, 1993 ; Logan, 2013), cette fois, c’est dans une Amérique qui se pensait « post-raciale » – et peut-être même « post-raciste » – que les violences policières ont conduit à la mobilisation politique d’une nouvelle génération d’activistes, rassemblée sous la bannière Black Lives Matter (« les vies des Noir·e·s comptent »).

 

« Si j’avais un fils » : irruption de la question raciale dans le mandat d’Obama

9 Le 26 février 2012, Trayvon Martin, un jeune Noir de 17 ans, est tué par un vigile autoproclamé du quartier résidentiel de Sanford, en Floride, où il séjournait chez son père. C’est le pull à capuche (hoodie) du jeune garçon qui avait suscité la méfiance de George Zimmermann, qui avait ensuite plaidé une situation de légitime défense pour justifier le meurtre de cet adolescent non armé. Activistes, élu·e·s, célébrités, étudiant·e·s et artistes se sont mobilisé·e·s pour dénoncer l’injustice de ce meurtre et la persistance des préjugés racistes, notamment à l’encontre des jeunes Noir·e·s, dont la légitimité à se trouver dans l’espace public est sans cesse questionnée. Les stéréotypes privent, dès le plus jeune âge, ces jeunes garçons, principalement, et filles, de l’innocence normalement accordée à tous les enfants comme le soulignait le slogan

« Suis-je le prochain ? » (Am I next ?). Le slogan « Je suis Trayvon » ou le port de sweat à capuche comme acte militant avaient une double fonction : marquer la solidarité avec la victime d’une part, mais aussi souligner la supposée interchangeabilité des corps des femmes et hommes noir·e·s d’autre part. Ainsi donc, Trayvon Martin est devenu le symbole que les préjugés ne sont pas anodins et que les stéréotypes tuent.

10 Pour les millions d’Américain·e·s partageant cette expérience de stigmatisation, la mort de Trayvon Martin avait quelque chose de véritablement transcendant. Mychal Denzel Smith, auteur et journaliste, évoque dans une autobiographie le traumatisme que la mort de Trayvon Martin a constitué pour lui – et par extension, pour les autres jeunes noirs américains :

« J’ai eu la possibilité d’accomplir nombre de choses que Trayvon n’aura jamais la chance de faire, et la culpabilité que j’en ressens me pèse. Tout ce que Trayvon a commis pour supposément le conduire à sa mort – porter un hoodie, aller à l’épicerie la nuit, acheter des bonbons, avoir des tatouages, fumer de l’herbe, être renvoyé de l’école –, je l’ai fait. J’aurais pu être Trayvon » (Smith, 2016, p. 5).

11 Insistant sur le poids psychologique induit par la récurrence des violences contre ces jeunes qui peuvent ou ont pu s’identifier à l’adolescent, Smith poursuit :

« Je ne m’étais pas préparé à la vie au-delà de 25 ans – ayant cru à différents moments de ma vie que je n’irai pas si loin. J’aurais pu être Trayvon, ou n’importe lequel des noms de cette liste interminable d’adolescents noirs anonymes tués par des policiers, des justiciers, d’autres noirs ou par eux-mêmes. Mes 25 ans étaient un soulagement, une surprise et une opportunité » (p. 7).

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12 C’est dans ce contexte que Barack Obama est sommé de prendre position. Lui, dont l’ascension avait conduit les médias à déclarer l’avènement d’une « nouvelle ère politique post-raciale en Amérique11 », et dont la victoire avait fait écrire au New York Times : « la barrière raciale est tombée12 ». Lui, dont l’élection avait marqué un

« stupéfiant retournement de l’histoire » (Marable et Clarke, 2009, p. 1), et dont les discours électoraux avaient si souvent insisté sur le « besoin de dépasser les divisions des années 1960, de rechercher un socle commun et sur la politique post-partisane d’espoir et de réconciliation » (Marable et Clarke, 2009, p. 5). Lui, qui appartient donc à ce mouvement de « politique post-noire », une stratégie notamment destinée à attirer les faveurs du vote des Blancs en privilégiant la rhétorique de réconciliation à celle de la colère raciale (Fraser, 2009, p. 165-166 ; Marable, 1995).

13 Le dialogue racial ouvert par l’élection de Barack Obama devait se poursuivre lors de sa présidence (Fraser, p. 179). Bien qu’il ait gouverné en évitant la question raciale pendant presque tout son premier mandat, la mort de Trayvon Martin le contraint à l’affronter. Près d’un mois après les faits et sous la pression des manifestant·e·s, il demande une enquête attentive lors d’une conférence de presse. Soucieux de ne pas apparaître trop partial, le premier président noir des États-Unis précise que « tous les parents américains devraient être en mesure de comprendre pourquoi il est absolument impératif… de déterminer comment cette tragédie a pu se produire ». Puis, il conclut sur un ton remarquablement personnel : « si j’avais un fils, il ressemblerait à Trayvon. Quand je pense à lui, je pense à mes propres enfants »13. Quelques mois plus tard, faisant référence à sa propre déclaration, il reformule : « Trayvon Martin aurait pu être moi il y a 35 ans14 »15. Malgré son pouvoir, son parcours, son milieu social, même le président connaît ces stéréotypes raciaux. C’est un tournant important dans sa présidence.

