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Développement rural en Afrique tropicale

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Academic year: 2022

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bulletin de la société neuchâteloise de

géographie

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18 NOV. 1988

Développement rural en Afrique tropicale

Frédéric Chiffelle éditeur

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Numérisé par BPUN

(3)

bulletin de la société neuchâteloise de

géographie

Développement rural en Afrique tropicale:

stratégies et pratiques

Frédéric Chiffelle éditeur

233 SOCS (cý; fýýI t{,., -n

4056, u4S-A, 3"

Actes du Colloque organisé à Neuchâtel les 14 et 15 novembre 1986

Numérisé par BPUN

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Numérisé par BPUN k

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3

(ABLE DES MATIERES

LISTE DES CONFERENCIERS

INTRODUCTION

Frédéric CHIFFELLE

TABLE DES MATIERES

Page 3

5

7

ýý L

Géographie du maldéveloppement en

Afrique tropicale : diagnostic et remèdes 11 René DUMONE

Pour l'Afrique, j'accuse.

Le Sahel en voie de perdition ? 27

Pascal FELLAY

Expériences de développement rural

en Afrique orientale 45

François JEANNEREI et Pierre CLERICI

, '!

Pour une éducation au développement :0

le Tiers Monde s'enseigne-t-il ? 67 N'dri OUATA

Problématique du développement rural

en Côte d'Ivoire 77

Gilles SAUT FER

Le développement rural côté cour :

le poids des articulations locales 101 Gérard VIATTE

L'Afrique dans le contexte

agro-alimentaire mondial 127

4O3 . yy2)

Numérisé par BPUN

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Numérisé par BPUN À

(7)

LISTE DES CONFERENCIERS

AU COLLOQUE DES 14 et 15 NOVEMBRE 1986:

DEVELOPPEMENT RURAL EN AFRIQUE TROPICALE

M. Frédéric CHIFFELLE Professeur

Institut de géographie Université de Neuchàtel CH - 2000 NEUCHATEL

038/ 21 31 81

M. Pierre CLERICI

Service Ecole Tiers-Monde 10, chemin des Epinettes 1007 LAUSANNE

021 / 26 84 33

M. René DUMONT

Ingénieur agronome 2, Av. Roosvelt

F- 94 120 FONTENAY-SOUS-BOIS 0031/ 48 73 34 61

M. Pascal FELLAY

Chargé de programme

section Afrique orientale

Direction de la coopération au développement et de l'aide humanitaire (DDA)

CH - 3003 BERNE

031/ 61 34 31 ou Intercoopération 031/ 21 12 61

M. François JEANNERET Professeur

Institut de géographie Université de Neuchâtel 2000 NEUCHATEL

038 / 21 31 81

Numérisé par BPUN

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M. N'Dri OUATA Professeur

Institut de géographie tropicale

Université d'Abidjan, Côte d'Ivoire 08 BP 863 Abidjan - 08

43 90 00 - P/ 3392 3440

M. Gilles SAUTTER

Professeur à l'Université de Paris I Sorbonne

4, Rue Alfred-Nomblot

F- 92340 BOURG-LA-REINE 00331/ 47 02 53 03

M. Gérard VIATTE Directeur Adjoint

Direction de l'Alimentation et de l'Agriculture

OCDE

2, Rue André-Pascal

F- 75 775 PARIS CEDEX 16 00331/ 45 24 82 00

Numérisé par BPUN

(9)

-7-

INTRODUCTION

Frédéric CHIFFELLE

Professeur

Institut de géographie Neuchâtel, Suisse

L'Institut de géographie de l'Université de Neuchâtel effectue une part importante de sa recherche dans le domaine de la géographie rurale. Il l'avait fait jusqu'ici principalement

dans les pays industriels d'Europe et d'Amérique du Nord. Il a étendu son champ d'investigation aux pays du Tiers-Monde et en particulier à l'Afrique afin d'approfondir sa connaissance des processus de transformation des campagnes saisies à divers stades d'évolution. Nous connaissions relativement bien ces processus en milieu tempéré industriel. Il nous fallait donc accroitre nos contacts et nos recherches en milieu tropical.

Nous avons choisi de le faire en Afrique en raison du caractère particulièrement aigu des problèmes de développement rural sur ce continent. Alors que certains pays d'Asie du Sud-Est ou d'Amérique latine accèdent au stade de pays intermédiaires (Corée du Sud, Formose, Singapour par exemple),

l'Afrique tropicale demeure caractérisée par les signes les plus évidents du sous-développement; parmi les quarante pays

les plus pauvres, une trentaine sont africains; alors que certains pays d'Asie du Sud-Est deviennent exportateurs de produits alimentaires (la Thaïlande régulièrement et l'Inde parfois), l'Afrique sub-saharienne importe une part croissante des céréales qu'elle consomme; enfin, le taux de fécondité

Numérisé par BPUN

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s'est abaissé à4 enfants par femme en'moyenne aussi bien en Asie du Sud-Est qu'en Amérique latine alors qu'il demeure le

plus élevé en Afrique (plus de 6 enfants par femme). On peut encore se poser la question de savoir pourquoi il est essentiel de mettre l'accent sur le développement rural (en Afrique) alors que l'explosion des villes pourrait nous

inciter à concentrer notre attention sur le phénomène urbain.

Nous pensons que les bidonvilles sont le résultat d'un sous-développement ou d'un mal-développement des campagnes africaines qui, au travers de l'exode rural, provoque une croissance fulgurante et non maitrisée des métropoles. Il est

par conséquent essentiel de promouvoir le développement rural pour limiter la croissance des bidonvilles.

Rappelons enfin qu'en étudiant la campagne africaine on touche les 2/3 au moins de sa population, c'est-à-dire l'essentiel.

Si les chiffres sont frappants, l'essai d'explication de ces phénomènes présuppose des analyses très fines, approfondies et diversifiées. Nous participons à ce courant de recherche. Afin d'établir une sorte de bilan intermédiaire, l'Institut de

géographie a organisé un colloque sur le "Développement rural

en Afrique tropicale" qui a permis de tirer une somme importante d'enseignements sur les transformations des campagnes africaines et sur les effets des programmes de développement depuis l'indépendance des années 60, soit depuis une génération.

