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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER, PRÉSENTÉES LE 18 OCTOBRE

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 18 OCTOBRE 1977 1

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Introduction

La présente affaire a été portée devant la Cour par une demande de décision à titre préjudiciel qui émane d'une «Divisional Court» (chambre à plusieurs juges) de la

«Queen's Bench Division» de la «High Court of Justice» d'Angleterre et du Pays

de Galles.

Les circonstances qui sont à l'origine de

ce renvoi sont les suivantes.

M. John Patrick Kelly, ressortissant bri­

tannique qui a actuellement dépassé le seuil de la soixantaine, a été affilié aux assurances sociales au Royaume-Uni, tan­

tôt comme membre des forces armées et tantôt comme salarié, de 1933 à 1971, sauf durant une certaine période com­

prise entre 1947 et 1951, qu'il a passée en Allemagne. En 1971, il est retourné en Allemagne, où il a travaillé et a été as­

suré jusqu'en juin 1973, date à laquelle il a été atteint d'une maladie apparemment permanente. Actuellement, il réside en­

core toujours en République fédérale. Du mois d'août 1973 à juillet 1974, il a béné­

ficié dans ce pays de prestations de mala­

die, et depuis lors il perçoit une petite pension d'invalidité allemande, qui a été calculée en fonction de sa période relati­

vement courte d'assurance en Allemagne.

En 1974, une demande a été adressée au nom de M. Kelly au ministère de la santé et de la sécurité sociale en Angleterre, en vue d'obtenir pour lui une pension d'inva­

lidité britannique (nous disons «britan­

nique» plutôt que «du Royaume-Uni», parce que la législation au titre de la­

quelle la pension a été sollicitée est uni­

quement applicable en Grande-Bretagne.

L'Irlande du Nord, si nous avons bien compris, a sa propre législation de sécuri­

té sociale).

Le 19 juin 1974, l'«insurance officer»

(c'est-à-dire le délégué aux assurances so­

ciales) responsable a décidé que M. Kelly n'avait pas droit à une pension d'invalidi­

té britannique, parce qu'il n'avait pas bé­

néficié de prestations de maladie britanni­

ques. D'après la législation britannique en cause, telle qu'elle nous a été expli­

quée à l'audience, une personne dont la période d'emploi est interrompue en rai­

son d'une incapacité de travail a droit dans un premier temps à des prestations de maladie. Lorsque son incapacité dure plus de 168 jours, elle acquiert en lieu et place un droit à une pension d'invalidité (dont le taux est plus élevé). Les disposi­

tions en la matière qui étaient en vigueur lorsque M. Kelly a introduit sa demande étaient la section 19 du National Insu­

ranceAct de 1965et la section 3 du Na­

tional Insurance Act de 1971. Ces dispo­

sitions sont maintenant remplacées, sans modification substantielle, par les sec­

tions 14 et 15 du Social Security Act de 1975, qui est un texte de loi coordonné.

On estime que, de la manière dont la réglementation britannique est rédigée, le droit à des prestations de maladie pen­

dant 168 jours conditionne le droit à une

pension d'invalidité. D'autre part, le béné­

fice de prestations de maladie allemandes n'est pas considéré comme remplissant cette condition préalable.

La décision de l'«insurance officer» a été attaquée par M. Kelly devant le tribunal local de Newcastle-upon-Tyne. Le 3 juin 1975, ce tribunal a rejeté le recours, en confirmant le raisonnement de l'«insu- rance officer».

M. Kelly a alors interjeté l'appel devant le

«National Insurance Commissioner» (qui

I — Traduit de l'anglais.

2098

(2)

est le juge d'appel en matière d'assu­

rances sociales) et cet appel a abouti. Le 11 mars 1976, le «National Insurance Commissioner» a rendu une décision réformant celle du tribunal local et il a

déclaré que M. Kelly avait droit à une pension d'invalidité britannique en vertu des dispositions de l'article 46, para­

graphe 2, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil (JO n° L 149 du 5. 7. 1971).

