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Opérationnalisation de la recherche

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Academic year: 2021

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Introduction

Les quartiers populaires ont fait l’objet d’une attention renouvelée au cours des dernières décennies, tant sur le plan scientifique que politique – démontrant à nouveau la perméabilité des deux sphères sociales. Dans le vocabulaire scientifique, ont ainsi éclos des notions telles que « quartiers d’exil » (Dubet et Lapeyronnie, 1992), « de relégation », « en difficulté », « sensibles » ou encore

« d’exclusion ». Comme le notent Bacqué et Sintomer (2002, p. 31), « le quartier des sciences sociales est avant tout un quartier populaire ». De nombreux ouvrages et articles ont été écrits sur les quartiers populaires. En effet, ceux-ci ont vécu de multiples transformations, notamment par la réduction de la proportion de leur composante ouvrière ou par leur ségrégation, ou encore leur marginalisation sociale et spatiale par rapport au reste de la ville. La production scientifique sur ces quartiers a été d’autant plus grande que la demande politique et sociale était importante. En effet, parallèlement, les quartiers populaires ont fait l’objet d’un traitement politique. Les politiques publiques ciblant ces quartiers sont le plus souvent présentées comme une réponse aux troubles qui agitent ponctuellement ces quartiers. Bien qu’ils ne soient pas les seuls ciblés, les quartiers qui ont été le théâtre d’émeutes urbaines font l’objet de ces politiques de lutte contre la dualisation socio- spatiale. En effet, la multiplication des émeutes urbaines dans de nombreuses villes européennes dans les années 1980 a engendré la création de politiques socio-urbaines. Aux Etats-Unis, ce type de politique publique avait été lancé un peu plus tôt pour formaliser l’abandon des politiques de ségrégation des Noirs par les Blancs (Kirszbaum, 2008 b). Dans les années 1970, les Community Development Block Grants sont créés (Dansereau et Germain, 2002). Dans les années 1980, elles seront considérablement réduites à la suite des coupes dans les dépenses budgétaires opérées sous la présidence de Ronald Reagan. Par la suite, des villes qui n’avaient pas connu de tels épisodes de violence ont elles-mêmes tenté de prévenir l’émergence de tels incidents par la création de politiques publiques similaires. Deux décennies plus tard, ces politiques publiques sont toujours en place, en ce compris en Europe.

Deux décennies plus tard, ces politiques sont le plus souvent encore en place. En 2009, Freddy Thielemans, bourgmestre de Bruxelles-ville, se prononçait sur l’utilité et l’importance de la Politique Fédérale des Grandes Villes (PFGV), une politique dont la survie est menacée soit de disparition, soit de régionalisation, et dont le sort est au menu des négociations pour la réforme de l’Etat belge : « Il faut continuer car ces politiques ont un impact réel sur la ville. Que ce soit à Berlin, New York ou Bruxelles, nous parlons la même langue : c’est le même type de problèmes que les villes modernes rencontrent actuellement »1. Ce type de déclarations montre à la fois que les villes rencontrent des problèmes similaires et qu’elles tentent d’appliquer des politiques publiques similaires en réponse à des problèmes similaires, en l’occurrence les problèmes socio-urbains.

L’adoption de ces politiques publiques laisse entrevoir une certaine uniformisation de l’action publique dans ce domaine qu’il convient d’interroger au moyen de la comparaison. En termes d’analyse des politiques publiques, la diffusion de ces politiques publiques socio-urbaines renvoie non seulement aux problématiques de la diffusion, des transferts, mais aussi celles de l’homogénéisation et de la convergence de l’action publique à l’échelle internationale. Saint-Martin (1999, p. 87) note ainsi qu’ « à l’ère de la mondialisation, de l’Internet et de la nouvelle société de

1 MEULDERS, Raphaël, 2008, « Des projets de ville en danger », in La Libre Belgique, Jeudi 23 octobre 2008, p. 38.

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l’information, les idées franchissent les frontières nationales comme si ces dernières n’existaient pas et voyagent de plus en plus rapidement à travers le globe ». C’est pourquoi l’un des objectifs de cette thèse sera d’analyser la convergence que produisent la circulation et la diffusion de slogans et de recettes de l’action publique.