Le problème alimentaire de l'Afrique tropicale ainsi que la question du maldéveloppement de ce continent ont été

présentées par l'économiste Gérard Viatte directeur adjoint de la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et des pêcheries de l'OCDE et par le soussigné. Ces exposés généraux furent complétés par des analyses de cas. Le géographe Gilles Sautter, professeur à l'Université de Paris 1- Sorbonne mit

l'accent sur l'interpénétration des niveaux de décision (du

Numérisé par BPUN

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local à l'international) en l'illustrant d'exemples choisis en Afrique centrale. L'agronome René Dumont, professeur émérite à

l'Institut national agronomique de Paris insista sur les responsabilités humaines dans le processus de désertification

du Sahel. Le géographe N'dri Ouata, professeur à l'Université

d'Abidjan (Côte d'ivoire) a montré que la réussite économique de son pays sur le plan des produits d'exportation (café, cacao en particulier) avait généré des problèmes nouveaux

(destruction des forêts, exode rural et urbanisation accélérés, destructuration sociale) sur lesquels il était urgent de se pencher.

Le géographe Pascal Fellay, chargé de programme à la Section d'Afrique orientale de la Direction de la coopération au développement et à l'aide humanitaire (DDA) à Berne a expliqué

les modalités pratiques de l'aide suisse au développement en prenant le cas du Rwanda. Enfin, Monsieur Pierre Clerici,

responsable du Service Ecole-Tiers-Monde à Lausanne et Mon- sieur François Jeanneret chargé de cours de géographie physi- que et de climatologie aux Universités de Berne et de

Neuchàtel ont donné un prolongement didactique aux débats par la présentation de matériel et de méthodes pédagogiques destinés à ouvrir les élèves des écoles secondaires aux problèmes du Tiers-Monde.

La participation au Colloque fut réjouissante : quelque 300 participants, étudiants, assistants et professeurs de l'Uni-

versité de Neuchâtel, maîtres de géographie, d'histoire et de sciences naturelles des écoles secondaires de Suisse romande et du Tessin, africanistes de France et de Suisse, étudiants

et doctorants africains en Suisse, responsables d'institutions

d'aide au Tiers-Monde. Les débats ont été rendus particu-

lièrement stimulants par la confrontation des recherches, des points de vue et des expériences de vie des orateurs africains

et européens.

Numérisé par BPUN

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Signalons enfin que le Colloque a été initié et qu'il se prolongera par un programme d'échanges entre les Instituts de géographie des Universités d'Abidjan et de Neuchâtel.

Nous remercions Mlles Marie-Claire Chervet et Nicole Kessler du travail de préparation des Actes.

Frédéric Chiffelle

Directeur de l'Institut de géo- graphie et du Centre d'études

rurales (CERES)

Université de Neuchâtel, Suisse

1

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Numérisé par BPUN A

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GEOGRAPHIE DU MALDEVELOPPEMENT EN

AFRIQUE TROPICALE : DIAGNOSTIC ET REMEDES

Frédéric CHIFFELLE

Professeur

Directeur de l'Institut de géographie et du Centre d'Etudes Rurales (CERES)

Université de Neuchâtel Suisse

Précisons dès l'abord que les termes de "maldéveloppement",

"sous-développement" et "en voie de développement" s'appli-

quent strictement aux conditions économiques et non pas aux aspects culturels, tant il est vrai qu'une société économi- quement pauvre peut générer une culture d'une très grande richesse et qu'une société riche financièrement peut se signaler par une étonnante indigence culturelle.

Cette précision faite, il faut bien admettre que l'Afrique

tropicale souffre plus que toute autre partie du monde des conséquences néfastes du maldéveloppement, que sont la pénurie

alimentaire, la situation de continent dominé, la croissance incontrôlée des bidonvilles, l'insuffisance des services et équipements de tous ordres, bref toutes les formes exacerbées de tous ordres d'inégalités spatiales.

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Numérisé par BPUN

(14)

La situation n'est pas inamovible. L'Afrique tropicale peut s'en sortir. Cependant, le développement socio-économique est un processus délicat qui doit être analysé avec précision et conduit avec beaucoup de sollicitude et de délicatesse. Il ya

lieu de poser tout d'abord un diagnostic détaillé du maldéveloppement et ensuite seulement d'examiner une à une les mesures qui peuvent être prises - ou qui sont déjà en cours de réalisation. C'est ce que nous nous proposons de faire dans cet article.

I. Bilan critique de la situation alimentaire

Sur le plan alimentaire, la situation actuelle de l'Afrique tropicale est tout particulièrement défavorable par rapport non seulement aux pays industriels mais également lorsqu'on la compare aux pays en voie de développement (PVD) d'Amérique

latine et d'Asie. L'évolution récente (depuis 1970) de la production alimentaire révèle en effet un accroissement des inégalités entre ces groupes de pays.

L'écart croissant entre pays industriels et PVD est bien connu. Il peut être exprimé par toute une série d'indices;

nous retiendrons tout d'abord celui qui exprime l'accrois- sement de production alimentaire par an. Les pays industriels

atteignent un indice de 1 %, soit une augmentation de la production alimentaire plus rapide que l'accroissement de la population. L'ensemble des PVD au contraire atteint à peine 0,5 %/an, soit une augmentation moins rapide que celle de la

population. l) Il s'ensuit que les surplus alimentaires

croissent dans les pays industriels et qu'à l'inverse, la pénurie s'aggrave dans les PVD. La dépendance alimentaire du Tiers-Monde s'accroit à l'égard des pays industriels. Les principaux exportateurs de blé, de mais et de soja (USA, Canada, Australie, Marché Commun) détiennent un pouvoir considérable que d'aucuns ont qualifié d'arme alimentaire face

aux PVD qui sont les principaux acheteurs de céréales (50 % des achats de céréales

1) FAO, State of Food and Agriculture

Numérisé par BPUN

I&

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sont effectués par les PVD contre seulement 25 % par les pays de 1'OCDE - Europe et Japon surtout - et 25 % par l'URSS et

les pays de l'Est européen. )

Seuls quelques PVD peuvent supporter sans trop de mal cette dépendance à l'égard des pays exportateurs de céréales, soit les pays intermédiaires (Corée du Sud, Singapour, Indonésie p. ex. ) ou les pays pétroliers. Pour la plupart des autres, et surtout ceux de l'Afrique, la situation peut devenir rapidement intolérable (dette, blocage du développement, dépendance qui devient sujétion).

La consommation calorique est un autre indice qui permet de distinguer nettement les pays industriels (3000 à 3500 cal/personne/jour) des PVD (2000 cal/personne/jour).

La quantité et la qualité des protéines absorbées varie également fortement entre pays industriels (un total d'environ

100 grammes/habitant/jour dont environ 60 grammes de protéines animales) et les PVVD (environ 60. grammes/habitant/jour dont quelque 50 grammes de protéines végétales).

