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Décision 19-D-19 du 30 septembre 2019

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Texte intégral

(1)

Grosses délivrées

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 15 OCTOBRE 2020

(n° 23, 51 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 19/18632 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAX6Z Décision déférée à la cour : Décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-D-19 en date du 30 septembre 2019

REQUÉRANTS :

L’ORDRE DES ARCHITECTES

agissant en la personne de son représentant légal

domicilié chez le Conseil national de l’Ordre des Architectes Tour Maine Montparnasse

33, Avenue du Maine - BP 154 75755 PARIS CEDEX 15

Élisant domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES 89, Quai d’Orsay

75007 PARIS

Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assisté de Me Emmanuel REILLE, de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

M. François ROUANET ayant exercé la profession d’architecte sous l’enseigne ATELIER D’ARCHITECTURE F. ROUANET

né le 12 Décembre 1955 à ANGOULÊME (16000) de nationalité française

domicilié 73, rue Saint Savournin 13005 MARSEILLE

Élisant domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES 89, Quai d’Orsay

75007 PARIS

Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assisté de Me Gabriel CURNIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

EN PRÉSENCE DE :

LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE TÉLÉDOC 252 - DGCCRF

Bât 5, 59 Boulevard Vincent Auriol 75703 PARIS CEDEX 13

représenté par Mme Marion ORRIT, dûment mandatée L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

prise en la personne de sa présidente 11, rue de l’Échelle

(2)

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 25 juin 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

– Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre, présidente – Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre – Mme Sylvie TRÉARD, conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et qui a fait connaître son avis par écrit

ARRÊT :

– contradictoire

– rendu par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * *

Vu la déclaration de recours à l’encontre de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d’architecte, déposée au greffe de la cour par l’Ordre des architectes le 21 octobre 2019 et enregistrée sous le n° RG 19/18632 ;

Vu la déclaration de recours enregistrée sous le n° RG 19/20137, déposée au greffe de la cour par M. Rouanet le 15 novembre 2019, contre cette décision qui lui été notifiée le 17 octobre 2019 ;

Vu l’ordonnance de jonction des recours du 26 novembre 2019 enregistrant l’affaire sous le n° RG 19/18632 ;

Vu les mémoires déposés au greffe de la cour le 11 décembre 2019 par les auteurs des recours ;

Vu les observations déposées le 3 avril 2020 par le ministre chargé de l’économie ; Vu les observations déposées le 4 mai 2020 par l’Autorité de la concurrence ;

Vu l’exposé des moyens récapitulatif déposé le 22 juin 2020 par l’Ordre des architectes ; Vu le mémoire en réplique de M. Rouanet déposé le 22 juin 2020 ;

Vu l'avis du ministère public en date du 24 juin 2020, communiqué le même jour aux auteurs des recours, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie ; Après avoir entendu à l'audience publique du 25 juin 2020 en leurs observations orales, les conseils de l’Ordre des architectes et de M. Rouanet, le représentant de l’Autorité de la concurrence et celui du ministre chargé de l’économie, les auteurs des recours ayant été mis en mesure de répliquer.

*

* *

(3)

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE. . . . 5

MOTIVATION. . . . 8

I. SUR LA COMPÉTENCE DE l’AUTORITÉ. . . . 8

II. SUR LES MOYENS DE FOND COMMUNS AUX CINQ GRIEFS. . . . 11

A. Sur l’imputabilité des pratiques à l’Ordre. . . . 11 B. Sur l’applicabilité du droit de l’Union. . . . 13 C. Sur la qualification de restriction par objet. . . . 15 1. Sur la diffusion d’une méthode de calcul des honoraires élaborée par les pouvoirs publics.. . . . 18 2. Sur le lien instauré entre le non-respect des recommandations relatives au montant des honoraires et la violation des dispositions relatives aux offres anormalement basses. . . . 18 3. Sur le caractère obligatoire de la méthode de calcul des honoraires de maîtrise d’œuvre. . . . 19

III. SUR LES PRATIQUES VISÉES AUX GRIEFS N° 1 À 5. . . . 20

A. Sur les pratiques mise en œuvre dans la région Hauts-de-France (1er grief). . . . 20 1. Sur la communication institutionnelle sur les prix et la diffusion de la Charte intitulée « Améliorer, simplifier, réussir » dans la lettre d’information n°30 de septembre 2013 .. . . . 21 2. Sur les effets anticoncurrentiels des démarches engagées auprès de la maîtrise d’ouvrage. . . . 22 3. Sur le contrôle du montant des honoraires. . . . 23 4. Sur les procédures et sanctions disciplinaires mises en œuvre.24 B. Sur les pratiques mises en œuvre dans la région Centre-Val de Loire (grief n°2). . . . 25 1. Sur la communication institutionnelle sur les prix et la diffusion du Flash Info de juin 2014 . . . . 26 2. Sur les démarches engagées auprès de la maîtrise d’ouvrage et les contrôles du montant des honoraires . . . . 26

(4)

C. Sur les pratiques mises en œuvre dans la région Midi-Pyrénées

(grief n° 3). . . . 28

1. Sur la communication institutionnelle sur les prix et la diffusion de la lettre circulaire du 10 septembre 2014. . . . 28

2. Sur les démarches engagées auprès de la maîtrise d’ouvrage et les contrôles du montant des honoraires.. . . . 29

D. Sur les pratiques mises en œuvre dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (grief n° 4). . . . 30

1. Sur la communication institutionnelle sur les prix et la lettre circulaire du 4 novembre 2014. . . . 31

2. Sur les démarches engagées auprès de la maîtrise d’ouvrage et les contrôles du montant des honoraires.. . . . 32

E. Sur les pratiques visées au grief n° 5. . . . 33

1. S’agissant du caractère définitif du modèle de saisine de la chambre de discipline « JURIET – plénière 2015 ». . . . 34

2. S’agissant du contenu du modèle de saisine de la chambre de discipline. . . . 35

3. S’agissant de ses effets concurrentiels. . . . 35

F. Sur la durée des pratiques reprochées à l’Ordre.. . . . 36

G. Sur la participation de M. Rouanet. . . . 38

IV. SUR LA SANCTION INFLIGÉE À L’ORDRE. . . . 40

A. Sur la méthode de détermination de la sanction. . . . 40

B. Sur la gravité des pratiques reprochées à l’Ordre . . . . 43

C. Sur le dommage à l’économie. . . . 45

1. Sur le chiffre d’affaires susceptible d’avoir été affecté par les pratiques. . . . 45

2. Sur les autres éléments pris en compte pour évaluer l’ampleur du dommage à l’économie. . . . 47

D. Sur l’individualisation de la sanction. . . . 48

V. SUR LES AUTRES DEMANDES. . . . 50

(5)

FAITS ET PROCÉDURE

1.La cour est saisie de recours formés contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre par l’Ordre des architectes, une association d’architectes, six sociétés d’architecte et quatre architectes, dont M. Rouanet, dans le secteur des prestations d’architecte.

2.La cour renvoie aux paragraphes 7 à 43 pour la présentation du secteur concerné, tant s’agissant du cadre juridique de la profession d’architecte, que s’agissant des prestations concernées.

3.Il est seulement rappelé que la profession d’architecte est régie notamment par les lois n°77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture et n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre dite privée.

4.L’Ordre des architectes (ci-après « l’Ordre ») est un organisme de droit privé chargé de missions de service public. Doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, il est placé sous la tutelle du ministre de la culture. Il se compose de dix-sept Conseils régionaux (ci-après les « CROA ») et d'un Conseil national (ci-après le « CNOA »).

