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L'Université est-elle en danger? : discours prononcés à la 58e Assemblée générale le 6 décembre 1946

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L'Université est-elle en danger? : discours prononcés à la 58e Assemblée générale le 6 décembre 1946

BABEL, Antony, LACHENAL, Adrien

BABEL, Antony, LACHENAL, Adrien. L'Université est-elle en danger? : discours prononcés à la 58e Assemblée générale le 6 décembre 1946. Alma mater, 1947, p. 1-20

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:156240

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(2)

SOCIETE ACADEMIQUE DE ,GENEVE

C -

....

.

L' UNIVERSITE

EST.~ELLE EN DANGER ?

Discours prononces

a

la 58e Assemblee generale le 6 decembre 1946

-.

par

ANTONY BABEL

Ancien Recteur de l'Universite

et "

ADRIEN LACHENAL

Conseiller national

y

.;ii

GENEVE

,I'

I -

" •'

(3)

L'UNIVERSITE

DEVANT SES TACHES NOUVELLES

par

Antony BABEL

Prof esseiir a l' Universite de Geneve

L'Universite est-elle en danger 1 La Societe academique, toujours vigilante lorsque le sort des etudes superieures est en jeu

a

Geneve, a ,,oulu par cette interrogation anxieuse alerter l'opinion publique. Elle a acquis ainsi un nouveau titre

a

notre reconnaissance.

Quels sont done les perils qui pourraient menacer notre Alma Mater ? Vous le supposez bien, mais il est bon, pour eviter toute ambigui:te, de le dire au debut de cet expose: ces dangers ne sont pas d'ordre intellectuel, moral, spirituel. Nos universites suisses sont,

a

ces points de vue, toujours

a

la hauteur de leur tache. L'attraction qu'elles cxercent sur la jeunesse studieuse de tons les pays le prouve d'une fa~on eclatante.

Pour le moment, ce n'est encore que dans le domaine materiel, financier, qu'elles sont menacees. Mais qui dira l'incidence que pourra avoir cette situation sur leur proche avcnir scientifique ?

D'ou proviennent ces difficultes, ces inquietudes, ccs dangers '?

Quels remedes pourrait-on eventuellement lenr opposer 1 Telles sont en sommc les deux questions auxqnelles la Societe academique desire que nous repondions tres bricvemcnt ce soir . .Je le ferai en tonte objectivite, en toute serenite, en evitant avec soin ce qui pourrait ressembler

a

d e la

polemique.

Il fut un temps ou des acaclemies entretenues par de petites villes, vivant sur un pied modeste, ne disposant que de moyens financiers trcs limites, pouvaient rayonncr au loin et excrcer une influence intellectuclle incomparable. Elles avaient

a

leur service sou vent des maitres que lcur for- tune liberait de tout souci materiel. Leurs laboratoires - quelques cabinets de physique et d'histoire naturelle - etaient peu nombreux, leurs instru- ments de travail simples et peu co1'.'lteux. D'ailleurs les disciplines morales l'emportaient encore sur les branches scientifiques et meclicales qui exigent des equipements beaucoup plus compliques. Les bibliotheques s'accroissaient lentement, au rythme cl'une production intellectuelle

I

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- 2 -

qui n'avait pas encore pris l'aU-iue vertigineuse que nous lui connaissons.

Beaucoup de nos preoccupations actuelles, beaucoup des problemes qui se posent

a

nous et exigent des solutions urgentes, n'etaient naguere meme pas soupgonnes.

Longtemps de petites cites comme Geneve, Lausanne, plus tard Neuchatel, ont pu faire les sacrifices - lourds certes, mais cependant tolerables - qu'exigeaient des academies qui etaient leur honneur et leur fierte.

Mais, avec le temps, ces sacrifices sont devenus plus pesants et cela au moment meme ou. les autres charges de nos budgets cantonaux s'en- flaient d'une inquietante fagon.

Oertes, nous savons bien la grandeur des sacrifices qui ont ete consen- tis en faveur de notre Alma Mater. Ce n'est jamais en vain qu'elle s'est adressee

a

M. le conseiller d'Etat Albert Picot et, avant lui,

a

M. le conseil- ler d'Etat Adrien Lachenal, comme d'ailleurs

a

tous ceux qui les ont prece- des. Tout ce qui pouvait etre fait pour nos facultes l'a ete, et tres liberale- ment. Nos autorites cantonales ont droit

a

la totale reconnaissance de l'Universite. L'autre jour encore,

a

la demande de M. le conseiller d'Etat Albert Picot, la commission du budget du Grand Oonseil a incorpore dans son projet pour 1947 une augmentation de credit de 300.000 fr.

environ en faveur de l'Universite.

Oependant, la question se pose maintenant: nos petites communau- tes cantonales pourront-elles, sans etre ecrasees, continuer

a

faire

a

elles

seules les frais de leurs vieilles ecoles ?

Nous sommes evidemment loin de nos academies d'autrefois. Le nombre des etudiants a augmente d'une fagon saisissante, ce qui prouve la valeur de nos facultes, mais ce qui correspond aussi au courant qui porte vers les etudes superieures un flot toujours plus puissant de jeunes gens et de jeunes filles. Comment loger ces legions de nouveaux venus ? Les laboratoires et les cliniques sont surpeuples. Les auditoires sont trop exigus : il n'est pas rare de voir des etudiants installes sur des marches d'escalier et s'efforgant de prendre des notes sur leurs genorrx. Les biblio- theques et les salles de travail manquent de place.

Mais ce n'est la qu'un aspect de la question. La science, en progres- sant, se diversifie, se subdivise

a

l'infini. C'est la condition meme de son perfectionnement. Or, chaque specialisation, chaque discipline nouvelle entraine des exigences materielles : il faut des auditoires, des labora- toires, des installations, des bibliotheques .

. A.insi, pour deux raisons, le probleme des batiments universitaires devient urgent. On peut bien pendant quelque temps se contenter d'arrangements improvises, de. solutions de fortune. Mais il arrive un

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moment ou des mesures d'ensemble s'imposent imperieusement. Pour Geneve, sans contestation possible, cette heure a sonne : une politique de construction doit etre envisagee sans plus tarder, faute de quoi nous nous trouverons, avec la cadence actuelle de !'augmentation des etudiants, aux prises avec les pires difficultes. La solution la plus commode serait, M. le recteur Martin le rappelait l'autre jour, l'amenagement du Musee d'histoire naturelle allant de pair avec !'edification des instituts de la Faculte des sciences.

D'autres preoccupations encore, non moins graves, s'imposent

a

l'Universite ! Toutes ont des incidences financieres.

L'equipement scientifique des laboratoires et des cliniques coute

a

l'heure actuelle des sommes astronomiques. Ou sont les pittoresques cabinets des physiciens ou des naturalistes d'autrefois ~ Qu'on songe

a

ce

que represente l'appareillage d'un laboratoire de chimie, ou de physiolo- gie ou,

a

plus forte raison, de recherches atomiques. Qu'on les compare par exemple aux instruments que nous a laisses un Horace-Benedict de Saussure.

