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Traduire Revue française de la traduction

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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232 | 2015

Intraduisible ? Vous voulez rire !

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/traduire/684 DOI : 10.4000/traduire.684

ISSN : 2272-9992 Éditeur

Société française des traducteurs Édition imprimée

Date de publication : 15 juin 2015 ISSN : 0395-773X

Référence électronique

Traduire, 232 | 2015, « Intraduisible ? Vous voulez rire ! » [En ligne], mis en ligne le 15 juin 2017, consulté le 23 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/traduire/684 ; DOI : https://

doi.org/10.4000/traduire.684

Ce document a été généré automatiquement le 23 septembre 2020.

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NOTE DE LA RÉDACTION

Directeur de la publication : Graham maclachlan Rédactrice en chef : Françoise Wirth

Sécretaire de rédaction : Géraldine Chantegrel

Responsables du numéro : Hélène Ladjadj et Vanessa De Pizzol

Comité de rédaction : Aurélie Barbe, Morgane Boëdec, Noëlle Brunel, Christine Cross, Clémence Delmas, Vanessa de Pizzol, Elaine Holt, Hélène Ladjadj, Maurice Morvillez, Lakshmi Ramakrishnan Iyer

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SOMMAIRE

Édito

Hélène Ladjadj et Vanessa De Pizzol

Intraduisible ? Vous voulez rire !

Doublage et duplicité : traduire l’humour verbal au cinéma

Frédérique Brisset

Vous voulez rire ? C’est intraduisible…

Propos recueillis par Hélène Ladjadj Hélène Ladjadj et Jean-Loup Chiflet

Traduire l’ironie. Le cas de La Chute d’Albert Camus en roumain

Mariana-Vica Ciupu

Traduire les jeux de mots et calembours de journaux satiriques – Le Canard enchaîné et Private Eye

Joëlle Popineau

La réinvention calvinienne de l’humour dans Les Fleurs bleues de Raymond Queneau

Irène Kristeva

Le Tour de Pologne d’Astérix ?

Katarzyna Sadowska-Dobrowolska

Le rire de Samuel Beckett en arabe

Amani Rabeh

Noms humoristiques de personnages et traditions traductives nationales

Dominique Faria

Rendre l’ironie d’un violoncelle facétieux

Émilie Syssau

Intraduisibles et intraduits, des sciences humaines aux textes littéraires

Claire Placial

Prix Pierre-François Caillé de la traduction

De la reconnaissance du traducteur par ses pairs à celle de toute une profession

Débora Farji-Haguet

Lauréat 2014 : Jean-Christophe Salaün

Freddie Plassard

Jeux de mots glacés : entretien avec Jean-Christophe Salaün

Propos recueillis par Géraldine Chantegrel Géraldine Chantegrel et Jean-Christophe Salaün

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Les autres finalistes de l’édition 2014 du prix Pierre-François Caillé de la traduction

Billet

Question de ton !

Jean-François Allain

Compte rendu d’ouvrage

D. Seleskovitch et M. Lederer : Interpréter pour traduire

Freddie Plassard

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Édito

Hélène Ladjadj et Vanessa De Pizzol

1 Ironie, non-sens, parodie, caricature, absurde… font l’objet de notre cahier thématique.

L’humour offre bien des déclinaisons : on parle d’humour anglais, belge, juif…, ce qui supposerait un lien avec une terre, une culture ou une diaspora et donc une sorte de code accessible aux seuls « initiés ». L’humour serait donc indissociable de la culture qui le produit, bref, intraduisible ?

2 Pourtant, les films des Monty Python comme ceux de Woody Allen se rient des frontières linguistiques car les traducteurs, comme nous l’explique l’article de Frédérique Brisset à propos des films de Woody Allen, contribuent à démentir les a priori sur la possibilité d’une adaptation.

3 La transmission de l’humour dans une autre langue, une autre culture, n’a rien d’exceptionnel si l’on en juge par les articles de ce cahier : Amani Rabeh nous montre comment le théâtre de Beckett passe la rampe en arabe, tandis que Jean-Loup Chiflet nous confie dans un entretien comment il a convaincu la rédaction du New Yorker que les célèbres dessins d’humour américains pouvaient faire rire en français.

4 Certes, c’est une tâche exigeante, mais l’humour le plus ancré dans la langue qui l’a vu naître reste transposable. Ainsi, Irène Kristeva donne à voir Italo Calvino réinventant Queneau avec sa traduction des Fleurs bleues – pas si loin des pirouettes de J.-L. Chiflet – et introduit l’idée de traduction ré-inventive. Beckett étant son propre traducteur, il ré-écrivait ses textes, confirmant ainsi que la traduction est bien une lecture en profondeur1.

5 Entre le comique exprimé par le langage et celui qu’il crée, les problèmes de transposition sont multiples. Joëlle Popineau nous livre une étude sur la traduction des jeux de mots et calembours à partir de publications satiriques : Le Canard enchaîné pour le français et Private Eye pour l’anglais, tandis que Katarzyna Sadowska-Dobrowolska nous emmène faire Le Tour de Gaule d’Astérix en polonais et que Dominique Faria se penche sur les pratiques traductives nationales à propos des noms humoristiques de personnages.

6 Ensuite, l’ironie fait l’objet de deux autres articles de ce cahier thématique avec Mariana-Vica Ciupu pour la traduction de La Chute d’Albert Camus en roumain, et

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Émilie Syssau à propos de Mara, roman de l’auteur allemand Wolf Wondratschek, autour d’un violoncelle facétieux dont on savoure le monologue caustique sur le monde de la musique vu de l’intérieur.

7 Enfin, Claire Placial nous parle des « Intraduisibles et intraduits, des sciences humaines aux textes littéraires ». Elle analyse très subtilement la question : la « non-traduction » ne saurait être entendue comme un échec du traducteur, ou une impasse de la traduction, en particulier dans le cas des dialectes italiens, auxquels de nombreux auteurs ont recours (elle s’attarde notamment sur les traductions françaises de Camilleri, Erri De Luca…) et qui exigent du traducteur de trouver, à chaque fois, une nouvelle voie/voix.

8 Vient ensuite la présentation du Prix Pierre-François Caillé de la traduction par sa présidente, Débora Farji-Haguet. En 2014, le prix a été attribué à Jean-Christophe Salaün pour La Femme à 1 000°, traduction d’un roman islandais de Hallgrímur Helgason qui regorge justement d’humour et d’ironie. Si vous ne vous précipitez pas pour l’acheter après avoir lu la présentation de Freddie Plassard et l’entretien de Géraldine Chantegrel avec le lauréat, une seule possibilité : vous l’avez déjà lu !

9 Freddie Plassard nous propose également un compte-rendu de lecture à l’occasion d’une nouvelle édition de l’ouvrage de référence Interpréter pour traduire, de D.

Séleskovitch et M. Lederer.

10 Enfin, le billet de Jean-François Allain aborde avec… what else?2 humour bien sûr, ses interrogations – déformation professionnelle – à la lecture, notamment, des Brèves de Comptoir de J.-M. Gourio : pas simple à traduire… Est-ce traduit, traduisible ?

11 Vous voulez rire ?

12 La question est devenue brûlante le mercredi 7 janvier dernier lorsque huit dessinateurs et journalistes de Charlie Hebdo (Journal irresponsable) tenant la conférence de rédaction ont été assassinés pour avoir publié des caricatures de Mahomet. Le numéro de Charlie publié par les survivants la semaine suivante a fait l’objet de traductions en italien, turc, anglais…

13 Alors l’humour, traduisible ?

NOTES

1. Cf. Traduire n° 224, p. 62-69.

2. Cf. Traduire n° 230, p. 93-95.

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Intraduisible ? Vous voulez rire !