5.Le droit d'exercer la profession sur l’ensemble du territoire national et de porter le titre d'architecte est conditionné à l'inscription au tableau régional de l’Ordre. Il est en outre institué une chambre régionale de discipline par conseil régional, la chambre nationale instituée auprès du CNOA connaissant des recours. L’Ordre veille notamment, par l’intermédiaire des CROA, à garantir le respect des règles déontologiques et de la discipline de la profession. Le code de déontologie des architectes prévoit notamment des dispositions visant à garantir un saine concurrence entre les membres de la profession. Son article 18 dispose ainsi :

« [l]a concurrence entre confrères ne doit se fonder que sur la compétence et les services offerts aux clients.

Sont considérés notamment comme des actes de concurrence déloyale prohibés : – toute tentative d’appropriation ou de détournement de clientèle par la

pratique de sous-évaluation trompeuse des opérations projetées et des prestations à fournir ; ».

6.S’agissant des prestations d’architecte accomplies dans le cadre de la passation des marchés publics de maîtrise d’ouvrage, il convient de rappeler que, sauf exceptions définies par décret en Conseil d’État, tout maître d’ouvrage de commande publique désirant entreprendre des travaux soumis à autorisation de construire doit faire appel à un architecte.

Les architectes sont chargés de concevoir le projet, d’élaborer le dossier de consultation des entreprises, de contrôler la bonne exécution des travaux et de jouer un rôle d’interface entre le maître d’ouvrage public et les entreprises chargées d’exécuter les travaux. Ces prestations sont réglementées par le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé.

7.La rémunération des architectes en matière de maîtrise d’ouvrage publique est librement débattue entre les parties. L’article 9 de la loi n° 85-407 du 12 juillet 1985 dispose que le montant de cette rémunération « forfaitaire fixée contractuellement (...) tient compte de l’étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux », le maître d’ouvrage et l’architecte ayant toute latitude, en tenant compte de ces déterminants, d’en fixer contractuellement le montant.

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8.La mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (ci-après la

« MIQCP »), créée par le décret n°77-1167 du 20 octobre 1977, a publié en 1994 et 2008 un guide à l’attention des maîtres d’ouvrage publics pour la négociation des rémunérations de maîtrise d’œuvre, afin de leur donner « des points de repères pour une évaluation de l’enveloppe prévisionnelle à affecter aux honoraires de maîtrise d’œuvre dans leur programmation budgétaire » et « pour le choix de la procédure de consultation », du fait des seuils de passation des marchés fixés par la réglementation. Ce guide fixe, pour chaque type d’ouvrage, en fonction de son degré de complexité, une fourchette du taux de rémunération forfaitaire dégressive en fonction du montant des travaux.

9.Si une offre apparaît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter. Une offre anormalement basse (ci-après une « OAB ») est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. Le pouvoir adjudicateur avant de rejeter une offre comme étant une OAB doit engager une procédure contradictoire avec le candidat concerné afin de permettre à ce dernier d’en justifier le montant.

10.L’Autorité, dans la décision attaquée, a retenu que l’Ordre des architectes avait, dans le secteur des marchés publics de maîtrise d’œuvre pour la construction d’ouvrages publics en France, adopté, à partir de septembre 2013, une décision d’association d’entreprises ayant un objet et un effet anticoncurrentiel :

– consistant en la diffusion, via les CROA du Nord-Pas-de-Calais, du Centre-Val de Loire, de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Midi-Pyrénées, d’une méthode de calcul d’honoraires obligatoire, élaborée à partir du barème du guide MIQCP, à l’ensemble des architectes de ces régions et d’avoir multiplié les mesures de contrainte auprès des architectes et de leurs clients afin d’imposer cette méthode (griefs n°1 à 4).

– consistant en la diffusion d’un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d’allégation de concurrence déloyale portée par un conseil régional à l’encontre d’un architecte, ce modèle invitant les conseils régionaux à agir à l’encontre des architectes afin de leur faire respecter une méthode de calcul des honoraires (griefs n°5).

11.L’Autorité a également retenu que l’association d’architectes, les sociétés d’architectes et les architectes en cause avaient participé personnellement à la mise en œuvre de la décision d’association d’entreprises, et s’agissant plus particulièrement de M. Rouanet, que ce dernier avait participé personnellement et volontairement à cette mise en œuvre dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, depuis le 12 février 2015 jusqu’à la date de la notification des griefs.

12.L’Autorité a en conséquence sanctionné ces mis en cause pour avoir mis en œuvre des pratiques d’entente anticoncurrentielle sur les prix dans le secteur des marchés publics de la maîtrise d’œuvre pour la construction d’ouvrages publics en France, en violation des articles 101, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après

« TFUE ») et L. 420-1 du code de commerce.

13.Sur ces fondements, l’Autorité a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l’Ordre et lui a enjoint de publier un résumé de la décision, ainsi qu’une sanction de 1 euro aux autres mis en cause, dont M. Rouanet.

14.Les 21 octobre 2019 et 15 novembre 2019, l’Ordre et M. Rouanet ont formé un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation, contre la décision.

15.Aux termes de ses dernières conclusions, l’Ordre demande à la cour : À titre principal, de :

– constater que la décision critiquée aurait dû imputer les faits reprochés au CNOA et aux CROA, entités dotées de la personnalité morale, et non à l’Ordre des architectes, qui ne constitue ni une entreprise ni une association d’entreprises au

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sens du droit de la concurrence ;

– constater que les faits reprochés au CNOA et aux CROA en lien avec l’exercice du pouvoir disciplinaire ne sont pas détachables de l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique, et ne relèvent pas de la compétence de l’Autorité ;

– constater que la décision attaquée n’établit pas une affectation sensible du commerce entre les États membres ;

– constater que la décision attaquée n’établit pas l’existence d’une infraction par objet et ne démontre pas non plus les effets des pratiques critiquées ;

– constater que les pratiques critiquées ne sont pas établies ; En conséquence,

– annuler la décision attaquée ;

– en tout état de cause, dire n’y avoir lieu à sanction ; À titre subsidiaire :

– constater d’une part, que le recours à une méthode de calcul forfaitaire est injustifié et, d’autre part, que la sanction pécuniaire infligée a un caractère manifestement disproportionné ;

En conséquence,

– annuler la décision attaquée ou, en toute hypothèse ;

– réformer la décision en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée ;

En tout état de cause :

– ordonner à l’Autorité, en cas d’annulation et/ou de réformation de la décision, de supprimer de son site Internet le communiqué de presse initialement publié et de publier et diffuser, à ses frais, auprès des mêmes destinataires que le communiqué de presse initial, un nouveau communiqué de presse, d’un minimum de 1 000 mots contenant les principaux motifs d’annulation et/ou réformation, dont elle devra justifier sous 15 jours calendaires à compter de la mise à disposition de l’arrêt à intervenir ;

– dire que les dépens resteront à la charge du Trésor public ;

– dire que l’Autorité doit être condamnée à lui verser la somme de 30 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

16.Aux termes de ses dernières conclusions, M. Rouanet demande à la cour : À titre principal, de :

– constater que les faits reprochés au CNOA et aux CROA en lien avec l’exercice du pouvoir disciplinaire ne sont pas détachables de l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique, et ne relèvent donc pas de la compétence de l’Autorité ; – constater que la décision critiquée n’établit pas l’existence d’une infraction par

objet et ne démontre pas non plus les effets des pratiques critiquées ; En conséquence,

– annuler la décision attaquée ;

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– en tout état de cause, dire n’y avoir lieu à sanction ; À titre subsidiaire :

– constater qu’il n’a fait qu’alerter l’Ordre d’une pratique d’attribution frauduleuse de marchés publics et qu’en cela il n’a pas participé à une anticoncurrentielle ; En conséquence,

– annuler la décision ou, en toute hypothèse ;

– réformer la décision en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire infligée à l’Ordre des architectes ;

En tout état de cause :

– dire que les dépens resteront à la charge du Trésor public ;

– condamner l’Autorité à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

17.L’Autorité, le ministre chargé de l’économie et le ministère public invitent la cour à rejeter les recours.