En outre, ce type de politiques publiques socio-urbaines représente un phénomène social et politique nouveau à plusieurs égards. Si leur diffusion attire notre attention, elles présentent des spécificités dans leur contenu et leurs modes d’intervention. Du point de vue de leur contenu, ces politiques publiques visent à gérer les problèmes socio-urbains. Ceux-ci recouvrent un large spectre de secteurs d’intervention publique et de demandes sociétales. En effet, on retrouve des problèmes relatifs à la cohabitation intergénérationnelle et interculturelle, à la sécurité, à la propreté, à la dégradation des équipements collectifs, à la pauvreté et à l’exclusion sociale de franges grandissantes de la population, etc. (Le Galès, 2011, p. 503). Ainsi, les politiques socio-urbaines se donnent des objectifs analogues, tels que la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le rétablissement de la proximité, la cohésion sociale, mais aussi l’amélioration des infrastructures collectives et de l’environnement urbain. Selon Le Galès (2011, p. 502), ces politiques publiques sont caractérisées par une variété de contenus et d’objectifs. La diversité des intitulés donnés à ces politiques publiques, tels que politique de rénovation urbaine, politique de revitalisation urbaine, politique de revitalisation intégrée, indique la variété des orientations et des objectifs susceptibles d’être assignés à ces politiques publiques.

Cette recherche doctorale sera plus spécifiquement centrée sur les politiques de lutte contre la dualisation socio-spatiale, qui constituent une forme particulière de politiques socio-urbaines. Si ces politiques publiques agissent également sur l’urbain et le social de manière territorialisée et en prônant notamment le partenariat tant entre les acteurs publics qu’entre les acteurs publics et privés et la prise en compte des particularismes locaux, elles présentent la spécificité de s’inscrire dans la recherche d’une certaine mixité sociale, de proximité, d’amélioration du cadre urbain et de lutte contre la concentration de personnes défavorisées en vue de rapprocher ces quartiers des conditions de vie moyennes en vigueur à l’échelle de la ville. La nouveauté réside dans le fait que ces nouvelles politiques publiques recourent non seulement à l’approche intégrée, mais également à de nouveaux instruments d’action publique tels que la contractualisation, le partenariat ou la territorialisation (Sala Pala, 2002). Par conséquent, elles recourent notamment au ciblage des quartiers les plus défavorisés en se fondant sur une géographie prioritaire et illustrent ainsi la spatialisation de la lutte contre la pauvreté (Poupeau et Tissot, 2005). En mettant en évidence des éléments tels que le partenariat et la contractualisation, ces politiques s’inscrivent dans un mouvement plus général visant la mutation des modes d’intervention publique. En effet, les politiques socio-urbaines trouvent leur origine dans la remise en question des politiques sociales traditionnelles gérées de façon corporatiste par l’Etat et les groupes sociaux organisés suite aux transformations du contexte global et des problèmes sociaux (Sala Pala, 2002, p. 115 ; Donzelot, Mevel et Wyvekens, 2003 ; Estèbe, 2004 b ; Tissot, 2007).

Ces politiques publiques visent à agir sur la composition sociodémographique des zones ciblées.

Elles traduisent le lien effectué entre politique sociale et territoire local (Poupeau et Tissot, 2005).

Les quartiers ou les zones géographiques restreintes se sont imposés comme échelle d’intervention et de traitement de la pauvreté et de l’exclusion sociale dans un grand nombre de villes occidentales (Dansereau et Germain, 2002 ; Donzelot, Mevel et Wyvekens, 2003 ; Estèbe et Germain, 2004 ;

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Estèbe, 2004 ; Tissot, 2007 ; Smith, Lepine et Taylor, 2007). Ces politiques publiques reposent sur la croyance en un certain déterminisme spatial de la pauvreté, un effet de quartier. Le recours à la notion de lutte contre la dualisation socio-spatiale permet de ne pas postuler a priori le contenu de ces politiques publiques, car comme nous le soutiendrons dans cette thèse, celui-ci est en grande partie déterminé par des configurations d’acteurs à l’œuvre, qui sont elles-mêmes largement le produit du contexte politique et institutionnel dans lequel ces politiques publiques sont introduites.

De plus, le recours à cette notion permet de se distancier du sens commun véhiculé par les acteurs et de leur vocabulaire usuel. Enfin, cette appellation vise à replacer ces politiques publiques non seulement dans l’analyse des politiques publiques, mais aussi dans les processus de fabrique de la ville et de l’urbain.