Le «National Insurance Commissioner» a

admis que suivant la seule législation bri­

tannique, M. Kelly n'avait effectivement pas droit à des prestations d'invalidité parce qu'il n'avait pas eu droit à des pres­

tations de maladie. Il a observé que d'a­

près cette législation, au moins deux obs­

tacles s'opposaient à ce que M. Kelly ob­

tienne des prestations de maladie. En pre­

mier lieu, l'intéressé ne satisferait pas aux conditions de cotisation prévues, car il n'aurait pas cotisé aux assurances sociales britanniques durant une période suffisam­

ment proche de la date à laquelle il est devenu malade (pour les détails concer­

nant ces conditions de cotisation, voir le paragraphe 1 de l'annexe 2 au National Insurance Act de 1965, maintenant rem­

placé par le paragraphe 1 de l'annexe 3 au Social Security Act de 1975). En deuxième lieu, une personne ne pourrait pas, d'après la législation britannique, bénéficier de prestations tant qu'elle est absente de Grande-Bretagne (voir la sec­

tion 49 (1) (a) du National Insurance Act de 1965,maintenant remplacée par la sec­

tion 82 (5) (a) du Social Security Act de 1975;il existait des exceptions à cette der­

nière règle, mais aucune d'elles n'était applicable dans le cas de M. Kelly). Il semble que l'«insurance officer» ait en­

core avancé comme autre argument que M. Kelly ne pouvait pas obtenir des pres­

tations de maladie parce qu'il n'avait pas

introduit une demande en ce sens dans

les formes et dans les délais prescrits (à ce sujet, voir la section 48 du National

Insurance Act de 1965 et les National

Insurance (Claims and Payments) Régu­

lations de 1971 (SI. 1971 n° 707), actuel­

lement remplacées par la section 79 du

Social Security Act

de 1975

et par les

So-

cial Security (Claims and Payments) Ré­

gulations de 1975 (S.I. 1975 n° 560).

En substance, le «National Insurance Commissioner» a décidé que ces difficul­

tés quant à l'octroi d'une pension d'invali­

dité à M. Kelly étaient surmontées par les

dispositions du règlement n° 1408/71.

Au cours du raisonnement qui l'a conduit à cette décision, le Commissio­

ner s'est demandé si la condition à la­

quelle le droit à des prestations d'invalidi­

té britanniques est subordonné, à savoir l'existence antérieure d'un droit à des prestations de maladie britanniques, était bien compatible avec l'article 51 du traité CEE, et subsidiairement, si en vertu du droit communautaire cette condition ne

devait pas en l'espèce être considérée comme remplie du fait que M. Kelly avait bénéficié de prestations de maladie allemandes. A cet égard, le «Commissio­

ner» s'est reporté aux conclusions de M.

l'avocat général Trabucchi dans l'affaire 20-75, D'Amico/LVA Rheinland-Pfalz, Recueil 1975, p. 901. Finalement, il a tou­

tefois jugé inutile de se prononcer défini­

tivement sur ces questions, compte tenu de l'opinion à laquelle il était arrivé en ce qui concerne l'interprétation à donner aux dispositions en cause du règlement

n° 1408/71.

Il vous est familier, Messieurs, que le cha­

pitre 2 du titre III de ce règlement, qui traite de l'invalidité, tient compte du fait

qu'il existe dans les États membres deux

types différents de législations sur les pres­

tations d'invalidité: celles qui sont généra­

lement appelées du «type A», selon les­

quelles le montant des prestations d'inva­

lidité est indépendant des périodes d'assu­

rance, et celles qui sont généralement appelées du «type B», selon lesquelles le montant de ces prestations dépend de la durée des périodes d'assurance. Les droits d'un travailleur qui a été soumis successi­

vement ou alternativement à des législa­

tions exclusivement du type A sont réglés aux articles 37 à 39, tandis que pour le cas d'un travailleur qui a successi­

vement ou alternativement été soumis à

(3)

des législations dont l'une au moins est du type B, l'article 40 prescrit que les dis­

positions du chapitre 3, qui régit la ma­

tière «Vieillesse et décès (pensions)», sont

applicables par analogie. Pour autant

qu'il importe ici, la législation britan­

nique en cause est du type A, tandis que la législation allemande en cause est du type B, de sorte que l'article 40 joue.

Parmi les dispositions du chapitre 3 qui sont ainsi rendues applicables, les plus importantes sont l'article 45, paragraphe 1, et l'article 46. Tout deux ont été modi­

fiés successivement par l'Acte d'adhésion (annexe 1, point IX. 1) et par le règlement (CEE) n° 2864/72 du Conseil (JO n° L 306 du 31. 12. 1972). Lorsque nous nous reporterons à ces textes, nous nous référe­

rons, tout comme le «National Insurance Commissioner» à leur version modifiée.