Mais ce n'est pas tout. La politique de nos universites est condition- nee aujourd'hui par des devoirs de justice, par des obligations sociales qui n'ont pas meme effieure l'esprit de nos peres. Le temps n'est plus, et c'est fort heureux,_ ou les facultes ne s'ouvraient que devant les privilegies de la fortune. La selection academique se fait de nos jours selon le critere des merites et des connaissan_ces. Il ne faut pas qu'un seul jeune homme, une seule jeune fille, ayant des capacites intellectuelles eminentes et la volonte de travailler, reste au seuil de l'Universite pour des raisons materielles.

Certes, des institutions privees, comme la Fondation pour l'.Avenir, ont rendu et rendent toujours des services signales dans ce domaine.

Mais elles ne suffisent plus

a

la tache, tant sont grandes les necessites actuelles. L'Etat, conscient de ses devoirs, devra multiplier les bourses en faveur des plus meritants. Il reste bien entendu que tout le systeme doit etre congu connne une ceuvre d'entr'aide sociale et non pas de charite.

Les coutumes et les besoins des etudiants ont aussi change, en meme temps d'ailleurs que ceux des autres classes de la societe. Ils desirent, et cela est tres louable, poursuivre dans de bonnes conditions leur entrai- nement physique. Des salles de gymnastique, des stades, des terrains de tennis leur sont necessaires. Oertaines universites sont deja dotees d'admirables installations pour la pratique des sports. Ce que nous posse- dons dans ce domaine fait figure bien modeste.

Qu'on songe aux cites universitaires,

a

ces logements,

a

ces restau- rants dont beaucoup de hautes ecoles ont le bonheur de disposer. Que de commodites, que de ressources ne mettent-ils pas

a

la disposition des

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etudiants et singulierement de ceux qui viennent du dehors et dont les parents ne peuvent pas faire de grands sacrifices ? Il faut admirer les efforts desinteresses qu'avec un zele magnifique le Foyer' des etudiantes et la Maison internationale des etudiants multiplient pour accueillir

a

Geneve la jeunesse de nos grandes ecoles. Mais ils ne peuvent repondre

a

toutes les demandes qui les assaillent. Au debut de ce semestre, c'est plus de quatre-vingt-dix personnes que la maison de la rue Daniel- Colladon a du refuser. Un devoir d'hospitalite s'impose de toute urgence aux instances officielles. L'Ecole polytechnique de Zurich, dont les possi- bilites financieres sont grandes, l'a bien compris.

En.fin - pourquoi le cacher ? - les universites canton.ales ne peuvent pas donner

a

leurs maitres des traitements comparables

a

ceux accordes par la Confederation. On voit le danger - et plusieurs exemples recents montrent qu'il n'est pas illusoire. Comment les professeurs

a

qui des

appels sont adresses resisteront-ils aux avantages qui leur sont offerts ? Quel affaiblissement cela ne representera-t-il pas

a

la longuc pour nos institutions cantonales ?

Combien de problemes encore nos facultes n'aurafont-elles pas ·

a

resoudre ? Retenons-en un dernier : celui de l'impression des theses de cloctorat. C'est une tradition

a

laquelle nos universites suisses sont

a

juste titre restees fideles. Les theses imprimees offrent en effet des garan- ties de qualite que les memoires manuscrits, destines.

a

sombrer dans l'oubli, ne representent pas au meme degre. Or on sait quels frais fantas- tiques exige aujourd'hui la publication d'un livre. De plus en plus les facultes sont sollicitees d'y collaborer : nouvelle charge qui va peser sur elles.

J'arrete la cette enumeration qui n'est pas !imitative. Partout la meme conclusion s'impose. Nos universites, si elles veulent rester dignes de leur mission et accomplir toutes leurs taches, ont besoin de ressources plus importantes que celles dont elles disposent actuellemcnt. Or elles dependent de cantons dont, en re.gle generale, les budgets ne sont pas elastiques. Comment concilier les interets academiques et les finances de nos petits Etats ?

Diverses solutions ont ete proposees

a

ce redoutable probleme. A vrai dire plusieurs d'entre elles paraissent dangereuses, voire inaccepta- bles. Nous les.exposons pour les ecarter.

D'aucuns out dit: << Ne pourrait-on pas limiter u~e fois pour toutes les exigences financieres de nos hautes ecoles, les fixer

a

un plafond qui ne saurait etre depasse ? ,>

Examinons cette suggestion de plus pres. S'agit-il de diminuer le nombre de nos hotes en appliquant la regle d'un aveugle numerus

'

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clausits, en fermant la porte au nez des nouveaux venus ? Sur quelle base se ferait, je ne dis pas la selection, mais le triage ? A qui les places ? Aux premiers occupants, aux premiers inscrits ? Ce serait accor-

<!er une prime aux plus debrouillards et operer un choix dans lequel la qualite n'aurait sans doute pas grand'chose a voir.

L'idee meme d'un semblable procede qui sacrifierait arbitrairement, sans aucune discrimination, .une partfe de notre jeunesse, ou encore qui refoulerait les etrangers, est si odieusc qu'elle ne merite nieme pas d'etre discutee.

S'agirait-il d'accepter tous les etudiants, mais d'economiser sur les installations materielles ? Cela equivaudrait a freiner la marche de la science. Pourrions-nous nous contentcr de laboratoires, de cliniques miserablement 1-1quipes, de bibliotheques qui deVTaient renoncer

a

acque-

rir des ouvrages essentiels ? On voit ce que deviendrait une ecole qui a.ppliquerait de telles regles : elle n'aurait plus, apres une experience qui sans doute serait breve, qu'a fermer ses portes.

On ne peut pas imposer aux universites un arret de croissance au moment meme ou les :i:echerches les plus passionnantes, lcs plus prodi- gieuses, se poursuivent, recherches dont depend l'avenir meme de l'huma- nite, pour son bien ot1 pour son mal d'ailleurs, suivant la voie qu'elle choisira ace carrefour ou nous sommes.

Ainsi, tout en demandant

a

ses maitres de multiplier, comme ils l'ont toujours fait, des prodiges d'ingeniosite pour tirer le maximum de rendement des moyens materiels dont ils disposent, l'Universite ne peut, sans se condamner elle-meme, descendre au-dessous de certaines exigences.

Et ces exigences sont si scrupuleus~ment etudiees et formulees qu'elles ecarten.t d'emblee tout soup9on de megalomanie. Jama.is nos facultes suisses n'ont procede

a

une inflation de leurs besoins.

Une autre suggestion a ete faite pour la Suisse romande. Pourquoi n'opererait-on pas la fusion en une seule des trois universites de Lausanne, de Neuchatel et de Geneve ? L'idee peut paraitre seduisante. Elle ne resiste pourtant pas

a

l'examen des gens non prevenus et tant soit peu au courant des problemes intellectuels.