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Doublage et duplicité : traduire l’humour verbal au cinéma

Frédérique Brisset

1 « Ta blague, c’est du chinois » : ce titre repris par France Culture1 synthétise la problématique sous-jacente à la réception de l’humour. Il faut en effet souvent décoder ce dernier comme une langue étrangère, du fait de sa duplicité. La duplicité, selon le Trésor de la Langue Française Informatisé, caractérise « 1. ce qui est double, 2. le fait d’avoir un comportement double, variant selon les circonstances ». Au cinéma, le doublage de l’humour, et des jeux de mots en particulier, se heurte à un summum de duplicité, le décodage intralinguistique du fait humoristique, lié à la seconde acception du terme, se combinant au décodage interlinguistique, qui résulte de la première. (La frontière entre humour et comique étant relativement imprécise, ces termes sont utilisés ici comme quasi synonymes, car ils ont un intérêt sur un plan pragmatique, en fonction des effets recherchés.)

2 Woody Allen, par exemple, affectionne depuis longtemps une forme d’humour verbal héritée de ses débuts de carrière en tant que stand-up comedian2. Ses dialogues, reconnus pour leur écriture très « orale » et le recours à la langue comme instrument ludique vecteur de dérision, ont construit un personnage dont l’obsessive verbosité provoque immanquablement le rire du spectateur. Ce dernier attend donc des répliques à visée comique et sa coopération, déterminante pour que se produise l’effet attendu à la réception, est anticipée et sollicitée par le cinéaste-scénariste. Car c’est dans l’interaction que l’humour est appelé à fonctionner, interaction dans les échanges entre protagonistes à l’écran, mais surtout avec le public co-constructeur du sens. Quand le film est traduit pour l’étranger, notamment pour le doublage, ce destinataire ultime n’est plus le même, mais les répliques doivent atteindre la même efficacité pour déclencher le rire voulu par leur auteur.

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Illustration de Nicolas Lefebvre – www.nikopoisson.tumblr.com – nikopoisson@gmail.com

3 Dans ce processus, la catégorie des jeux de mots, notamment, pose un problème traductif majeur, du fait de l’essence du procédé, le recours à l’ambiguïté par la mise à mal de l’univocité du signifiant : « Il apparaît comme le résultat d’une série de rapports ponctuels entre signifiants et signifiés, dits et non-dits » (Raynaud, 1977, 24). Le médium filmique, de par sa composante orale, se prête d’autant mieux à cet exercice que le sens qu’il convoie est, au-delà de l’image, basé aussi sur des phénomènes phonétiques.

4 Conjuguée aux contraintes linguistiques du transfert de l’anglais au français et aux problèmes techniques inhérents au mode du doublage, la duplicité du jeu de mots présente des difficultés majeures pour les professionnels de la traduction audiovisuelle.

Leur travail d’adaptation fournit pourtant des solutions souvent fort habiles pour son transfert interlinguistique.

5 Quelques exemples tirés de quatre fims d’Allen couvrant 25 années de sa filmographie, Everything You Always Wanted to Know About Sex (But Were Afraid to Ask) (1972), Annie Hall (1977), Radio Days (1987) et Deconstructing Harry (1997), sont ici comparés avec leurs versions françaises doublées et/ou publiées3, pour comprendre les stratégies des traducteurs-adaptateurs face à ces manipulations ludiques de la langue, qui construisent un tissu humoristique très dense.

1. Dupliquer la duplicité

6 Le jeu de mots implique une approche consciente par l’énonciateur de la structure de la langue qu’il utilise, de ses bases phonologiques et des phénomènes de synonymie :

« Rien ne sépare mieux le mot d’esprit de toutes les autres formations psychiques que cette double face, ce double langage qui sont les siens [...] » (Freud, 1988, 310). Ce fondement purement verbal fait que la catégorie des jeux de mots pose un problème traductif considéré par beaucoup de commentateurs comme insoluble4, au point que Le Robert a choisi d’illustrer son entrée « traduisible » par la phrase : « Ce jeu de mots n’est guère traduisible5 ».

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7 De nombreux spécialistes se sont confrontés à cette problématique. Durastanti (2002, 112) estime que « la différence [d’une langue à l’autre] rend la traduction difficile, et les jeux de mots souvent intraduisibles », tandis que Dupriez (1984, 270) affirme : « Le jeu de mots succombe à la traduction », tout en reconnaissant : « Cependant, certains traducteurs, ceux d’Ulysse notamment, ont fait des prodiges. » Eco (2006, 111) considère : « Il y a des pertes dites absolues. Ce sont les cas où il est impossible de traduire [...]. Un exemple de perte absolue est le jeu de mots ». Desmond (2005, 87) insiste de même sur la résistance usuelle du calembour à la traduction, justifiant en conséquence son occultation. Bergson (2002, 79), avant eux, considérait que l’humour résultant de choix syntaxiques ou lexicaux est en général intraduisible. Quant à Berman (1984, 190), s’intéressant au lien entre poésie et traduction, il disait « douter qu’il soit plus facile de traduire des jeux de mots que des "jeux de sonorités" ».

8 Ces divers arguments reposent tous sur la structuration même des jeux de mots ; mais il en est d’autres liés à leur transfert de l’anglais au français, du fait des spécificités de chaque langue : Eco (2006, 360) distingue ainsi « une langue docile au pun, au néologisme et à l’emboîtement des mots telle que l’anglais (favorisé par l’abondance de termes monosyllabiques) ». Suhamy (1994, 106) insiste en outre sur le statut spécifique du jeu de mots en anglais, comparé au français :

Il ne sert pas seulement à déclencher le rire par un effet de surprise et d’incongruité. [...] Il implique souvent une prise de distance à l’égard des règles contraignantes du langage, une subversion du code, une exploration aventureuse des ressources cachées de la langue.

9 Lorsque l’on ajoute à ces différents constats les exigences de synchronisation et de cohérence image-son qui contraignent le doublage, l’enjeu est donc multiple :

Woody Allen est un cauchemar pour notre métier. Les répliques, bourrées de jeux de mots intraduisibles, nous obligent à en inventer d’autres en français. Comme nous le disons dans notre jargon, il faudra pour autant que nos mots « rentrent en bouche » de l’acteur, c’est-à-dire s’inscrivent dans le temps de parole, comme dans les mouvements de lèvres du comédien

(Corneloup, 2011, 34-35).

10 Lors d’un entretien personnel en février 2011, Jacqueline Cohen, adaptatrice d’Allen de 1989 à 2012, exprimait d’ailleurs son soulagement de n’avoir pas eu à traiter ses films de début de carrière, traduits par Georges Dutter dès 1977, car leurs dialogues regorgeaient de jeux de mots. Il n’est donc pas étonnant qu’apparaisse chez Benayoun (1985, 15) le fameux « privilège » d’intraduisibilité : « Notons que Woody est le seul comique de l’histoire du cinématographe dont la parole exige la v.o. dans toutes ses nuances [...] : sa langue concise, télescopée, faite d’aphorismes demande en français deux fois plus de mots qu’en anglais ».

11 Si certains jeux de mots obligent l’adaptateur à se cantonner effectivement à une stratégie de compensation, ils n’offrent pourtant pas tous la même difficulté traductive ; cela tient en partie à leur construction linguistique, mais aussi à leur contexte d’apparition et à leur fonction dans l’œuvre considérée. Allen alerte d’ailleurs ses traducteurs sur ces unités problématiques dans la continuité dialoguée qui leur est fournie : « It makes transparent any play on words or possible ambiguity, explains the meaning of colloquial or dialectal words and exemplifies the meaning of all proper names » (Díaz Cintas, 1998, 55-56). Ces aides leur permettent d’effectuer les repérages indispensables afin de trouver des solutions adéquates pour le doublage de ces jeux de mots et réfuter de facto le postulat d’intraduisibilité.