*

* *

MOTIVATION

I. SUR LA COMPÉTENCE DE l’AUTORITÉ

18.Les auteurs des recours invoquent le principe de séparation des pouvoirs judiciaire et administratif et font valoir que l’Autorité était incompétente pour connaître des pratiques en cause, dès lors que celles-ci consistent en la mise en œuvre, par l’Ordre, de prérogatives de puissance publique relevant de la discipline de la profession d’architecte. Ils considèrent que seul le juge administratif est compétent pour se prononcer sur cet exercice, qu’il soit approprié ou non, et que l’application de ce principe est parfaitement compatible avec la jurisprudence européenne. Ils ajoutent que le Conseil d’État contrôle régulièrement les décisions prises dans l’exercice de prérogatives de puissance publique au regard de l’article L.420-1 du code de commerce, que l’office du juge administratif a été considérablement élargi depuis vingt ans et qu’en cas d’illégalité d’un acte administratif, tout tiers lésé peut exercer un recours indemnitaire.

19.M. Rouanet considère en outre que l’Autorité n’est pas compétente pour apprécier la légalité d’actions et de décision qui ont été prises par un ordre professionnel sur le fondement de dispositions essentielles du code de déontologie, comme elle l’admet dans ses observations et comme elle l’ a récemment rappelé dans sa décision n° 19-D-01 du 15 janvier 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la promotion par Internet d’actes médicaux et que précisément, le CROA dont il dépend n’a fait qu’agir sur le fondement des dispositions du code de déontologie des architectes.

20.L’Ordre fait valoir que la diffusion du modèle de saisine reprochée au Conseil national de l’Ordre ne correspond pas, en tout état de cause, à un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique dont il est investi. Les procédures disciplinaires et/ou pré-disciplinaires reprochées ne poursuivaient pas d’autre but que la réalisation, par les conseils régionaux de l’Ordre concernés, des missions de service public qui leur sont déléguées. Il en déduit qu’à supposer que, par exception, l’Autorité puisse exercer sa compétence, à la condition restrictive d’un détournement de pouvoir relevant de l’évidence et excluant toute analyse poussée, et ce lorsqu’il est fait un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique, aucune des pratiques ne remplirait en

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l’espèce cette condition.

21.L’Autorité répond, en se fondant sur des précédents concernant les secteurs de l’ingénierie de loisirs, des ambulances de montagne et de l’orthoprothèse, que les pratiques sanctionnées ne relèvent pas de l’exercice de prérogatives de puissance publique. Elle fait valoir que la référence au détournement de pouvoir retenue par le juge de l’Union et reprise par la cour d’appel de Paris permet d’établir un standard d’analyse strict et adapté.

22.L’Autorité ajoute qu’à supposer que certaines des pratiques aient relevé de l’exercice de prérogatives de puissance publique, l’Autorité était compétente pour apprécier leur conformité au droit de la concurrence dès lors que l’Ordre en a fait un usage manifestement inapproprié, ainsi notamment lors de l’élaboration et de la diffusion d’un modèle de saisine de la chambre de discipline (paragraphes 245, 276 et 390 à 392 de la décision critiquée) et lors de la mise en œuvre de différentes mesures de contrôle visant à assurer l’application effective des méthodes de calcul d’honoraires élaborées et diffusées par ses soins. L’usage par les CROA mis en cause de leur pouvoir disciplinaire avait pour seul but de mettre en œuvre un contrôle des prix.

23.Le ministre de l’économie sollicite également le rejet du moyen. Il souligne que la Commission européenne et le Tribunal de l’Union considèrent que les actes manifestant l’exercice d’une prérogative de puissance publique peuvent relever de l’article 101 du TFUE dès lors que ces actes, qui n’avaient que l’apparence d’un acte manifestant une prérogative de puissance publique, s’inscrivent dans un plan plus large à visée anti-concurrentielle.

24.Le ministère public demande à la cour de faire sienne l’analyse de la décision attaquée, telle que développée aux paragraphes 252 à 286.

* * * Sur ce, la Cour :

25.En application de l’article L.410-1 du code de commerce, les règles relatives à la liberté des prix et de la concurrence s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, « y compris celles qui sont le fait des personnes publiques ».

26.Dans le prolongement de son arrêt du 18 octobre 1999 Aéroport de Paris, le Tribunal des conflits a jugé, dans son arrêt du 4 mai 2009 Editions Jean-Paul Gisserot, que si les règles définies au livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et à la concurrence s’appliquaient à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public, l’Autorité n’était pas, pour autant, compétente pour sanctionner la méconnaissance des règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles « en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l’organisation du service public ou mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique. ».

27.De la même manière, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, la « CJUE »), dans son arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C-309/99), a retenu qu’ « une activité qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques (...) ou se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique (...) échappe à l’application des règles de concurrence du Traité » (point 57), et précisé, dans le même arrêt Wouters (point 58), comme dans son arrêt Ordem dos Technicos Oficiais de Contas du 28 février 2013, que lorsqu’une organisation « n’exerce pas de prérogatives typiques de puissance publique » elle apparaît comme « l’organe de régulation d’une profession dont l’exercice constitue par ailleurs une activité économique » entrant dans le champ d’application du TFUE.

28.Par suite, si l’action disciplinaire d’un ordre professionnel à l’encontre de l’un de ses membres traduit en principe l’exercice d’une prérogative de puissance publique échappant à la compétence des autorités de concurrence, le Tribunal de l’Union (ci-après le «TPUE»), dans un arrêt du 10 décembre 2014 Ordre national des pharmaciens, T-90/11,a rappelé que

« l’existence d’une telle prérogative ne saurait offrir de protection absolue contre toute

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allégation de comportement restrictif de concurrence, puisque l’exercice manifestement inapproprié d’un tel pouvoir consisterait, en tout état de cause, un détournement de pouvoir ».

29.Il s’en déduit que l’Autorité est compétente pour connaître de pratiques mises en œuvre par les ordres professionnels, lorsque ces organismes interviennent par leurs décisions hors de leur mission de service public ou ne mettent en œuvre aucune prérogative de puissance publique, ou dès lors que les pratiques relevant de l’exercice de prérogative de puissance publique ont été mises en œuvre de manière manifestement inappropriée et sont donc détachables de la mission de service public, et ainsi de l’appréciation de la légalité d’un acte administratif .

30.Il importe peu en conséquence, contrairement à ce que font valoir les auteurs des recours, que le juge administratif puisse, lorsqu’il est saisi dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, appliquer le droit de la concurrence. Cette circonstance n’est en effet pas de nature à priver l’Autorité de sa compétence pour apprécier la conformité au droit de la concurrence de pratiques traduisant, dans l’hypothèse où elles seraient établies, un usage manifestement inapproprié de prérogatives de puissance publique.

31.À cette fin et pour garantir l’application effective du droit de la concurrence tant national qu’européen, l’Autorité a été dotée de pouvoirs et moyens lui permettant, dans la limite des principes susvisés, d’instruire les plaintes et auto-saisines qui lui paraissent nécessaires et de prononcer des sanctions de nature à atteindre l’objectif de répression et de dissuasion des pratiques anticoncurrentielles.