14 Ces mots, toutefois, pesèrent bien peu quand, le 13 juillet 2013, George Zimmerman est acquitté. Douleur, colère, tristesse et, parfois, résignation, s’emparent de nombreux·ses Africain·e·s-Américain·e·s. Pour elles et eux, ce verdict signifie que le meurtre d’un adolescent noir non armé ne mérite pas d’être puni et qu’ainsi se maintient et se reproduit un ordre social discriminant, raciste et inégalitaire. À l’autre bout du pays, en Californie, Alicia Garza, militante dans un syndicat d’employés domestiques, dira que c’était « comme recevoir un coup de poing »16. « Triste, en colère et folle de rage », elle publie alors sur Facebook une « lettre d’amour aux Noir·e·s », et dit la nausée qu’elle ressent à l’idée qu’une partie des États-Unis est en train de célébrer le verdict :

« Noir·e·s, je vous aime, je nous aime, nos vies comptent ». Son amie Patrisse Cullors ajoute un hashtag tandis que Opal Tometi lance un site internet et le slogan

« #BlackLivesMatter » est né.

15 De l’aveu même d’Obama, le meurtre de Trayvon Martin fait écho à la longue expérience du racisme dont les Noir·e·s sont la cible, et si des progrès ont été accomplis, ils « ne signifient pas que nous sommes dans une société post-raciale, [ils] ne signifient pas que le racisme est éliminé17 ». Son second mandat (2013-2016) sera rythmé par les meurtres et les violences policières qui seront le carburant d’un mouvement social d’une ampleur historique.

 

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» : les violences policières embrasent l’Amérique

16 Le 17 juillet 2014, Ramsey Orta a filmé seize minutes de la confrontation fatale entre des agents de la police de New York et Eric Garner, un Africain-Américain de 43 ans. On y voit l’officier Daniel Pantaleo, blanc, pratiquer une clé d’étranglement pour maîtriser Eric Garner et, aidé de ses collègues, compresser au sol son thorax de manière prolongée, l’empêchant ainsi de respirer jusqu’à provoquer un arrêt cardiaque. À onze reprises avant de mourir, Eric Garner implore les policiers : « I can’t breathe » (« je ne peux pas respirer »). En dehors de la dimension choquante de la vidéo elle-même, plusieurs éléments ont participé à fédérer un mouvement de protestation et montrent qu’au contraire d’un fait isolé, la mort d’Eric Garner s’inscrit dans une série d’événements qui renforcent la représentation que les Noir·e·s se font de la police dans leurs quartiers. D’une part, jugée dangereuse, la clé d’étranglement avait été interdite dans le règlement intérieur du NYPD (Département de police de New York) par le chef de la police Raymond R. Kelly depuis 1993. Daniel Pantaleo n’aurait donc pas dû utiliser cette technique19 et ses collègues n’auraient pas dû le laisser faire et encore moins l’aider. Mais les chiffres du Comité d’examen des plaintes civiles (Civilian Complaint Review Board) montrent que c’est néanmoins une pratique courante puisqu’en 2014, 244 plaintes20 avaient été déposées. William Bratton, célèbre figure de la tolérance zéro, a modifié ce règlement en 2016 – après la mort d’Eric Garner – pour préciser qu’elle était interdite sauf « circonstances impérieuses »21. D’autre part, la raison même de l’interpellation d’Eric Garner – la vente de cigarettes à l’unité22 – est typique de la criminalisation des activités et infractions des populations les plus pauvres et les plus marginalisées, communément appelée la criminalisation de la misère ou de la pauvreté (Wacquant, 2004 ; Edelman, 2017 ; Alexander, 2010). Eric Garner était une cible récurrente de ce qu’il vivait comme du harcèlement policier : il avait été arrêté plus de trente fois, dont deux cette année-là, et à ce même coin de rue pour la vente de cigarettes détaxées23. Refusant de se soumettre, il avait déposé une plainte auprès d’une Cour fédérale en 2007 à la suite d’une fouille au corps intégrale en public, et avait, peu de temps avant sa mort, pris attache avec les services d’aide juridique (Legal Aid) pour aller au procès dans toutes les affaires qui le concernaient et pour lesquelles il refusait le plaider coupable. C’est dans ce climat que lors de son ultime interpellation il prononce ces mots, empreints de colère et de lassitude :

« À chaque fois que vous me voyez, vous voulez m’embrouiller ! Je m’occupe de mes affaires, j’en ai marre. Ça s’arrête aujourd’hui » !

17 Dans la ville de New York, berceau de la tolérance zéro et de la théorie de la vitre brisée24, le harcèlement dont Eric Garner est victime participe d’un « assaut organisé contre les petits désordres qu’il incarnait »25. Cette politique de criminalisation commence au niveau le plus quotidien, celui de la rue. Cette année-là, à New York, 53 % des contrôles d’identité (stop & frisk) ont concerné des Africains-Américains alors qu’ils ne représentent que 25 % de la population, et 82 % des personnes contrôlées (et parfois fouillées) étaient complètement innocentes26 – une disproportion qui persiste malgré la diminution significative  du nombre de ces contrôles suite à un jugement d’inconstitutionnalité. Les derniers mots d’Eric Garner sont une allégorie parfaite du ressenti des Noir·e·s américain·e·s face au racisme : ils et elles ne peuvent plus respirer, ça doit s’arrêter. La mort de Michael Brown trois semaines plus tard devient le détonateur du mouvement Black Lives Matter dont l’écho sera international.