Comment tout d'abord obtiendrait-on de nos villes !'amputation d'ecoles qui ont fait leur grandeur et dont deux sont chargees de quatre siecles d'histoire ? Ces universites, elles sont la chair de leur chair. Com- ment consentiraient-elles a une pareille decheance ?

Que l'on tente de resoudre d'une fa9on concrete le probleme ainsi pose. On se heurte

a

d'inVTaisemblables complications. Comment repartir entre Neuchatel, Lausanne et Geneve cinq ou six facultes et quelques instituts speciaux? Demandez aux Vaudois, aux Neuchatelois, aux

·-·-·--,

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Genevois, lesquelles de leurs disciplines ils consentiront

a

sacri:fier au profit d'autres villes romandes. Serait-ce' les sciences ou les lettres, le droit ou les sciences economiques et sociales, la medecine ou la theologie , Et l'on voit le chasse-croise des Vaudois venant

a

Geneve, des Genevois allant

a

Lausanne ou

a

Neuchatel.

Mais ce projet comporte un aspect plus grave, car il tient

a

l'essence

meme des etudes superieures.

Par definition, conformement.

a

ses origines et meme

a

son nom,

l'Universite doit englober, dans la mesure du possible, !'ensemble des connaissances humaines. Elle doit multiplier les contacts entre elles.

Disloquees, dispersees, les facultes deviendraient de simples ecoles pro- fessionnelles, honorables sans doute. Mais quelle menace peserait sur elles, quelle tentation de se horner

a

une tache utilitaire, celle de dispenser les connaissances pratiques que reclame l'exercice d'une carriere liberale.

Elles cesseraient d'etre des foyers rayonnants de recherche scientifique, de progres spirituel et moral.

Ce serait !'obliteration du veritable esprit universitaire au profit d'une specialisation conquerante qui, helas ! n'en est plus

a

compter ses victoires . . Qu'on ne s'y trompe pas : l'Universite doit etre recumenique

OU Ile pas etre:

.A.insi la conclusion semble bien s'imposer du maintien de nos hautes ecoles romandes : elles sont necessaires

a

la vie de nos cantons, done, en rlefinitive, de la Suisse tout entiere.

Peut-on faire appel aux particuliers pour subvenir aux frais sans cesse accrus de nos facu1tes , Certes la. generosite des Genevois, de toutes les classes de la population, est magnifique, emouvante.

En 1930, une souscription organisee par la Societe academique a rapporte 900.000 francs . .Annee apres annee, la meme societe multiplie ses appuis

a

nos instituts,

a

nos laboratoires,

a

nos bibliotheques. Recem- ment, quelques industriels ont mis une somme importante

a

la disposition de l'Institut de physique dont la construction va commencer.

Aujourq.'hu_i meme, un comite, dans lequel tous les milieux genevois sont representes et aux travaux duquel la Societe academique et l' Asso- ciation des anciens etudiants collaborent etroitement, lance un app,el en faveur du Fonds general de l'Universite qui doit faciliter la tache des facultes et des etudiants : nous sommes certains d'avance de la reponse que nous donnera le peuple de Geneve.

Mais ces actions privees, si precieuses, si indispensables meme, ont leurs limites. Elles ne peuvent se substituer aux pouvoirs publics.

Une derniere solution - toutes les autres ayant ete ecartees -vient alors

a

l'esprit. Pourquoi les universites cantonales ne s'adresseraient- clles pas

a

la Confederation ,

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l

.- 7 -

J e sens immediatement les reserves que cette proposition peut susciter, les reactions violentes, les oppositions qu'elle va provoquer.

Comment? Dans une periode ou. le federalisme est en danger, ou la Confederation, lourdement, exerce sa domination sur des secteurs -toujours plus etendus de la vie publique, ou les controles et le dirigisme nous etouffent, vous irez confier une nouvelle mission - une redoutable mission - aux pouvoirs federaux ? Les universite~ avaient echappe jusqu'ici a cette emprise multiforme, tentaculaire, de la Confederation et, deliberement, vous les offririez en sacrifice sur l'autel de la centralisation 1 Vous abandonneriez ces solides bastions du federali.sme ?

Non ! plutot que de courir de. tels risques, il vaut mieux renoncer a toute subvention federale. Comme l'ecrivait l'autre jour un journaliste relatant la rencontre recente d'hommes politiques zuricois et genevois, les universites suisses ne doivent pas solliciter les presents d'.Artaxerxes.

J e sens bien la force de ces arguments. Ils ne doivent pas etre traites a la legere. Mais il est bon aussi d'envisager l'autre face du probleme.

Et tout d'abord une premiere reniarque. Des cantons comme Uri, le Tessin, le Valais, ont-ils vu leurs vigoureuses traditions federalistes alterees du fait qu'ils beneficient a.bondamment, et a juste titre, des subventions de la Confederation pour l'endiguement de leurs torrents, la lutte contre les avalanches ou la construction de routes forestieres ? Poser la question, c'est la resoudre. Mais allons plus loin. Notre federalisme ne courra-t-il pas un plus grand danger si nos universites cantonales s'anemient jusqu'a mourir de consomption ~ Qu'adviendra-t-il de ce federalisme si la vie intellectuelle de notre pays se concentre toujours plus dans une seule ville, la plus peuplee, la plus riche, la plus puissante ~

Et qu'on ne m'accuse pas de peindre le diable sur la muraille. La menace semble poindre a l'horizon, elle se precise. Le developpement intellectuel plethorique d'une cite se fera necessairement au detriment des autres, moins riches, done moins capables d'offrir au progres de la science les conditions materielles qui lui sont necessaires. La vie se retirera des membres au profit d'un centre unique hypertropp.ie.

La centralisation spirituelle excessive, absorbante, a beaucoup nui a certai.ns pays qui etaient pourtant des Etats fortement unifies. Elle a ravale des villes de province a un niveau qu'elles ne meritaient ni par leurs traditions, ni par leurs aspirations. Mais ce phenomene est encore infini- · ment plus grave pour un pays comme le notre, car il est en contradiction avec notre genie et notre structure ; il est inconciliable avec la diversite de nos langues, de nos civilisations, diversite qui est notre raison d'etre dans le monde et la garantie de notre existence comme pays independant.

O'est sous cet angle que tout le probleme de notre federalisme doit etre envisage. Nous le repetons : ou est le 'plus grand peril ? Dans une

-

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asphyxie lente de nos universites ou dans un financement qui leur per- mettrait d'etre fideles

a

leurs traditions spirituelles 1

Cependant, une aide financiere de la Confederation

a

nos hautes ecoles devrait etre subordonnee rigoureusement

a

une condition,

a

une

garantie formelle, absolue. Elle n'impliquerait pas, sous ·quelque forme- que ce soit, un dirigisme intellectuel de la part des pouvoirs federaux.

