Notes et nouvelles
La réunion de la
<<Conférence européenne permanente pour l'étude du paysage rural
>>tenue à Roskilde, Danemark, en juin 1979
par F. DussART
Depuis 1957, des géographes - et aussi quelques historiens - s'intéres- sant aux problèmes du paysage rural exposent les résultats de leurs recherches lors de réunions qu'il a été convenu, dès 1971, d'intégrer dans une « Confé- rence européenne permanente pour l'étude du paysage rural ». Ces réunions ont eu lieu successivement à Nancy (1957), Vadstena, Suède (1960), Bangor- Birmingham-Leicester (1964), Wurzbourg (1966), Liège (1969), Belfast (1971), Pérouse (1973), Varsovie (1975), Rennes-Quimper (1977), Roskilde, Dane- mark (1979) et tout dernièrement à Durham-Cambridge (septembre 1981).
Presque toutes ces réunions ont été l'objet de publications importantes dont il nous paraît utile de donner la liste à la fin de cet article.
Ci-après nous présentons un compte rendu succinct de celle de Roskilde.
La réunion de Roskilde s'est 'tenue du 3 au 9 juin 1979. Elle avait été organisée par les professeurs Viggo Hansen et Karl-Erik Frandsen de l'Uni- versité de Copenhague et par Svend Gissel de la Bibliothèque royale de la même ville.
Etant donné la grande variété de sujets pouvant être classés sous la rubri- que « Paysage rural », les organisateurs avaient proposé - comme précédem- ment - de limiter le nombre de thèmes à traiter, en l'occurrence : 1) la conti- nuité de la localisation de l'habitat rural, question de stabilité ou de change- ment ; 2) le système seigneurial et l'empreinte qu'il a laissé dans le paysage ; 3) la toponymie et sa signification pour les études du paysage e't de l'habitat rural. Comme toujours, les conférenciers ne se sont pas tenus strictement à ces recommandations et les organisateurs ont sans doute bien fait de ne pas se montrer trop sévères et d'accepter aussi des communications sortant du cadre préconisé.
Quelque quatre-vingts géographes venus d'Allemagne, de Belgique, du Danemark, de France, de Grande-Bretagne, d'Italie, d'Irlande, des Pays-Bas, de Norvège et de Suède ont participé aux travaux.
Une trentaine de communications ont été présentées au cours de six demi- journées, tandis que deux soirées et une journée et demie ont été consacrées à des travaux sur le terrain.
Huit exposés ont traité de la question de la continuité de la localisation de l'habitat rural. Fidèles à une méthode de travail traditionnelle, des géogra- phes scandinaves ont recherché les origines du paysage et de l'habitat rural dans le lointain passé de la préhistoire ou du moyen âge. Ayant parfois résolu- ment recours aux résultats de fouilles et d'investigations archéologiques, Torben Gr9lngaard Jeppesen et Henrik Thrane (Odense) ont abordé ce problème dans l'île de Fionie. De même, l'évolution des paysages a été retracée par Ulf Sporrong et Ulla Gi.iransson (Stockholm) dans la région du lac Malaren. Dans l'île d'bland, Solve Goransson (Uppsala) a signalé les multiples changements quant à la localisation des sites d'habitat, à cause notamment de modifications dans les systèmes de partage des terres au moyen âge. Matz Widgren (Stock- holm) a montré comment une crise agricole, vers 400-600 après J.-C., a entraî- né un important abandon de terroirs agricoles et de sites habités dans l'bster- gotland, tandis que Jesper Brandt (Roskilde) et Rolf Guttesen (Copenhague) ont décrit les traces d'anciennes cultures dans les « outfields » des îles Féroé (Faroes). En Allemagne, c'est la désertion des finages et des villages de !'Alt- mark qui a retenu l'attention de Max Linke (Halle). Pour l'Italie, il y a lieu de signaler, d'une part la 'tentative faite par Alma Bianchetti (Udine) de déter- miner les caractéristiques essentielles de l'habitat du Frioul - habitat éton- namment stable depuis l'organisation spatiale romaine -, d'autre part la description par Guido Barbina (Udine) de la mise en valeur et de l'habitat en pleine décadence de la partie alpine de la même région. Jean Gasco (Mont- pellier) enfin, a essayé de retrouver dans le paysage actuel des traces de l'orga- nisation économique et spatiale d'une communauté de l'âge du cuivre du Bas- Languedoc.