Une vaste littérature a été produite sur les politiques socio-urbaines pour illustrer les transformations des modes d’intervention publique dans les villes post-industrielles. Ainsi, cette littérature consultée est essentiellement francophone. L’une des raisons qui nous semble expliquer l’abondance de la production en langue française sur les politiques socio-urbaines est la profondeur de la rupture opérée par ces politiques publiques dans un Etat assez centralisé, mais aussi de la disponibilité de fonds publics permettant le financement de recherches sur ces politiques publiques afin de produire une connaissance sur leurs effets. Cette littérature met principalement en avant les transformations des problèmes sociaux (Anderson et Van Kempen, 2001), les mutations de l’Etat social (Donzelot et Estèbe, 1994 ; Estèbe, 2004 ; Tissot, 2007) et les recompositions politiques territoriales qu’engendrent ces politiques publiques (Maillard, 2004). Plus précisément, ces pans complémentaires de la littérature ont suscité des analyses sur les nouveaux métiers de la ville, sur la construction et l’impact des modes de catégorisation des problèmes sociaux sur leur traitement (Tissot, 2007), sur l’émergence de nouveaux instruments (Estèbe, 2004 ; Pinson, 2004) et d’affirmation de nouveaux acteurs dans le champ du social (Estèbe, 2004). Néanmoins, les approches comparées de ces politiques publiques sont rares. Si certaines analyses proposent des comparaisons, elles se font dans un cadre intra-national (Maillard, 2004). À quelques exceptions près, tels Moore (2001), Bacqué (et alii, 2003) ou Arnaud (2008), les travaux de comparaison internationale sur ces politiques sont peu nombreux. De fait, les mécanismes de production des différences et des similitudes avec les politiques menées dans d’autres villes européennes ou nord américaines sont peu abordés ou présentés de façon très succincte (Dansereau, 2006), sans réellement être intégrés à une explication reliant contextes politiques et institutionnels et politiques publiques2. Le rôle plus concret des structures institutionnelles et politiques dans la production de ces politiques publiques est peu mis en exergue.

Cette recherche doctorale s’intéresse donc à la relation entre le contexte politique et institutionnel et ces nouvelles politiques publiques. L’objectif principal est donc de déterminer comment ces contextes contribuent à façonner les politiques publiques à l’aide des théories néo-institutionnalistes.

Néanmoins, il sera nécessaire de considérer les changements produits par ces politiques publiques, car les théories néo-institutionnalistes ont pour défaut dans leur explication de souligner avec trop d’insistance les continuités au détriment des changements introduits que les analyses sur ces politiques publiques mettent en évidence (Mahoney et Thelen, 2010 ; PPC, 2010). Deux hypothèses explicatives très composites sous-tendent ainsi ce travail de recherche doctoral. D’une part, les

2 Nous faisons référence ici à Donzelot, Mével et Wyvekens, 2003.

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systèmes politiques et institutionnels influencent la manière dont ces politiques publiques sont mises en œuvre. D’autre part, l’introduction de ces nouvelles politiques publiques contribue à la mutation de certains aspects du système politique dans lequel elles s’insèrent. Ces politiques publiques sont donc considérées non seulement en tant que produit des structures institutionnelles et des acteurs en configurations, mais aussi en tant que vecteur de transformation des modes d’intervention publique.

Notre objet de recherche concerne les conditions de la reproduction institutionnelle, autant que celles de l’innovation institutionnelle et politique. Pour ce faire, il apparaît nécessaire de considérer autant les éléments de continuité que de transformation qui entourent la mise en œuvre de ces politiques publiques. Ainsi, notre approche intégrera à la fois l’analyse des changements et des continuités produites par ces politiques publiques. L’enjeu empirique de cette recherche est de mettre en lumière les aspects et dimensions qui évoluent et qui demeurent stables. En effet, ces politiques publiques représentent une tentative d’introduction de modes de régulation apparentés à la gouvernance. La troisième hypothèse explicative de ce travail consiste donc à postuler que ces politiques publiques s’inscrivent dans la gouvernance urbaine et donc dans une recomposition du pouvoir politique à l’échelon local. L’émergence de la gouvernance comme mode de régulation sociale et politique remet en question de nombreux aspects des régulations en vigueur jusqu’alors, notamment parce qu’elle présuppose une plus grande coordination des acteurs concernés par des enjeux et des territoires donnés, ce qui implique l’effritement des frontières entre les sphères publique et privée, entre les composantes de l’Etat et les acteurs de la société civile et une recomposition de l’exercice du pouvoir politique. Cette direction du changement amène à prendre en compte les acteurs collectifs et individuels impliqués dans la fabrique de ces politiques publiques.