32.Il est constant, en l’espèce, que les pratiques reprochées à l’Ordre — d’avoir, d’une part, diffusé et imposé une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes des régions des Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Occitanie, et Provence-Alpes-Côte d'Azur via ses CROA et, d'autre part, diffusé, au plan national, un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de « concurrence déloyale » fondée sur le niveau, jugé trop faible, des honoraires pratiqués par un architecte— interviennent dans un secteur, celui des prestations d’architecte, régi par le principe de liberté des prix et dans un cadre, celui des marchés publics, soumis aux règles de la libre concurrence.

33.Il est tout aussi constant, dans le contexte législatif qui vient d’être indiqué, qu’il n’entre pas dans la mission d’un ordre professionnel d’intervenir dans la fixation des prix de ses adhérents.

34.Il importe peu à cet égard que le but poursuivi par l’Ordre ait été, comme il le fait valoir, d’éviter une dévalorisation et une paupérisation de la profession, dès lors que la mission qui lui a été confiée par la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture ne concerne ni l’élaboration et la diffusion de tarifs et méthodes de calcul des prix applicables aux services facturés par ses adhérents, ni la police des prix qu’ils pratiquent.

35.La procédure en cause ayant pour objet de déterminer si et dans quelle mesure l’Ordre a concouru à la diffusion de tarifs et de méthodes de calcul des prix et mis en place un système de contrôle des prix généralisé, par des mesures de contrainte et menaces de procédures disciplinaires ayant pour finalité de discipliner tant l’offre que la demande en matière de maîtrise d’ouvrage pour la construction d’ouvrages publics dans le sens de consignes tarifaires assises sur le guide de la MIQCP et la méthode de calcul des honoraires diffusée, c’est à juste titre que l’Autorité a retenu que les pratiques d’un ordre professionnel qui tendent, sous couvert d’exercer un pouvoir disciplinaire dans l’intérêt de la profession, à unifier et contrôler les prix pratiqués par ses membres, constituent un exercice manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique qui lui sont confiées, lui permettant de retenir sa compétence pour apprécier leur conformité au droit de la concurrence.

36.Le moyen est rejeté.

*

* *

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II. SUR LES MOYENS DE FOND COMMUNS AUX CINQ GRIEFS

A. Sur l’imputabilité des pratiques à l’Ordre

37.La décision attaquée a retenu la responsabilité de l’Ordre au titre de pratiques mises en œuvre au niveau des CROA (griefs n°1 à 4) et du CNOA (grief n°5).

38.Elle a plus précisément retenu que l’Ordre avait adopté une décision d’association d’entreprises ayant un objet et un effet anticoncurrentiels.

39.L’Ordre soutient que l’Autorité a commis une erreur manifeste d’appréciation en lui imputant directement les pratiques alors que le CNOA et les CROA sont dotés de la personnalité juridique et auraient dû se voir notifier les griefs. Il considère que ce choix se distingue de la pratique décisionnelle antérieure et serait en contradiction avec la jurisprudence judiciaire et administrative, mais également avec la position exprimée par le ministère de la culture, autorité de tutelle de la profession d’architecte.

40.L’Ordre fait également valoir que l’absence de reconnaissance expresse dans la loi d’une personnalité morale attachée aux CNOA et CROA ne permet pas de les en priver. Il ajoute que l’absence de personnalité juridique ne constitue pas un obstacle à l’imputabilité des faits à l’entité qui en est l’auteur matériel ni au prononcé de sanctions à son encontre. Les pratiques mises en œuvre par une entité juridique donnée ne peuvent en outre être imputées à une autre entité juridique, distincte de la première, sauf dans le cas d’un groupe de sociétés.

41.L’Ordre se décrit comme « une personne morale fantôme » qui ne dispose d’aucun moyen propre et se trouve dès lors incapable de mettre en œuvre des pratiques anticoncurrentielles.

Il estime qu’en le sanctionnant, pour des pratiques mises en œuvre par le CNOA et les CROA, alors qu’il ne constitue ni une entreprise, ni une association d’entreprises au sens du droit de la concurrence, et alors que ces derniers sont juridiquement capables de se voir infliger une amende, l’Autorité aurait violé les règles de droit applicables en matière d’imputabilité.

42.L’Autorité fait valoir en réponse que la circonstance que les CNOA et CROA jouissent de prérogatives traditionnellement attachées à la personnalité juridique (ressources propres, autonomie des comptes, patrimoine propre, capacité d’ester en justice, absence de pouvoir hiérarchique de l’Ordre) et que l’Autorité, comme les juridictions judiciaires et administratives, ou le ministère chargé de la culture, aient pu considérer qu’ils disposaient de la personnalité juridique, ne remet pas en cause le fait que l’Ordre est seul doté par la loi de la personnalité morale et qu’il englobe, à ce titre, le CNOA et les CROA. L’Autorité ajoute que contrairement à ce que soutient l’Ordre, le fait que ce dernier ne dispose pas de patrimoine ou de moyens financiers propres est indifférent, dès lors que l’Autorité peut prendre en compte la capacité financière de ses membres, tant pour lui imputer une sanction que pour en déterminer le montant.

43.Le ministre de l’économie rappelle également que l’Ordre est une personne morale par détermination de la loi. Il souligne, en outre, que c’est cette entité qui a en l’espèce coordonné les actions des CROA par la diffusion du barème et la mise en place de la Commission JURIET et en déduit que l’ampleur, l’unité et la vocation nationale des documents utilisés sont des indices constituant un vaste plan d’ensemble à visée anticoncurrentielle de l’Ordre, ce qui justifie que sa responsabilité soit retenue.

44.Le ministère public considère également que l’Ordre doit être tenu responsable de l’infraction en qualité d’auteur en soulignant que la Commission européenne a adopté la même approche lorsqu’elle a sanctionné l’Ordre des pharmaciens français et ses démembrements dans la mesure où l’article L. 4233-1 du code de la santé publique attribue explicitement la personnalité civile à ces derniers, et n’a à l’inverse sanctionné que l’Ordre des architectes belges concernant un barème d’honoraires adopté par le CNOA, la loi belge de 1963 qui a créé cet ordre lui ayant réservé la personnalité civile.

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* * * Sur ce, la Cour

45.En premier lieu, la décision attaquée a, de façon fondée, rappelé aux paragraphes 448 à 450 qu’une infraction au droit de la concurrence doit être notifiée à une personne juridique pouvant être tenue responsable et pouvant se voir infliger des sanctions.

46.En l’espèce, la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture a créé l’Ordre des architectes, doté par l’article 21 « de la personnalité morale et de l’autonomie financière».

47.Comme rappelé au paragraphe 4 du présent arrêt, elle a aussi institué un conseil national et, dans chaque région, un conseil régional. Les CROA gèrent les inscriptions au tableau et ainsi que les autorisations d’exercer la profession d’architecte, lesquelles sont régionales, et s’assurent du respect des règles professionnelles et déontologiques. Il appartient au CNOA de coordonner les actions des CROA, d’assurer leur information et de percevoir les cotisations qu’il répartit. Ce sont les membres des CROA, élus par les architectes inscrits au tableau régional, qui élisent les membres du CNOA.

48.Contrairement à ce que soutient l’Ordre, le CNOA et le CROA ne sont ainsi ni totalement indépendants de lui, ni totalement autonomes entre eux, mais sont des organes décisionnels et opérationnels de l’Ordre.

49.L’Ordre reprend au demeurant cette présentation dans sa communication institutionnelle, puisque la brochure « L’Ordre en quelques mots » disponible sur le site internet de ce dernier et versée aux débats par l’Autorité, indique que :

– l’Ordre « se compose de 17 Conseils régionaux (...) et d’un Conseil national » ; – l’Ordre – et non pas le CNOA ou les CROA – est placé sous la tutelle du ministre

chargé de la culture ;

– chaque « Conseil régional dispose d’une quote-part du budget de l’Ordre alimenté par les seules cotisations annuelles des architectes » ;

– « l’Ordre veille donc à l’organisation de la profession d’architecte ».