L'article 45, paragraphe 1, tel qu'il a donc été modifié, est libellé comme suit:

«L'institution d'un État membre dont la législation subordonne l'acquisition, le

maintien ou le recouvrement du droit

aux prestations à l'accomplissement de périodes d'assurance ou de résidence, tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'assurance ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre, comme s'il s'agissait de périodes accomplies sous la législation qu'elle applique.»

En résumé, et de la manière dont nous avons compris son raisonnement, le «Na­

tional Insurance Commissioner» a estimé

que l'article 45, paragraphe 1, surmontait deux obstacles au droit de M. Kelly à des prestations d'invalidité britanniques. En premier lieu, cette disposition permettrait d'assimiler les périodes d'assurance ac­

complies par lui en Allemagne à des pé­

riodes accomplies en Grande-Bretagne, de manière à permettre de le considérer comme ayant satisfait aux conditions de cotisation requises. En deuxième lieu, elle permettrait d'assimiler sa période de résidence en Allemagne à une période de résidence en Grande-Bretagne, de ma-

nière à permettre de considérer son ab­

sence effective de Grande-Bretagne comme inopérante. La difficulté restante que le «Commissioner» a ressentie (et qui est selon nous la difficulté centrale dans

cette affaire) était que l'article 45, para­

graphe 1, n'autorisait pas formellement de présumer en outre ou par voie de conséquence que M. Kelly avait eu droit à des prestations de maladie britanniques durant les 168 jours nécessaires.

Sur ce point, le raisonnement du «Com­

missioner» a pris une orientation dont nous confesserons qu'elle nous semble difficile à suivre. Partant de l'idée que l'ar­

ticle 45, paragraphe 1, ne permettait pas à lui seul cette présomption supplémen­

taire, il s'est tourné vers l'article 46.

Le paragraphe 1 de cet article détermine, comme vous vous en souviendrez, Mes­

sieurs, quelle prestation doit être accor­

dée à un travailleur «lorsque les condi­

tions requises pour l'ouverture du droit aux prestations sont satisfaites sans qu'il soit nécessaire de faire application des dis­

positions de l'article 45». Ce paragraphe ne saurait évidemment pas jouer dans un cas comme celui de l'espèce. Quant au paragraphe 2 de l'article 46, il déclare ce qui suit:

«L'institution compétente de chacun des

États membres à la législation desquels le

travailleur a été assujetti, applique les rè­

gles suivantes si les conditions requises pour l'ouverture du droit aux prestations ne sont remplies que compte tenu des dispositions de l'article 45:

a) l'institution calcule le montant théo­

rique de la prestation à laquelle l'inté­

ressé pourrait prétendre si toutes les périodes d'assurance et de résidence accomplies sous les législations des

États membres auxquelles a été sou­

mis le travailleur avaient été accom­

plies dans l'État membre en cause et

sous la législation qu'elle applique à la date de la liquidation de la prestation.

Si, selon cette législation, le montant de la prestation est indépendant de la durée des périodes accomplies, ce

(4)

montant est considéré comme le mon­

tant théorique visé au présent alinéa;

b) l'institution établit ensuite le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique visé à l'alinéa précédent, au prorata de la durée des périodes d'assurance ou de résidence accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu'elle ap­

plique, par rapport à la durée totale

des périodes d'assurance et de rési­

dence accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres en cause;

c) . . . d) ....».

Le Commissioner a estimé que les ali­

néas a) et b) de l'article 46, paragraphe 2, étaient des dispositions interprétatives de l'article 45, paragraphe 1, et qu'il était impossible de dire si une personne avait droit à quoi que ce soit en vertu de l'ar­

ticle 45, paragraphe 1, sans effectuer les calculs exigés par ces alinéas. Compte tenu des présomptions à opérer en vertu de l'article 45, paragraphe 1, c'est-à-dire des présomptions d'assurance continue et

de résidence continue en Grande-Bre­

tagne, M. Kelly aurait eu droit à des pres­

tations de maladie durant 168 jours, puis à des prestations d'invalidité, à la condi­

tion d'en faire la demande. Le calcul sui­

vant l'article 46, paragraphe 2 a) fourni­

rait par conséquent un «montant théo­

rique de la prestation». Le fait qu'aucune demande de prestations de maladie n'a effectivement été introduite par M. Kelly ne pourrait pas avoir de l'importance, car le calcul aurait pour objet un montant

«théorique» sur une base hypothétique.