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12 On a donc plutôt affaire à des cas limites, qui infirment le jugement assez péremptoire et mal fondé d’un biographe d’Allen sur la VD française d’Annie Hall : « Half the jokes weren’t translatable, so the writer of the French version didn’t even try » (Baxter, 1999, 2). Le transfert en français de ce comique verbal peut s’avérer ardu, mais il est rare que les traducteurs s’en affranchissent alors que ces idiosyncrasies sont l’une des clés du succès d’Allen. Dutter (1981, 446-447) résume l’alternative en une métaphore chimique :

[...] il n’y a pas d’échappatoire possible pour le traducteur : ou il donne le sens littéral, et là, la connivence tombe comme un précipité au fond du tube. Et c’est l’humour « qui y reste ». Ou alors, il agite les mots, et la lecture deviendra approximative. Encore qu’au goût, la saveur reste marquée… et même bonne.

13 Pour l’analyse de la traduction des jeux de mots, nous utilisons la taxonomie de Jacqueline Henry (2003, 176), qui partage en quatre classes les processus traductifs (isomorphe, homomorphe, hétéromorphe ou libre, fondés « sur le maintien ou non du même procédé que dans l’original »), dont trois sont décrits au fil des exemples commentés ci-après. Ces derniers sont rassemblés selon les procédés linguistiques auxquels ils ont recours6, même si la typologie des jeux de mots n’offre pas toujours de distinction tranchée entre ces diverses catégories7.

2. Duplicité polysémique

14 La première classe de jeux de mots présentée dans cette partie est basée sur la double acception d’items lexicaux, phénomène ludique exploité par Allen comme par maints auteurs anglophones8.

15 Ils servent à la caractérisation de personnages malhabiles qui se risquent à des plaisanteries plus ou moins heureuses pour se donner une contenance, tels le bouffon du premier sketch de All You Always Wanted to Know About Sex (1972), – Suhamy (1994, 106) relève d’ailleurs « la bouffonnerie intrinsèque du jeu de mots » –, Joey, l’ami de la famille de Annie Hall (1977) ou le maître de cérémonie de Radio Days (1987) rencontrés dans cet article, mais aussi à des jeux d’interprétation plus subtils, où le locuteur utilise la pirouette verbale afin d’éluder une question de fond dans l’échange conversationnel.

Dans les deux cas, sur le plan pragmatique, le jeu de mots marque une tentative du protagoniste de garder la face et le dialogue dramatique imite un rituel de la conversation quotidienne. Mais au niveau auctorial de l’énonciation, il signale fréquemment une volonté artistique de provocation et de transgression des codes sociaux.

2.1. Hongrois toujours avoir compris…

16 Pour le bouffon d’une cour royale, le jeu de mots relève quasiment de l’obligation professionnelle. Dans la continuité de l’alter ego de gaffeur récidiviste introduit dans ses premiers films, Allen met en scène dès l’ouverture de Tout ce que vous avez toujours voulu savoir... un fou du roi on ne peut plus maladroit.

VO, 4’40, Fool: That, that plague is really something, isn’t it? Doesn’t everything look black? Coz it’s a bla..., a black, a black plague.

17 Dans ce sketch parodique, la plaisanterie, laborieuse, provoque la consternation de la cour puis la colère royale, d’autant qu’elle renvoie à un sujet tragique, l’épidémie qui a

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marqué l’histoire du Vieux Continent. Lebrun, traducteur de la version française publiée, opte pour la traduction littérale de plague :

ML, 16, Le fou : ... euh... La peste, c’est vraiment un sale truc, pas vrai ? C’est noir, ça rend boudeur, d’ailleurs ça vient de l’étranger... d’où l’expression « boude à peste ». (Il rit, il est le seul.)

18 La construction de la locution « boude à peste », collocation improbable évoquant par homophonie la cité hongroise, combine deux lexèmes introduits dans le co-texte anaphorique immédiat, sur le même principe que la VO, mais elle s’avère plus sophistiquée, puisque l’original se contentait d’associer un nom et un adjectif ; c’est néanmoins une traduction homomorphe, « procédé de traduction par lequel l’original est rendu par un jeu de mots du même type [...] mais fondé sur des termes qui ne correspondent pas directement à ceux du jeu verbal de départ » (Henry, 2003, 290). Le bouffon se sent obligé d’expliquer l’élaboration du jeu de mots, or un jeu de mots qui nécessite un tel décodage signe l’échec de son énonciateur, puisqu’il met à mal sa duplicité et échoue à établir la connivence indispensable à sa réception. L’effet produit est conforme à celui du script initial, comme le confirme la didascalie qui suit : « Il rit, il est le seul ». La VD, dont l’adaptateur n’a pu être identifié, a recours à une autre équivalence, basée sur un mot-valise :

VD : [...] La peste, la peste c’est vraiment un truc terrible. Paraît que ça vient d’Asie... eh, c’est c’qu’on appelle Bouddha... Bouddha-peste.

19 Cette traduction fait à nouveau appel à la capitale hongroise, mais le jeu de mots-valise convoque maintenant une divinité indienne et le qualificatif « noir » a été supprimé.

Les deux versions françaises aboutissent à la même efficacité que le dialogue originel en ce qui concerne la caractérisation du bouffon et son effet sur l’auditoire diégétique royal, mais toute correspondance lexicale avec la version américaine a disparu. Elles répondent cependant aux critères du jeu de mots selon Bergson (2002, 144) : « les relations établies entre les idées deviennent plus superficielles : peu à peu nous arrivons à ne plus tenir compte du sens des mots entendus, mais seulement du son. »

2.2. Quand la perche plie

20 Dans certaines occasions, le traducteur offre des solutions beaucoup plus sophistiquées, comme dans cet extrait de Radio Days où Bea, candidate d’un jeu radiophonique où elle devait reconnaître des poissons, est félicitée par l’animateur. Version contemporaine du bouffon médiéval du précédent exemple, il use de la plaisanterie comme d’un rituel professionnel :

VO, 66’50, MC: And finally, how about this one?

Bea: That, that’s a fl... floun... flounder. No, no, no. That’s a fluke.

MC: You’re sure?

Bea: That’s a fluke.

MC: Well, this is no fluke, you’ve won fifty silver dollars!

21 Le sens premier de fluke est celui de « plie » ou « carrelet », dans le technolecte ichtyologique. Pour apprécier la plaisanterie, il faut décoder le sens figuré, argotique, employé par l’animateur en conclusion : a failure ou a fortuitous accident; a freak success that could not be repeated (Pocket Dictionary of American Slang). Il n’y a en effet, nul hasard dans le fait que Bea a pu identifier la série de poissons en plastique exposés sur scène : son beau-frère rapporte tous les jours à la maison les prises de ses amis pêcheurs.

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22 Le traducteur doit donc retrouver en français une expression adéquate, organisée sur la confusion entre les deux isotopies que sont les sens propre et figuré du terme, et issue du même champ lexical ; ces conditions sont nécessaires pour respecter le co-texte, le contexte et la visée pragmatique de la séquence, qui met en scène un maître de cérémonie adepte de jeux de mots passablement éculés.

VD, Présentateur : Et pour finir, ça s’appelle comment ?

Bea : Ce, ce, c’est un fle, flé, flé... tan. Non, non. C’est une grosse perche.

Présentateur : Vous êtes sûre ? Bea : C’est une perche.

Présentateur : Et je ne lui ai pas tendu la perche ! C’est gagné, vous avez gagné cinquante dollars !

23 Dutter réussit à satisfaire toutes les conditions d’équivalence, en créant un jeu de mots élaboré sur le même principe que l’original, l’homonymie, dans le même registre lexical, avec le recours à la locution figée « tendre la perche ». Il ne peut toutefois parvenir à une traduction isomorphe qui maintiendrait le sémantisme : il modifie donc l’espèce du poisson en transformant la plie en perche, poisson d’eau douce qui permet un calembour9 phonique assez facile, respectant la caractérisation de l’animateur et la visée pragmatique du dialogue. Comme celui de la VO, le spectateur de la VD peut alors sourire, voire rire, en entendant la plaisanterie, et partager la réaction de l’auditoire interne au film, puisque l’émission radiophonique est enregistrée en public.