Car le remede serait alors pire que le mal. Rieu ne pourrait etre plus odieux qu'une maniere de ba.illi federal des etudes superieures dont l'action tendrait

a

la longue - si l'on en juge par des experiences faites

<fans d'autres domaines -

a

couler toutes nos universites dans un meme moule.

Nous ne voulons pas d'uniformisation, de synchronisation, d'aligne- ment des universites suisses. Car q uel en serait le point d'aboutissement, si ce n'est une terne moyenne, une confusion des valeurs, un anonymat mortels pour nos cultures qui sont restees si vigoureuses et si originales du fait de la diversite des terroirs dans lesquels elles plongent l.eurs racines.

Ce serait mettre en danger ce federalisme meme que les mesures que nous nous permettons d'esquisser ont precisement pour objectif de sauver.

L'independance des universites devrait done etre integralement respectee. La Confederation n'aurait pas

a

intervenir dans leur menage interieur, dans !'organisation de hours etudes, dans leurs programmes pas plus que dans le choix de leurs maitres. Rieu ne devrait rap- peler la centralisation administrative des facultes dont souffrent certains pays. Les liens intimes et confiants, mais tres souples, qui s'eta- blissent aujourd'hui librement, grace

a

la Conference des recteurs, entre les universites suisses, si jalouses de leur autonomie, sont tout

a

fait

suffisants.

Que subvention ne signifie pas controle, que les deux termes ne soient pas lies, nous en trouvons la preuve dans le fait suivant : la Confe- deration, depuis fort· 1ongtemps, verse des subsides aux etudes econo- miques superieures, au titre de la formation professionnelle. Or jamais - une experience de treize ans comme doyen de la Faculte des sciences economiques et sociales nous permet de l'affirmer - jamais elle n'est intervenue dans le menage des facultes et instituts universitaires qui dispensent ces enseignements. Son ingerence n'a pas depasse un simple controle comptable opere dans les departements de l'instruction publique.

Pourquoi en serait-il autrement si l'aide federale venait

a

s'etendre

a

!'ensemble de nos universites cantonales ~

Loin de moi la pensee d'exposer les formes possibles de cet appui financier de la Confederation. Il peut etre d'ores et deja fonde sur une ba.ge constitutionnelle precise. Car !'article 27, alinea 1, de la Constitution federale de 1874 stipule: << La Confederation a le droit de creer, outre

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l'Ecole polytechnique federale existante, une universite federale et d'au- tres etablissements d'instruction superieure ou de subventionner des etablissements de ce genre >>.

Quelles seraient les .modalites de ces subventions ~ Une serie de possibilites pourraient etre envisagees : versements aux universites qui se transforment, qui s'agrandissent, qui creent de nouveaux equipements, de nouveaux laboratoires, bref, qui assument une depense exceptionnelle.

Ou bien subsides annuels, a incorporer au budget ordinaire de nos universites, subsides qui pourraient etre calcules en tenant compte, soit des depenses universitaires cantonales, soit du nombre des etudia.nts.

Ou encore - et ce serait la sans doute la meilleure solution - ris- tourne operee par la Confederation aux cantons universitaires d'une partie des impots directs qu'elle per~oit sur leur territoire.

D'autres combinaisons seraient possibles. Toutes comporteraient encore un avantage. Les cantons universitaires font de lourds sacrifices en faveur des etudes superierrres. Ils les consentent, non seulement en pensant a leurs fl.ls, mais aussi en faveur des Confederes qu'ils ont l'hon- neur et la joie d'accueillir dans leurs auditoires, leurs bibliotheques ou leurs laboratoires. Ils considererit comme un privilege de collaborer a la formation des futures elites de toutes les parties de la Suisse.

Mais, dans les cantons ne possedant pas d'universite, on a ressenti parfois quelque gene a la pensee de ces sacrifices faits par quelques-uns en faveur de tous. Avec une politique de subvention federale, on obtien- drait une meilleure repartition des depenses. Les cantons qui ont le privilege et l'honneur de 'posseder une universite continueraient

a

en

supporter la charge principale, juste compensation des a-vantages spiri- tuels, moraux, et meme materiels qu'ils en tirent. Les autres cantons seraient sans doute heureux d'apporter, par l'intermediaire de la Confe- deration, leur modeste part a la formation de la jeunesse intellectuelle du pays. En verite, ne serait-ce pas la un moyen de manifester, sous les apparences d'une action centralisatrice, de veritables sentiments fede- ralistes ~

Evidemment les problemes dont nous venons d'esquisser les donnees sont complexes. De vigoureux articles de journaux les ont exposes.

La Conference des recteurs, dont la. presidence est assumee en 1946 par M. le recteur Edgar Bonjour, les a etudies. Elle vient de decider, dans sa seance du 6 decembre, a l'unanimite, d'entreprendre des demarches dans le sens general de ce que nous venous de dire. De son cote, M. le conseiller national Adrien Lachenal, dans une intervention qui a fait sensatio~

a pose la question avec autant de nettete que d'eloquence devant le parlement federai. Son postulat du 29 mars 1946 aura sans doute une suite que nous attendons avec impatience. Nous savons en tout cas que

L

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la ca use des universites cantonales · · sera brillamment defendue par M. Lachenal. Mais c'est

a

nous de l'aider dans sa tache,

a

nous en parti- culier de creer un puissant mouvement d'opinion, condition necessaire

du succes. .

C'est ainsi que nous ecarterons les dangers qui, d_ans un certain sens, menacent notre Universite. C'est ainsi que nous lui permettrons, son independance souveraine etant respectee, de faire face aux exigences du temps et, tout en restant fidele

a

ses traditions et

a ·

son passe, de poursuivre resolument sa marche en avant.

~

t

'

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LES UNIVERSITES

ET L'ECOLE POLYTECHNIQUE FEDERALE

par

.Adrien LACHENAL

Oonseiller national

On pouvait se demander si l'appel qui vous a reuni ce soir n'etait pas un peu pessimiste et si ce cri d'alarme etait justifie. L'Universite est-elle en peril, et peut-on so11:ger

a

un declin possible de ce joyau de notre patrimoine intellectuel ~ Oette manifestation magnifique, histo- rique, de notre esprit federaliste - dans son action la plus pure, parce que desinteressee - cette richesse morale et intellectuelle qui est une des grandeurs de la Suisse, l'Universite, risque-t-elle de s'a:ffaiblir ~ Oet esprit regionaliste dont la fierte et le paradoxe sont precisement de cultiver l'universalisme total - le recteur Babel vient de le dire, dans universite il y a universe! - notre esprit regionaliste a fait jaillir par un autre paradoxe, de nos tres modestes villes, de nos territoires restreints, comi:ne d'un phare, les rayons d'une science qui ne se souciait ni des frontieres, ni des dogmes, ni de la persecution des pensees. Et, bien longtemps avant que dans le monde entier la Suisse ne fut connue et appreciee autrement que par la valeur de ses citoyens soldats, et plus tard - et je vous le dis franchement, ce fut quand meme moins glorieux - par le courage de ses mercenaires, c'est cet esprit qui avai.t repandu au loin la philosophie, la theologie de Geneve, Phumanisme de Bale, pour ne prendre que nos plus ancie:o.nes uni.versites . . Ce rayonnement, au cours des siecles modernes, a infiniment grandi. Les academies sont presque toutes devenues des universites, Berne, Zurich, Lausanne, Neuchatel, Fribourg se sont developpees, et de cette solide arm:ature scienti:fique et economique nous pouvons etre tiers, car il n'y a nulle fausse modestie