Le «montant effectif» de la prestation d'in­

validité pourrait être établi à partir de ce montant théorique, conformément à l'ar­

ticle 46, paragraphe 2 b).

L'«insurance officer» sollicite maintenant de la «Queen's Bench Division» une or­

donnance de «certiorari» cassant la déci­

sion du «National Insurance Commissio­

ner» pour erreur de droit. Par ordonnance du 15 février 1977, la «Divisional Court»

a déféré à cette Cour, en application de

l'article 177 du traité, les questions sui­

vantes:

«Lorsque la législation d'un État membre

subordonne l'acquisition du droit à des prestations d'invalidité à la condition que l'intéressé ait été habilité à bénéficier de prestations de maladie au titre de ladite législation pendant un total de 168 jours au cours de la période qui a directement précédé, étant entendu que, pour autant qu'il importe en l'espèce, cette condition est liée (a) à l'accomplissement de pé­

riodes d'assurance et (b) à la présentation d'une demande en ce sens dans les formes et les délais requis,

(i) l'article 51 du traite de Rome em­

pêche-t-il cette condition de jouer dans les cas visés par les articles 40, 45 ou 46 du règlement (CEE) n°

1408/71?

(ii) a) l'article 45 ou b) l'article 46

s'appliquent-ils a la législation en question?

(iii) l'ensemble ou l'une quelconque des dispositions des articles 40, 45 ou 46 a) permettent-elles de considérer

une telle condition comme entiè­

rement ou partiellement satisfaite,

ou

b) exigent-elles de considérer cette condition comme caduque en tout ou en partie,

et si oui, dans quelle mesure?»

L'examen de ces questions peut utile­

ment, selon nous, être divisé en deux par­

ties que nous intitulerons:

1. interprétation du traite, et en particu­

lier de son article 51, et

2. interprétation du règlement n°

1408/71, et en particulier de ses arti­

cles 45 et 46.

Interprétation du traité, et enparticulier

de son article 51

Une particularité de cette affaire, Mes­

sieurs, est que M. Kelly n'a pas comparu ni n'a été représenté, ni devant le «Natio­

nal Insurance Commissioner», ni devant la «Divisional Court», ni devant cette

(5)

Cour. En ce qui concerne celle-ci, il s'est borné à écrire au greffier qu'il n'avait rien de constructif à «ajouter aux renseigne­

ments déjà fournis aux juridictions et aux autorités compétentes en matière d'assu­

rance en Angleterre». La «Divisional Court» a toutefois été assistée par un «ami­

cus curiae» et, bien que nous n'ayons évi­

demment aucune certitude à ce sujet, nous supposons que la première question posée par la juridiction anglaise a son ori­

gine dans un argument avancé par lui, lequel peut parfaitement avoir été inspiré à ce dernier par les observations du «Na­

tional Insurance Commissioner» que nous avons indiquées.

Quoi qu'il en soit, l'«insurance officer» et la Commission (qui sont les seuls à avoir déposé des observations devant cette Cour) estiment l'un et l'autre que l'article 51 du traité ne s'oppose pas à l'existence, dans la législation d'un État membre, d'une règle qui subordonne l'acquisition d'un droit à des prestations d'invalidité à la condition que l'intéressé ait en vertu de cette législation été habilité à bénéfi­

cier de prestations de maladie pendant un certain nombre de jours de la période qui a directement précédé.

A l'appui de cette opinion, l'«insurance

officer» et la Commission renvoient dans une certaine mesure à l'arrêt de la Cour dans l'affaire D'Amico. Personnellement, nous ne pensons pas que cette décision joue ici. Dans cette affaire la Cour a jugé qu'aucune disposition du droit commu­

nautaire ne s'opposait à l'existence, dans

la législation d'un État membre, d'une

règle qui subordonne l'acquisition d'un droit à une pension de retraite anticipée à la condition que l'intéressé ait été inscrit au chômage dans l'État en ques­

tion pendant un certain temps. Cette dé­

cision s'appuyait toutefois sur la considé­

ration que les règlements communau­

taires en question eux-mêmes avaient été conçus en partant de l'idée que le droit à des prestations de chômage présupposait en général que la personne concernée fût disponible pour un emploi là où elle solli­

citait une pareille prestation. Aucune

considération de cette nature ne s'ap­

plique ici. Le bénéfice de prestations de maladie par une personne ne saurait être considéré comme une espèce de «quid pro quo» de son bénéfice ultérieur de prestations d'invalidité.