24 La démarche relève de la traduction homomorphe, mais illustre les limites de la transparence du doublage : ce qui est transparent « ne fait pas écran à la vision » (Trésor de la Langue Française Informatisé), et, l’animal étant visible à l’écran, le doubleur a veillé à ajouter le qualificatif « grosse » au nom « perche » dans la première réplique de Bea.

La comédienne est filmée sur scène avec l’animateur et l’orchestre en plan américain, l’ajout de cet adjectif dans sa réponse pose peu de problèmes pour la synchronisation labiale. Cette manipulation linguistique permet de justifier la différence de morphologie entre l’espèce montrée presqu’à contre-jour à l’écran, un grand poisson plat, et celle reconnue oralement par le personnage, mais aussi son hésitation avec le

« flétan ». Le doubleur, grâce à ce compromis, aboutit à une cohérence satisfaisante entre la bande-son et l’image, qui ne remet pas en cause la vraisemblance de la diégèse, même si le sémantisme du référent a été sacrifié dans l’opération.

25 Dutter (1981, 446) résume parfaitement le choix traductif qui s’offre dans ce type de situation : « Alors, empirique, on se dit qu’on va adapter : l’humour, c’est fait... pour rire. Donc, on va faire appel à des produits de remplacement. » La cohérence est ensuite maintenue dans cet épisode, puisqu’en fin de journée, Bea se remémore ainsi l’épisode :

VO, 67’30, Bea: God, I almost forgot what a fluke looked like.

VD, Bea : Oui, dire que j’ai presque eu un trou pour cette perche !

2.3. Blanc cassé

26 Le jeu sur les anthroponymes est récurrent dans la filmographie d’Allen. Freud (1988, 64) le soulignait déjà : « D’une manière générale, les noms propres se prêtent facilement au traitement que la technique du mot d’esprit leur fait subir. » Généralement implicite, car fondé sur le double sens et la connotation, il peut pourtant donner lieu à des plaisanteries ouvertement revendiquées. Le titre d’une émission de ragots sur les célébrités en offre un bel exemple, toujours dans Radio Days.

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VO, 61’, Speaker: And now, the makers of Lady Lydia facial cream bring you Sally White and Her Gay White Way.

27 L’intitulé joue sur la polysémie de White, tout à la fois patronyme de la chroniqueuse radiophonique et adjectif qualificatif homonyme. Il renvoie implicitement à la qualité du produit de la marque sponsor de l’émission, une crème faciale censée purifier le teint, et à un sens second, argotique, glosé par une longue liste de synonymes dans le Pocket Dictionary of American Slang : ethical, honest, fair, faithful, dependable, decent, friendly, regular.

28 L’ironie résulte du fait que l’angle choisi par Sally n’est nullement fidèle à cette éthique éditoriale, puisqu’elle jase sur la vie privée de vedettes du spectacle (l’émission s’ouvre par une indiscrétion sur Clark Gable escortant une pimpante brune au club El Morocco).

Le report du titre américain du programme ne fonctionnerait pas en VD, car il ne permettrait pas au spectateur francophone de comprendre l’ironie sous-jacente, pas plus qu’une traduction littérale. Le doubleur conserve donc un jeu sur l’anthroponyme, mais exploite le prénom de l’animatrice, tout en explicitant le contenu de sa chronique :

VD, Présentateur : Maintenant les produits de beauté de Lady Lydia proposent Sally White et son « Qui n’ai-je pas sali ? ».

29 Ce jeu de mots repose sur l’homophonie entre Sally et sali ; pourtant le titre final semble improbable : il est peu envisageable qu’une émission affiche ostensiblement cet objectif de dénigrement systématique. On a ici une équivalence d’effet quant au jeu de mots, mais l’efficacité dramatique est moindre, car la traduction retenue remet en cause la vraisemblance du scénario. Alors que le sous-titrage se limite au syntagme hyperonyme

« chronique mondaine », le doublage privilégie ici la composante phonétique en occultant le titre initial de l’émission. Dans ce compromis traductif, le doubleur a accordé la priorité au trait d’humour, avec une traduction homomorphe qui moque ce genre d’émission cancanière.

2.4. Pince-sans-rire

30 La traduction homomorphe n’est pas toujours facile, et le traducteur doit parfois se contenter d’un jeu de mots relevant d’un procédé différent de l’original, comme dans cette scène de Annie Hall qui montre Alvy et Annie occupés à rattraper des homards échappés dans leur cuisine. Lors de cet exercice filmé en plan moyen avec de nombreux mouvements panoramiques, elle se révèle nettement plus efficace que lui, caractérisé par sa phobie de la nature en général, et de la faune en particulier.

VO, 18’, 46, Alvy: (Laughing) Talk to him. You speak shellfish!

31 La plaisanterie relève ici du nonsense, puisqu’il n’existe pour dialoguer entre humains et homards nulle langue crustacée, traduction littérale de speak shellfish, – c’est pourtant le choix de la VOST qui affiche « Tu parles le crustacé » –, même si shellfish partage le suffixe -ish de noms de langue tels que English, Irish, Finnish, Turkish, Polish, etc. Devant l’impossibilité de produire un syntagme français sur le même fondement, les traducteurs du scénario, Valion tout comme Dutter, renoncent à ce registre humoristique pour un autre jeu de mots :

DV, 15, Alvy : (mi-effrayé, mi-amusé) Parle-lui ; toi qui en pinces pour lui ! GD, 47, Alvy : (il se met à rire aussi) Parle-lui, toi qui en pinces pour lui !

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32 Le calembour in absentia joue sur la proximité entre les pinces, élément anatomique du homard, et l’expression argotique « en pincer pour », synonyme de « avoir un penchant pour ». La dimension comique est renforcée en VF avec cette traduction hétéromorphe,

« traduction d’un jeu de mots par un jeu de mots utilisant un autre procédé que l’original » (Henry, 2003, 290). La VD étoffe encore la proposition dans cet épisode, le plan de profil cadré à la taille imposant une synchronisation somme toute relative :

VD, Alvy : Parle-lui, toi qui en pinces pour ceux qui savent nager !

33 La répartie d’Alvy, plus longue qu’en VO, passe de sept à onze syllabes dans cette séquence pourtant très rythmée, sans que l’étoffement, allusion à la recette du homard à la nage, n’apporte d’élément pertinent ni pour l’équivalence d’effet, ni sur la caractérisation des personnages, ni même pour la progression de l’intrigue. Il y a ici une surtraduction du jeu de mots transformant l’acteur Allen en un clown qui relève plutôt de sa filmographie antérieure.

34 Ces différents exemples sont représentatifs de la capacité d’autodérision d’Allen ; mais en parodiant un humour qui paraît en surface assez inefficace car basé sur des jeux de mots laborieux, il joue aussi sur le second degré. Cette fonction est généralement bien appréhendée par les traducteurs : plus la ficelle est grosse, plus il leur est aisé d’identifier et de transposer ce comique verbal.

3. Duplicité paronymique

35 Les jeux de mots construits sur de quasi-homophonies sont un autre procédé ludique récurrent chez Allen, car la langue anglaise se prête particulièrement à la formation de doublets lexicaux sur des similitudes phoniques.

3.1. Taille de guêpe ?

36 Le champ lexical animalier est décidément propice aux jeux de mots ; Radio Days en offre une seconde illustration lors du jeu radiophonique cité plus haut :

VO, 66’15, MC: And what do you do, Bea?

Bea: I’m a book-keeper.

MC: Oh, for a minute, I thought you’d said beekeeper. I’d hate to get stung.