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18 Le 9 août 2014, à Ferguson (Missouri), le policier blanc Darren Wilson tue Michael Brown, un adolescent noir non armé, de six balles, dont deux dans la tête, à l’issue d’une confrontation de 90 secondes. Sa dépouille est laissée gisante sur l’asphalte pendant plus de quatre heures, convoquant les souvenirs et images traumatisants des lynchages dans la mémoire collective africaine-américaine et ajoutant à l’émoi et la colère de la communauté de Ferguson. La psychanalyste Dionne R. Powell le confirme :

« Bien que les lynchages publics ne se produisent plus, les grands médias nous offrent quasi quotidiennement une suite de corps noirs morts à regarder. L’image du corps sans vie de Michael Brown, instantanément diffusée dans le monde entier,

est analogue aux lynchages historiques en termes de peur et de terreur qu’elle

génère » (Powell, 2018, p. 1027).

19 Mais, au-delà de la mort de l’adolescent à la veille de sa rentrée à l’université, c’est le traitement réservé aux manifestant·e·s demandant l’inculpation de Wilson qui surprend l’opinion publique et révèle les rapports que la police entretient avec les populations noires. Les tensions contemporaines et l’ancienneté de l’antagonisme qui oppose Noir·e·s et police s’enracinent dans le système esclavagiste, dans lequel « les Noirs [étaient] à la fois un patrimoine et une menace » (Combeau, 2018, p. 44), et où les ancêtres de la police sont les patrouilles esclavagistes. Historiquement, la police est garante de la protection de l’ordre social au profit des dominants. En attestent les meurtres d’Africains-Américains par la police, dont la fréquence et la banalité caractérisent « un des systèmes et mécanismes de contrôle racial centrés sur la violence utilisés pour oppresser les Africains-Américains à travers l’histoire des États- Unis » (Cazenave, 2018, p. 81). Dans le contexte d’une « relation principalement autoritaire, régulatrice et punitive par essence » (Bass, 2001, p. 158), la dimension politique de cette violence apparaît donc clairement.

20 En pratique, une analyse du travail de la police et des contradictions entre ses logiques et les attentes des citoyens conduit Holmes (2008) à reconnaître que « les citoyens de ces territoires [les ghettos et barrios] sont les premiers touchés par la brutalité policière » (p. 29), alors que la police « peut prendre des mesures de protection moins nombreuses et moins agressives dans les quartiers de classes moyennes ou supérieures » (p. 33). Cette différence de traitement est également relevée par Michelle Alexander qui remarque que « Tant que la masse des arrestations liées à la drogue est faite dans les quartiers urbains pauvres, les chefs de police ont peu de raison de craindre un retour de bâton politique, peu importe à quel point leur approche est agressive ou militaire » (Alexander, 2010, p. 124). Finalement, la légitimité et la crédibilité mêmes de la police – indispensables à sa mission – sont érodées par tous ces abus ordinaires ce qui a pour conséquence la révolte de la population, à l’instar de ce qu’il s’est passé à Ferguson (Green, 2015, p. 265-266).

21 L’âge de l’hypercapitalisme et du néolibéralisme accentue ces violences (Cazenave, 2018 ; Vitale et Jefferson, 2016) en soutenant la militarisation, voire l’hyper- militarisation, des départements de police. C’est armée de « tanks, armes automatiques, quantité de balles en caoutchouc et autres matraques, [que] la police de Ferguson a déclaré la guerre à ses résidents et tous ceux qui se tenaient à leurs côtés » résume ainsi Keeanga-Yamahtta  Taylor,   professeure   du   département   d’études   africaines- américaines de Princeton et autrice d’un livre sur Black Lives Matter (2016, p. 154). En effet, les manifestations spontanées des habitant·e·s de Ferguson ont brutalement été réprimées par une police hypermilitarisée, aidée par la garde nationale, venue en renfort pour faire respecter le couvre-feu. Dans une étude publiée en 2018, Jonathan

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Mummolo ajoute que non seulement l’hypermilitarisation de la police ne constitue pas une stratégie efficace pour lutter contre le crime, mais est, de surcroît, hautement discriminatoire pour les citoyens et délétère pour l’image de la police (2018).

22 La surprise suscitée par ce déploiement spectaculaire a contribué à donner aux rues de Ferguson une dimension nationale27 et internationale. Les manifestants étaient rejoints par des activistes venus de tout le pays apporter des renforts humains, financiers, logistiques, juridiques et politiques. Ces derniers ont habilement et intensément utilisé les réseaux sociaux pour faire connaître leur combat, le documenter et mobiliser sur la base d’une revendication immédiate : « Stop killing us » (arrêtez de nous tuer).

23 Les violences policières sont donc le point d’entrée de ce mouvement social et politique dont la préoccupation ultime est bien celle de la justice raciale dans une nation où le racisme est structurel28 (Feagin, 2006 ; Bonilla-Silva, 2018 ; Alexander, 2010 ; Muhammad, 2011 ; Wilson, 1987).