50.Le CNOA et les CROA sont ainsi des démembrements de l’Ordre et force est de constater que le législateur a entendu réserver l’attribution de la personnalité morale à l’Ordre lui-même. A cet égard, il convient de rappeler que lors des débats parlementaires précédant l’adoption de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977, un amendement visant à conférer la personnalité morale aux CROA et au CNOA.

51.Dans sa décision n° 16903 du 23 octobre 1981, le Conseil d’Etat a d’ailleurs relevé que la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 « confère à l’ordre [des architectes] pris dans son ensemble la personnalité morale et l’autonomie financière ».

52.Il ressort, en outre, de la pièce n°34.2 de l’Ordre, que ce dernier est par ailleurs doté d’un service juridique, de sorte qu’il ne constitue pas une personne morale « fantôme » comme il le prétend.

53.Comme l’a justement rappelé la décision attaquée aux paragraphes 311 et suivants, la notion de « décisions d’associations d’entreprises », appliquée aux faits de l’espèce, enserre

« les formes institutionnalisées de coopération, c’est-à-dire les situations où les opérateurs économiques agissent par l’intermédiaire d’une structure collective ou d’un organe commun » (arrêt du Tribunal de l’Union du 24 mai 2012, MasterCard, T-111/08, point 243).

54.Aux termes de l’article 21 de la loi n° 77-2 précitée, l’Ordre est « constitué par les architectes remplissant les conditions fixées par la présente loi » et, en application des articles 22, 24 et 26, il est composé de CROA et d’un CNOA qui concourent à la représentation de la profession auprès des pouvoirs publics et regroupent les architectes

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inscrits au tableau. Ces derniers exercent, dans le cadre des fonctions de maîtrise d’ouvrage, une activité économique. Ils constituent ainsi des entreprises au sens du droit de la concurrence, peu important qu’ils exercent une profession réglementée (CJUE, 12 septembre 2000, C-180/98 à C-184.98, Pavel Pavlov, point 77).

55.Il est donc vain de prétendre, comme le fait l’Ordre, qu’il ne constitue pas une association d’entreprises car « il ne regroupe aucun architecte, ceux étant inscrits au Tableau de chacun des ordres régionaux », puisque les CROA et le CNOA en sont des démembrements.

56.En second lieu, la CJUE a dit pour droit dans l’arrêt C-444/11 du 11 juillet 2013 Team Relocations e.a. c/Commission que « dès lors qu’une entreprise [au sens du droit de la concurrence] est responsable d’une infraction à l’article 81 CE, elle ne saurait échapper à toute sanction au motif qu’un autre opérateur économique ne se serait pas vu infliger d’amende ».

57.Les autorités de concurrence disposent ainsi d’une marge d’appréciation quant à la personne morale ou physique qu’elles entendent poursuivre, étant observé que l’Autorité a précisé, à l’audience, avoir retenu la seule responsabilité de l’Ordre en raison de la dimension nationale des pratiques et du fait que ces dernières ont été mises en œuvre par le CNOA et les CROA, qui sont des composantes de l’Ordre.

58.Il résulte de ce qui précède qu’en imputant les pratiques en cause à l’Ordre, l’Autorité n’a violé aucune règle de droit.

59.Le moyen doit donc être rejeté.

B. Sur l’applicabilité du droit de l’Union

60.L’Ordre critique l’analyse de l’Autorité en ce qu’elle a examiné la question de l’applicabilité de l’article 101 du TFUE de manière globale, sans distinguer entre les cinq griefs notifiés. Or, selon l’Ordre, une telle méthode serait inappropriée, compte tenu des caractéristiques différentes de chaque région concernée, notamment, l’importance variable des marchés de maîtrise d’œuvre d’ouvrage public (de 21 à 38 %) au sein de ces différentes zones et le fait que la région Centre-Val de Loire n’est pas située le long d’une frontière terrestre.

61.L’Ordre estime en outre que les trois conditions qui doivent être remplies pour considérer que les pratiques en cause sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres ne sont pas réunies en l’espèce. Il évoque le nombre très limité d’architectes étrangers établis en France et observe que la décision attaquée n’apporte aucun élément permettant de considérer que les pratiques critiquées aient dissuadé ou pu dissuader des architectes établis dans d’autres États membres de venir proposer leurs services en France. Les causes réelles proviendraient, selon lui, tout à la fois de l’absence d’accès aux informations relatives aux marchés, de la complexité des réglementations en matière d’urbanisme et de construction, de la barrière de la langue et du manque de rentabilité de ces marchés.

L’Ordre conteste enfin que les pratiques en cause puissent, par leur nature, affecter de manière sensible le commerce entre États membres.

62.L’Autorité observe en réponse que l’analyse de la notion d’affectation du commerce est préalable à celle de la restriction de concurrence et indépendante de la définition des marchés géographiques en cause. Elle fait valoir que la décision attaquée a, aux paragraphes 296 et 297, analysé les caractéristiques de chaque région pour constater l’intervention d’architectes européens dans les marchés publics français. Elle considère que le potentiel de commercialisation des prestations d’architectes provenant d’autres États membres au sens des lignes directrices de la Commission est avérée ainsi que l’effectivité de l’activité d’architectes étrangers sur le territoire français.

63.Le ministre de l’économie développe la même analyse et ajoute que la Cour de cassation a jugé dans son arrêt du 31 janvier 2012 France Télécom que la démonstration du caractère

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sensible de la possible affectation, dans les cas où les pratiques en causes sont commises sur une partie seulement d’un État membre, résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés ou la position de marché des entreprises en cause.

64.Le ministère public invite la cour à se reporter aux paragraphes 292 à 304 de la décision attaquée en observant qu’ils répondent aux arguments de l’Ordre.

* * * Sur ce, la Cour :

65.L’effet sur le commerce entre États membres est le critère qui détermine l’applicabilité des règles de concurrence de l’Union européenne.

66.Conformément à la jurisprudence de l’Union, synthétisée dans la Communication de la Commission européenne fixant les lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (2004/C 101/07), trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres :

– l’existence d’échanges, à tout le moins potentiels, entre États membres portant sur les produits ou service en cause ;

– l’existence des pratiques susceptibles d’affecter ces échanges ; – et le caractère sensible de la potentielle affectation.

67.S’agissant du premier élément, la CJUE a précisé, dans l’arrêt du 24 septembre 2009 (C-125/07 P Erste Group Bank e.a. / Commission), que « le fait qu’une entente n’ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas à exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté. En effet, une entente s’étendant à l’ensemble du territoire d’un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l’interpénétration économique voulue par le traité CE ».

68.Les lignes directrices précitées indiquent, par ailleurs, que « la notion de “commerce” n’est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de service mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l’établissement ». Dès lors, l’ « application du critère d’affectation du commerce est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause, car le commerce entre États membres peut également être affecté dans le cas où le marché en cause est national ou subnational ».

69.En l’espèce, il existe, s’agissant des prestations d’architectes, un flux d’échanges potentiels importants grâce aux mesures de reconnaissance mutuelle des qualifications et au principe de libre circulation instaurés par le législateur européen, justement rappelés au paragraphe 295 de la décision attaquée.

70.Par ailleurs, comme l’a relevé à juste titre la décision attaquée au paragraphe 296, certains membres de la profession, originaires d’autres États membres, exercent, de manière ponctuelle ou durable, leur activité pour des clients français (CROA du Centre-Val de Loire, d’Occitanie et de Provence-Alpes-Côte d’Azur, cotes 409, 423, 449, 464, 523, 1939 et 7156) et l’Ordre indique lui-même que la part de l’activité des architectes de nationalité étrangère ayant un diplôme étranger inscrits au tableau se situerait autour de 6 %.