a

rappeler la sympathie, quelquefois !'admiration :flat- teuse des pays etrangers pour la valeur de notre culture generale moyenne, celle de nos hopitaux, de nos medecins, sans parler des princes de notre medecine, l'equilibre de nos tribunaux, la reputation de nos juristes, de nos savants, que ce soit en sciences morales ou naturelles, en philosophie, en pedagogie, en theologie, bref en toutes disciplines, et aussi de nos ingenieurs. Tout ceci a fait la grandeur de la Suisse et sa

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- }2 - 1 I

prosperite, car ce degre d'instruction superieure finit par <{ payer>>, passez-moi !'expression vulgaire. La Suisse retrouve au centuple les millions qu'elle consac:re

a

!'education de ses enfants,

a

tous les degres.

Eh bien, le sommet de ces efforts pourrait-il vaciller 1 La question est .d'autant plus delicate qu'on ne peut percevoir ni reprocher un mal qui serait

a

l'interieur · de l'Universite. Notre Universite genevoise est largement digile de son passe ; son corps professoral est

a

la hauteur de ses devanciers, il nous fait honneur. Son equipement, sans etre luxueux, est encore normal ; il risque d'etre deborde par le nombre des eleves, mais pour !'instant, il suffit tout juste encore. Nous avons aussi la fierte de constater que notre peuple n'a jamais renacle devant les sacrifices importants, devant les credits

a

accorder ; il les a mesures parfois peut- etre un peu strictement, mais i.1 n'a jamais refuse Pessentiel, et aucun blame ne peut lui etre adresse.

Le mal n'est pas non plus

a

la peripherie. La clientele, si j'ose employer ce mot un peu terre

a

terre, ne fait pas defaut : jamais l'Univer- site de Geneve n'a connu une pareille affluence. Ainsi qu'on vous le ra.ppelait tout a l'heure, elle bat cette annee tous les records. Oeci provient de ce besoin accentue, presque aflame, de culture superieure, certes beaucoup plus ardent qu'autrefois, qui est reparti - manifestation de l'esprit moderne - dans toutes les classes de la population, alors que jadis !'instruction universitaire etait presque le privilege des jeunes gens tres fortunes. Tout ce succes dont je ne veux pas dire qu'il devient inquietant, mais c'est bien un peu ga, cette espece de suralimentation, cree des besoins materiels grandissants. Le vrai peril, comme l'a souligne mon ami le recteur Babel tout a l'heure, est peut-etre que l'Universite, sans qu'elle soit fautive, risque de n'atteindre plus la hauteur de sa tache, de se voir un peu asphyxiee, au grand ~ommage de la dignite de sa mission.

Le peril est facil~

a

concevoir. Des depenses multipliees menacent chez nous d'etre en disproportion avec un budget cantonal et des ressour- ces qui sont nourris par une popula.tion de deux cent mille habi- tants, goutte d'eau sur la surface de la terre. Voila avee quelle faible armature le peuple de Geneve entretient depuis de longues annees une Universite qui est une belle Universite.

II y a autre chose: la Suisse est le pays d'un drame, le seul ou se deroule le d:tame de la concurrence universitaire. Quatre universites en Suisse romande, une tous les cent kilometres

a

peine : Geneve, Lausanne, Neuchatel, Fribourg. Autant d'universites qu'il y a trente ans il y avait de stations d'essence pour automobiles ! Plus loin, Bale, Zurich et Berne, toutes trois respectables par leur effort soutenu, et dignes de leur mission, au prix de sacrifices analogues a ceux que neces-

.. .

(15)

•'•

~

- 13 -

sitent les universites les plus grandes. Vu la puissance respective des cantons, le poids est parfois un peu moins fourd, mais quels qu'ils soient : universites, academies ou

a

base purement confessionnelle, tons ces instituts hautement consideres sont maintenant entres dans l'histofre et dans la tradition. Le recteur Babel a bien essaye avecloyaute de chercher quel etait le remede possible ; la seule enumeration qu'il a faite montrait malgre lui l'inanite de cet effort : il n'y a pas de remede dans une action commune des universites. Il est impossible, etant donne notre esprit re°gionaliste, nos menues jalousies d'autant plus ancrees qu'elles sont plus etroitement inter-locales - en proportion inverse du- carre des -,.., distances, diraient les mathematiciens - jamais vous n'obtiendrez un accord, surtout en Suisse romande, sur l'abandon d'une grande Faculte au benefice d'une Universite voisine. C'est irrealisable. On a esquisse l'idee, le spectre de tels regroupements, on s'est heurte

a

un mur

de tous les cotes, aussi bie~

a

Geneve qu'ailleurs. On a reussi

a

avoir des

professeurs ~ommuns. Qa a fait quelques economies, un grain de sable dans l'ocean. Le systeme reussit d'ailleurs bien, mais c'est peu en face du probleme profond: la pleiade des universites.

On ne peut meme pas dire qu'elles se nuisent directement, leur concur- rence est generale, et saine si je puis dire, puisqu'elles absorbent

a

elles

toutes plus que le nombre total des etudiants suisses. Aujourd'hui, elles sont amenees

a

constituer un front commun, ce qui leur arrive rarement, non pas certes contre un ennemi - car l'Ecole polytechnique n'est pas le monstre du Valais qui a leurre tous les chasseurs et leurs expeditions tartarinesques et vaines - mais contre un rival qui marque parfois un peu t:r:op d'appetit.

On peut, on doit en parler. J'ai eu !'occasion devant le Conseil National d'aborder en toute innocence ce probleme; sans que je l'aie voulu, le retentissement a ete considerable et a suscite une certaine emotion. Il faut connaitre le climat federal: j'avais touche au temple sacre, j'avais enfreint la sainte loi du tabou. Je me suis attire des reponses vives, mais j'ai recueilli aussi bien des voix sympathiques inattendues.

Ma protestation arrivait

a

son heure. J'ai trouve en Suisse allemande un terrain assez fertile, des esprits comprehensifs, bien que certains aient hesite

a

me suivre jusqu'au bout.

J'ai dit et je repete: le Polytechnicum n'est pas un adversaire.