L’analyse de ces politiques publiques est ainsi une façon de poser un double questionnement sur l’effet de la diffusion et de la circulation de politiques publiques et le renouvellement des processus de fabrique de l’action publique.

Nous faisons ainsi l’hypothèse qu’au-delà d’une autonomie des structures infra-municipales, il existe des styles de politiques publiques en matière de lutte contre la dualisation socio-spatiale bien différents dans les deux villes. Toutefois, par la prise en considération du contexte de départ, nous émettons également l’hypothèse que sur le moyen terme, ces politiques publiques produisent également des convergences partielles dans les politiques de lutte contre la dualisation socio- spatiale, mais aussi dans l’organisation et le fonctionnement de la gouvernance locale. Il s’agit de montrer que les grandes tendances observées dans les politiques urbaines sont travaillées autant par des logiques politiques territorialement ancrées que par la « politique des problèmes ». La comparaison montre qu’il y a une articulation entre la policy et la politics. Ce qui signifie que le système politico-institutionnel, dans lequel les politiques sont prises en considération, façonne les politiques publiques autant que celles-ci façonnent le système politico-institutionnel. Cette hypothèse repose en partie sur le fait que l’introduction de nouvelles politiques publiques de lutte contre la dualisation socio-spatiale constitue autant un faisceau d’innovations et de ruptures que de continuités dans les pratiques d’autant que la multi-dimensionnalité caractérise les politiques publiques. Ces ruptures ou continuités peuvent concerner les acteurs engagés dans la construction de ces politiques publiques, leurs modes d’interaction, les instruments utilisés, le type de ressources, etc. Par conséquent, l’analyse de la mise en œuvre des politiques publiques s’avère intéressante en vue de comprendre cette articulation et cette interdépendance entre rupture et continuité, politics et

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policy. Cette approche des politiques publiques par l’implémentation conduit à s’intéresser plus spécifiquement aux acteurs et à une dimension plus quotidienne des politiques publiques.

Pour comprendre comment les systèmes politiques façonnent ces politiques publiques et comment ces systèmes évoluent eux-mêmes avec l’introduction de ces politiques publiques, nous avons eu recours à la comparaison de deux villes. La concomitance de l’adoption de ces politiques publiques et la similitude des modes d’intervention publique proposés invitent à interroger la profondeur de l’uniformisation que ces deux phénomènes suggèrent, notamment du point de vue des acteurs mobilisés, des objectifs poursuivis et des moyens mis en œuvre. Cette recherche doctorale vise ainsi à déterminer comment des politiques publiques ciblant des problèmes similaires sont mises en œuvre dans des contextes se distinguant sur les plans politique, administratif et institutionnel. Il s’agit d’expliquer comment ces politiques publiques produisent des similarités et des différences, des convergences et des divergences, ce qui implique de considérer le contexte dans lequel ces politiques publiques ont été implémentées et ce qu’elles ont changé. La recherche de convergence et de divergence s’inscrit dans une interrogation sur le changement introduit par ces politiques. Au contraire d’une interrogation sur les styles de politiques publiques, elle donne à voir un processus temporel en évolution. Cette prise en compte de la dimension temporelle permet de souligner l’aspect non linéaire de l’introduction des politiques publiques.