37 Le maître de cérémonie s’essaie à une plaisanterie aimable en direction de Bea, basée sur sa qualification professionnelle et la similitude phonétique de son prénom avec le nom commun bee, « abeille » en français, mais la paronymie entre book-keeper, comptable, et beekeeper, apicultrice, ne peut être transposée par le biais d’une traduction littérale en français. La difficulté est renforcée du fait du développement qui clôt sa répartie : I’d hate to get stung (je ne voudrais pas me faire piquer), accueilli par les rires embarrassés de Bea et du public diégétique. Cette réaction des personnages impose la production d’un effet similaire au doublage, d’où l’abandon du contenu sémantique :

VD, Animateur : Et que faites-vous dans la vie, Bea ? Bea : Je suis chef comptable.

Animateur : Oh, j’ai eu peur que vous ne disiez bea-romane, parce que je risquais de m’enflammer !

38 La traduction retenue joue sur la prononciation américaine du prénom de Bea, intégré dans un mot valise, « bea-romane ». Freud (1988, 62-63) qualifie ce type de construction

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par amalgame de « mot mixte, [...] incompréhensible en lui-même, mais instantanément compris et identifié comme un mot plein de sens dès qu’il apparaît dans son contexte ». Ici, le néologisme entretient une relation paronymique avec le nom « pyromane », qui permet de filer la métaphore jusqu’à la fin de la réplique en anticipant le verbe « enflammer ». Le jeu de mots, plus laborieux qu’en VO, ne dénature pas la caractérisation de l’animateur, habitué de ce type de plaisanteries, on l’a constaté précédemment. Cette stratégie répond à deux impératifs quelquefois contradictoires, traduction homomorphe et équivalence pragmatique, et reste conforme à l’horizon d’attente des spectateurs.

4. Duplicité homophonique

39 L’homophonie, autre phénomène, autorise de multiples jeux de mots, car elle marque la relation entre des lexèmes qui diffèrent quant à leur graphie mais partagent une prononciation commune – « le jeu de mots surexploite la langue par les divers sens auxquels prêtent les segments sonores, modifiés ou non » (Dupriez, 1984, 201). Cette identité phonétique est d’autant plus ambiguë en matière de doublage : les possibilités de discrimination y demeurent strictement auditives pour les références extra- diégétiques et ne peuvent s’appuyer sur la lecture comme en traduction littéraire.

4.1. Un nickel pas très brillant

40 Dans certains cas, le jeu de mots, déjà ardu en VO, le devient plus encore en langue d’arrivée. Dans Annie Hall, Alvy revoit en flash-back une scène de son enfance où un ami de la famille se présente avec insistance :

VO, 60’, 148-150, Joey: Joey Nichols. (Laughing) See, Nichols. See, Nichols! (Joey shows young Alvy his cuff links and tie pin, which are made from nickels, as Alvy stands with hands on hips, unconcerned. Joey then slaps his hand to his forehead and puts a nickel on his forehead) Yuh see, nickels! You can always remember my name, just think of Joey Five Cents. (Laughing) That’s me. Joey Five Cents!

41 La plaisanterie est construite sur l’homophonie Nichols/nickels. Nickel est le nom familier de la pièce américaine de cinq cents, et la réplique offre ainsi en VO une sorte de traduction intralinguistique destinée au jeune interlocuteur de Joey. Elle signe la mauvaise qualité de la plaisanterie, puisque cette duplicité phonique devrait se comprendre d’elle-même.

DV, 39, Joey Nichols : (il lui pince la joue) Joey Nichols. (Il lui montre son épingle à cravate.) Tu vois, Nichols. (Il lui montre ses boutons de manchettes.) Tu vois, Nichols ! (Il rit... et se colle une pièce sur le front.) Tu vois, nickels ! Tu te rappelleras toujours de moi pense à Joey Cinq Cents. (Il rit.) C’est moi. Joey Cinq Cents !

42 Valion choisit la traduction littérale en ajoutant une note de bas de page pour permettre au lecteur de décoder le jeu de mots : « A Nickel : une pièce de monnaie en nickel qui valait cinq cents. » Dans cette traduction publiée dans une revue, la stratégie vise l’appréhension du texte par la lecture : elle met en avant le sémantisme verbal et les indications techniques, loin des priorités d’une traduction audiovisuelle. Dutter, lui, opte pour une formulation encore plus directe :

GD, 149-151, Joey montre son épingle de cravate et ses boutons de manchette, qui sont faits de pièces, à Alvy, totalement indifférent. Joey Nichols : Joey Nichols. Tu vois, Nichols.

Tu vois, Nichels ! (sic)

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(Il rit) Joey se plaque la main sur le front, un nickel y reste collé. Tu vois, nickels ! Tu te rappelleras toujours de moi, pense à Joey Nickels ou Cinq Cents. (Il rit.) C’est moi.

Joey Cinq Cents !

43 Ici, la traduction rétablit l’analogie Nickels = Cinq Cents en coordonnant les deux termes avec la conjonction « ou ». Cette construction syntaxique assure la transition d’un terme à l’autre10 en fonctionnant comme une quasi incrémentialisation (explicitation ou paraphrase insérée dans le texte même), sans perturber le rythme global de la tirade, ni le synchronisme kinésique. Cette stratégie diffère de celle choisie par Valion pour respecter la préconisation courante quant à l’homophonie : « Lorsqu’elle est exploitée volontairement, elle engendre une plurivalence qui doit être rendue en traduction » (Henry, 2003, 290). Le doubleur va être plus explicite encore sur cette duplicité référentielle nickel/Nichols puisque le public français entend en VD :

VD, Joey Nichols : Joey Nichols. Tu vois, Nichols. Tu vois, Nichols ! Eh, eh ! Ça, c’est un nickel ! C’est Cinq Cents. Et tu pourras jamais oublier mon nom, parce que tu diras : c’est Joey Cinq Cents ! C’est moi, Joey, la p’tite pièce de cinq cents !

44 Le présentatif « c’est », martelé à quatre reprises, dirige le regard du spectateur vers la pièce exhibée à l’écran, de façon très insistante (la première occurrence est même précédée du pronom clitique « ça ») ; il s’accompagne de deux occurrences de « tu vois » à destination du personnage d’Alvy enfant : on a dans la VD tout à la fois monstration11 et désignation, et le doublage exploite pleinement le phénomène d’audio- vision décrit par Chion (2005, 11) : « C’est la structuration même de la vision qu’elle engage, en la cadrant rigoureusement ». Les fonctions dramatique (caractérisation du personnage) et culturelle (respect du contexte civilisationnel) sont assurées en VD, mais celle-ci accentue « la valeur ajoutée du texte sur l’image » (ibid.) comparée à la VO.

Cet effet de redondance révèle ainsi le doublage comme support possible de manipulation du spectateur, même si, dans cet exemple, il ne fait qu’intensifier un trait déjà relevé en VO.

45 Ces divers exemples permettent en tout cas de constater que le paradigme de l’intraduisibilité des jeux de mots est infirmé par la pratique, même dans un contexte aussi contraint que celui du doublage. Les différentes solutions mises en œuvre dans les versions françaises résultent souvent de choix entre plusieurs niveaux d’équivalence, mais elles réussissent en général à privilégier ce marqueur stylistique si prégnant chez Woody Allen, l’humour verbal, basé dans les extraits cités ci-dessus sur la

« duplicité des jeux de mots » (Henry, 2003, 41). Celle-ci est redoublée lors du transfert linguistique et la figure de l’humoriste Allen est ainsi préservée en VD, car les jeux de mots font partie intégrante de son système d’écriture et donc de l’horizon d’attente de ses spectateurs francophones.

46 Certaines stratégies traductives vont encore plus loin et instaurent cette visée en VD alors qu’elle était absente de la VO, selon un processus de traduction créative illustré dans notre dernière partie.

