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M I N I-SYNTHÈSE
médecine/sciences 1991 ; 7 : 378-9R
etard mental avec X fragile : une empreinte
très localisée, étroitement liée
l'expression clinique
,. .
genom1que
...a
Un pas décisif [ 1 ] vient d'être accom pli, concernant l'analyse moléculaire et la compréhension du retard men tal avec X fragile, la plus fréquente des maladies liées au chromosome X (un garçon atteint sur 1 500) [2]. La
« course au gène >> menée par un
nombre croissant de laboratoires, selon les stratégies de la « génétique
inverse , [2, 3] approche de son terme. Mais, surtout, les résultats obtenus dans notre laboratoire et rap portés par Vincent et al. [ 1 ] indiquent qu'une modification épigénétique très localisée de l 'ADN (empreinte géno mique par méthylation) joue un rôle capital dans l'expression de la mala die et laissent entrevoir de nouvelles possibilités de diagnostic moléculaire de la maladie, qui pourraient rempla cer l a délicate analyse cyto génétique.
Notre équipe était engagée depuis 1 983 dans la « pêche '' et la caracté risation de sondes proches du site fra gile, localisées par cartographie géné tique (études de liaison de marqueurs polymorphiques dans des familles) et cartographie physique (utilisation de panel de cellules comportant des cas sures du chromosome X dans la région Xq27-q28 , électrophorèse en champ pulsé) (pour une revue des stratégies utilisées, voir [2, 3]). C 'est ainsi que plusieurs sondes polymor phiques ont été récemment isolées et localisées dans les deux régions qui apparaissaient les plus proches du locus X fragile [ 4] . L'une d 'entre elles, Do33 (DXS465), a été obtenue par la combinaison de deux techni ques récentes : l'amplification de séquences inter Alu (Alu-PCR) réa lisée à partir d'un hybride somatique « réduit , par i rradiat ion aux rayons X. Cette sonde a été utilisée par Vincent et al. dans des expérien ces de cartographie de grands frag ments de restriction, par électropho rèse en champ pulsé, dans le but de
comparer l'organisation de la région chez des sujets normaux et des patients avec X fragile. Des différen ces spectaculaires ont été observées en utilisant les enzymes de restriction BssHII , Sadi et Eagl . La sonde Do33 détecte un fragment BssHII de 620 kilobases chez les sujets nor maux. Le fragment est absent chez la grande majorité des 2 1 patients (mâles) examinés, remplacé par un fragment de taille supérieure à 1 500 kilobases. Cela aurait pu sug gérer l'existence d'un réarrangement génomique ( très grande insertion ou délétion d'un segment contenant un site BssHII). Toutefois, cette inter prétation est contredite par le fait que certains patients ont un fragment de 620 kb présent, mais avec un dosage très diminué, et surtout quatre mâles normaux transmetteurs (mâles dont l'analyse familiale permet de démon trer qu 'ils portent la mutation, mais qui n'ont pas d'expression clinique ou cytogénétique) montrent la pré sence d'un fragment de taille et d'intensité normales. L'anomalie détectée ne peut donc pas correspon dre à la mutation. Des observations similaires ont été faites pour les enzy mes Sadi et Eagl. Or les trois enzy mes utilisées comportent des dinu cléotides CpG dans leur site de reconnaissance et sont inhibées par la présence de cytosine méthylée au niveau de ce site (ces sites sont par ailleurs rencontrés préférentiellement dans les « îlots CpG "• qui marquent souvent l'extrémité 5 ' de gènes) [5]. Les anomalies observées peuvent donc s'expliquer par la méthylation d'un ilôt CpG proche de la sonde Do33, étroitement liée à l 'expression phénotypique de la maladie. Il faut rappeler en outre que les îlots CpG, présents sur le chromosome X, sont non méthylés sur le chromosome X actif, mais sont méthylés sur le X inactif [6] . La méthylation observée
chez les patients pourrait donc s'interpréter comme une inactivation localisée du chromosome X. Cela est en accord avec une hypothèse très séduisante élaborée à partir de 1987 par Charles Laird [ 7 , 8], un généti cien de drosophile de Seattle (W A, USA), hypothèse qui n'avait pas reçu jusqu'ici de confirmation indépen
dante.
Afin d'expliquer les anomalies de ségrégation caractéristiques du syndrome X fragile [2, 9] , Laird avait proposé que la mutation X fra gile qui agit en cis bloque localement la réactivation d'un chromosome X précédemment inactif (une femme possède un X actif et un X inactif, mais préalablement à l'oogenèse , le X inactif est réactivé) . L'expression de la maladie ne serait obtenue que si le chromosome muté passe par un cycle d'inactivation et de réactivation incomplète, entraînant une altération épi génétique (empreinte génomique ou tatouage). Un mâle normal trans metteur serait donc porteur d'un X non tatoué, ainsi que ses filles vec trices obligatoires de la mutation. A la génération suivante, au contraire ,
1 'expression cytogénétique et clinique est réalisée chez les enfants ayant hérité de la mutation sur un chromo some « tatoué '' (précédemment inac tif) * . En combinant les résultats de Vincent et al. , et l'hypothèse de Laird, on peut proposer le schéma suivant, qui reste cependant à démontrer.