Il est inutile de multiplier les indices de développement ou de sous-développement. Ils expriment tous la même différenciation croissante entre pays industriels d'un côté et

PVD de l'autre (taux d'analphabétisme, de mortalité infantile, etc. ). Il est essentiel à ce point de notre démonstration d'attirer l'attention sur le fait que les PVD ne constituent

pas un groupe de pays homogènes et que les chiffres moyens évoqués ci-dessus estompent des différences qui sont considérables entre eux.

En comparant le bilan alimentaire et le produit national brut, on peut distinguer, en fait, 5 types de pays en voie de développement qui sont, en allant des plus favorisés aux plus défavorisés :

1. Les pays intermédiaires et de surcroit exportateurs de produits alimentaires (Argentine, Thaîlande)

Numérisé par BPUN

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2. Les pays pétroliers qui ne sont pas autosuffisants sur le plan alimentaire mais qui disposent de revenus considérables pour assurer sans peine les importations

(Lybie, Arabie saoudite dont le produit national brut/habitant est de 10 à 20 fois supérieur à celui de la plupart des pays d'Afrique ou du Sud du Sahara : Lybie,

S 8000/habitant/an contre S 600/ habitant/an en Afrique occidentale).

3. Les pays souffrant de déficit alimentaire et à revenu moyen (type Brésil: PNB d'environ $ 2000/habitant/an). Les impor- tations alimentaires sont l'une des sources d'endettement.

4. Les PVD qui souffrent à la fois de déficits alimentaires et d'un faible produit national brut par habitant (Afrique tropicale : PNB d'environ S 400/habitant/an).

5. Les pays les plus mal lotis que d'aucuns appellent le quart-monde et dans lesquels le problème alimentaire est crucial. Ils souffrent à la fois de forts déficits alimen- taires et d'un venu extrêmement faible ($ 300/

habitant/an). L'ONU a classé une quarantaine de pays dans ce groupe; or la moitié d'entre eux se trouvent en Afrique

tropicale. En fait, la plupart des pays d'Afrique tropicale se trouvent dans cette catégorie et méritent donc toute notre attention.

II. Causes de maldéveloppement

Une analyse exhaustive des causes de maldéveloppement nécessiterait plusieurs ouvrages. Nous nous bornerons donc à

l'établissement d'un inventaire critique. Insistons dès l'abord sur la multiplicité des causes et d'autre part, sur les conditions très variables d'un PVD à l'autre.

1. Causes agronomiques

Nous classons sous causes agronomiques les conditions

agricoles qui maintiennent la production alimentaire à un niveau très bas.

Numérisé par BPUN

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La structure foncière défavorable peut influer négativement sur la production agricole. Le système de métayage par exemple, dans lequel l'agriculteur doit partager la récolte

avec le propriétaire à mi-fruit ou selon des modalités encore plus défavorables au fermier, décourage généralement la recherche de productivité accrue. Bien que l'Afrique tropicale

connaisse le métayage, on ne peut pas affirmer que ce mode de faire-valoir soit une cause essentielle de maldéveloppment.

La faible productivité du sol en Afrique tropicale 1) peut être due à toute une série de causes qui sont, en plus de la structure foncière et selon les cas, l'absence de formation des agriculteurs, la qualité insuffisante des sols, le déficit

hydrique, le faible apport en engrais naturels (élevage séparé de l'agriculture), le manque de capitaux pour l'achat d'en-

grais chimiques, les pratiques culturales défavorables (surpàturage, épuisement et érosion des sols). Le caractère extensif de l'agriculture n'est d'ailleurs ni général ni

inéluctable : l'intensité de la culture des jardins de case est le plus souvent remarquable !

A la faible productivité du sol s'ajoute généralement une production animale également très peu intensive. Considérés globalement, les PVD détiennent les deux tiers du troupeau mondial de bovins mais ne fournissent qu'un tiers de la viande de boeuf et qu'un quart du lait. 2) La vache traditionnelle

d'Afrique tropicale fournit quelques centaines de litres de lait par an contre 6'000 à 8'000 litres/an dans les élevages intensifs d'Europe occidentale.

Lorsque l'espace agricole est insuffisant, la concurrence entre cultures commerciales (cacao, café par exemple) et cultures vivrières peut se traduire par la réduction de

surface de ces dernières.

Ajoutons enfin le fait que les circuits de transformation et de commercialisation des produits vivriers sont très souvent insuffisants.

1) Production généralement inférieure à 10 quintaux/ha de céréales contre 50-100 quintaux/ha en Europe occidentale.

2) FAO : State of Food and Agriculture

Numérisé par BPUN

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2. Politique intérieure défavorable à l'agriculture

Certains gouvernements de PVD ont choisi de mettre l'accent sur le développement industriel, tentant d'imiter en cela

l'Europe occidentale de la révolution industrielle ou l'Europe de l'Est d'après 1945 mais oubliant que, dans ces deux cas, le décollage industriel a été précédé et/ou accompagné d'un essor de la production agricole. Pour favoriser l'industrie,

certains gouvernements d'Afrique tropicale accordent une part démesurée des crédits d'Etat à ce secteur en fixant simulta-

nément des prix peu rémunérateurs pour la production vivrière indigène. Dans ces conditions l'exode rural est inéluctable et

le développement des bidonvilles en est accéléré.

Les citadins aisés détiennent d'ailleurs un pouvoir politique

important et contribuent à maintenir au niveau le plus bas possible le prix des produits alimentaires indigènes. Une sorte de cercle vicieux est ainsi amorcé. La production

vivrière locale ou nationale étant découragée par des prix insuffisants et/ou par l'abandon d'aliments traditionnels au profit de nourritures européennes (la baguette parisienne par exemple), certains pays importent des produits alimentaires

dans une proportion croissante. La quantité de céréales (maïs, riz et surtout blé) importée par les pays d'Afrique a décuplé dans les dix dernières années.

3. Commerce international des produits agricoles défavorable aux PVD

Ce thème, très connu, ne mérite pas que nous nous y arrêtions longtemps. Les conditions de l'échange entre pays industriels

et PVD sont globalement défavorables à ces derniers parce qu'ils sont producteurs de produits de base, souvent non transformés et qu'ils se placent par conséquent au début de la chaîne de transformation - valorisation des produits. Les pays

industriels au contraire vendent des produits finis, c'est- à-dire qu'ils ont intégré dans le prix la valeur ajoutée par

l'ensemble des transformations subies par le produit.