5. Duplicité créée

47 En tant que technique de substitution, le doublage rend possible l’introduction dans le texte cible de répliques ironiques là où le dialogue originel n’en comprenait pas. Cette option peut parfois résulter d’un désir de compensation de l’adaptateur, sans que ce soit obligatoirement sa motivation première. Henry (2007, 192) considère du reste qu’à

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ce niveau « on atteint les limites extrêmes de la traduction des jeux de mots [...] la traduction libre ». Elle précise néanmoins que la démarche se justifie en fonction du

« contexte cognitif local ou global » ou du « contexte verbal (présence de certains termes dans le texte ou encore de jeux de mots, ou, tout au moins, de figures d’écriture particulières) » ; si la formulation diverge, ces conditions procèdent toutefois de l’

intentio operis (Eco, 2004, 5), intention du texte au sens large qui implique l’appréhension de celui-ci à partir de ses mécanismes internes.

48 Les dialogues, et plus globalement les « textes filmiques » d’Allen, répondent aux critères d’Henry cités ci-dessus ; deux exemples relevés dans Deconstructing Harry, film caractérisé par sa grande causticité, sont présentés pour clôre notre étude de cas. Ce ne sont pas à proprement parler des jeux de mots, puisqu’ils portent sur des segments plus étendus qu’un seul lexème, mais ils jouent également sur le phénomène de duplicité, en exploitant le double sens d’expressions figées et procèdent donc de la même démarche, car « c’est quand l’esprit parvient à enfermer le langage dans ses propres contradictions que triomphe le jeu de mots, quelle qu’en soit la forme » (Dupriez, 1984, 269).

5.1. Problèmes digestifs

49 Lors d’une bar-mitsva, séquence de fiction extraite d’un roman de Harry, l’écrivain héros du film éponyme, Dolly Pincus découvre que Max, son époux, marié une première fois avant leur rencontre, avait assassiné puis dévoré son ex-famille. Son amie Elsie émet cette recommandation :

VO, 57’55, Elsie: Maybe the, the best course of action is to let sleeping dogs lie.

50 La réplique établit une analogie peu flatteuse entre Max et l’espèce canine. Cette métaphore lexicalisée, synonyme de not make someone angry, not make trouble (Dictionary of American Idioms) se traduit littéralement par « laisser tranquilles les chiens qui dorment », et la locution française est très proche, « ne pas réveiller le chat qui dort », mais ni la VF ni la VD ne retiennent cette option.

JC, 129, VD, Elsie : Peut-être la meilleure chose à faire, c’est de digérer ça, un peu en silence.

51 La métaphore digestive fait écho pour le spectateur au cannibalisme dévoilé quelques minutes plus tôt et s’avère cruellement ironique. La traduction de Cohen, basée sur le phénomène fort bien-nommé en anglais de double entendre, installe dans le dialogue une connotation absente de la VO à cet instant précis, mais s’insère facilement dans le contexte du récit et ne perturbe pas le spectateur confronté à une intrigue extrêmement grinçante depuis l’ouverture du film. Le doubleur a d’ailleurs retenu cette même stratégie.

5.2. Plat de résistance

52 Cohen n’a pas hésité à amplifier l’effet, avec un second exemple dans le même titre, quand Max réagit à la découverte de son crime par Dolly :

VO, 59’15, Max: So, what are you making a fuss? Some bury, some burn... I ate.

JC, 131, Max : Alors pourquoi tu en fais tout un plat ? Il y en a qui enterrent, il y en a qui brûlent, moi, j’ai mangé !

VD, Max : Alors pourquoi tu en fais tout un plat ? Certains enterrent, d’autres brûlent, j’ai mangé !

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53 En filant la métaphore alimentaire avec « en faire tout un plat », synonyme de « en faire toute une affaire » d’après Le Robert, l’adaptatrice joue une nouvelle fois sur la polysémie d’une expression idiomatique pour traduire make a fuss, équivalent argotique de make trouble (Dictionary of American Idioms), une minute vingt après le précédent exemple ; suivie sur ce point par le doubleur, elle affiche une réelle cohérence, en exploitant le registre allusif. La banalité du cliché, destinée à relativiser la portée du crime dans la bouche de son auteur, accentue par contraste l’horreur de celui-ci. Le jeu de mots du cannibale présumé, bien que pure création de Cohen dans la VD, est porteur d’un humour noir très allenien, en accord avec le co-texte (la mention some burn, dans la bouche d’un Juif12 assez âgé pour avoir connu la Shoah, est redoutable) et il vise le Spectateur Modèle construit par le texte filmique initial, dans le respect de l’intentio operis : de Baecque (1998, 7), dans son introduction au scénario publié, souligne « le vertige incessant et le comique kafkaïen » de ce film, qui permet à Allen de « donner par le malaise et par l’angoisse [...] une rageuse leçon de vitalité », leçon parfaitement comprise et partagée ici par Cohen.

54 Comme le rappelle Bergson (2002, 86, souligné par l’auteur) : « On obtiendra un mot comique en insérant une idée absurde dans un moule de phrase consacré. [...] Et comme il y a des phrases toutes faites dans toutes les langues, [il] est généralement transposable, quoiqu’il soit rarement traduisible. » Les deux exemples ci-dessus jouent sur la polysémie de locutions figées, qui conduit l’adaptatrice à exploiter cette donnée linguistique en inscrivant dans la VD des jeux de mots conçus ex nihilo. Díaz Cintas (2001, 205) se demande si la portée connotative de l’ironie allenienne n’est pas vouée à disparaître à la traduction. Or on trouve ici l’illustration du phénomène inverse, grâce aux possibilités qu’offre le doublage, de par sa transparence et par-delà la « fidélité linguistique » invoquée par Cary (1985, 66) dans son interrogation sur ce mode de traduction audiovisuelle :

Si l’on prétend fonder objectivement la notion de traduction sur des critères linguistiques et agréer ou rejeter les genres selon leur degré de fidélité linguistique à l’original, le doublage ne pourrait-il pas revendiquer au contraire une primauté dans la fidélité ?

6. Conclusion

55 Les traducteurs-adaptateurs mettent donc en œuvre les stratégies les plus variées : que ce soit pour les jeux de mots à base strictement phonétique ou pour les répliques plus subtiles, fondées sur l’allusion et l’ironie, leur pratique démontre que le transfert interlinguistique se révèle non seulement possible mais souvent très astucieux. On a également constaté que leur créativité peut les amener, au-delà de la traduction isomorphe, à l’application de solutions homomorphes ou hétéromorphes. Ils ne sauraient souffrir du travers déploré par Meschonnic (2007, 29) : « Quelle que soit la terminologie, le comportement est le même, l’attention à la langue de départ est une attention à la forme, l’attention à la langue d’arrivée, une attention au contenu. » Ici, le souci de la forme prédomine en VD, car il est essentiel pour l’efficacité des jeux de mots. Dutter, dans sa postface à la publication française de quatre scénarios d’Allen (1981, 446), rappelait l’ambiguïté qui préside au travail de l’adaptateur :

Ce qui précède n’est pas tout à fait une traduction. C’est une transcription du texte original, avec les nécessaires transpositions, une translittération... une transe, en

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tout cas. On peut ainsi être assuré d’entendre, en français, le phrasé de Woody Allen, grand clarinettiste.

Je veux bien dire... sa musique.

56 Il soulignait ainsi les limites de ce mode de traduction audiovisuelle, tout en validant son propre projet traductif : faire entendre Woody Allen. Dans cette démarche, le transfert des jeux de mots, souvent fondés sur des phénomènes sonores, est primordial.

Dutter, puis Cohen, ne s’y sont pas trompés. Les adaptateurs confirment ainsi le postulat selon lequel « le doublage cinématographique est un travail de dialoguiste, une opération spécifiquement cinématographique, qui déborde la linguistique » (Mounin, 1976, 14). Dans les cas extrêmes, leurs VD vont jusqu’à offrir au public cinéphile francophone des occurrences supplémentaires de ces jeux sur la duplicité verbale.