Le choix des villes comparées s’est porté sur Bruxelles et Montréal. Le choix de Bruxelles apparaissait comme une évidence puisqu’elle est le siège de l’institution dans laquelle cette recherche doctorale est menée et est également celui de l’institution qui a permis le financement de cette recherche doctorale. Cette ville se transforme à un rythme saccadé, mais aussi de manière parfois surréaliste, tout en demeurant charmante et inattendue. Les années de recherche sur Bruxelles n’ont fait que renforcer cette perception de l’évolution de cette ville. Bien que n’y étant qu’une passante régulière en tant qu’étudiante d’abord, et en tant que chercheuse-doctorante ensuite, son évolution a attiré notre curiosité et nous a conduite à vouloir en savoir plus sur le pourquoi du comment. Le choix de Montréal se justifie par le fait que cette ville présente de nombreux points communs du point de vue économique, sociodémographique, urbanistique et culturel avec Bruxelles. Ceci étant, ces villes s’inscrivent dans des contextes politico-institutionnels assez différents. Alors que Montréal s’inscrit dans un système centralisé, Bruxelles s’inscrit dans un système assez décentralisé. Le choix précis de cette ville provient d’un projet de recherche comparatif entre Bruxelles et Montréal initié par Julie-Anne Boudreau de l’Institut National de la Recherche Scientifique – Urbanisation, Culture et Société de Montréal (INRS-UCS Montréal) et auquel ont participé les professeurs Annick Germain (INRS-UCS Montréal) et Andrea Rea (Germe – ULB), des chercheurs juniors3 et que nous avons rejoint au cours de sa deuxième année. Il ne faut pas oublier Serge Jaumain (CENA – ULB) qui a apporté son aide sous de multiples formes à la concrétisation de certains aspects de ce projet. Plus précisément, cette recherche doctorale s’inscrit dans la continuité de ce projet de comparaison entre les deux villes. Au-delà d’un choix qui n’a pas été directement le nôtre, nous y avons passé beaucoup de temps, ce qui a permis la construction d’un intérêt et d’une fascination tout aussi importants pour la vie politique, urbanistique et sociale montréalaise que celui que nous portons à la vie bruxelloise.

3 Nathalie Boucher (INRS-UCS Montréal), Marie-Josée Béchard (INRS-UCS Montréal), Selvi Sula (Germe – ULB), Hugo Wagner (ENTPE – INRS-UCS Montréal), Martin Rosenfeld (Germe – ULB) et nous-même.

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Opérationnalisation de la recherche

L’opérationnalisation empirique de notre problématique a été effectuée en choisissant de nous focaliser sur des quartiers ciblés par ces politiques publiques plutôt que de nous attacher à l’étude de la construction du cadre réglementaire. Il s’agit ainsi de s’intéresser à la « réception » et à l’ « appropriation » de ces politiques publiques (Hassenteufel, 2005), ce qui nous place plutôt du côté des approches par la mise en œuvre et par le bas des politiques publiques. Cette option implique d’appréhender ces politiques par le bas, c’est-à-dire de s’attacher à l’analyse du processus de construction des programmes locaux d’action sur lesquels ces politiques publiques doivent aboutir.

L’introduction de ces nouveaux instruments d’action à l’échelon local est donc au centre de cette recherche. L’objectif est de comparer les mobilisations d’acteurs engendrées par ces nouveaux instruments d’action publique. La perspective qui guide cette problématique de recherche était d’interroger l’émergence du quartier comme catégorie d’intervention et, par là, de souligner ses implications pratiques. Le quartier constitue une nouvelle catégorie d’action introduite par la gouvernance urbaine comme nouveau mode de régulation. L’objectif empirique est de déterminer comment les processus d’activation et de mobilisation d’acteurs autour de cette catégorie d’action publique varient en fonction du système politico-institutionnel. Il s’agit de voir comment se réorganise la structuration des acteurs autour de ces programmes locaux d’actions. Dans cette recherche, les processus de construction des programmes locaux d’actions permettent l’objectivation de la représentation quartier qui sous-tend ces politiques publiques et la substance des nouveaux modes d’action publique. Cet objet de recherche a été non seulement guidé par un intérêt scientifique, mais aussi par la source de financement de cette recherche doctorale. En effet, notre recherche doctorale a été financée par le programme « Prospective research for Brussels » d’Innoviris, anciennement IRSIB4, un organisme de financement de la recherche sur Bruxelles susceptible d’aider à la prise de décision et de produire de la connaissance sur les modes de gouvernement. Notre thèse de doctorat s’inscrit dans les axes « Les partenariats public-privé comme nouveaux leviers des politiques de développement en Région de Bruxelles-Capitale » et « la politique de la ville et du logement comme outil pour renforcer l’attractivité à Bruxelles » de la sélection 20075.

Nous avons considéré plusieurs politiques publiques dans chacune des deux villes et plusieurs quartiers. Ce faisant, notre comparaison devient une comparaison à plusieurs niveaux. L’analyse de plusieurs politiques publiques dans chaque ville se justifie par le fait que plusieurs niveaux de gouvernement initient ce type de politique publique dans les deux villes. À Bruxelles, les Contrats de Quartier et la Politique Fédérale des Grandes Villes sont mises en œuvre respectivement par le niveau régional et le niveau fédéral. À Montréal, nous prendrons en compte plusieurs politiques publiques. Elles émanent de deux ministères différents du gouvernement provincial. Les Quartiers sensibles et le Contrat de ville, qui succède aux Quartiers sensibles, dépendent du Ministère de l’Emploi et des Solidarités Sociales (MESS), les Quartiers ciblés et le Programme de Renouveau Urbain qui leur succède sont créés par le Ministère des Affaires Municipales et de la Métropole. Le Renouveau Urbain Intégré a été créé par la Ville de Montréal.