Ajoutons que les pays producteurs de biens de base sont souvent les concurrents les uns des autres, que les pays

Numérisé par BPUN

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industriels et plus particulièrement leurs entreprises

transnationales détiennent des monopoles d'importation et nous comprendrons la faiblesse du pouvoir de tractation des PVD, le

bas prix des produits qu'ils exportent.

Disons enfin que tous les équipements industriels sont au contraire achetés à prix élevé par les PVD qui, de surcroît,

pour l'Afrique tropicale du moins, accroissent leurs importa- tions de céréales, et nous aurons rendu compte de l'endet- tement accru du Tiers-Monde.

4. Causes démographiques de maldéveloppement

Si le croit démographique n'est évidemment pas la cause unique du maldéveloppement, il n'en reste pas moins vrai qu'une croissance démographique rapide dans un pays à développement économique lent provoque inéluctablement des phénomènes de

sous-développement. C'est bien ce qu'ont compris bon nombre de PVD qui ont réussi à réduire leur taux de natalité de 40-50 0/00 en 1950 à 20-30 0/00 actuellement, parfois même à moins de 20 0/00 (Chine : 18 0/00).

L'Afrique tropicale conserve au contraire les taux de natalité

les plus élevés du monde (48 0/00 en moyenne). Un taux de natalité aussi haut, joint à un taux de mortalité qui, lui, a baissé considérablement (18 0/00) induit un croit démogra- phique naturel incroyablement rapide (30 0/00) qui provoque le doublement de la population de ces pays en 23 ans seulement.

(Les chiffres sont respectivement de 12 0/00 - natalité -, 11 0/00 - mortalité -, 1 0/00 - croit naturel - et 729 ans - doublement de la population - pour l'Europe occidentale).

Si un accroissement de population est certes un facteur de dynamisme économique, le croit démographique trop rapide de

l'Afrique tropicale constitue au contraire un frein considé- rable qui contribue fortement au maintien du PNB très bas

(moins de $ 500/habitant/an) mentionné ci-dessus. Une politique de limitation des naissances (3-4 enfants par femme au lieu de 6à8 en moyenne actuellement) doit donc être encouragée partout où la croissance économique est faible, ou nulle.

Numérisé par BPUN

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III. Objectifs de développement pour l'Afrique tropicale

Quelques-unes des mesures préconisées ci-après sont déjà en partie ou totalement réalisées dans certains pays d'Afrique

tropicale (Côte d'Ivoire par exemple) ce qui nous autorise à un certain optimisme. Cependant, pour la plus grande partie de

l'Afrique tropicale - et surtout pour l'Afrique tropicale sèche -, l'essentiel reste à faire.

Nous ne croyons pas que la situation soit désespérée mais nous ne pensons pas non plus qu'il existe un remède miraculeux ou une politique-miracle. Nous estimons que le développement est au contraire réalisé gràce à une multitude de mesures bien adaptées au mileu local et prises dans des domaines divers et complémentaires.

Commençons l'inventaire de ces mesures par celles auxquelles on pense immédiatement en Occident (aides financière et

alimentaire) mais que nous considérons au mieux comme des mesures d'urgence ou des palliatifs, au pire comme des mesures défavorables au développement à long terme.

1. Aide financière des pays industriels

L'aide publique des pays de l'OCDE au Tiers-Monde représente environ 0,4 % du produit national brut. On peut bien sûr estimer que c'est insuffisant, mais il est indubitable que son efficacité s'est accrue au gré des expériences faites depuis

la 2e guerre mondiale. On a tiré profit des constats d'échec ou de semi-échec. La part allouée à l'agriculture des PVD s'est accrue, de même que celle attribuée au quart monde. Par ailleurs, la priorité est donnée à des projets plus modestes qu'auparavant et, par ailleurs, le contrôle de la destination

des fonds est plus efficace. Il n'en demeure pas moins vrai que l'aide financière, utile au lancement d'un projet devrait ensuite être remplacée par l'autofinancement si l'on souhaite éviter qu'elle ne devienne un oreiller de paresse.

Numérisé par BPUN_

(21)

2. Transfert des excédents agricoles de l'Occident

Que voilà une mesure souvent évoquée et qui parait résoudre du même coup les problèmes de surplus des pays industriels et les problèmes alimentaires du Tiers-blonde, de l'Afrique tropicale

tout particulièrement. Et pourtant, cette solution présente tant d'inconvénients qu'elle ne doit être ni généralisée ni préconisée à long terme.

Disons tout d'abord que l'Afrique tropicale ne dispose pas des ressources financières nécessaires à l'achat des surplus agri- coles de l'Occident, même livrées à bas prix, ou plutôt que

l'Afrique tropicale devrait consacrer ses maigres ressources à l'achat de biens de production qu'elle ne peut encore produire et non à l'acquisition de produits agricoles de pays tempérés

(céréales en particulier).

Ces achats des surplus de céréales provoquent, outre des dépenses regrettables pour l'Afrique tropicale et une dépen- dance à l'égard des pays du Nord toute une série d'effets

défavorables dans le pays lui-néme. Le bas prix des céréales importées (voire reçues gratuitement) permet le maintien des prix des céréales indigènes à un niveau trop bas et décourage

la production nationale de blé, de maïs, de soja ou de riz. 1) Par ailleurs l'habitude croissante de consommer la nourriture

des pays industriels en Afrique noire (pain de blé par exemple) au lieu de galettes traditionnelles de millet ou de tef provoque une dépendance accrue à l'égard des pays qui détiennent l'arme alimentaire si l'on ne réussit pas à accroître simultanément et dans la même proportion la produc- tion indigène de ces céréales.

1) Production indigène ou achat de ces mêmes produits à des pays africains à monnaie faible et avec lesquels il serait plus facile d'établir des échanges sur une base d'égalité;

les complémentarités de production dues aux conditions cli- matiques différentes des pays africains devraient être plus

largement utilisées.

Numérisé par BPUN

(22)

L'aide alimentaire provoque enfin un gonflement des organismes d'Etat affectés à cette distribution, des risques de détourne- ment et, pire, de dé-responsabilisation de la population

assistée. Elle ne doit donc être qu'une mesure d'urgence.