Le thème de l'empreinte laissée par le reg1me seigneurial sur le paysage rural a donné lieu à relativement peu d'exposés. C'est la colonisation, sous la ferme direction des pouvoirs seigneuriaux, qui est à l'origine selon Friedrich Eigler (Weissenburg, Bavière), de la création, à la fin du moyen âge, des villa- ges-rues et du parcellaire laniéré du Jura de Franconie. Walter Leimgruber (Bâle) a constaté, par contre, que dans le Jura suisse, près de Bâle, des fermes seigneuriales, à parcelles massives, se sont installées à la périphérie des finages, à parcelles laniérées, des villages anciens. Erland Porsmose (Odense) a étudié l'expansion, à partir du XVIIe siècle, des fermes seigneuriales aux dépens des petites tenures paysannes de l'île de Fionie. A l'exemple concret d'une seigneu- rie (Marden, au nord d'Hereford), June A. Sheppard (Londres) a apporté une contribution à l'élucidation du problème controversé de l'origine - pré-anglo- saxon ou scandinave ? - et de la continuité de l'habitat en Angleterre. C'est aussi par l'étude de l'évolution d'un domaine cistercien irlandais que John Bradley (Dublin) a constaté la persistance à travers les siècles du plan d'amé- nagement du terroir établi à l'origine par les moines. En Irlande encore, Arnold H. Horner (Dublin) a mis en évidence le rôle joué entre 1700 et 1800 par les grands propriétaires terriens dans le façonnement du paysage actuel, tandis que
Jacques Pinard (Poitiers) a évoqué l'activité des maîtres de forges, des ver- riers, etc. dans le centre-ouest de la France.
La mise à l'ordre du jour de la question de l'apport de la toponymie pour les études du paysage et de l'habitat rural a suscité de nombreuses contribu- tions. Pour la Scandinavie, il convient de signaler celles de Ben't J0rgensen (Copenhague) sur l'intérêt des noms des champs dans les domaines seigneu- riaux pour l'étude de l'évolution de l'habitat ; de Thorsten Andersson (Uppsa- la) sur la possibilité de clarifier ce même problème autour du lac Miilaren en ayant recours aux noms médiévaux des circonscriptions et des paroisses ; de Rolf Guttesen (Copenhague) sur l'utilisation de la toponymie pour déterminer l'âge - absolu ou relatif - d'un certain nombre de lieux habités des îles Féroé ; de Michel Cabouret (Metz) sur la façon dont les noms, à suffixes carac- téristiques, des grandes fermes dispersées de la Norvège se groupent en « stra- tes chronologiques ». Pour les îles Britanniques, Gillian Fellows Jensen (Copen- hague) et Colin Thomas (Coleraine, Ulster) ont eu recours également à l'outil toponymique pour éclaircir, le premier, le problème de l'occupation scandina- ve au moyen âge dans l'est de l'Angleterre, le second celui de la colonisation agricole au Pays de Galles. Pour la France, Pierre Flatrès (Rennes) et Chris- tiane Foutrain (Lille) ont insisté sur l'intérêt de l'utilisation de la méthode des strates toponymiques en géographie de l'habitat, respectivement en Bretagne (avec l'application au cas particulier d'une commune) et dans le Houtland de la Flandre française. En Italie enfin, Paola Serena (Turin) a utilisé les « micro- toponymes » des finages de certaines vallées des Alpes cottiennes, non pas pour déterminer des phases de peuplement, mais pour connaître la manière dont les membres des .communautés paysannes se représentaient l'espace jadis.
Un certain nombre de communications se sont limitées à enregistrer des transformations récente!.1 subies par le paysage rural. En Italie, Franca Batti- gelli (Udine) a fait connaître les transformations, depuis la seconde moitié du siècle dernier, des anciens villages suburbains de la ville d'Udine, ainsi que la
« rurbanisation » depuis la dernière guerre de sa zone rurale extérieure ; G.
Montilli, R. Perari et F. Rambotti (Pérouse) ont constaté qu'en Ombrie (région du Mont Subasio, à l'est du lac Trasimène), la concentration urbaine et la crise agricole ont provoqué depuis 1950 d'une part l'abandon de fermes isolées, de hameaux et de villages, d'autre part le développement des résidences secon- daires ; en Sardaigne, Giuseppe Giardina (Cagliari) a suivi le développement de l'habitat dans les plaines côtières, théâtre d'essais - pas toujours heureux - de mises en valeur récentes. En Espagne, Maria A. Lizarraga et José Samba (Université de Navarre) ont étudié les effets de la dépopulation sur l'habitat rural dans les vallées transversales des Pyrénées navaraises. Aux Pays-Bas, dans l' Achterhoek, c'est plutôt l'influence de la modernisation de l'agriculture sur le paysage rural qui a retenu l'attention de Christiaan Van Welsenes (Nimè- gue) ; ce même facteur - la modernisation de l'agriculture - est mis en avant par Jean Peltre (Nancy), qui a constaté qu'en Lorraine un habitat en ordre lâche se dessine à côté des villages traditionnels en tas ou en rue. De multiples facteurs - d'ordres économique, social, démographique voire politique - sont à l'origine, selon Gabriel Wackermann (Strasbourg), des transformations pro-
fondes qui, depuis 1960, se manifestent dans l'habitat rural de l'espace rhénan.