Ce qui est en revanche indubitablement exact, selon nous, c'est que l'article 51 ne produit pas, comme l'«insurance officer»

et la Commission l'ont tous deux souli­

gné, un effet direct dans ce sens qu'il conférerait en soi aux particuliers des droits qu'ils peuvent faire valoir devant les juridictions des États membres. Tout ce que l'article 51 fait, d'après ses termes, c'est de conférer au Conseil le pouvoir, et même de lui imposer l'obligation, d'adop­

ter certaines mesures. Ainsi donc, en ce qui concerne cet article, seule l'adoption de ces mesures par le Conseil peut confé­

rer à un travailleur un droit dont il peut se prévaloir devant une juridiction natio­

nale.

Dans les conclusions de M. l'avocat géné­

ral Trabucchi sur l'affaire D'Amico, nous de trouvons du reste rien qui jetterait un doute sur l'exactitude de cette opinion. A la lecture de ces conclusions, il nous semble que M. l'Avocat général Trabuc­

chi a alors déduit de certaines décisions antérieures de la Cour l'existence d'un

principe général selon lequel, même en l'absence d'une quelconque disposition

spécifique dans ce sens, un État membre

doit, dans certaines circonstances, traiter des faits qui se sont produits sur le terri­

toire d'un autre État membre comme s'ils s'étaient produits chez lui, même lorsque sa législation ne considère de pareils faits comme déterminants que s'ils ont eu lieu sur son territoire. Suivant un pareil prin­

cipe, le Royaume-Uni pourrait ici être tenu d'assimiler le bénéfice par M. Kelly de prestations de maladie allemandes au bénéfice par lui de prestations de maladie britanniques. Si un pareil principe existe, il ne dérive toutefois pas directement de l'article 51; M. l'avocat général Trabucchi n'a d'ailleurs pas suggéré le contraire.

Deux des décisions auxquelles il s'est re­

porté dans ses conclusions, à savoir l'af-

(6)

faire 15-69, Württembergische Milchver­

wertung — Südmilch AG/Ugliola, Re­

cueil 1969, p. 368, et l'affaire 152-73, Sot­

giu/Deutsche Bundespost, Recueil 1974, p. 153, se fondaient sur le principe de non-discrimination qui est inscrit à l'ar­

ticle 48 du traité et dans certains règle­

ments du Conseil qui ne jouent pas ici, tandis que la troisième, l'affaire 2-72, Murru/Caisse régionale d'assurance mala­

die de Paris, Recueil 1972, p. 333, portait sur l'interprétation de l'article 1, alinéa r), du règlement n° 3, qui est le prédéces­

seur de l'article 1, alinéa s), du règlement n° 1408/71. Dans ces conditions, pour que le principe général suggéré par M. l'a­

vocat général Trabucchi trouve applica­

tion, il faut au moins que soit démontré qu'à défaut de procéder ainsi, le travail­

leur migrant subirait une discrimination d'un genre interdit par l'article 48.

Comme, ainsi que vous le verrez, Mes­

sieurs, nous avons abouti à une interpréta­

tion du règlement n° 1408/71 qui corres­

pond dans son résultat à l'opinion du

«National Insurance Commissioner» et

comme, de plus, la «Divisional Court» ne pose aucune question concernant l'inter­

prétation de l'article 48, il ne nous semble pas nécessaire de poursuivre l'exa­

men de cet aspect.

Tournons-nous dès lors vers les questions d'interprétation du règlement n°

1408/71.

Interprétation du règlement n° 1408/71, et en particulier de ses articles 45 et 46 Il est bien sûr manifeste que si le règle­

ment n° 1408/71 n'est pas propre à ou­

vrir à M. Kelly un droit à une pension d'invalidité britannique, il a de manière patente, sous cet angle, manqué son but.