24 Nous avons donc montré dans un premier temps que la police sert à maintenir un ordre social qui, loin d’être post-racial, est au contraire toujours intrinsèquement raciste ; et que les mauvais traitements répétés que la police – et le système judiciaire en général – inflige à la communauté noire ont conduit à la revitalisation de la lutte pour l’égalité raciale, notamment par la colère qu’ils suscitent. Nous allons dans un deuxième temps, analyser plus en détail les stratégies développées par le mouvement Black Lives Matter pour lutter contre le racisme systémique. Un faisceau d’initiatives s’articule à l’échelle locale et nationale. Dans cet ensemble de tactiques destinées à transformer le rapport de force, les militant·e·s de Black Lives Matter se sont montré·e·s très actif·ve·s dans la production de représentations concurrentes aux discours dominants déshumanisants, ceci dans le but de reconquérir du pouvoir et revendiquer leur place dans les espaces publics, médiatiques et politiques notamment.

 

« Black Lives Matter » : renaissance de la lutte pour la justice raciale

Le slogan d’une expérience collective

25 Le succès du slogan « Black lives matter » (BLM) s’explique parce qu’il constitue un écho direct aux sentiments de relégation, de domination et d’invisibilisation des Noir·e·s. Mais il revêt également une dimension plus collective. Ainsi, la psychanalyste Dionne Powell explique au sujet de la mort de Trayvon Martin :

« Si vous étiez un parent africain-américain, les prochains appels que vous passeriez seraient à vos fils, les implorant d’être vigilants en marchant dans la rue, d’être prudents en cas de pluie et s’ils couvraient leur tête, et de les mettre en garde contre le prix à payer pour essayer d’être un gosse normal quand on est noir » (Powell, 2018, p. 1 022).

26 Nikole Hannah Jones, lauréate du Prix Pulitzer en 2020 pour son Projet 1619 sur l’héritage de l’esclavage fait écho à ce « traumatisme par autrui29 » : « je me demande si les gens comprennent comment nous ressentons ça dans nos corps. Comment chacun de ces meurtres nous tue un petit peu »30. Pour l’historien Ibram X. Kendi, « il y a une ligne historique directe entre les contremaîtres pendant l’esclavage, les auteurs de lynchages et les officiers de police d’aujourd’hui, tuant et maltraitant tous les corps noirs, et tous protégés par le pouvoir raciste. Leurs plaies sont les nôtres – notre

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mémoire de la terreur, des morts »31. On comprend donc pourquoi ce slogan a tellement résonné sur les réseaux sociaux et dans les manifestations depuis 2013, jusqu’à la séquence la plus récente du printemps 2020 faisant suite à la mort de George Floyd, asphyxié par un policier agenouillé sur son cou. Le parallèle avec le cas d’Eric Garner est saisissant.

27 Ainsi, s’il a pour point de départ et pour revendication immédiate la fin des violences policières (Taylor, 2016), le mouvement Black Lives Matter se caractérise par une volonté de transformation du système politique et social américain dans son ensemble.

Comme le répète Alicia Garza,

« C’est une lutte de libération. Il est essentiel de lier la violence de la police aux conditions dans lesquelles nos gens vivent et il n’est pas question de réduire le spectre de la violence d’État. Nous parlons de suprématie blanche, d’impérialisme, de patriarcat, de bas salaires, des attaques contre les syndicats, de la médiocrité du logement, de l’éducation ou de l’emploi32 ».

28 En pratique, cela donne un mouvement décentralisé et intersectionnel33, faisant place à de nombreux leaders et initiatives, parfois dans une certaine confusion, ce qui l’a rendu difficile à appréhender et définir pour les commentateurs traditionnels34. Sans vouloir tendre à l’exhaustivité ni figer un mouvement qui se veut pluriel, il est utile de distinguer trois acceptions originelles principales qui ont relativement convergé avec les années. Initialement, #blacklivesmatter est un hashtag (1) – formé par Alicia Garza et Patrisse Cullors qui, rejointes par Opal Tometi, ont fondé une organisation (2). Enfin, depuis les mobilisations de Ferguson en 2014, Black Lives Matter désigne également l’ensemble du mouvement (3) contemporain de lutte pour la justice raciale et sert de plateforme de ralliement à de multiples organisations, en général locales et souvent de création récente35, indépendantes les unes des autres et représentant un spectre d’opinions politiques large36. Mais il faut souligner, comme le montrent les biographies des fondatrices, que nombre de membres de BLM sont des vétérans du community organizing et sont impliqués depuis longtemps sur des sujets variés en relation à l’expérience noire aux États-Unis (Arnold, 2017, p. 12-13). La philosophie de ce mouvement est que les groupes concernés par les différentes formes d’oppression sont les plus aptes à élaborer des stratégies pour y répondre et, surtout, les plus légitimes pour prendre en main leur destin. Ce mouvement est donc la somme d’engagements, d’individus et d’organisations divers. Sa nature protéiforme et « horizontale » (Célestine et Martin-Breteau, 2016, p. 16) permet alors des actions concomitantes sur des fronts multiples d’une part, et de dépasser la question des violences policières d’autre part.