4 L’IRSIB est l’Institut de Recherche Scientifique et d’Innovation Bruxellois.

5 Ces axes changent lors de chaque appel à projets.

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D’autre part, nous avons effectué des études de cas autour de certains quartiers ciblés par ces politiques publiques dans les deux villes. Produit d’un processus historique, la ville est une mosaïque de configurations socio-spatiales. De ce fait, elle est composée de quartiers ayant des caractéristiques différentes, à la fois sur le plan social, spatial et sur le plan institutionnel. C’est pourquoi nous avons considéré plusieurs quartiers dans les deux villes, selon une approche inductive et qualitative fondée principalement sur des entretiens avec des acteurs clés engagés dans la fabrique des programmes locaux d’actions, sur une recherche documentaire et une revue de presse. Ces comparaisons multiples permettent de neutraliser tantôt la configuration spatiale des lieux, tantôt la configuration institutionnelle et politique des zones.

Une comparaison de quartiers similaires dans les deux villes afin de neutraliser les effets des facteurs spatiaux, démographiques et commerciaux. Nous avons ainsi choisi deux types de quartier.

Les premiers sont Parc-Extension à Montréal et Cureghem à Bruxelles. Ce sont des quartiers multiethniques et de transit dont l’enclavement social est renforcé par un enclavement physique.

Ensuite, il s’agit de comparer des quartiers devenus récemment des quartiers commerciaux branchés et connaissant une gentrification résidentielle : Dansaert et Saint-Jacques. Tentant d’agir sur les caractéristiques spatiales de la pauvreté, il s’agit de voir comment les acteurs locaux prennent en compte ce phénomène dans l’élaboration des programmes locaux d’action.

Enfin, nous avons également sélectionné des quartiers dont la composition économique, démographique et sociale est assez proche de celle de Cureghem et Parc-Extension, mais se situant dans des entités locales différentes. Par ailleurs, ces deux quartiers supplémentaires sont localisés dans les mêmes entités locales que les quartiers en voie de gentrification. Ainsi, Anneessens est situé dans la même commune que Dansaert et jouxte ce quartier. De même que le quartier Sainte-Marie est contigu à Saint-Jacques et est situé dans la même municipalité. Le choix de ce type de quartier permet de déterminer, d’une part, dans quelle mesure les structures institutionnelles locales influent sur les processus d’élaboration de ces programmes locaux et, d’autre part, comment les acteurs locaux traitent les dimensions spatiales différentes, ou encore d’identifier des différences de configuration d’acteurs.

Notre démarche empirique est largement qualitative et inductive. Cette approche inductive se justifie par le fait que si l’on pouvait formuler des hypothèses générales sur l’existence de changements et de continuité, il s’avérerait impossible de formuler des hypothèses plus concrètes en un nombre limité. En effet, la densité institutionnelle et la conjoncture politique rendent le comportement des acteurs imprévisibles. En outre, ces politiques publiques étant processuelles, elles instaurent un cadre d’interactions entre les acteurs et, de ce fait, introduisent de nouveaux rapports entre les acteurs. Enfin, les apports de la comparaison ont permis d’interroger des phénomènes qui n’avaient pas été marquants jusque-là. L’approche inductive dans la comparaison permet de faire émerger des faits et des phénomènes inattendus. L’approche qualitative se justifie par la nature de notre objet de recherche et la problématique dans laquelle nous l’inscrivons. Avant d’aboutir à la définition de styles de politiques publiques et de convergence, ou d’identifier le degré d’autonomie de l’échelon infra-municipal, nous procéderons à des monographies sur les quartiers sélectionnés en dessinant un bref portrait de ces quartiers et en mettant en lumière les configurations d’acteurs qui prévalaient avant l’introduction de ces politiques publiques. Ensuite, nous avons tenté de retracer les différentes phases et interactions qui mènent la production de ces programmes locaux d’actions.