Jene l'ai pas attaque. Je me suis simplement attache

a

relever quelques- uns de ses exces, ou de ses abus, mais j'ai aussi souligne loyalement, car il faut etre juste, sa grandeur, son merite, sa puissance, le lustre indiscutable qu'il jette sur notre pays. Le Polytechnicum, qui n'est peut-etre pas la plus ancienne des ecoles techniques du monde, est certai- nement

a

l'heure actuelle une des plus celebres, et ce n'est pas une mince

(16)

'

l

gloire pour la Suisse de pouvoir, dans cette discipline, ~tre comparee favorablement aux grands instituts de France, d'.Amerique, d'.Angle- terre et naguere d'.Allemagne. C'est un fait que le Polytechnicum a forme depuis des generations des ingenieurs qui sont consideres parmi les meilleurs du monde. Il a done noblement accompli sa taclie.

Que l'on ne se meprenne done pas: nous ne voulons pas diminuer, nous ne voulons pas abaisser le programme ou les horizons du Polytech- nicum. Mais nous voulons qu'on examine d'un peu plus pres s'il n'y a pas moyen de freiner son developpement lorsqu'il est tentaculaire et irraisonne. La je me suis permis tres franchement de marquer ses tendan- ces a sortir de son role, qui est nettement de former des ingenieurs supe- rieurs, meme avec toutes les disciplines annexes que cela peut comporter, mais pas de devenir une faculte federale des sciences concurrente de celles des cantons, mais pas de profiter de ces disciplines annexes pour les developper en branches autonomes et gourmandes.

La transformation du Poly en une faculte federale des sciences n'est pas logique. Nous sommes extremement jaloux de la difference qu'on doit faire dans ce domaine. Lorsque l'Ecole polytechnique a ete creee, on a unanimement et spontanement ecarte l'idee d'une universite federale. On prefererait presque se passer de l'universite plutot que de l'avoir federale, le recteur Babel l'a dit tout a l'heure avec plus de forme et de diplomatie ; c'est un peu comme la repugnance de nos estomacs romands envers la sauce federale ! De meme, lorsqu'on a unifie le droit civil et le droit penal, l'idee d'une faculte federale de droit est restee aussi hostile a notre temperament que celle d'une universite federale, et on n'en a pas voulu.

Or, au rythme actuel, le Polytechnicum tend a devenir une faculte des sciences federale, a sortir de son role de preparation des ingenieurs.

La concurrence, elle est dans l'aimantation que le Polytechnicum exerce, precisement par la plethore de ses branches purement theoriques, soit sur les professeurs cantonaux, soit sur le corps infiniment precieux de nos etudiants superieurs. Zurich a beaucoup d'attrait ; le Polytechnicum, c'est une etiquette glorieuse qui depasse encore la notoriete certaine des universites cantonales. Et ses moyens, ses traitements sont infiniment

plus considerables. ·

Il arrive done que des professeurs emigrent. M. le president Rohn l'a conteste, il :tn'a fait l'honneur d'une reponse courtoise; M. Rohn est un homme dont l'autorite, en matiere de sciences techniques, est a juste titre toute puissante, doublee d'une urbanite et d'un equilibre parfaits ; un peu celle qu'exerce au Vatican le cardinal secretaire d'Etat qui domine, d'une main experte et souple, tousles rouages de la chretiente catholique.

Il m'a repondu tres aimablement, mais il ne peut guere contester-:-- car

l

--...

(17)

r.

·~

- 15 -

les noms sont la - qu'il arrive, parfois, que des universites ont ete privees de savants amenes

a

preferer !'atmosphere de Zurich a celle de leur universite. II ya un autre attrait dangereux. Vous, professeurs de la Faculte des Sciences, vous instruisez

a

travers les propedeutiques successifs des jeunes gens d'avenir, qui plus tard pourront etre vos succes- seurs ; ils ont suce votre lait, vous les avez nourris, et au moment ou vous allez leur conferer la dignite supreme ils vont a Zurich pour obtenir le doctorat en mathematiques, physique oli chimie pures. Eh bien, je trouve que la le Polytechnicum sort de son role. Il ne devrait pas conferer des doctorats, sinon des doctorats pour la science d'ingenieur. Voila son role.

J'ai reproche aussi - mon Dieu, je l'ai fait peut-etre avec un peu de verdeur - j'ai reproche au Polytechnicum sa notion de la culture generale. M. Rohn me dit qu'on ne saurait concevoir des ingenieurs qui n'aient pas quelques aper9us, dit-il, de culture generale. C'est incontes- table, mais il ya la mesure. Nul n'est plus enthousiaste que moi, et je l'ai dit souvent dans cette Aula, de l'attrait que doivent exercer sur un spe- cialiste les autres branches de la culture. J'aime les juristes qui savent quelque chose de la medecine ; les litterateurs qui font de la mycologie.;

les savants a qui les lettres ne sont pas etrangeres ; un medecin maitre de sa langue et de son style; quant

a,

la theologie, je reconnais qu'elle est plus difficilement accessible et que le Poly, jusqu'ici, n'y a pas touche, heureusement ! ~Te comprends done qu'on veuille donner aux ingenieurs quelque teinte de culture generale. Qu'on leur apprenne - je feuillette le programme - l'histoire generale, celle de la litte- rature, du fran9ais, de l'anglais, les langues latines moderne.s : espa- gnol, italien, entierement d'accord. Qu'on y joigne un cours de russe et de chinois, sans aucune ironie je suis aussi d'accord : il est certainement utile pour un ingenieur qui peut etre appele

a

l'etranger de connaitre les rudiments du russe et du chinois.

Mais quand je lis que la sociologie est une des branches pratiquees ; qu'il y a un cours sur Verlaine, sur Lessing, sur Nietzsche, sur !'interpre- tation du Purgatoire de Dante, je trouve qu'on va un peu loin. Car en:fin, on peut concevoir un purgatoire sans ponts et sans canalisations, un enfer sans chauffage central, et il n'est pas necessaire d'avoir etudie Dante pour passer son brevet. Un autre cours sur Rembrandt, Beethoven, et la poesie espagnole, bien ! Un cours d'histoire de l'art, bien encore!

Car n'oublions pas qu'il y a des etudiants architectes

a

l'Ecole Polytech- nique et il leur·faut aussi quelques cours d'histoire de l'art. Mais il y en a trop, et je trouve que tout cela sent l'auditeur a plein nez. Cela res- semble - sans faire injure au College de France -

a

certains cours celebres par la mondanite de leur auditoire.

C'est ainsi que, d'apres les statistiques, il y a 1115 auditeurs au Polytechnicum, chi:ffre qui m'a fait reflechir. Le Poly ne devrait pas

(18)

.

I

=-- 16 -

recevoir un seul auditeur. 11 est fait pour donner un brevet d'ingenieur.