 

Une lutte contre la violence d’État sur tous les fronts

29 Pour lutter contre le système et la violence d’État sous toutes ses formes, Black Lives Matter est actif sur de multiples fronts (Taylor, 2016, p. 167). Il est difficile de tenir registre de toutes les initiatives prises sur le terrain, des milliers d’actions menées sur les campus, dans les quartiers, dans les espaces publics ou devant les tribunaux. Depuis 2014, nombre de manifestations, d’opérations de désobéissance civile, mais aussi de lectures publiques, de conférences, d’espaces de fraternisation et de soin ont mobilisé les Noir·e·s essentiellement, et ceux qu’ils appellent des « allié·e·s ».

30 Sur le plan électoral, l’accès à des positions de pouvoir pour des Africain·e·s- Américain·e·s se poursuit. En 2018, Lori Lightfoot devient la première maire LGBTQ, et

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la première maire noire de Chicago. Dans le Mississippi, Chokwe Lumumba, un activiste radical noir a été élu maire de Jackson. D’autres élu·e·s, au contraire, ont été sanctionné·e·s par les urnes, à l’instar de la procureure de l’État Anita Alvarez à Chicago, en 2016, accusée de n’avoir pas pris suffisamment au sérieux les questions de brutalités policières37. En Floride, c’est Angela Corey qui a perdu sa réélection dès la primaire de 2016 critiquée pour son approche punitive de la justice, en particulier en matière de justice juvénile. À l’élection de candidats aux profils plus diversifiés, il faut ajouter que les sujets de justice et d’égalité raciales sont désormais devenus incontournables pour quiconque brigue un mandat. Ce fut le cas pendant les primaires démocrates38 et la campagne de l’élection présidentielle de 2020. Et cette question s’est imposée de manière encore plus éclatante à la mort de George Floyd, le 26 mai 2020, précipitant le mouvement social le plus important de l’histoire des États-unis39. Il est intéressant de souligner que cet épisode s’inscrit en totale continuité du mouvement Black Lives Matter engagé précédemment. Les revendications de changements politiques structurels, comme l’abolition de la police, en attestent. Pour autant, même si les États-Unis n’ont jamais eu autant de Noir·e·s à des positions de pouvoir (Taylor, 2016), il paraît clair que la revendication de l’accès aux positions sociales dominantes n’est pas une fin en soi. À Baltimore, en 2015, par exemple, une maire, des magistrats, des procureurs et des policiers noirs n’ont pas empêché les violences policières40 ni apaisé des habitant·e·s révolté·e·s.

31 Les avancées électorales et politiques de Black Lives Matter s’accompagnent d’avancées sur le plan législatif41, même si là encore elles sont confrontées à des oppositions ou des retours de bâton. En 2015, une loi a été votée en Pennsylvanie pour former les policiers à interagir avec des personnes ayant des troubles mentaux (particulièrement touchées par les violences policières) ; en 2016, le Wyoming a voté une loi contre le caractère lucratif de certaines opérations de police (saisies, procès-verbaux…) ; en 2015, le Texas a voté une loi pour promouvoir et financer l’usage de caméras portées par les policiers – une avancée contrebalancée par la disposition leur permettant de consulter les images avant de faire leurs déclarations ; enfin, l’exemple le plus spectaculaire est le référendum en Floride en 2018 restituant le droit de vote à 1,5 million d’anciens prisonniers, une mesure finalement contrée par les Républicains qui exigent que les anciens prisonniers s’acquittent d’abord de leurs dettes et taxes auprès de l’État, rétablissant ainsi une discrimination structurelle à l’encontre des pauvres et des minorités.

32 En complément de ces mesures législatives, de nombreuses initiatives locales impliquant directement la police peuvent être relevées, toutes résultantes de la mobilisation de ces dernières années42. D’abord, le ministère de la Justice avait ordonné des enquêtes détaillées auprès d’au moins quatre grands départements de police : Ferguson, Baltimore, Chicago et Cleveland. Ces rapports ont mis en évidence des pratiques racistes systémiques et même le racket et le harcèlement de la population sous forme de contraventions excessives à Ferguson, par exemple. À New York, le NYPD a dépensé 35 millions de dollars pour former ses agent·e·s à ne pas pratiquer de clés d’étranglement.

33 Mais le succès le plus évident de Black Lives Matter se joue dans le champ médiatique et culturel. Le sujet des violences policières et de la justice raciale en général est désormais discuté quotidiennement dans les colonnes et sur les ondes des plus grands

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médias, tandis qu’une énorme production cinématographique et documentaire43 a remis la question raciale au centre.

 

Déconstruire les représentations racistes

34 Le racisme, en tant que système, s’appuie sur des mécanismes de déshumanisation et infrahumanisation se manifestant de manière concrète dans la vie sociale (empathie différente selon l’appartenance raciale, associations implicites…). Ces processus de déshumanisation contribuent même à expliquer les pires atrocités dans le contexte de guerres, de génocides, de colonisation… (Harris et Fiske, 2011 ; Owusu-Bempah, 2017 ; Fanon, 2002). Or, ils opèrent également dans les cas de violences policières. Pour ne citer qu’un seul exemple, Darren Wilson a déclaré lors de sa déposition que Michael Brown lui était apparu surgir sur lui tel un « démon ». S’interroger sur les modalités de production et de reproduction de ces stéréotypes est donc crucial pour les déconstruire et s’émanciper des assignations. La réappropriation des discours sur soi dans le roman national et la promotion de représentations inclusives constituent ainsi une stratégie de « réhumanisation » des personnes noires. C’est sur les réseaux sociaux que les activistes de Black Lives Matter y ont le plus contribué, notamment par une critique des termes normatifs et des représentations par lesquelles les Noir·e·s sont perçu·e·s comme

« Autres » au sein de la société américaine.