Bruce Walker (Dundee) a cherché les traces des techniques anciennes dans les maisons d'un village (Rait) du Perthshire, tandis que M. Enrica Sacchi de Angelis (Pérouse) a fait parvenir un texte traitant de la maison rurale ombrien- ne et de sa fonction économique et sociale.
En dehors des visites, le soir, du musée des navires des Vikings à Roskilde et d'un village reconstitué de l'âge du fer à Lejre, les études sur le terrain ont consisté en une journée passée dans le centre et le nord-ouest de l'île de Sjael- land (Seeland) et une demi-journée dans la presqu'île de Hornsherred (centre- nord de cette île).
Lors de la journée d'excursion, on a traversé d'abord rapidement, entre Roskilde et Trelleborg, une succession de plaines fertiles limoneuses à villages concentrés et de zones sablonneuses, forestières et lacustres, où les petits villa- ges et les fermes dispersées résultent de colonisations tardives. Un premier arrêt au sommet des remparts imposants de l'ancien camp fortifié des Vikings près de Trelleborg, a permis d'avoir une vue sur le finage de Hejninge, où un parcellaire rayonnant à partir du centre du village a remplacé, depuis le remem- brement du XVIIIe siècle, des champs ouverts laniérés. D'autres cas intéres- sants ont été étudiés ensuite: le site de l'ancien village de Store Valby, pro- priété seigneuriale vendue et complètement démolie en 1774 ; le village d'0ster Stilling, dont le caractère de « green village » s'est estompé après le remem- brement de 1790 ; Reersp, ancien village de pêcheurs sur le Grand Belt, aux vieilles maisons caractéristiques ... Passé le lac de Tissp se présente une région dont l'habitat dispersé est, en partie, le résultat de colonisations planifiées récentes.
Un arrêt au manoir de Daagsholm donne lieu à une discussion sur l'influen- ce du système seigneurial sur les anciens régimes fonciers et, par voie de con- séquence, sur le paysage rural. Plus à l'est, l'itinéraire traverse le « polder »
asséché de Lammefjord, au centre duquel se trouve la ville de Farevejle entou- rée de quelque 300 fermes pratiquant des cultures spécialisées.
C'est via Holbaek que s'est fait le retour à Roskilde.
Lors de l'excursion d'une demi-journée dans la presqu'île de Hornsherred, l'intérêt a été axé surtout sur le problème des villages qui ont été abandonnés dans les zones côtières au moyen âge et au XVIIe siècle et dont les terres ont Hé incorporées dans les finages des lieux habités actuels. De grande impor- tance dans ce processus fut l'action des seigneurs ecclésiastiques, mais aussi le déclin économique résultant de l'utilisation plus extensive du sol.
En conclusion, ces deux excursions dans le Sjaelland rural ont permis aux participants de découvrir la grande variété des types d'habitat et des paysages, aboutissements d'évolutions complexes dans des milieux physiques variés.
BIBLIOGRAPHIE
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Collected papers presented at the Permanent European Conference for the study of the rural landscape held at Roskilde, Denmark, 3-9 june 1979. Organizing committee Karl-Erik FRANDSEN, Sven G1ssEL, Viggo HANSEN Ed., Copenhagen, 1981, 226 p.
N.B. - A notre connaissance, les réunions de Bangor-Birmingham-Leicester n'ont fait l'objet que d'un bref compte rendu : G.R.J. JoNES and H. THORPE. - Symposium S 4a : The mra/ /andscape and ifs evolution. July 11 th to 20th, 1964, dans 20th International Geographica/ Congres. Congres Proceedings, ed. by J.W. Watson, London, 1967, pp.
221-229.
Pour toutes les réunions, de nombreux comptes rendus ont paru dans des revues géographiques, notamment dans la Revue géographique de l'Est, Nancy, par X. DE PLANHOL (voir tomes I-1961, VI-1966, IX-1969 et XV-1975) et dans le Bulletin de la Société géographique de Liège, par Jacqueline CLAUDE et F. DussART (voir n°s 3-1966, 5-1969, 7-1971, 9-1973, 12-1976 et 14-1978).