3. Modifications des termes de l'échange

Même si des mesures sont indispensables dans ce domaine et si des progrès ont été réalisés (accords sur le

quantités commercialisées de certains produits producteurs et pays importateurs), il ne faut pas des modifications considérables des conditions

international des produits raisons suivantes :

prix et les entre pays s'attendre à

du commerce agricoles tropicaux pour les

- les décisions prises n'ont pas un caractère obligatoire ni pour les Etats producteurs ni pour les Etats importateurs

pas de sanctions;

les aléas climatiques déjouent les prévisions;

les mêmes pays peuvent être à la fois producteur et importateur (arachide, pour les USA p. ex. );

les pays producteurs sont concurrents dans la conquête de marchés; des difficultés de trésorerie chez l'un d'eux peuvent l'amener à rompre un accord international en bradant

sa production (mieux vaut vendre sa production à un prix inférieur que de ne pas la vendre);

les produits agricoles de l'Afrique tropicale (café, cacao, arachide, huile de palme par exemple) sont certes importants pour les pays importateurs mais pas essentiels au sens où le pétrole l'a été pour l'Occident industriel face à l'OPEP en

1973.

4. Diminution du taux de natalité

Nous avons vu plus haut (II 4) que des mesures devraient être prises en Afrique tropicale dans ce sens. La densité agricole

s'accroit fortement et, parallèlement la pression sur les forêts provoque leur disparition. A défaut d'un transfert

important de la population aux secteurs secondaire et tertiaire, il y aura lieu de prendre toutes mesures favorables

à la réduction de la taille des familles. C'est d'ailleurs le

1

Numérisé par BPUN

(23)

voeu d'une part prépondérante des femmes africaines qui ne souhaitent pas avoir plus de 3-5 enfants. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine, à commencer par la conscience du problème.

5. Autonomie alimentaire et développement des campagnes

L'autarcie alimentaire totale n'est que rarement -voire jamais- atteinte par un pays quel qu'il soit. Il est pourtant essentiel que l'Afrique tropicale tende très fortement vers ce but. A notre avis, les gouvernements des pays les plus défavo- risés (types 3,4 et surtout 5 des PVD, définis ci-dessus) doivent en faire l'un des objectifs prioritaires de leurs politiques intérieure et extérieure.

Il est à notre avis plus urgent d'améliorer la balance commerciale des Etats d'Afrique tropicale en limitant les

importations de produits alimentaires du Nord qu'en accrois- sant leurs exportations.

Un nombre impressionnant de mesures peuvent, doivent ou sont déjà prises par les Etats d'Afrique tropicale dans le but d'accroitre leur degré d'autonomie alimentaire et le dévelop- pement de leurs campagnes; nous évoquons ci-après les princi- pales d'entre elles.

a) Mesures de politique douanière ou financière

Certaines formes de protectionnisme sont indispensables au décollage économique des PVD : limitations des importations,

en particulier des produits alimentaires par une politique douanière ou une politique des prix appropriées. La relation entre le prix des produits importés et celui des produits

indigènes semblables ou comparables doit faire l'objet d'une attention soutenue de la part des Etats d'Afrique tropicale.

Il faut viser à la création d'un marché intérieur des produits vivriers.

b) Mesures générales visant au développement des zones rurales Le secteur administratif, qui est par essence principalement urbain ne doit pas être surdéveloppé; on doit au contraire

tendre chaque fois que possible vers une décentralisation des décisions. Les agriculteurs ou les associations d'agriculteurs

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doivent être les initiateurs des mesures à prendre ou en tous cas être associés au processus de décision concernant la campagne. C'est par exemple le cas lorsque l'irrigation est utile ou indispensable; la petite hydraulique gérée et entretenue par les collectivités locales est le plus souvent préférable au barrage de grande dimension.

Le système et les programmes d'enseignement conçus trop fréquemment pour les besoins d'une société urbaine doivent être repensés de façon à répondre aux attentes de nations encore aux trois-quarts agricoles. L'école secondaire conduit tout droit à des professions administratives ou intel-

lectuelles et donc essentiellement urbaines alors que l'effort

essentiel devrait conduire à une généralisation et à une valorisation des collèges agricoles. L'enseignement doit y être plus professionnel qu'académique comprenant des stages de formation pratique. Au-delà de la formation scolaire

proprement dite, des services de vulgarisation agricole

doivent être créés dans chaque micro-région et viser autant à l'amélioration des productions vivrières que des produits

exportés.

Il est enfin évident que toute amélioration de l'infra-

structure ou des services ruraux est souhaitable (com- munications, approvisionnements, santé, école, etc).

c) Mesures en faveur de la production agricole

Elles sont extrêmement nombreuses; nous nous limiterons à quelques constatations.

La combinaison élevage-cultures est souhaitable à condition

que les problèmes phytosanitaires et de droits de parcours du bétail soient résolus. Cette combinaison permet à l'agri-

culture l'obtention d'engrais naturels qui rendent possible la culture continue de protéines animales (lait et viande) ainsi que d'une force de traction autonome. Ce qu'on a appelé en Europe la révolution fourragère permet par le biais de la création de prairies artificielles une augmentation de la productivité.

La mécanisation-motorisation peut être utile dans certains cas; elle n'est cependant ni une nécessité ni une panacée.

i

1

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(25)

Elle est souvent prématurée et il faut lui préférer une amélioration des outils traditionnels (conserver ou opter pour

la traction animale au lieu du tracteur). Les machines,

construites dans le pays dans toute la mesure du possible, ne seront acquises que dans la mesure elles permettent de supprimer un goulet d'étranglement dans l'horaire de travail

(pointes de travail empêchant d'effectuer tous les travaux nécessaires au moment opportun).

L'élevage du petit bétail (chèvre, mouton) doit être encouragé comme source de protéines (lait et viande) chaque fois que les conditions ne sont pas suffisantes à la production bovine.

Quant à l'élevage bovin, des croisements permettent d'obtenir des races laitières à la fois résistantes aux maladies tropicales et à rendement élevé (race Holstein et zébu) pour

l'alimentation en lait des villes alors que, dans les campagnes éloignées des centres urbains on préférera des races à plusieurs fins (lait et viande voire travail).

La productivité végétale peut être évidemment accrue par l'emploi de semences sélectionnées. On se préoccupera à ce propos autant de la valeur alimentaire des produits choisis

(soja riche en protéines par exemple) que du rendement à l'hectare. Ce dernier pourra être accru, par ailleurs, par l'irrigation en zone sèche d'une part, et d'autre part par les engrais artificiels dans la mesure où leur production est réalisable dans le pays lui-méme ou dans un pays voisin : les échanges intra-africains doivent être développés.

d) Mesures favorisant la valorisation des produits agricoles et les activités para-agricoles

L'agro-industrie ou industrie de transformation des produits agricoles constitue quasi obligatoirement la première étape de

l'industrialisation d'un Etat (huileries, conserveries,

sucreries, usines textiles). Elle aura donc la priorité dans les investissements industriels de l'Etat, de même que les industries fournissant les moyens de production de l'agri-

culture (fabrique d'engrais, d'outils et de machines agricoles). Le but est toujours le même : conserver dans le

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pays et si possible dans la région une part plus importante de la valeur ajoutée que ce n'est le cas actuellement.