35 Twitter est une plateforme d’action très propice au militantisme, en particulier pour les Noir·e·s44, alors que « les réseaux sociaux remettent aussi en cause les médias traditionnels en tant qu’instruments de la structure de pouvoir » (Howard, 2017, p. 124) – ces derniers jouant un rôle décisif dans la légitimation de l’ordre social par leur puissante capacité de normalisation. Le premier biais intrinsèque des médias est d’isoler les cas les uns des autres en individualisant les récits. Or, comme le note Amy Wang (2012), « formuler l’oppression en termes d’acteurs individuels est une stratégie libérale qui démantèle les réponses collectives à l’oppression et détourne l’attention du problème d’ensemble » (Wang, 2012, p. 2). En revanche, donner un # à chaque victime – hommes ou femmes – et le lier au #BlackLivesMatter permet de les connecter et de relier ces incidents les uns aux autres. Ashley Howard, dont les recherches examinent les connexions entre violence et résistance dans l’Amérique noire, abonde en ce sens :

« en faisant cela, les activistes des réseaux sociaux perturbent la tendance des médias

principaux de décrire les meurtres policiers comme des événements locaux et singuliers parce qu’un péril physique était imminent » (Howard, 2017, p. 124). D’autres hashtags tels que #NoAngel, #IfTheyGunnedMeDown, #SayHerName et évidemment

#BlackLivesMatter – mentionné plus de 30 millions de fois entre 2013 et 201845 – déclinent l’affirmation initiale que « les vies noires comptent » et ont participé à la réappropriation et réécriture des discours médiatiques sur les Noir·e·s. Pour Ashley Howard, #NoAngel « a forcé les journalistes mainstream à choisir des images différentes pour représenter Mike Brown et déplacé le débat sur les peccadilles de Mike Brown aux disparités raciales dans le pays » (Howard, 2017, p. 125).

36 L’utilisation de termes connotés – comme dans le portrait de Michael Brown dans le New York Times46–, de métaphores, de métonymies racialement codées est courante47 (Lopez, 2015), et relève d’une injonction à l’irréprochabilité qui revient à porter le blâme sur la victime. Il est courant, en effet, de débattre sur la « respectabilité » de la victime plutôt que sur ce qui lui est arrivé. Rashawn Ray a ainsi montré comment la

(13)

capuche de Trayvon Martin n’était pas un simple détail vestimentaire, mais constituait un stigmate racial fort faisant dire à certains que « s’il n’avait pas porté cette capuche, Trayvon ne serait pas mort » (Ray, 2015). Le journaliste Jamelle Bouie rappelle que personne ne décrirait les jeunes enfants blancs comme des mauvais gamins pour avoir fumé de l’herbe ou écouté du rap, et certainement pas s’ils étaient tués par la police48.  Dans un article publié entre la mort de Trayvon Martin et le procès de George Zimmerman, Jackie Wang, doctorante à Harvard, questionnait déjà « la manière dont l’innocence devient une précondition nécessaire au lancement d’une campagne politique anti-raciste » et constitue un « appel à l’imaginaire blanc [dans une logique qui]

criminalise la race et construit les sujets comme dociles » (Wang, 2012, p. 1-2).

37 Or, le mouvement Black Lives Matter s’est continuellement opposé à la politique de respectabilité (Obasogie  et  Newman,  2016),  car  l’argument selon  lequel  le comportement de la victime aurait une influence sur les policiers nie évidemment largement la dimension structurelle des inégalités et du racisme (Taylor, 2016, p. 26-28). C’est d’ailleurs une critique répandue contre Barack Obama. Keeanga- Yamahtta Taylor souligne que « quand Obama parle des pères noirs absents, il ne mentionne jamais les disparités dans les arrestations et les condamnations qui sont responsables du nombre disproportionné de pères noirs manquant à l’appel » (p. 143).

Et Mychal Denzel Smith d’ironiser « Trayvon Martin avait un père. Jordan Davis avait un père. Michael Brown avait un père. Tamir Rice avait un père. Avoir un père ne protège pas les enfants noirs de l’Amérique » (p. 212). C’est sans doute cela qui a, au moins partiellement, érodé l’espoir qu’Obama avait fait naître parmi la population noire et qui a, finalement, discrédité le premier président noir aux yeux de nombre de militant·e·s. Black Lives Matter a donc rouvert un débat essentiel. La pédagogie déployée par ses militant·e·s pour déconstruire les termes normatifs qui irriguent les relations sociales et marginalisent des groupes entiers contribue à la remise en cause plus large de l’ordre racial et social.

 

Conclusion

38 Le mouvement Black Lives Matter, en exposant la réalité de l’ampleur et de la continuité des violences policières, a montré que toutes ces violences n’étaient pas isolées, mais appartenaient à un système plus large d’oppression raciale et que, par conséquent, l’Amérique post-raciale était un mythe. Le 10 janvier 2017, lors de son discours final à Chicago, Obama concédait une fois encore que cela n’avait « jamais été réaliste ». L’illusion d’une société méritocratique où travailler dur et bien se comporter suffirait pour réussir a été démentie par la mort de Tamir Rice, Trayvon Martin, Philando Castile, Sandra Bland, Oscar Grant, Kalief Browder, Jordan Davis, Korryn Gaines… et plus récemment George Floyd ou Breonna Taylor, parmi tant d’autres.