L’intervention effective d’architectes européens dans les marchés publics français est, en outre, confirmée par les statistiques mentionnées au point 114 de son mémoire.

71.C’est par suite en vain que l’Ordre argue de l’absence de frontière terrestre entre la région Centre-Val de Loire et un autre État membre de l’Union pour contester l’applicabilité du droit de l’Union, d’autant plus que, comme l’a justement relevé l’Autorité au paragraphe 301 de la décision attaquée, c’est précisément ce CROA qui s’est inquiété de

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la concurrence des architectes originaires d’autres États membres de l’Union européenne et qui a lui-même autorisé des prestations de services réalisées par des architectes européens installés en dehors de la France, au demeurant, comme le rappelle également le paragraphe 296 de la décision attaquée.

72.S’agissant du deuxième élément, relatif à l’existence de pratiques susceptibles d’affecter les échanges intra-communautaire, la CJUE a dit pour droit dans son arrêt du 21 janvier 1999 (affaires jointes C-215/96 et C-216/96, Bagnasco e.a ) que, pour être susceptible d’affecter le commerce entre Etat membres, une décision, un accord ou une pratique concertée doit « sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres » (point 47).

73.Il est constant qu’une entente s’étendant sur l’ensemble du territoire d’un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant l’interpénétration économique voulue par le traité (CJUE, 18 juillet 2013, C-136/12, Consiglio Nazionale dei Geologi, point 50).

74.En l’espèce, et ainsi que l’a justement relevé l’Autorité au paragraphe 300 de la décision attaquée, les pratiques litigieuses, reposant sur la diffusion et l’imposition d’une méthode de calcul des honoraires pratiqués par les architectes, avaient vocation à s’appliquer aux architectes français comme aux architectes ressortissants d’autres États membres effectuant des prestations de services habituelles sur le territoire français, dès lors que seuls ceux exerçant des prestations occasionnelles et temporaires sont exemptés de l’obligation d’inscription au tableau régional, conformément à l’article 9 de la loi n° 77-2 précitée et ne sont donc pas destinataires des informations diffusées par l’Ordre.

75.Par ailleurs, l’effet cloisonnant des pratiques litigieuses est d’autant plus significatif en l’espèce que, selon le CROA Centre-Val de Loire, la décision d’imposer une méthode de calcul des honoraires a été suscitée par la concurrence faite aux architectes français, dans les régions limitrophes, par les architectes étrangers qui viennent y travailler (Audition du président du CROA Centre-Val de Loire, cote 337).

76.Il convient de retenir, enfin, s’agissant du dernier élément, que les pratiques en cause étaient intrinsèquement de nature à affecter de manière sensible le commerce entre États membres en raison de l’étendue du territoire concerné et du nombre d’acteurs impliqués.

En effet, ces pratiques, affectant le principal paramètre de la concurrence, à savoir le prix des prestations, avaient vocation à couvrir une part substantielle du territoire français au sens des lignes directrices, en qu’elles concernaient les régions Nord-Pas de Calais, Centre- Val de Loire, Midi-Pyrénées et Provence-Alpes-Côte d’Azur, telles que délimitées avant la réforme d’octobre 2017, et ont concerné environ 20 % des architectes français, avant d’être étendues au niveau national par le CNOA (cotes 3342 et 3347).

77.Il est par suite vain de sous-entendre, comme le font les auteurs des recours, que les pratiques auraient été cantonnées à des territoires régionaux et ne seraient en conséquence pas susceptibles d’affecter de manière sensible le commerce entre États membres.

78.Il s’en déduit que l’applicabilité de l’article 101 du TFUE a été justement appréciée par l’Autorité et que le moyen doit être rejeté.

C. Sur la qualification de restriction par objet

79.La décision attaquée a retenu que l’Ordre avait adopté une décision d’association d’entreprises ayant un objet et un effet anticoncurrentiel consistant en la diffusion :

– d’une méthode de calcul des honoraires obligatoire à l’ensemble des architectes, (en multipliant les mesures de contrainte auprès des architectes et de leurs clients afin d’imposer cette méthode) (griefs n° 1 à 4) ;

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– d’un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d’allégation de concurrence déloyale formulée par un conseil régional à l’encontre d’un architecte.

(grief n° 5)

80.Les écritures des auteurs des recours relatives à la qualification de restriction par objet concernent les quatre premiers griefs.

81.Les auteurs des recours reprochent, en premier lieu, à l’Autorité d’avoir considéré que les pratiques sanctionnées constituent une restriction par objet au droit de la concurrence alors que celle-ci ne saurait découler de la diffusion et de l’imposition d’une méthode de calcul des honoraires élaborée et diffusée par les pouvoirs publics, avant même que l’organisation professionnelle ne s’en empare. Il n’existe selon eux aucun précédent en ce sens dans la jurisprudence ou dans la pratique décisionnelle. Par ailleurs, ils considèrent que la diffusion, sans aucune modification, de cette méthode ne caractériserait pas un détournement de la fonction de ce guide.

82.L’Ordre fait valoir en outre que le Ministère de la culture établit lui-même un lien entre les obligations déontologiques auxquels sont soumis les architectes, dans un but d’intérêt général, et le souci d’une juste rémunération des prestations d’architecte. Il affirme que des procédures disciplinaires ont été engagées exclusivement contre les architectes qui avaient déposé une offre trompeuse présentant les caractéristiques d’une offre anormalement basse et qui pouvait dès lors constituer une offre déloyale au sens de l’article 18 du code de déontologie. Dès lors, la pratique sanctionnée ne pourrait être considérée comme présentant un degré suffisant de nocivité, comme exigé par la jurisprudence nationale et communautaire, pour pouvoir être qualifiée de restriction par objet.

83.Les auteurs du recours contestent, en second lieu, que les pratiques incriminées puissent constituer une restriction par objet dans la mesure où l’Ordre n’a pas entendu rendre obligatoire la méthode de calcul des honoraires. Ils en veulent pour preuve que celle-ci n’était, en toute hypothèse, pas appliquée par ses membres, y compris même par ceux mis en cause dans la décision contestée. Ils soulignent que la cour d’appel ne peut sanctionner l’Ordre que pour des pratiques décrites dans les griefs notifiés et observent que ces derniers visent une méthode de calcul des honoraires qui serait obligatoire.

84.L’Autorité fait valoir en réponse que contrairement à ce que soutient l’Ordre, il ressort de l’arrêt du 15 février 1994 de la cour d’appel de Paris concernant le syndicat professionnel des urbanistes, qu’il est indifférent que le document diffusé par un ordre professionnel ait été inspiré d’un contenu produit par les pouvoirs publics. En effet, elle rappelle que le fait qu’un barème ait été diffusé en reprenant des éléments figurant dans une circulaire du ministère de tutelle « n’est pas de nature à lui ôter son caractère anticoncurrentiel ou à exonérer ses auteurs de leur responsabilité ». L’Autorité ajoute que la nocivité de ce type de pratiques réside dans le fait qu’elles détournent intrinsèquement les opérateurs d’une appréhension directe et personnelle de leurs coûts.