Enfin, nous avons comparé la façon de gérer les politiques publiques dans chaque quartier. Cette

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perspective d’analyse centrée sur la mobilisation des acteurs conduit à privilégier les méthodes qualitatives et des approches liées à la mise en œuvre des politiques publiques, ce qui nous a mené notamment à employer la méthode dite du processus tracing, méthode consistant à retracer les différentes étapes du processus décisionnel à travers non seulement d’entretiens semi-directifs avec les acteurs clés de ces processus, mais aussi à l’aide d’une recherche documentaire et d’observations ponctuelles (Hassenteufel, 2008, p. 77). Cette méthode permet de déterminer le rôle de chaque acteur, ses ressources à chaque étape, mais également ses représentations. D’autre part, le recours à la comparaison présente l’avantage de poser la question de l’absence de certains acteurs et d’interroger leurs comportements.

Présentation des chapitres

Dans la première partie, nous nous attacherons à expliciter plus en détail les différents aspects de notre problématique. Dans le premier chapitre, il s’agit de comprendre l’origine de ces politiques de lutte contre la dualisation socio-spatiale. À travers un parcours de la littérature sur les politiques urbaines et la mixité sociale, nous montrerons comment ces politiques publiques sont progressivement entrées à l’agenda politique à la suite des restructurations du système de production économique. Ensuite, nous nous intéresserons aux objectifs poursuivis par ces politiques publiques.

Dans le deuxième chapitre, nous présenterons le cadre d’interprétation de nos résultats. Ainsi, nous considérerons l’utilité d’un questionnement en termes de gouvernance pour analyser les processus de construction de ces politiques publiques. Dans une perspective comparative, nous montrerons également l’intérêt d’un questionnement en termes de styles de politiques publiques. En outre, nous examinerons les mécanismes de production des différences. Partant de deux contextes politiques, administratifs et institutionnels différents, il s’agit de déterminer dans quelle mesure ces politiques publiques sont susceptibles d’introduire des ruptures, ou au contraire, de produire des continuités.

Cette approche s’inscrit dans la recherche de convergences entre les politiques publiques menées à Bruxelles et Montréal et l’analyse des effets de la circulation et de la diffusion des recettes de politiques publiques. Notre troisième chapitre est consacré à la précision de notre démarche comparative. Il s’agit d’expliciter et de justifier les différents aspects du protocole de l’enquête empirique, à la fois au regard d’une approche comparative et de notre objet de recherche, mais aussi au regard d’une approche principalement qualitative et inductive.

Dans la deuxième partie, nous présenterons les résultats de nos enquêtes de terrain sous forme de monographies consacrées à nos études de cas. Nous privilégions ainsi une entrée par les études de cas plutôt que par les variables pour la présentation de nos résultats. Cette option permet de mettre en lumière la singularité des processus de construction de ces politiques publiques dans chaque quartier, avant de produire une analyse plus généralisante sur les différentes phénomènes à l’œuvre à partir des questions composant notre problématique.

Dans la troisième partie, nous exposerons la synthèse de nos résultats par un essai de réponses aux questions à la base de ce travail doctoral. Dans un premier temps, nous montrerons quelles sont les marges de manœuvre des entités infra-municipales dans les deux villes à travers la comparaison de nos monographies. Cette démarche vise à déterminer l’impact des acteurs dans le processus de construction des politiques publiques. La comparaison met ainsi en évidence les marges dont les acteurs disposent, mais aussi le poids de leurs interprétations et de leurs pratiques personnelles et

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collectives. Ensuite, nous présenterons les différentes caractéristiques de ces politiques publiques.

Ces styles de politiques publiques constituent les différences entre les politiques publiques menées à Bruxelles et Montréal. Nous nous concentrerons ensuite sur l’explication de ces différences et sur les mécanismes de production de ces différences à partie des théories du néo-institutionnalisme historique. Ainsi, notre explication alliera une approche liant acteurs et structures institutionnelles, agency, institutions et contextes. Enfin, les convergences entre les politiques publiques en matière de lutte contre la dualisation socio-spatiale conduites à Bruxelles et Montréal seront établies.

Dans notre conclusion, nous ouvrirons une réflexion sur l’articulation entre les niveaux micro, méso et macro dans la compréhension des changements dans les modes d’action publique, ainsi que sur l’articulation entre politics et policy. Après la conclusion, nous présentons la bibliographie des ouvrages et articles consultés, ainsi que la liste des personnes interrogées à Bruxelles et Montréal.

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