39 Ces noms sont désormais inscrits durablement dans la mémoire collective américaine et sont des marqueurs des fractures raciales déchirant le contrat social. L’inquiétude face aux avancées et aux revendications des minorités qui traversent une partie de la société américaine – que l’on peut mesurer à travers l’adhésion très forte aux idées de Donald Trump ou la vivacité des groupes suprémacistes blancs – atteste que c’est bien l’ordre racial, social et politique dominant dans son ensemble qui est ébranlé par les mobilisations antiracistes de ces sept dernières années. À travers Black Lives Matter, les Noir·e·s américain·e·s ont trouvé un espace d’expression et de canalisation de leurs

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colères et de leurs sentiments, un espace d’action collective, permettant l’expérience de solidarité et de résilience dans un climat social et politique général par ailleurs hautement conflictuel. Participer à cette lutte, constitue un outil cathartique (Recoquillon, 2017) et offre un débouché aux colères suscitées par les violences policières et l’injustice sociale et raciale. Si la question de l’égalité raciale reste loin d’être réglée aux États-Unis, l’ubiquité et la sophistication des débats à ce propos constituent déjà un accomplissement majeur de cette nouvelle génération de militant·e·s noir·e·s. Impossible d’échapper à ces questions désormais, et à la radicalité croissante des revendications portées. C’est « l’effet Black Lives Matter49 ».

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NOTES

1. Son livre The New Jim Crow, paru en 2010, dénonce la politique discriminatoire d’incarcération

de masse ; il a connu un succès retentissant.

2. Michelle Alexander, « Telling my son about Ferguson », The New York Times, 24 novembre 2014.

Tous les sites web indiqués dans cet article ont été consultés le 28 juin 2020.

3. Chiffres issus de The Counted, base de données développée par The Guardian et du recensement

général de la population, Bureau of Census.

4. Dans cet article, l’autrice utilise indifféremment les adjectifs « noir·e » ou « africain·e- américain·e », à l’instar des personnes concernées qui emploient les deux terminologies. De plus, la catégorie du recensement « Black or African American » ne permet pas de faire la différence.

5. Charlotte Recoquillon et Marianne Boyer, « Ferguson, produit d’une longue histoire des brutalités policières », Le Monde, 21 août 2014.

6. International Association of the Chiefs of Police, Police use of force in America, 2001, Alexandria,

Virginia, 2001.

(17)

7. Graham V. Connor, 490 U.S. 386, 396-97 (1989).

8. Cheryl Corley, « Coping while Black: a season of traumatic news takes a psychological toll»,  NPR, 2 juillet 2015.

9. Rich Morin et Renee Stepler, « The racial confidence gap in police performance», Pew Research

Center, 29 septembre 2016.

10. President Committee on Civil Rights (1947), To secure these rights, Washington, US Government

Printing Service, p. 25. De nombreux rapports en ont fait état de manière répétée, attestant ainsi de la persistance – si ce n’est de l’ampleur – des violences policières : National Commission on Law Observance and Enforcement (1931), President’s Commission on Civil Rights (1947), the US Civil Rights Commission (1961), the McCone Commission (1965), the Crime Commission (1967), the National Commission on Civil Disorders, the Kerner Report (1968), the Knapp Commission (1972), the Christopher Commission (1991), the report on Ferguson Police Department (2015)…

11. Daniel Schorr, « A new, “post-racial” political era in America », NPR, 28 janvier 2008.

12. Adam Nagourney, « Obama elected President as racial barrier falls »,The New York Times, 4 novembre 2008.

13. David A. Graham, « Quote of the day: Obama: “If I had a son, he’d look like Trayvon” », The Atlantic, 23 mars 2012.

14. « Transcript: President Obama addresses race, profiling and Florida Law », CNN politics, 19 juillet 2013.

15. Ce n’est pas la première fois que Barack Obama se présente comme un homme sensible et

comme un père de famille. On peut notamment se remémorer les larmes essuyées après la tuerie de l’école maternelle Sandy Hook en décembre 2012. Son élection elle-même résulte d’une campagne sur le sentiment d’espoir.

16. Jamilah King, « #blacklivesmatter. How three friends turned a spontaneous Facebook post into a global phenomenon », The California Sunday Magazine, 1er mars 2015 (consulté le 15 juin 2020).

17. Op. cit.

18. Jay Caspian Kang, « ‘Our demand is simple: stop killing us’ », The New York Times Magazine, 4 mai 2015.

19. En août 2019, à l’issue d’un procès administratif, Daniel Pantaleo est licencié. Cette décision

constitue la seule répercussion juridique à ce jour.

20. Ali Winston, « Despite Eric Garner and “I Can’t Breathe”, chokeholds still used », The New York

Times, 9 mai 2019.

21. Ibid.

22. Eric Garner niait vendre des cigarettes à ce moment-là, il a répété « je n’ai rien fait » et plusieurs témoins ont affirmé qu’il était en train de s’interposer dans une bagarre.