Aussi bien l'«insurance officer» que la

Commission le reconnaissent. Tous deux

déclarent toutefois que cette situation résulte d'une lacune du règlement et que cette lacune ne peut être comblée que par un acte législatif. Ils ont attiré l'atten­

tion sur une proposition d'un règlement du Conseil modifiant les règlements n°

1408/71 et n° 574/72, qui a été établie

après consultation de la Commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants et qui a été soumise par la Commission au Conseil le 30 juin 1977 (JO n° C 171/2 du 19. 7. 1977). Un des effets de ce règlement proposé serait d'insérer à l'article 40 du règlement n°

1408/71 un nouveau paragraphe qui, dans un cas comme celui de l'espèce, per­

mettrait (en résumé et pour autant qu'il importe ici) de considérer les prestations de maladie obtenues dans un État membre comme ayant été obtenues dans un autre. La proposition contient une dis­

position qui prévoyait l'application rétroactive de ce nouveau paragraphe à partir du 1er juillet 1976. Le fait qu'une nouvelle règle a été proposée ne saurait toutefois pas constituer un facteur déter­

minant pour cette Cour lorsqu'elle inter­

prète la législation existante.

Vous aurez remarqué, Messieurs, que des deux principaux obstacles qui s'opposent d'après le «National Insurance Commis­

sioner» à ce que M. Kelly obtienne des prestations de maladie britanniques, à sa­

voir (1) le fait qu'il ne satisfaisait pas aux conditions de cotisation requises et (2) le fait qu'à l'époque décisive il était absent de Grande-Bretagne, la «Divisional Court» n'indique dans ses questions que le premier. On en déduit que pour un quelconque motif, qu'il n'appartient pas à cette Cour de rechercher, la «Divisional Court» n'a pas attaché de l'importance au second. Certains arguments développés devant cette Cour, aussi bien au nom de

l'«insurance officer» qu'au nom de la Commission, tendaient néanmoins à démontrer que les références par l'article 45, paragraphe 1, du règlement n°

1408/71 aux «périodes de résidence» ne pouvaient pas avoir l'effet que le «Natio­

nal Insurance Commissioner» leur attri­

buait. Ces arguments se fondaient sur le

fait que ces références ont été ajoutées

par l'Acte d'adhésion, qui a aussi intro­

duit la définition de la notion de «pé­

riodes de résidence» figurant à l'article 1, alinéa s bis), ainsi que sur le contraste qui existe entre le libellé de ces dispositions dans l'Acte d'adhésion et la formulation

2103

(7)

qui leur a été donnée par le règlement n°

2864/72. Si nous avons bien compris ces arguments, ils conduisaient logiquement à la conclusion que le «National Insu­

rance Commissioner» aurait eu raison, si M. Kelly, au lieu de se rendre en Alle­

magne, s'était rendu au Danemark, mais que, du fait que la législation de sécurité sociale allemande ne définissait pas, ni ne reconnaissait les «périodes de rési­

dence», il avait tort. La raison pour la­

quelle les auteurs de la réglementation auraient entendu que les droits d'un tra­

vailleur en Grande-Bretagne diffèrent se­

lon qu'il migre vers le Danemark ou l'Al­

lemagne, n'a pas été expliquée. Malgré notre envie d'examiner ces arguments complètement, Messieurs, nous craignons que dans les circonstances données, nous abuserions alors de votre temps.

Nous en arrivons à ceux des arguments avancés au nom de l'«insurance officer» et au nom de la Commission qui se rappor­

tent directement aux questions que la

«Divisional Court» a déférées à cette Cour. En substance, ils sont au nombre de deux. Le premier a consisté à dire que les dispositions de l'article 45, paragraphe 1, qui obligent l'institution d'un État membre dont la législation subordonne l'acquisition d'un droit à des prestations d'invalidité à l'accomplissement de pé­

riodes d'assurance, de tenir compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'assu­

rance accomplies sous la législation d'un

autre État membre comme s'il s'agissait

de périodes accomplies sous sa propre législation, ne devaient pas être interpré­

tées comme obligeant cette institution de tenir compte de pareilles périodes pour

constater si un travailleur aurait eu droit

à des prestations de maladie là où le droit à des prestations d'invalidité est subordon­

né à un droit antérieur à des prestations de maladie. En deuxième lieu, il a été soutenu que cette lacune de l'article 45, paragraphe 1, ne pouvait pas être com­

blée par l'article 46, paragraphe 2.

Sur ce deuxième point, disons-le immé­

diatement, nous sommes d'accord, si bien qu'à cet égard, nous nous permettons de

ne pas partager l'opinion du «National Insurance Commissioner». L'article 46, paragraphe 2, a pour but de déterminer les conséquences de l'application de l'ar­

ticle 45. Il existe évidemment un lien

étroit entre l'article 45 et l'article 46, para­

graphe 2, et il est indubitablement cor­

rect d'interpréter ces dispositions à la lumière l'une de l'autre, mais l'article 46, paragraphe 2, ne saurait pas conférer à un travailleur un droit à une prestation si son cas est tel que l'article 45 n'est pas applicable.