85.Elle relève plusieurs exemples de l’amalgame entretenu par l’Ordre dans sa communication institutionnelle entre le non-respect des recommandations relatives au montant des honoraires et en particulier du guide de la MIQCP et la violation des OAB :

– dans la charte « Améliorer, Simplifier, Réussir » diffusée par le CROA Nord-Pas de Calais, il est indiqué que « [a]fin de se prémunir contre les offres anormalement basses qui présentent des risques juridiques et opérationnels pour le maître d’ouvrage et économiques pour les maîtres d’œuvres ; il est conseillé de se référer au guide édité par la MIQCP (…) » (paragraphe 60 de la décision critiquée). La même référence figure dans les lettres-type de convocation envoyées par ce CROA aux architectes dont le taux d’honoraires n’est pas jugé satisfaisant, celles-ci indiquant notamment que les membres du CROA sont « particulièrement vigilants quant à la pratique de sous-évaluation trompeuse des honoraires et aux offres anormalement basses » (paragraphe 63 et charte cote 6892) ;

– dans les numéros des 1er et 2ème trimestres 2016 de la lettre d’information

« Édifice » du CROA du Centre-Val de Loire, il est fait état de deux rappels à

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l’ordre sur le fondement de l’article 55 du code des marchés publics et des risques de retenir une offre anormalement basse (cote 7123) ;

– la lettre du 10 septembre 2014 « Lutte contre le dumping » du président du CROA d’Occitanie fait référence à des « courriers aux architectes auteurs d’offres anormalement basses » mais aussi au fait que ce CROA « reste extrêmement vigilant sur les offres anormalement basses » (cote 1883). Le président de ce même CROA indique dans un article de la revue « Plan Libre » de mars 2015 que

« le CROA a donc durci ses actions envers les architectes qui proposent des offres anormalement basses » (cote 1896). Il peut par ailleurs être observé que la commission chargée de la surveillance des prix au sein de ce CROA porte le nom de « commission marchés publics-offres anormalement basses » ;

– la lettre envoyée le 4 novembre 2014 par le CROA de PACA relative aux montant des honoraires des architectes s’intitule « [l]es offres anormalement basses de maîtrise d’œuvre » (cote 5447).

86.L’Autorité fait valoir, enfin, qu’il résulte d’une jurisprudence et d’une pratique décisionnelle constantes, tant européennes que nationales, que la diffusion de consignes de prix par un ordre professionnel constitue une restriction de concurrence par objet indépendamment du caractère impératif ou non des consignes tarifaires données.

87.Le ministre de l’économie développe des arguments similaires et ajoute que la jurisprudence a déjà admis que la qualification par objet des pratiques soit fondée sur le document diffusé et sur la diffusion, et non sur l’auteur du document. Il ajoute que le guide vise un ensemble de caractéristiques à prendre en compte pour chiffrer des prestations, le respect ou non des préconisations de la méthode dépendant globalement des circonstances et conditions du marché visé. Il rappelle qu’en tout état de cause, la jurisprudence considère que la diffusion d’une information sur un niveau de prix jugé normal est une pratique anticoncurrentielle.

88.Le ministère public invite la cour à se reporter aux paragraphes 338 à 345 de la décision attaquée en observant qu’ils répondent parfaitement aux arguments de l’Ordre.

* * * Sur ce, la Cour :

89.Les articles 101 § 1 du TFUE et l’article L.420-1 du code de commerce prohibent expressément les ententes lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu’elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché.

90.Comme l’a énoncé la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 février 2001 (pourvoi n°98-22698), un barème indicatif diffusé par un Ordre professionnel d’avocats constitue une restriction par objet, dans la mesure où il émane de l'organe investi de l'autorité réglementaire et disciplinaire sur les membres de la profession et, devient, de ce fait, une référence tarifaire s'assimilant et se présentant comme un barème.

91.Il ressort également de la jurisprudence constante, tant européenne que nationale, justement rappelée aux paragraphes 338 à 342 de la décision attaquée, que les pratiques relatives à la diffusion de ce type de recommandations par des groupements professionnels constituent des restrictions de concurrence par objet, et ce même si les consignes tarifaires diffusées ne revêtent pas un caractère impératif.

92.À cet égard, la CJUE a rappelé, dans l’arrêt du 27 janvier 1987 (C-45/85 Verband der Sachversicherer/Commission) concernant la recommandation de la fédération des groupements professionnels d'entreprises d'assurance en Allemagne de procéder à un relèvement collectif, à taux fixe, du prix des prestations offertes par ses membres « que le premier exemple donné par l’article 85, paragraphe 1, sous a), d’un comportement anticoncurrentiel concerne précisément l’accord, décision ou pratique concertée qui a pour objet “de fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transactions” ».

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93.Une diffusion de ce type par un ordre professionnel, fût-elle constitutive d’une simple recommandation, fait obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché, un tel document étant de nature à inciter les professionnels à fixer leurs honoraires selon les montants suggérés par leur ordre plutôt qu’en tenant compte des critères objectifs tirés des coûts de revient des prestations fournies, en fonction de la structure et de la gestion propre à chacun des membres, et sa diffusion aux clients, étant également de nature à les dissuader de discuter librement le montant des honoraires minima.

94.La critique des auteurs du recours, fondée sur l’absence de restriction par objet faute de caractère impératif des diffusions en cause, manque ainsi tant en droit qu’en fait.

1. Sur la diffusion d’une méthode de calcul des honoraires élaborée par les pouvoirs publics

95.Il est constant, comme le souligne l’Ordre, que le document litigieux diffusé, intitulé

« Guide à l’attention des maîtres d’ouvrages publics pour la négociation des rémunérations de maîtrise d’œuvre » élaboré par la MIQCP mentionne dans son introduction avoir « rencontré un vif succès dans les milieux professionnels de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre » et « demeurer (...) une référence ».

96.Il a également « reçu l’adoubement de la Mission interministérielle et le soutien du ministère de la culture », selon un article produit aux débats paru le 12 décembre 2019 dans

« Le Moniteur », et demeure encore disponible en ligne.

97.Cependant, et en premier lieu, comme l’Autorité l’a justement souligné aux paragraphes 346 à 348 de la décision attaquée, l’élément qui confère aux pratiques de nature tarifaire un caractère anticoncurrentiel n’est pas la nature de l’entité qui est à l’origine du tarif, mais le contenu des recommandations elles-mêmes, ainsi que la légitimité et l’autorité dont jouit l’organisme qui les diffuse auprès de ses membres, et notamment sa capacité à prendre des mesures disciplinaires. Ainsi, le fait que le contenu du document diffusé ait été initialement élaboré par les pouvoirs publics, et non par l’Ordre lui même, n’écarte pas son caractère anticoncurrentiel dès lors qu’il a été diffusé et érigé par l’Ordre comme la méthode de calcul de référence dans un secteur où les prix sont libres.

98.Il doit être observé, en second lieu, ainsi que la décision attaquée y a procédé au paragraphe 349, que le guide de la MIQCP a été élaboré par les pouvoirs publics

« à l’attention des maîtres d’ouvrages publics », soit les personnes publiques clientes des architectes, et non celle des maîtres d’œuvre. En proposant des indications quant à la méthode de calcul des honoraires de maîtrise d’œuvre, il a vocation à fournir aux maîtres d’ouvrages publics une grille d’aide à la détermination individuelle d’une rémunération adaptée au projet envisagé, et non à imposer une grille tarifaire pour l’ensemble des professionnels concernés. Ce guide MIQCP n’est pas destiné aux maîtres d’œuvre, qui doivent rester libres de pratiquer des tarifs différenciés et ainsi permettre au jeu de la concurrence de s’exercer au bénéfice des maîtres d’ouvrage publics.

99.En érigeant ce document en référence pour le calcul des honoraires d’architectes, et en publiant, ainsi qu’il est décrit au paragraphe 220 et suivants de la décision attaquée, un mini guide sur le même sujet pour les besoins de sa communication institutionnelle, l’Ordre a donc détourné le guide MIQCP de son usage initial afin de rendre obligatoire, pour ses membres, une méthode de calcul des honoraires destinée à maintenir les prix à un niveau qu’il estimait satisfaisant.