L'auditeur, par definition, ne peut pas passer d'examen, ne peut pas aspirer au brevet. 11 n'est pas etonnant - 1115 auditeurs, c'est plus du cinquieme de l'effectif des 4100 etudiants reguliers - qu'un ;matin on se reveille en disant:<< Nous sommes surpeuples, nos murs, bien qu'en ciment arme, eclatent, nos auditoires sont trop petits. >> Et on fait voter vingt- sept millions de credits pour des batiments nouveaux. J'admets que la population normale du Polytechnicum · a augmente, mais, en l'etat, l'extension garde une allure un peu artificielle.

Une ecole technique n'a pas de place pour des auditeurs, et pas davan- tage de place pour les brevetables sans maturite que le Polytechnicum a pris l'habitude d'accueillir. Je sais qu'ils sont une petite centaine, mais le principe est grave. 11 ya des cruautes dans la maturite. J'ai vu, quand je dirigeais l'Instruction publique, la tragedie des echecs, la porte fermee aux etudes superieures, le drame du premier propedeutique rate et sa barriere inexorable. Oette rigueur, je vous le dis, est necessaire, helas.

On doit regretter qu'un etablissement superieu:r comme le Polytechnicum attire des etudiants sans maturite et remplace celle-ci par un examen d'admission. M. Rohn a beau dire que ce dernier repond a peu pres aux conditions de la matu, ce n'est pas vrai. 11 n'est pas d'examen plus difficile que la maturite ; il n'est pas d'examen d'admission comparable a la maturite. Nous l'avons tous passee, et d'autres examens. Et il arrive que nos nuits soient quelquefois coupees d'un atroce cauchemar, celui · d'une maturite-fantome a affronter, malgre la carriere accomplie, et dans notre reve nous nous sentons perdus, angoisses. Non, on n'a pas le droit, dans l'enseignement superieur, de faire cette demagogie scientifique qui consiste a ruiner le principe de la maturite, si difficile

a

faire comprendre et accepter.

La partie n'est pas egale entre les universites et cet instrument puissant, qui ne forme pas que de futurs ingenieurs ou architectes, mais aussi beaucoup de docteurs en sciences mathematiques, chimique ou physique - la partie n'est pas egale parce que le Polytechnicum a pris une extension qui n'est pas desirable. Vous connaissez les trusts, verticaux ou horizontaux, qui finissent par absorber toute la production, de la matiere premiere jusqu'a la consommation, ou qui accaparent

· toute l'economie des produits annexes, du pa pier d'emballa.ge au charbon ou

a

l'usine electrique !

Comment, demanderez-vous, l'Ecole polytechnique a-t-elle pu grandir de fa9on aussi demesuree 1 Mon Dieu, c'est qu'elle a un fauteuil plus confortable que le notre, une armature illimitee, et aussi une sympa- thie presque sans controle. Oertes, elle est honnetement administree, mais elle fixe

a

peu pres elle-meme ses besoins, et au point de vue budge-

...

(19)

- 17 -

taire vous ne pouvez comparer le terrible crible parlementaire cantonal avec le controle, tres passif, des Chambres federales. Bref, son budget annuel est de 8

Y2

millions. Pour Berne, ou sans sourciller on arrive

a

un

quart de milliard de deficit pour 1947, ce chiffre ne compte guere.

Huit ·millions et demi pour quatre mille etudiants, c'est assez large, mais ce n'est pas tout. Si on y joint divers instituts - il faut etre juste, ils ne sont pas directement incorpores

a

l'Ecole polytechnique, mais ils lui sont rattaches - on trouve encore sept millions et demi pour l'office de meteorologie, la station d'essai des materiaux et les recherches fores- tieres ; au total, grosso modo, quinze millions qui se repartissent comment ? En passant - et c'est interessant, si nous songeons aux meditations et demarches que nous coute le projet genevois de l'Institut de physique - nous voyons que, dans les vingt-sept millions de credits speciaux pour constructions futures, votes ce printemps, il y a sept millions pour un institut de physique. Mais

a

cote de cela, dans le budget annuel normal, combien d'employes ? J'ai souvent entendu les lamentations des recteurs successifs qui reclamaient quelques employes supplementaires. Le Poly compte,

a

son administration centrale, 229 fonctionnaires et employes ; dans les instituts accessoires, il y en a 340, au total pres de 600 employes, fonctionnaires et ouvriers ; 91 professeurs, 177 assistants, 5G privat- docents. Il est possible que tout cela ne soit pas critiquable, mais, avec beaucoup d'admiration, on a aussi quelque vertige devant ces chiffres, et surtout un sentiment d'envie pour un appareil aussi formidable.

Je repete, je ne pense pas que ces moyens soient tous exageres. Cependant il y a peut-etre, sur ce budget de 7

Y2,

respectivement 15 millions, un ecart d'un bon million qu'on pourrait trouver.

Le Polytechnicum est en soi, necessairement, une affaire couteuse, et je tiens

a

declarer hautement que ce ne sont pas ses millions qu'il faut lui reprocher. Je me herisse contre l'idee que, par jalousie, on songe- rait

a

diminuer son ampleur necessaire. Mais je crois qu'on pourrait considerablement l'alleger. La loupe, le microscope et le papier

a

fi.ltrer,

qui vous sont familiers, MM. les professeurs, sont aussi utiles dans l'exa- men d'un budget quo clans un laboratoire.

J'ai souligue qu'il etait singulier qu'une eoole d'ingenieurs entretint une ecole de pharmacie. Elle ne coute. pas des millions, peut-etre quatre ou cinq cent mille francs, rnais c'est le principe qui importe. On m'a repondu : << Nous formons des ingenieurs agriooles ; ils doivent avoir des connaissanoes en pharmacie. >> Je veux bien, mais alors,

a

quand une ecole veterinaire, et OU s'arretera-t-on ?

Il y a aussi parfois quelque inconscience dans ce regime. Mon inter- vention de mars dernier avait, vu son objet, provoque quelque sensatioll..

Or, avec un tact que vous apprecierez,

a

peine un mois plus tard on

t;--1

(20)

I

18 -

presentait un nouveau train de subventions : 1.5Q0.000 francs de subsides, repartis sur cU-x anuees. Ma,is comme on n'osait pas Jes attribuer directe- ment au Polytechnicum, on les a alloue

a ...

sa Societe auxiliaire ! .Ainsi on a trouve Un autre champ de recolte.

Dans toutes nos villes, c'est le geste en sens contraire qui Se produit, c'est la Societe academique qui apporte de !'argent a l'Universite, mais a Berne, c'est la Confederation qui paie la Societe academique, laquelle paie ensuite le Polytechnicum. Les ingenieurs sauront sans doute nous expliquer ce mouvement perpetuel, nous donner la formule de cette vis sans :fin ...

J e voudrais main tenant chercher le remede a cette penurie qui nous menace. Helas, les univer~ites suisses, et celle de Geneve en particulier, n'ont pas le statut magni:fique des universites americaines, par exemple, qui, comme vous le savez, sont des organismes prives. Leur existence est royalement assuree par millions de dollars, grace a la munificence de leurs bienfaiteurs et au large concours des anciens etudiants. Cepen- dant un premier remede consisterait - il est de l'ordre intellectuel - a poursuivre nos efforts pour alleger Zurich des taches qui ne sont pas strictement de son domaine. Un leger progres est en cours, me dit-on;

peut-etre le phenomene bien connu du commencement de la sagesse.