23. Joseph Goldstein et Nate Schweber, « Man’s death after chokehold raises old issue for the police », The New York Times, 18 juillet 2014.

24. La théorie de la « vitre brisée », broken window theory (Wilson et Kelling, 1982 ; Bratton, 1998),

est une thèse de criminologie développée en 1982 et mise en place à New York sous Rudolph Giuliani par son chef de la police William Bratton. Selon cette théorie, les petites transgressions et les incivilités seraient à l’origine du sentiment d’insécurité et constitueraient un signal, voire un appel, pour d’autres actes de délinquance. Cette politique, dite aussi de « tolérance zéro » est très controversée du fait de sa brutalité et de son efficacité démentie sur les taux de criminalité (Harcourt, 2002 ; Harcourt et Ludwig, 2006). De surcroît, Broken windows « [rend] la police complice de la criminalisation des pauvres » (Elderman, 2017, p. xvi).

25. Al Baker, J. David Goodman et Benjamin Mueller, « Beyond the chokehold: the path to Eric Garner’s death », The New York Times, 13 juin 2015.

26. New York Civil Liberties Union, « Stop and frisk data ».

(18)

27. Michael Wines et Emma G. Fitzsimmons, « What started as a local protest in Missouri grows into a center of national activism », New York Times, 20 août 2014.

28. « Système hiérarchique fondateur, étendu et incontournable de l’oppression raciale américaine, conçu par les Blancs pour subordonner les gens de couleur. Le racisme systémique est une réalité sociale et matérielle concrète, et en tant que tel, bien intégré dans toutes les institutions majeures de la société » (Elias et Feagin, 2016, p. 258).

29. Wortham Jenna, « Racism’s psychological toll », entretien avec Monnica Williams, The New

York Times Magazine, 24 juin 2015.

30. Tweet du 14 juin 2020 au sujet du meurtre de Rayshard Brooks par un policier à Atlanta.

31. Tweet du 14 juin 2020.

32. Terrain, conférence de clôture du Left Forum, New York City, mai 2015.

33. Concept développé par Kimberlé Crenshaw (1991) qui permet de comprendre comment différentes formes d’oppressions, de discriminations et d’identités politiques s’articulent entre elles.

34. Peter Eisler et Alana Wise, « “Black Lives Matter”: a movement that defies definition »,  Reuters, 15 juillet 2016.

35. Par exemple, 10 des 28 organisations membres du Front uni pour les vies noires (Movement4BlackLives) ont été fondées après le meurtre de Trayvon Martin en 2012, et 18 au total sont postérieures à 2007.

36. Entretien avec Nyle Fort, activiste, pasteur et doctorant en philosophie de la religion à Princeton, septembre 2016. Pour un récit détaillé de la genèse et de la formation du mouvement, se rapporter au chapitre 6, « Black Lives Matter : a movement, not a moment », de l’ouvrage de référence de Keeanga-Yamahtta Taylor (2016, p. 153-190).

37. Brad Edwards, « Anita Alvarez: “I do feel like the scapegoat” », CBS Local, 19 février 2017.

38. Joe Biden n’avait pas les faveurs de la communauté noire qui lui reproche notamment la conception et l’instauration, en 1994, d’une loi ayant accéléré et aggravé l’incarcération de masse dont les noirs ont été les principales victimes.

39. Source : https://www.nytimes.com/interactive/2020/07/03/us/george-floyd-protests-crowd-

size.html

40. En avril 2015, la mort effroyable de Freddie Gray, 25 ans, décédé une semaine après être ressorti d’un fourgon de police les cervicales arrachées a déclenché une véritable révolte, toutefois enracinée dans la ségrégation intense, le chômage, la pauvreté et la médiocrité des écoles publiques ou du logement. Voir : Bryce Covert, « The economic devastation fueling the anger in Baltimore », Think Progress, 28 avril 2015 ; Michael Keller, E. Tammy Kim, Tom Kutsch, Lam Thuy Vo, « Baltimore: the divided city where Freddie Gray lived and died. How racial disparities in employment, housing and education contextualize Baltimore's unrest », Al Jazeera America, 29 avril 2015, Center for Social Inclusion, « Structural racism and baltimore: understanding the roots of the uprisings », 5 mai 2015.

41. Pour suivre les lois proposées, votées ou rejetées dans les 50 États, voir la carte interactive

développée dans le cadre de la « campagne zéro », un projet développé par des militants de Black Lives Matter : https://www.joincampaignzero.org/#action

42. Les événements de 2020 suivant la mort de George Floyd laissent présager davantage de réformes tandis que les revendications des militants se sont durcies et s’inscrivent ouvertement dans le registre de l’abolitionnisme.

43. Parmi les documentaires on peut signaler 13th (Ava Duvernay, 2016), O.J. : Made in America

(Ezra Edelman, 2016) ou Time : the Kalief Browder story (Jenner Furst, 2017), ou encore 3½ minutes, ten bullets (Marc Silver, 2015). Le long-métrage de fiction réaliste Fruitvale Station (Ryan Coogler, 2014) ou la série-fiction Dans leur regard (when they see us) (Ava Duvernay, 2019) participent de la sensibilisation et information d’un très grand public. Les succès de Black Panther ou Get Out sont un autre signe de la réappropriation de la production et des images.

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