Grâce à l’attention très fine portée au transfert de ces usages ludiques de la langue récurrents dans l’œuvre d’Allen, dans le respect de l’intentio auctoris et de l’intentio operis, les traducteurs de doublage contribuent à démentir les a priori péjoratifs qui s’appliquent encore trop souvent au travail d’adaptation, et à réjouir les spectateurs francophones du cinéaste américain.

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NOTES

1. Le rire dans tous ses éclats, 2/4, « Ta blague, c’est du chinois », CulturesMonde, France Culture, 24 avril 2012.

2. « La stand-up comedy allénienne est, bel et bien, à l’aune de l’ensemble de l’œuvre. [...] Meneur de jeu et public sont réunis sous un même toit pour participer à une même cérémonie au cours de laquelle on rit, tous ensemble », Dreyfus Jean-François, 1999, « L’humour dans les écrits de Woody Allen », Journal of the Short Story in English, 32, p. 3.

3. cf. bibliographie, abréviations utilisées : VO : version originale, VD : version doublée, DV : D.

Valion, GD : G. Dutter, JC : J. Cohen, ML : M. Lebrun. VO référencée par le minutage, extraits publiés, par leur pagination.

4. À rapprocher, sur ce plan, de la poésie, fondée sur une combinaison du sens et du son lui accordant « le glorieux privilège de l’intraduisibilité », comme l’écrit Gérard Genette dans Palimpsestes (Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 239).

5. Micro-Robert, dictionnaire du français primordial, Paris, Le Robert, 1981.

6. cf. Dirk Delabastita, 1996, Wordplay and Translation, The Translator, vol. 2, 2, p. 128, sur la gradation des procédés : homonymie, homophonie, homographie, paronymie,

7. cf. Raynaud (1977, 28) : « Assurément, rares sont les jeux linguistiques qui peuvent aisément se laisser ranger à l’intérieur de catégories "pures". »

8. « La polysémie et l’homonymie sont des sources inépuisables de jeux de mots qui alimentent les calembours et malentendus de la vie quotidienne et que la littérature a largement exploités, de Shakespeare à Lewis Carroll », Michel Paillard, 2000, Lexicologie contrastive anglais-français, Gap, Ophrys, p. 128.

9. « Énoncé contenant un élément à plurivalence sémique ou phonique » (Henry, 2003, 288).

10. La coordination est une « relation entre deux éléments [...] qui ont le même statut dans l’énoncé », au sein de laquelle la conjonction or a une valeur disjonctive, car elle installe le second comme une alternative au premier. Jacqueline Guillemin-Flescher, 1981, Syntaxe comparée du français et de l’anglais, Gap, Ophrys, p. 425, 441.

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11. « La monstration, c’est-à-dire la mise en évidence, est une des forces du discours : dans un souci phatique (contact immédiat avec le public), pédagogique (clarté du propos) et rhétorique (efficacité des discours). [...] Si les démonstratifs signalent en effet des choses, ils exhibent surtout le locuteur en train de s’accomplir », Damon Mayaffre, 2014, « "ça suffit comme ça !" La fausse opposition quantitatif/ qualitatif à l’épreuve du discours sarkozyste », Corela, hs n° 15, consulté le 27 avril 2015. http://corela.revues.org/3543

12. Max, comme Elsie dans l’exemple 5.1., s’exprime avec un accent yiddish caricatural, et une minute après cette scène, le beau-frère de Harry résume ainsi les écrits de ce dernier : He creates offensive, Jewish stereotypes.

AUTEUR

FRÉDÉRIQUE BRISSET

Frédérique Brisset, agrégée d'anglais et maître de conférences, enseigne la traduction et la traductologie à l’université Lille 3 Charles de Gaulle (EA CECILLE). Ses recherches portent sur le doublage de l’anglais américain vers le français et son impact sur la construction de l’image de l’auteur et sa réception par le public. Elle s’appuie sur l’approche traductologique contrastive et les théories de l’esthétique de la réception appliquées au cinéma. Elle a communiqué et publié en France et à l’étranger sur la cohérence en traduction dialogique, l’homogénéisation en traduction audiovisuelle, le doublage des emprunts, des noms propres et de l’humour, l’influence du marketing sur la traduction des titres de films, ainsi que sur les phénomènes de sérialité chez Woody Allen. Elle travaille actuellement sur le générique comme paratexte filmique, la traduction des anthroponymes politiques et celle de l’implicite lié à l’ironie.

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Vous voulez rire ? C’est intraduisible…

Propos recueillis par Hélène Ladjadj

Hélène Ladjadj et Jean-Loup Chiflet

1 Entretien avec Jean-Loup Chiflet à propos, notamment, de la publication en français des dessins d’humour du magazine hebdomadaire américain The New Yorker.

2 Apprendre en se gondolant ? Oui, c’est possible. Les professeurs de langue utilisent-ils les livres de J.-L. Chiflet pour faire retenir ces expressions dites idiomatiques aux élèves ? Sinon, que les élèves leur recommandent Sky My Husband!, l’un de ses livres associant humour et amour du langage.

3 Grand fan du New Yorker, Jean-Loup Chiflet, a réussi à importer en France un élément clé de ce magazine américain, les dessins et leur humour supposé intraduisible : un énorme volume regroupe tous les dessins publiés depuis le premier numéro, paru en 1925, devenus ainsi accessibles aux francophones il y a dix ans – déjà.

Racontez-nous…

Pour le New Yorker, j’ai eu la chance, puisque je dirigeais la branche internationale d’Hachette, d’aller souvent à New York et pendant vingt ans, chaque fois, j’allais voir les gens du New Yorker, en tant que grand-éditeur-français-Hachette, et pendant vingt ans je me suis fait jeter. On me disait « Monsieur, vous êtes charmant mais il faut que vous compreniez que le New Yorker, c’est intraduisible, c’est private joke… ça ne donnera rien en français. »

Et pourtant…

On fête cette année le dixième anniversaire de la sortie du volume réunissant les dessins publiés par le New Yorker, en version française (Les Arènes). En fait, j’avais rencontré à la Foire du livre de Francfort un éditeur américain qui préparait un énorme livre consacré aux dessins d’humour du New Yorker depuis 1925, les débuts du journal, soit 2 000 dessins et il était intéressé par une co-édition en Europe. Donc, il m’a « pistonné », mais j’ai dû passer un examen ! Ils m’ont montré un dessin des

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années 50 : on y voit deux troupes, genre Wisigoths contre les Goths, les deux chefs avec des poils partout se font face, ils se détestent, que va-t-il se passer ?

My people will contact your people

Bien sûr traduire littéralement : « Mes gens contacteront vos gens » n’était absolument pas drôle. J’ai proposé : « Mes avocats vont prendre contact avec les vôtres », ça leur a plu, ils ont dit OK. Mais ils surveillaient toujours pour vérifier qu’il n’y avait pas de contresens ou autre « mal-comprenure ».

Et puis, il a d’abord fallu trouver un éditeur français – tous disaient que c’était une folie ! Donc, tous ont refusé, sauf Les Arènes, qui a tout de suite dit « banco » et qui ne l’a pas regretté : ça a très bien marché.

Depuis, je me délecte, même si – ou parce que ? – c’est difficile : c’est souvent le non- sens absolu. Chaque année, depuis dix ans, on publie un volume sur un thème – L’Humour des chats – gros succès – L’Humour des femmes... L’an dernier c’était … de la médecine, et le prochain, ce sera …de la famille. Il s’agit, pour chaque volume, d’une sélection d’environ 300 dessins.

