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"Une gare de banlieue", Lucie Granville

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Academic year: 2021

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Une gare de banlieue

Cette gare de banlieue très ordinaire, posée au milieu de la grisaille et du béton, est un lieu pratique mais sans âme et qui n’a rien de très attirant. Les trains s’y arrêtent, se vident et se remplissent, puis redémarrent dans un brouhaha métallique et désagréable. Les voyageurs

indifférents courent d’un quai à l’autre, se bousculent parfois pour prendre la dernière place assise dans un wagon déjà bondé. La vie s’agite dans une triste indifférence, propre à ce lieu. Mais sur les quais de cette gare sont gravés des souvenirs inaltérables…

Une quarantaine d’années plus tôt, ce lieu abrite deux amoureux, à peine sortis de

l’adolescence. Tous les soirs ils attendent ensemble le train qui va les séparer jusqu’au lendemain. Enlacés sur un banc très banal, insensibles à leur environnement du moment, ces deux-là glissent dans une bulle de bonheur et de couleurs au milieu de bruit et du gris. Tout autour, les voyageurs se pressent, grognent et gesticulent. Une voix nasillarde annonce régulièrement l’arrivée ou le retard des trains dans le haut-parleur. Une rumeur plus ou moins furieuse se propage parfois dans cette foule en réponse à ces annonces. Indifférents à toute cette agitation, les deux amoureux se dévorent inlassablement des yeux. Happés par le regard de l’autre, ils n’entendent que le langage de leurs cœurs, et savourent chaque seconde comme si c’était la dernière, essayant en vain d’arrêter les heures. Un grand feu intérieur les habite, et cette chaleur les rend insensibles à la morsure du froid. La jeune fille glisse régulièrement ses mains sous le blouson du jeune homme, sous le faux prétexte de les réchauffer un peu. Elle souhaite surtout deviner son torse à travers le pull mince qui le recouvre. Le jeune homme fait de même afin de la maintenir enlacée au plus près de son corps. Les cheveux châtains de l’un se mêlent aux longs cheveux blonds de l’autre. Les yeux du jeune homme prennent alors une teinte de chocolat velouté, et plongent dans le regard vert ardent de la jeune fille, qui se voile d’émotion. Peu importe cet environnement, tous deux l’ont gommé en s’installant sur ce banc, dès le premier soir.

Les deux amoureux dessinent leur propre monde, tout en échafaudant quelques projets de vie. La jeune fille surtout, qui souhaite ardemment construire une famille et passer le reste de sa vie avec ce jeune homme qui la trouble tant. Son côté sombre et secret la fait fondre, mais lui rappelle peut-être aussi parfois cette partie d’elle-même soigneusement cachée. Celle-ci aimerait le sentir aussi enthousiaste qu’elle et le voir dessiner un futur à deux, mais le jeune homme en semble encore incapable, et se montre plus réservé. Beaucoup plus mûr que la jeune fille, celui-ci porte

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déjà un regard acide mais aussi très lucide sur ce monde qui ne tourne pas rond. Alors, la jeune fille se contente de rêver, imagine les enfants qu’ils pourraient avoir ensemble, tout en essayant de ne pas trop le presser, malgré son impatience. Des enfants blonds aux yeux sombres, châtains aux yeux verts, avec un petit lobe d’oreille en moins comme leur papa, défilent dans ses rêves. Leurs parents les aimeraient profondément, tels qu’ils seraient. Jamais ils ne lèveraient la main sur eux, jamais ils ne leur feraient le moindre mal, ils les sensibiliseraient à la littérature, à la musique, au sport, et à un environnement de mer et de verdure, pour un bon équilibre. Leurs parents leur donneraient beaucoup, énormément, infiniment d’amour tout en essayant de leur transmettre certaines valeurs. Ensuite, chacun d’eux tracerait son propre chemin, encouragé par des parents attentifs à leurs rêves et à leurs souhaits, à leurs ressemblances et leurs différences.

Voilà ce qu’imagine cette jeune fille encore un peu naïve malgré les violences qu’elle subit depuis des années au sein de sa famille, et qui l’ont fait grandir trop vite. Violences psychologiques par une mère qui ne la désirait pas, violences sexuelles par un beau-frère manipulateur et pervers. Cette jeune fille ignore à ce moment de sa vie qu’il lui faudra des années pour parvenir à un certain équilibre. Elle devra pour cela se séparer de ce jeune homme malgré un amour intense et

passionné, pour ne pas le détruire davantage, et apprendre à vivre avec ce lourd et douloureux passé. Ce n’est pas avec son premier amour qu’elle construira une famille, mais elle aura trois enfants aussi beaux que dans ses rêves et découvrira avec eux l’intensité d’un amour maternel infini, mélange de force et de douceur. Le jeune homme construira également une jolie famille de son côté, et deux beaux enfants viendront remplir sa vie de rires et de larmes. Tous deux suivront deux routes séparées qui se rejoindront un jour pour un court moment. Grâce aux nouvelles

technologies et par un lien virtuel, ils pourront ainsi lever le voile sur ces non-dits et ce monstre qui les ont éloignés l’un de l’autre. Puis, chacun reprendra son chemin en compagnie des siens…

Mais le souvenir de ces deux jeunes amoureux est resté gravé sur les quais de cette gare de banlieue. Celle qui autrefois fut cette jeune fille en a foulé le sol récemment et deux ombres lui ont souri. Derrière la froideur, la grisaille et la banalité de cette gare se cachent des images bien

vivantes et colorées, celles d’une belle histoire d’amour…

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