Revenons-en maintenant à la véritable

question que cette affaire soulève et que nous avons qualifié tout à l'heure de diffi­

culté centrale; cette question est celle de savoir si les présomptions qu'une institu­

tion d'un État membre (en l'occurrence, le ministère britannique de la santé et de la sécurité sociale) est tenue de faire en vertu de l'article 45, paragraphe 1, sont limitées de la manière soutenue par l'«in­

surance officer» et par la Commission ou si, au contraire, cette institution est obli­

gée de tenir compte de toute consé­

quence pertinente qui découle de ces présomptions.

Après quelque hésitation, nous sommes arrivés à la conclusion que la deuxième

branche de cette alternative était la

réponse exacte. A notre avis, l'article 45, paragraphe 1, ne présente pas vraiment une lacune, mais plutôt une ambiguïté.

Jusqu'où une institution d'un État membre doit-elle aller en tenant compte

«des périodes d'assurance ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre, comme s'il s'agissait de périodes accomplies sous la législation qu'elle applique»? Dans la mesure où la réponse doit être trouvée dans les termes mêmes de l'article 45, paragraphe 1, elle

est celle-ci: «dans la mesure nécessaire».

Cela étant, il ne nous semble pas que ce serait faire violence au texte de l'article

45, paragraphe 1, que d'affirmer que lorsque, sur la base de ces présomptions, un travailleur aurait eu droit dans l'État membre concerné, d'abord à une presta-

2104

(8)

tion de maladie durant une certaine pé­

riode, puis à une prestation d'invalidité, l'hypothèse prescrite par cette disposition inclut le bénéfice pat l'intéressé de presta­

tions de maladie lorsque telle est la condi­

tion à laquelle le bénéfice par lui de pre­

stations d'invalidité est subordonné. Et si cette interprétation, non seulement ne fait pas violence au texte de la disposi­

tion, mais est aussi (ce qui est manifeste­

ment et incontestablement le cas) la seule compatible avec son but, elle doit, nous semble-t-il, conformément aux cri­

tères d'interprétation que cette Cour a définis à de multiples reprises, être l'inter­

prétation correcte.

Dans ces conditions, l'autre difficulté si­

gnalée par la «Divisional Court», qui re­

monte à l'exigence inscrite dans la législa­

tion britannique qu'une demande de prestations de maladie doit avoir été présentée dans les formes et dans les dé­

lais prescrits, peut de toute évidence être ignorée. Sous ce rapport, nous partageons entièrement le point de vue du «National Insurance Commissioner». Lorsque l'on se trouve dans un monde d'hypothèses réglementaires concernant des droits sub­

stantiels, le défaut d'accomplissement des formalités qui seraient exigées pour assu­

rer ces droits dans le monde réel ne sau­

rait avoir de l'importance.

Conclusions

En conclusion, Messieurs, nous estimons qu'en réponse aux questions défé­

rées par la «Divisional Court», vous devriez dire pour droit:

(1) L'article 51 du traité CEE ne confère pas en soi aux particuliers de quel­

conques droits dont ils pourraient se prévaloir devant les juridictions des États membres.

(2) Lorsque la législation d'un État membre subordonne l'acquisition d'un droit à des prestations d'invalidité à la condition que l'intéressé ait été ha­

bilité à bénéficier de prestations de maladie au titre de cette législation pendant un certain nombre de jours de la période qui a directement précé­

dé, le droit à de pareilles prestations de maladie étant lui-même subordon­

né (a) à l'accomplissement de périodes d'assurance et (b) à la présentation d'une demande en ce sens dans les formes et dans les délais prescrits, les

dispositions combinées des articles 40, 45 et 46 du règlement (CEE) n°

1408/71 (dans le cas où l'intéressé a successivement ou alternativement été soumis aux législations de deux ou plusieurs États membres, dont l'une au moins n'est pas du type visé à l'article 37 de ce règlement) ont pour effet

de permettre de considérer cette condition comme remplie dans la me­

sure où elle aurait été remplie si les périodes d'assurance accomplies par l'intéressé sous la législation de n'importe quel État membre avaient été accomplies sous la législation de l'État membre cité en premier lieu et si la demande appropriée de prestations de maladie avait été présentée dans

les formes et dans les délais prescrits.

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