Le site fragile serait, selon Laird
• " En fait, selon cette hypothèse, seulement 50 %
des mâles porteurs dt la mutation seraient clinique ment atteints, ct qui contraste avec la pinétranct de 80 % déduite des études épidimiologiques (9]. Laird, dans un argument très élaboré (8}, propose que cette contradiction apparente serait due à l 'existence dt seu lement deux cellules proginitrices des oogonits, au moment où l 'inactivation du X est établit, ainsi qu 'à un biais d'observation (les fratries comportant des mâles nonnaux transmetteurs mais pas de mâles cli niquement atteints n 'étant en général pas étudiées).
[ 10], une région à réplication tardive
(comme 1 'est le chromosome X inac- du site fragile, sera d'un très grand X, la méthylation, et la constitution
Carence en désoxynucléotides Inactivation du X
-
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tif) . La carence en désoxynucléotides imposée par le milieu de culture entraînerait, dans certaines cellules, une réplication incomplète et une ano
malie de condensation de la chroma tine (le site fragile). Le phénotype cli nique serait dû à l'inhibition du ou
des gènes flanquant 1 'îlot CpG
méthylé. Toutefois, il est également possible que l'expression in vivo du site fragile (dans des cellules ayant un pool limitant de désoxynucléotides) pour rait participer à l'expression clinique comme suggéré par Warren [ 1 1 ] . La région qui contient les sites CpG anormalement méthylés a été récem ment clonée dans notre laboratoire [ 1 2] sous forme de chromosome arti ficiel de levure (Y AC) [ 1 3] par cri blage de la banque de Y ACs cons truite au Centre d'étude du polymor phisme humain (CEPH) [ 1 4] . L'analyse par hybridation in situ con firme que ce clone Y AC contient effectivement le site fragile (ainsi d' ailleurs que les séquences corres pondant aux points de cassure chro mosomiques engendrés par induction du site fragile [2, 15]) et indique que la région de chromatine décondensée a la même position chez différents patients, et ne couvre pas plus de 1 00 à 200 kb. L'utilisation des séquences clonées va permettre de rechercher et de caractériser les mutations à l 'origine de la maladie (la haute fréquence du syndrome X fragile conduit à penser que le taux de mutation est encore plus élevé que pour la myopathie de Duchenne, et il pourrait s'agir d'une région· très instable), et d' identifier le ou les gènes impliqués dans l'expression cli nique. L'étude des mécanismes molé culaires reliant la mutation, l 'inhibi tion supposée de la réactivation du
mis n° 4, vol. 7, avril 91
l'expression de
+
Expressiongènes(s) voisin(s) clinique
intérêt fondamental, mais risque d'être longue. Par ailleurs, il est par faitement envisageable d'utiliser des sondes de l'îlot CpG pour détecter, par Southern blot, la méthylation des sites de restriction et diagnostiquer très simplement la maladie. Il faut
rappeler en effet que 1 ' analyse cyto
génétique est très délicate et lourde, car il faut des conditions de culture spéciales, l'analyse d'un grand nom bre de mitoses, etc . [ 2 ] . Une méthode peu coûteuse et rapide per mettrait un diagnostic plus précoce et plus systématique chez des enfants atteints de retard mental et donc un conseil génétique plus efficace. Sur le plan du diagnostic prénatal, ces nou velles possibilités apporteront peut être un éclairage nouveau à un pro blème éthique difficile. En effet, il est actuellement possible de savoir, grâce à une étude familiale utilisant des marqueurs polymorphiques, si un fœtus (mâle ou femelle) a hérité de la mutation. Or seuls 80 % des gar çons et 30 % des filles porteurs de cette mutation ont un retard mental (moins marqué chez les filles). Il n 'existe jusqu' ici aucune possibilité de prédiction, et notamment pour les filles se pose, de manière délicate, le problème d'une éventuelle interrup tion de grossesse face à ce risque de 30 % . Si les anomalies de méthyla tion sont retrouvées au niveau de l'ADN de villosités choriales, cela pourrait fournir une base prédictive quant à l'expression clinique, qui serait fondée toutefois uniquement sur des études rétrospectives et non sur des études prospectives.
De nombreuses équipes travaillent actuellement sur les aspects molécu laires du retard mental avec X fra gile, et disposent également de
cio-nes YAC . On peut s 'attendre, dans les prochains mois, à des nouvelles importantes, et peut-être surprenan tes, concernant ce syndrome.
Isabelle Oberlé Jean-Louis Mandel
Cnrs et Inserm U. 184, Institut de chi mie biologique, 11, rue Human, 67085 Strasbourg Cedex, France.
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