Si les canaux de commercialisation et de transformation des produits exportés sont en général bien organisés, il n'en est souvent pas de même des produits vivriers. Un gros effort reste à faire.

Enfin, en zone de forêt, on doit favoriser la forêt cultivée,

d'une part comme source de revenus pour les habitants des campagnes (bois tropicaux très prisés dans les pays

industriels comme bois d'oeuvre, bois de feu ou bois de papier pour la consommation locale) d'autre part comme facteur de protection-régénération des sols.

Conclusion

Le bilan, encore sombre du développement économique de l'Afrique tropicale est à notre avis moins désastreux aujourd'hui qu'il ya une vingtaine d'années. Notre optimisme mesuré est fondé sur les constatations suivantes tirées des

observations de terrain et d'entretiens avec les Africains eux-mêmes plutôt que des données statistiques des organismes

internationaux.

Nous constatons tout d'abord que le modèle occidental productiviste, néo-positiviste et urbano-centré est remplacé de plus en plus souvent en Afrique par d'autres modèles plus favorables à l'agriculture, au développement rural, à la taille modeste des réalisations, aux projets utiles plutôt que

prestigieux et à la participation des personnes concernées.

Par ailleurs, la liste des mesures préconisées ci-dessus ne représentait, il ya une vingtaine d'années, que des recom- mandations. Aujourd'hui, au contraire, bon nombre d'entre

elles ont été largement adoptées et ont déjà produit les effets souhaités dans plusieurs pays d'Afrique tropicale.

Enfin un changement radical d'attitude s'est produit chez les intellectuels africains depuis 1960. Immédiatement après l'indépendance, les pays africains rejetaient sur la puissance coloniale la responsabilité de leur sous-développement.

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Aujourd'hui, au contraire, la plupart des dirigeants assument cette responsabilité et, de plus, ont la ferme volonté de remédier à toutes les formes de mal-développement. Les moyens financiers sont souvent insuffisants, les modalités de réalisation manquent encore de rigueur mais la prise de conscience des problèmes, leur analyse et les solutions

préconisées sont d'une qualité telle que tous les espoirs sont autorisés, dans les pays qui ont pris ces mesures d'abord, dans ceux qui les imiteront ensuite.

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POUR L'AFRIQUE, J'ACCUSE

LE SAHEL EN VOIE DE PERDITION ?

René DUMONT

Ingénieur agronome

Le Sahel en perdition est le sous-titre du petit cours que je vais faire ici. Un livre vient de paraître peu avant le nôtre

(1) qui s'appelle "L'Afrique en crise: la banqueroute de l'environnement". Ce que nous avons observé dans le Sahel depuis Dakar jusqu'au Niger et presque jusqu'au Lac Tchad, jusqu'à Zinder, est assez général à travers l'Afrique.

Ce que M. Ouata nous a exposé tout à l'heure m'a frappé: que l'environnement ivoirien est en voie de dégradation. Ce qu'il

nous a dit de la dégradation des sols et de la marche à l'Ouest je l'ai observé en Thaïlande. Après l'abattage de la forêt de tek restent de mauvaises repousses qu'il faudra reprendre à grand frais et je l'ai observé au Brésil. Mais les Thaïlandais ne sont pas au bout de leur forêt: ils en ont encore pour un demi-siècle; au Brésil pour deux siècles. En Côte d'ivoire ils n'en ont plus que pour quinze ans. Il faudra reboiser, dans ces pays de forêt, après avoir épuisé le

1) René DUMONT, Pour l'Afrique, j'accuse (1986), Plon, coll.

"Terre humaine", 448 p.

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capital de fertilité accumulé par des siècles de forêts et avoir produit à bas prix en agriculture minière. Il faudra donc maintenant s'orienter vers une agriculture qui

reconstitue la fertilité et qui est plus coûteuse.

Mais dans le Sahel, c'est un autre problème. Nous sonnes en climat semi-aride et c'est le premier facteur en voie de dégradation en conséquence de la disparition de la forêt côtière. Depuis le sud du fleuve Sénégal, la Casamance, jusqu'au fleuve Zaïre, la zone forestière a disparu pour la moitié dans les cinquante dernières années. En Côte d'Ivoire,

elle a disparu presque totalement et au Ghana aussi; ailleurs le reste disparait à raison de 5% par an et dans vingt ans il n'y en aura plus. Déjà, le recul de la forêt au Ghana, au Nigéria et en Côte d'Ivoire

.a changé le climat du Sahel depuis 1968. Quand la pluie tombait sur la forêt avec à sa base l'humus forestier, cette espèce d'éponge retenait une grande partie de l'eau de pluie et ensuite la rendait par évaporation, regarnissant les nuages qui viennent de l'Océan et marchent vers le Sahel. Quand la forêt disparait, que le

sol est nu, la plus grande partie de la pluie va immédiatement, sans être retenue, vers les fleuves, vers les lagunes, vers la mer et l'évaporation diminue d'où détérioration du climat du Sahel. Mon ami Claude Reboule appelle cette disparition de la forêt une "piraterie

climatique" faite contre les pays du Sahel par les pays de la forêt.

Donc, premièrement on constate une dégradation du climat.

Deuxièmement, on sait que la culture traditionnelle était en équilibre avec une faible densité de population. Il y avait deux facteurs de maintien de la fertilité tant que l'équilibre

démographique était respecté.

Tout d'abord, on trouvait des arbres dispersés à travers tous les champs. Notre ami Ouata vous a parlé de "federbia albida"

que l'on a décolonisé en l'appelant l'acacia albida, le "gad"

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au Sénégal, le "gao" au Niger, qu'on retrouve aussi dans le nord de la Côte d'ivoire. Cet arbre, donc, maintenait la fertilité. L'autre facteur était le système de jachère,

1' alternance de périodes de cultures: un ou deux ans, sorgho et millet; un peu d'arachides ensuite, d'abord pour la consommation locale puis davantage pour l'exportation. Et

voici que sont ruinés les sols de la moitié nord du Sénégal par l'excès d'arachides...

liais dans le reste du Sahel, ce ne sont pas les cultures

d'exportation, qui sont beaucoup moins importantes, un peu de coton, un peu d'arachides, ce sera l'explosion démographique qui va amener la ruine de l'environnement, la dégradation des

sols. L'excès de population est la conséquence de la conquête, de l'arrivée du médecin civil ou militaire, qui brusquement réduit le taux de mortalité. Malgré que les soins de santé primaires restent insuffisants, c'est tout de même un changement par rapport à la période précoloniale. Cette baisse de la mortalité s'est accompagnée en Europe d'une baisse de la natalité - la France est pionnière en matière de contrôle des naissances puisqu'elle a commencé à la fin du XVIIle siècle -.