100.L’Ordre n’est donc pas fondé à se prévaloir du fait que le contenu du document diffusé a été initialement élaboré par les pouvoirs publics, cette circonstance n’étant pas de nature à écarter le caractère anticoncurrentiel de sa diffusion dès lors qu’il vient d’être démontré que les pouvoirs publics n’en ont jamais imposé l’application et qu’il vient d’être démontré que l’Ordre en a détourné l’usage.

2. Sur le lien instauré entre le non-respect des recommandations relatives au montant des honoraires et la violation des dispositions relatives aux offres anormalement basses

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101.Il ressort des éléments recueillis au cours de la procédure que les consignes de l’Ordre en matière d’honoraires ont été justifiées par ce dernier par la nécessité de se prémunir contre les offres anormalement basses (ci-après les « OAB »), alors qu’il n’entre pas dans sa mission d’encadrer le processus de présentation d’offres soumises aux règles du code des marchés publics.

102.Comme il sera démontré dans la partie III subséquente, une confusion a été entretenue par l’Ordre entre, d’une part, les obligations déontologiques des architectes, auxquelles ont été assimilées le Guide de la MIQCP et, d’autre part, le respect de la législation encadrant les marchés publics notamment relative aux OAB.

103.L’article 18 du code de déontologie des architectes exige des architectes que la concurrence entre confrères ne se fonde que « sur la compétence et les services offerts aux clients » et qualifie d’actes de concurrence déloyale prohibés « toute tentative d’appropriation ou de détournement de clientèle par la pratique de sous-évaluation trompeuse des opérations projetées et des prestations à fournir », l’Ordre peut ainsi être amené à examiner la plainte d’un architecte concernant les conditions dans lesquelles un confrère lui fait concurrence.

Ce texte n’investit pas pour autant l’Ordre du pouvoir de s’immiscer dans une procédure d’appel d’offres, régie, notamment, par les règles définies par le code des marchés publics.

104.À cet égard, l’article 55 du code des marchés publics prévoit, lorsqu’une offre paraît anormalement basse, que le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu’il juge utiles et vérifié les justifications fournies par le candidat. Pour apprécier si l’offre de l'attributaire est anormalement basse, le pouvoir adjudicateur ne se fonde pas sur le seul écart de prix avec l’offre concurrente, mais doit rechercher si le prix en cause est susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. Une voie de recours, le référé pré-contractuel, est par ailleurs ouverte au candidat évincé pour contester, le cas échéant, la régularité de l’attribution du marché.

105.Si ces deux textes mettent en cause la sous-évaluation des prix, ils n’autorisent l’Ordre à intervenir ni dans l’élaboration des prix ni dans le processus de mise en concurrence, en influant sur le niveau des tarifications proposées, et répondent à des finalités propres.

106.Par suite, l’Ordre n’était pas fondé à faire d’amalgame entre les actions dont il peut être saisi, portant sur des actes de concurrence déloyale entre architectes, et les procédures destinées à exclure les offres anormalement basses qui compromettent la bonne exécution d’un marché public, dont il ne connaît pas.

107.Cette confusion est d’autant moins admissible que l’article 19 du code de déontologie des architectes dispose que « toute manœuvre ou pression de nature à porter atteinte à sa liberté de choix d'un maître d'ouvrage ou à infléchir sa décision sont interdits ».

108.La rémunération des architectes en matière de maîtrise d’ouvrage publique est par ailleurs librement débattue entre les parties, en application de l’article L.410-2 du code de commerce aux termes duquel « les prix sont librement déterminés par le jeu de la concurrence », ce secteur d’activité ne faisant pas l’objet de dispositions dérogatoires.

109.Il n’entre donc pas dans la mission de l’Ordre de s’immiscer dans une relation contractuelle, de porter atteinte à la liberté de choix du maître d’ouvrage ou chercher à infléchir sa décision.

110.Sous couvert du respect des règles déontologiques précitées et en s’appuyant sur l’obligation de respect des règles relatives aux OAB, l’Ordre a ainsi tenté, par sa communication institutionnelle, d’imposer la méthode de calcul d’honoraires du guide de la MIQCP aux architectes, en lieu et place d’une fixation libre du prix des prestations selon leurs coûts réels.

3.Sur le caractère obligatoire de la méthode de calcul des honoraires de maîtrise d’œuvre

(20)

111.Il a été précédemment rappelé, une recommandation émanant d’un ordre professionnel portant sur les prix peut constituer une restriction par objet, indépendamment de son caractère obligatoire ou non. Telle est bien la situation des diffusions reprochées, dans le contexte qui vient d’être décrit. Ce n’est donc qu’à titre surabondant que leur caractère obligatoire sera examiné.

112.En l’espèce, les instances ordinales ont diffusé à leurs membres des documents préconisant de suivre le guide de la MIQCP pour calculer les honoraires en matière de maîtrise d’œuvre. Comme il sera plus amplement démontré dans la partie III subséquente, la méthode de calcul des honoraires issue du guide de la MIQCP était présentée de fait comme obligatoire à l’égard des architectes. L’Ordre ne s’est pas contenté de diffuser ce document, mais a, ainsi qu’il ressort notamment des paragraphes 128, 154, 173 et 197 du présent arrêt, enjoint à ses membres de s’y référer, sous peine de poursuites disciplinaires et a multiplié les mesures de contrôle des prix pratiqués par ses membres à travers des procédures pré-disciplinaires et disciplinaires.

113.La circonstance que la diffusion du guide n’ait pas généré davantage de « contentieux ordinal » est inopérante, dès lors que, comme il sera démontré dans la partie III, le simple fait pour les conseils ordinaux de procéder à un examen des circonstances de réalisation et de chiffrage de l’offre suffit à caractériser une mesure de « police » à l’égard des architectes.

114.Le fait que certains architectes n’aient pas systématiquement appliqué la méthode préconisée par ce guide, ou que les procédures disciplinaires n’aient pas abouti, est par ailleurs sans incidence sur la qualification en cause, la circonstance que ces consignes aient été plus ou moins respectées relevant de l’analyse des effets de la pratique et non pas de son objet.

115.En érigeant cette méthode de calcul en référence, et en menaçant les membres de la profession de procédure disciplinaire en se référant au non respect de cette méthode, l’Ordre a ainsi cherché à imposer aux architectes et sociétés d’architecture une fixation de leurs honoraires selon une fourchette suggérée, sans prendre en considération leurs coûts effectifs individuels.

116.Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que le moyen tiré de l’absence d’objet anticoncurrentiel de pratiques mises en œuvre dans le secteur des marchés publics de maîtrise d’œuvre pour la construction d’ouvrages publics, dans le cadre d’une association d’entreprises, consistant en la diffusion d’une méthode de calcul des honoraires à l’ensemble de ses membres afin d’imposer cette méthode et en mesures de contrainte auprès des architectes et de leurs clients, n’est pas fondé.

III. SUR LES PRATIQUES VISÉES AUX GRIEFS N° 1 À 5

117.La décision attaquée a relevé quatre pratiques, mises en œuvre au niveau des CROA, dans les régions Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur, et un cinquième mis en œuvre au niveau du CNOA.

A. Sur les pratiques mise en œuvre dans la région Hauts-de-France (1 grief)er 118.La décision attaquée, en son article 1, dit qu’il est établi que l’Ordre a enfreint les

dispositions de l’article 101 paragraphe 1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce en mettant en œuvre une décision d’association d’entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d’honoraires à l’ensemble des architectes de la région Hauts-de-France depuis septembre 2013.

119.À l’appui de son recours, l’Ordre considère, en premier lieu, que la diffusion de la lettre d’information n°30 de septembre 2013 et de la charte « Améliorer, simplifier, réussir » d’août 2013 ne saurait revêtir un objet anticoncurrentiel. Ces documents ne contiendraient

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