On a eu la chance que Le Figaro publie pendant deux ans un dessin par jour, que je choisissais, sans rapport avec l’actualité. Et ce qui est drôle c’est que les lecteurs n’étaient pas très habitués à ce genre d’humour ; certains dirigeants du Figaro ne comprenaient jamais les dessins, ce que d’aucuns affirmaient être bon signe…

Je me souviens d’un dessin en particulier : deux couples à table, on comprend qu’ils ont dîné et en sont au café, et soudain, l’un des hommes regarde sa montre : « Ouh, il est tard, il faut qu’on rentre ! » et sa femme de répondre : « Mais qu’est-ce que tu racontes, nous sommes chez nous ! »

En fait, l’humour est rarement traduisible sans adaptation voire ré-acclimatation dans la langue et la culture d’arrivée.

L’idée est d’apporter un petit plus.

La difficulté pour les dessins du New Yorker, c’est qu’ils sont très liés à l’actualité, mais heureusement, j’ai bénéficié des lumières d’un ami américain. Les dessins les plus anciens remontent à 1925, donc c’est un peu comme les dessins de presse, ceux de

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Cabu dans Le Canard par exemple, après 30 ou 40 ans, on ne comprend plus les allusions…

Et avez-vous dû abandonner certains dessins pour impossibilité « d’acclimatation » ? Non, parce que si vraiment un dessin nécessitait des précisions (liées au contexte principalement), le lecteur était invité à consulter un site dédié du New Yorker que finalement, personne n’a consulté.

Une anecdote, à propos de traduction, que je tiens d’un ami agrégé de latin, dont un élève avait traduit « Caprica genuit » par « La chèvre avait mis ses socquettes ».

Pour comprendre comment il avait pu arriver à ça, l’ami en question a eu la bonne idée de consulter son Gaffiot – le mot genere y remplit bien 4 pages – et il a fini par tomber sur : « pour un animal : mettre ses petits bas ».

C’est magnifique !

Autre histoire entendue, mais je ne peux croire qu’elle soit vraie, je ne suis pas sûr que ce soit Doris Lessing, mais disons une dame très âgée, une traductrice très âgée aussi, que le grand éditeur français n’a pas voulu bousculer, et la phrase en anglais était : The pick-up was in the middle of the desert, traduit : « Le tourne-disque était au milieu du désert ».

C’est poétique, en fait ! Voilà, c’est poétique.

Et puis tous ces livres genre Cinquante nuances…, il m’est arrivé de tomber sur des traductions pour lesquelles on me demandait mon avis, et j’en ai trois en mémoire ; donc, des scènes un peu chaudes, et je lis : « sa culotte tomba sur le sol en faisant un bruit mat », et puis une autre : « pour la première fois, il voyait ses seins en chair et en os » !

Il y avait aussi cette phrase où l’anglais disait kept kissing her jaws traduit par : « Il n’arrêtait pas de l’embrasser sur les mâchoires », ou encore un couple infernal qui est surpris par la belle-sœur, ils sont un peu gênés et on lit : « Nous ne faisions rien de mal, dirent-ils comme un seul homme ».

On se croirait dans San Antonio !

Oui, c’est ça. Et à propos de San Antonio, on m’avait signalé, il y a quelque temps, qu’il citait Sky my Husband! (paru en 1985) dans La fête des paires : le héros est en train de schtroumfer et « je sentis une main sur mon épaule qui me fit cesser ce va-et-vient ridicule, “Sky, your husband!” » avec une note, « Je vous conseille d’acheter ce petit livre… ». Une promotion formidable.

Sky my Husband! a été non pas traduit mais adapté chez les Australiens par un éditeur anglais, Barry Winkelman, qui avait fait ses études en France donc il avait bien compris le propos et il a fait deux livres Cul de sac et French Letters.

On a passé en revue toutes les expressions, « Et ta sœur », etc. Il n’y en a qu’une ou deux qui lui échappaient et qu’il n’a pas retenues :

Kif-kif bourricot – que j’avais traduit par Marijuana, marijuana, donkey – et une Marie- couche-toi-là – que j’avais traduit par a Mary sleep here.

L’une des locutions qui plaît beaucoup dans Sky, My Husband!, c’est Vingt dieux la belle église ! Twenty Gods, the nice church!

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Mon ami et maître Alain Rey remarquait qu’à l’origine, ce n’est pas Vingt dieux mais Vains dieux… Maintenant, le dictionnaire mentionne les deux.

4 Pour terminer, revenons à cet hilarant outil d’apprentissage inventé par notre auteur via l’amour des langues et l’art de tirer parti de leur fonctionnement parfois insolite (il est l’auteur de deux Dictionnaire amoureux, celui de l’humour et celui de la langue française). Sky my Husband! a même eu une descendance sous la forme d’un jeu de société : il s’agit de retrouver des titres, appellations ou termes anglais à partir de leur traduction française… (par exemple : Partage sur pierre ou, Jambon laissé) : si vous séchez…1).

BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie (non exhaustive) de J.-L. Chiflet

Sky, my husband! Ciel, mon mari ! 1985 (1re édition), Points Seuil.

The New Yorker, L’Intégrale des dessins, avec Laurence Kiefé, 2005, Les Arènes.

The New Yorker, L’humour des livres, 2009, Les Arènes.

The New Yorker, L’humour des chats, 2010, Les Arènes.

Loftum vaticanum, (avec Lise Fitaire), 2005, Chiflet & Cie.

Wit spirit, tome 1, 2000 ; tome 2, 2001, Mots et Cie.

Name of a Pipe, Nom d’une pipe, 2004, Mango.

Malheur au bonheur, 2004, Mots et Cie.

Le Diconoclaste, 2005, Chiflet & Cie.

Dictionnaire amoureux de l’humour, 2012, Plon.

Dictionnaire amoureux de la langue française, 2014, Plon.

Jeu de société

Sky my Husband! (avec Guillaume Blossier), Cocktailgames.

NOTES

1. Sharon Stone et Hamlet !

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Traduire l’ironie. Le cas de La Chute d’Albert Camus en roumain

Mariana-Vica Ciupu

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article a été financé par le projet « SOCERT. Société de la connaissance, dynamisme par la recherche », n° du contrat POSDRU/159/1.5/S/132406, cofinancé par le Fonds Social Européen, et par le Programme Opérationnel Sectoriel pour le Développement des ressources humaines 2007-2013 : Investir dans les gens !

1 La présente étude, qui traite de la transposition de l’ironie dans la traduction, essaie par une approche comparative d’esquisser une analyse traductologique de diverses ressources linguistiques et de différents moyens stylistiques permettant l’expression de l’ironie à travers l’exemple de la traduction en roumain de La Chute (1956) d’Albert Camus, par Irina Mavrodin. Nous nous proposons donc ici d’étudier les stratégies et procédés de traduction impliqués dans la restitution des figures de l’ironie.

2 Dans le domaine de la traduction, l’ironie est souvent perçue comme « un obstacle langagier et culturel important » (Lievois, Schoentjes, 2010 : 11). Dans cette perspective, nous allons analyser la manière dont est rendue l’ironie dans la langue-culture cible et quelles sont les stratégies utilisées par le traducteur pour obtenir un texte cohérent qui préserve les effets stylistiques, l’atmosphère et la tonalité ironisantes du texte de départ. Du fait de la charge culturelle significative de l’ironie, le traducteur est appelé dans certains cas à rendre des effets ironiques par des choix sémantiques et stylistiques qui permettent au lecteur de comprendre le texte d’arrivée et d’accéder à l’univers de l’Autre. Ces choix sont le résultat de différentes contraintes linguistiques mais aussi de la perception qu’a le traducteur du phénomène de l’ironie.

3 Dans le cadre de l’exemple choisi, nous essaierons de rappeler quelques définitions de l’ironie en tant que figure rhétorique et de distinguer les traits de l’ironie camusienne.

Puis, nous analyserons les indices ironiques dans le texte de départ et nous observerons les stratégies de traduction choisies pour la transposition de l’ironie dans le texte

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