Mais au Sahel, la natalité n'ayant point diminué, se déclenche une explosion démographique qui atteint actuellement 3% par an, ce qui, par le jeu des intérêts composés, multiplie une population par près de vingt en un siècle. Avec beaucoup moins de 3 %, l'Egypte qui avait 7 millions d'habitants en 1880 en compte maintenant 50 millions, soit une multiplication par

sept en 106 ans. Si vous pensez qu'on pourra réaliser une multiplication par sept de la production agricole du Sahel dans le prochain siècle... pour ma part, je renonce évidemment à une telle possibilité. L'Egypte a perdu totalement son

indépendance économique, donc son indépendance politique. Et le Sahel est d'ailleurs dans la même situation d'extrême dépendance.

La jachère est donc en voie de disparition, alors que c'était

la seule source de regarnir les sols en humus. Les sols se

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dégradent. Dans le sud du Niger, à la frontière du Nigéria, les champs qui en 1960 rendaient 600 kg de sorgho ou de millet

à l'hectare sont tombés à 200 kg quelquefois moins et on renonce alors à les cultiver.

La jachère, nous l'avons connue ici en Europe Occidentale, ici en Suisse. Nous l'avons remplacée par ce qu'on a appelé la

"première révolution agricole", celle que l'Angleterre a réalisé au XVIIIe siècle, les Flandres et l'Italie du Nord même au XVIIe siècle: la jachère cède la place à des cultures

de pommes de terre ou de betteraves, et à des cultures fourragères. Davantage de fourrage, davantage de bétail.

Davantage de bétail, davantage de fumier: et voici que le cercle vertueux d'amélioration de la fertilité se poursuit,

celle-ci augmentant bien avant l'arrivée des engrais chimiques.

Mais ce cercle vertueux ne peut se réaliser que dans certaines conditions. L'Europe connaissait l'énergie dès avant l'ère chrétienne: elle disposait de charrettes, de chariots, de

voitures. J'ai moi-méme, comme ouvrier agricole en Ardennes en 1925-26, fumé les champs de betterave fourragère; et nous mettions 30 tonnes de fumier à l'hectare; un tombereau

transportant deux tonnes et demie, douze chargements réalisaient le transport de l'ensemble. Charlotte Paquet qui m'a accompagné et s'est particulièrement intéressée au sort des femmes sahéliennes, pourra vous dire qu'elles portent le fumier sur la tète, en calebasses d'au maximum 30 kg. Pour 30 tonnes, il faut donc 1000 voyages; et si les champs sont à trois kilomètres du village, cela fera 6000 km en comptant les allers et retours. Personne ne l'a fait, personne ne peut le faire. La première étape est donc l'énergie animale et le moyen de transport, la charrette. Les commerçants qui sont

venus en Afrique Occidentale avant la colonisation, à l'époque de la traite, n'ont jamais pensé à importer la roue. Elle n'est arrivée qu'avec ce siècle et est insuffisamment

répandue. Il manque dans le Sahel, depuis Dakar jusqu'à la

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frontière du Soudan, 400'000 charrettes si 1'on estime qu'une dizaine par village, pour commencer, pourraient modifier

totalement la situation. Cela coûterait la fourniture des essieux en acier: entre 1 et 2 millions de dollars; - le reste pourrait être fabriqué sur place -. A la place de cela, on a fait deux gros barrages sur le fleuve Sénégal qui ont coûté la modique somme de 800 millions de dollars et qui ne servent à

peu près à rien. C'est la seule région au monde où les bureaux d'études ont proposé aux trois gouvernements intéressés, Mali mais surtout Mauritanie et plus encore Sénégal, probablement

en liaison avec les grandes entreprises de travaux publics, une seule solution et la plus mauvaise: les deux grands barrages. Il était facile de proposer une dizaine de barrages échelonnés, auquel cas après chaque barrage on aurait effectué un aménagement rizicole correspondant au volume du barrage et en quelques années le petit barrage était utilisé. Les deux grands barrages furent construits, l'un près de St. Louis à

l'embouchure du fleuve pour retenir la remontée de la langue salée, l'autre à Manantali sur le Bafing pour accumuler Il milliards de m3 d'eau. A l'époque des études, le Sénégal donnait 24 milliards de m3, mais en 1983-84 il n'a donné que 7 à8 milliards de m3 donc on ne remplit pas le second barrage.

On prévoyait ensuite ce barrage de Manantali pour fournir de l'électricité et permettre la navigation constante sur le fleuve Sénégal pour le transport des minerais, un peu de bauxite, de phosphate, de minerai de fer. On s'est aperçu à la fin des études que tout ceci n'avait strictement aucune valeur; peut-être dans dix ou cinquante ans, mais en attendant pas d'électricité, pas de navigation intéressante.

Reste alors l'agriculture. 11 ya 350'000 ha irriguables, déjà 30'000 sont irrigués, restent 320'000. Mais on a déjà eu beaucoup de peine à rassembler les 800 millions de dollars

pour les deux barrages et maintenant c'est fini, il n'y a plus un sou. Quand nous sommes passés en 1984, on nous a dit qu'on

pensait aménager 1000 ha par an. Je leur ai répliqué "Eh bien, je repasse dans 320 ans quand vous aurez terminé pour voir ce

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que ça donne... " Mais d'ici 320 ans, il se passera quand même un certain nombre de choses. Par exemple, les dunes de Mauritanie sont en marche vers le sud sous l'effet des fameux vents de sable dont on ne parle dans les journaux qu'à

l'occasion de Paris-Dakar; et c'est tout de même un scandale qu'on ne vous ait pas dit que ces vents de sable étaient la destruction des sols africains par l'érosion éolienne. Par

enlèvement des éléments fins, les dunes n'ont plus aucune valeur: c'est du sable grossier comme les dunes du bord de mer. Quand ces dunes vont recouvrir les limons du fleuve

Sénégal c'en sera terminé, il n'y aura plus d'agriculture possible.