Le fait est que,

a

propos des nouvelles recherches dans le domaine atomi- que, j'ai entendu dire que la Confederation envisage une large repartition des activites entre le Poly et les instituts de physique des universites cantonales. Voila qui est tres bien, et qui nous encourage dans notre lutte contre une tendance tentaculaire qui n'est pas saine chez nous.

Le recteur Babel y a deja fait allusion. Nous n'aimons pas les monopoles, les predominances ecrasantes. La Suisse est un pays trop petit, trop ancre dans ses traditions regionalistes et federalistes -,-- toute son histoire est la pour le prouver - pour qu'elle puisse supporter un regime de desequilibre. Cela est vrai d'ailleurs aussi dans le domaine economique, mais ce sujet est etranger a notre propos actuel.

Le deuxieme remede, et le recteur Babel en a parle, c'est tres resolu- ment d'envisager une aide materielle federale, soit autonome, soit basee sur des economies realisees au Poly, et c'est pourquoi j'ai parle de ses depenses. Je sais que le probleme d'une subvention est assez delicat, parfois repousse par principe. On vous a rapporte tout a l'heure la these de certaines universites, qui aiment mieux perir que de recevoir un don.

Voila un orgueil que j'estime mal place, une forme de l'independance jalouse qui confine a la pathologie . .Au reste, je ne m'attends guere

a

un

tres grand enthousiasme du cote de Berne, si j'en juge par le manque de celerite avec lequel !'honorable M. Etter, conseiller federal, tarde a me

(21)

11

- 19 -

repondre, depuis bientot dix mois que j'ai pose la question. Peut-etre, mais ce serait facheux, sont-ce les universites qui hesitent

a

se prononcer.

11 est possible en effet que certaines universites renaclent devant, non pas cette charite, mais cette subvention federale. Le peuple suisse vit de plus en plus, helas, des subventions federales ; c'est la son pain quotidien. Peut-on vraiment considerer une telle subvention comme une atteinte

a

la liberte de notre cerveau, a l'independance intellectuelle qui est sacree ~ Soyons modernes. Dans notre ecole primaire, ou le souci de liberte totale est encore plus aigu, a-t-on jamais per~m l'ombre d'une emprise federale, d'une tentative d'accaparement ou de diri- gisme ~ Et pourtant, il y a cinquante ans que la Confederation a,ccorde annuellement de trois a cinq millions de francs

a

l'ecole primaire de tous les cantons. Cette subvention s'est revelee necessaire, precieuse et elle a permis d'accomplir des progres certains.

11 faut voir les choses comme elles sont. Les cantons, les regions ont certes perdu depuis un demi-siecle bien des flocons de leur pauvre laine aux buissons du Chemin. Nous avons ete depouilles peu a peu, et c'etait naturel et necessaire pour !'adaptation du pays aux conjonc- tures modernes : postes, monnaies, legislation civile, douanes, militaire, etc., ont passe au federal, et insensiblement les cantons vont etre depos- sedes aussi de leur souverainete fl.scale. Mais ce dont rien ne pourra jamais les priver, c'est du privilege sacre et intangible et de la tache de !'instruction

a

tous les degres, si lourde en soit la charge.

Dans ce domaine, la Confederation ne songera jamais

a

modifier,

a ternir l'esprit essentiellement particulariste qui ne cessera qu'a la mort de la Suisse. Nul ne pretendra instruire

a

Zurich comme

a

Geneve,

a

Saint-Gall comme en Valais. Mais !'experience faite pour soulager !'ins- truction prima.ire a fait ses preuves. Elle n'a cree aucun prejudice quel- conque, elle a apporte un grand bienfait ; or, je pense que meme si on n'imposait pas une economie d'un ou deux millions au Polytechnicum, on si cette economie se revelait indesirable ou impossible, alors, sur un budget federal de plus d'un milliard et demi., on doit pouv·oir trouver une aide pour nos universites.

11 est bien peu de choses qui. ne soient pas subventionnees en Suisse, le total approximatif des subventions (car personne ne le connaitra jamais reellement) est de plus de 450 millions ; il n'est pas une vache, pas une vigne, pas un poulain, pas une montre, pas une machine, pas une falaise, une foret ou un torrent, ni une station vinicole ou agricole qui ne soit, directement ou indirectement, subventionne. Mais le seul chapitre des subventions qui n'ait jamais ete aborde, c'est celui qui est inscrit depuis un siecle dans l'article 27 de la Constitution qui prevoit, si genti- ment, qu'on pent subventionner des universites cantonales. Et pourtant,

.

ll

(22)

20 -

combien d'assiettes nouvelles de subventions n'a-t-on pas introduit, depuis lors, dans la Constitution ! Cependant, la charge ne serait guere lourde pour la Confederation : une somme de deux

a

quatre millions

a

repartir aux universites selon le nombre des etudiants ou

a

chacune

la meme part, par exemple

a

chacune 500.000 francs. Cela ferait le quart de Ieur budget.

Une autre source pourrait etre sollicitee - et M. Babel y a fait -allusion - si la solidarite n'est pas un vain mot. Car il est un fait impor-

tant : les jeunes gens, les futures elites de dix-sept cantons suisses vont poursuivre leurs etudes superieures dans les sept universites qui existent en Suisse et qui sont entretenues entierement par leurs sept cantons.

Ces dix-sept cantons regoivent done beaucoup plus qu'ils ne donnent, ils jouissent gratuitement d'un immense privilege, celui de former sans frais, sans soucis, leur propre armature intellectuelle.

En toute sincerite, je crois qu'on doit pouvoir trouver une solution possible.

Devant vous, devant cet auditoire sympathique, je sais que l'Uni- versite, Ia Societe academique, mon eminent ami le professeur Babel - qui est, vous le savez, l'inlassablc champion de la vie et de la pros- perite de notre chere Alma Mater - et que moi-meme enfin nous n'aurons pas preche dans le desert. Mais la route sera longue encore, et pleine d'obstacles et d'inerties assez redoutables. Une reunion comme celle de ce soir, pleine de dignite et de civisme et, je puis le dire hautement, depourvue de toute etroitesse OU d'interet materiel mesquin, cette reunion aura ete utile.

La Societe academique, par une longue et magnifique tradition, marque genereusement chaque annee son appui materiel et aussi son souci et Ia solidarite de toutes les fibres de son camr envers les destinees de l'Universite. Unc fois de plus elle aura propage l'onde d'nne reven- dication qui, cette fois, n'est pas seulement genevoise, et qui s'inquiete de voir peut-etre clrnnceler un edifice secula,ire et precieux entre tous : notre patrimoine de culture superieure et l'avenir intellectuel de notre pays.

~

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