Il ya bien quelques petits réseaux d'irrigation le long du fleuve Sénégal. Les paysans reçoivent une motopompe qui arrose une quinzaine d'hectares de rizières. On y installe 100 familles qui ont chacune 15 ares et ne peuvent donc même pas

produire leur nourriture. Si on leur a donné la motopompe, on leur demande par contre de payer l'engrais et le mazout pour actionner le moteur. Comme ils n'ont pas d'argent puisqu'ils

ont mangé le peu de riz produit, ils ne peuvent payer qu'en coupant les derniers gonaquiers ("acacia nilotica") et en faisant du charbon de bois qui est transporté vers Dakar et Nouakchott à raison de 200 tonnes par jour. Nouakchott est d'ailleurs une capitale en plein désert dont on ne sait si elle aura de l'eau dans 15 ans parce qu'on y puise actuellement de l'eau fossile.

Voici tout ce qu'on a fait avec 800 millions de dollars et pendant ce temps-là comme on ne fait rien ailleurs, le désert avance et les sols se dégradent.

Les déserts avancent parce qu'il faut couper des arbres pour simplement cuire les aliments. L'explosion démographique provoque l'absence de la jachère, et en l'absence de possibilités en énergie animale, il n'y a pas de régénération

des sols. Quant au bétail, il a suivi une évolution parallèle

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à celle des hommes. Les armées coloniales sont arrivées avec des chevaux, donc avec un vétérinaire militaire. Aujourd'hui

tous les services de l'élevage de l'ex-Afrique Occidentale sont dirigés par des vétérinaires qui soignent, qui vaccinent,

qui empêchent la mortalité et qui ne s'occupent pas des fourrages. Il s'ensuit une surproduction d'animaux liée à une insuffisance de fourrages et donc surpâturage et dégradation.

On coupe les arbres, on rase l'herbe dès qu'elle sort et voici le désert qui avance.

Le titre de mon livre est "Pour l'Afrique, j'accuse". Quels sont les responsables? 14. Ouata nous a parlé de la production du cacao. Je me rappelle avoir été dans la zone cacaoière du

Brésil, la région d'ilhéus au sud de Bahia, en 1980. On m'a dit disposer d'un plan magnifique de développement de la culture du cacao. On allait "battre" la Côte d'Ivoire

puisqu'on disposait de davantage de terres et d'hommes.

L'année d'après, à Abidjan, on m'a dit "Vous allez voir, c'est nous qui allons battre le Brésil". Et ils avaient raison, la Côte d'Ivoire a "battu" le Brésil: 580'000 ha. De la folie,

tous les deux! Le résultat, c'est l'effondrement du cours du cacao. Mon professeur de viticulture m'avait expliqué en 1923 que les bonnes années pour le vin, c'était les mauvaises récoltes: on encave 20 % de vin en moins, mais le cours double. Faites le calcul. Sauf pour ceux dont la récolte est

nulle, c'est une bonne récolte.

Quand on critique les cultures d'exportations et pourtant il en faut, en équilibre, il faut voir ce que l'on fait avec

l'argent qu'on en a tiré. A mon dernier passage à Abidjan, où ma présence n'est pas toujours très désirée, un présentateur

de télévision m'a objecté que je leur reprochais leurs belles voitures et leurs belles villas: "Ne vaut-il pas mieux faire envie que faire pitié? ". Evidemment lui venait du quartier de Cocody. Je lui ai alors proposé de descendre avec moi 800 mètres en dessous de l'Hôtel Ivoire où les gens couchent sur

le trottoir. Il n'avait pas le temps...

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Chaque fois que nous buvons du café, que nous mangeons du chocolat, nous volons, nous pillons le Tiers-Monde. Tous les

produits agricoles suisses, européens, américains sont protégés et libérés de la loi du marché. Sans quoi, il n'y aurait plus d'agriculture en Suisse: si on pratiquait les prix mondiaux, l'agriculture suisse disparaitrait l'année d'après.

En France, elle mettrait un peu plus de temps, mais elle diparaitrait aussi.

On nous dit maintenant que le Tiers-Monde va être sauvé par la loi du marché, par l'économie libérale intégrale. En fait la loi du marché fonctionne, depuis toujours. Ce n'est pas un changement. Quand Houphouët-Boigny est venu à Bruxelles et qu'on lui a parlé des coûts de production du blé, du lait et de la viande, il a répondu qu'il y avait aussi les coùts de

production du cacao et du café. On lui a rétorqué que ce n'était pas vrai: "Dans le cas du café et du cacao, c'est

l'offre et la demande, c'est tout". C'est ainsi qu'on organise le pillage du Tiers-Monde. Pas seulement pour les produits agricoles, mais aussi dans le secteur des minerais.

Figurez-vous que non loin d'ici se trouve le Bassin de Lorraine (Longwy-Briey): 1 milliard de tonnes de minette, le minerai de fer, est encore dans le sous-sol lorrain. Il y

avait des mines, des puits, un matériel, des mineurs, tout était en marche. Brusquement on arrête tout. on ferme les mines, on renvoie les mineurs. On fait un chemin de fer de 600 krn de Nouadhibou à Zouerate en Mauritanie. Pourquoi n'a-t-on

pas continué en France? Parce qu'on paie si bon marché le minerai de fer à la Mauritanie que ça nous coùte beaucoup moins cher d'aller le chercher. C'est ce que j'appelle le pillage du Tiers-Monde. Lorsque ce dernier aura accumulé un peu d'argent pour avoir des usines à lui tous les meilleurs

minerais auront été gaspillés par nous, la civilisation la plus abominable, système économique dominant, au point, qui

s'appelle la civilisation de l'automobile particulière et qui est en train de tuer les forêts de l'Europe, une civilisation

profondément immorale tout simplement parce qu'elle n'est pas

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généralisable. Si nous pouvons rouler en voiture, c'est parce que ce n'est pas généralisé: si les 5 milliards d'habitants de

la planète roulaient en voiture, en l'espace de 12 ans les réserves connues de pétrole seraient épuisées et la pollution

atteindrait des niveaux tels que toutes les forêts du monde disparaitraient. Nous ne pouvons donc vivre cette vie de privilégiés que parce qu'elle nous est limitée à nous, 20 % de

la population mondiale.

En présence de cette situation: le désert avance, les paysanneries sont ruinées, ruinées par nous, système économique dominant, et par leurs dirigeants qui fixent les prix des denrées achetées aux paysans.

En Afrique, les villes exploitent les campagnes: les dirigeants veulent se nourrir à bon marché, donc payer mal les céréales, les fruits et les légumes qu'ils achètent aux

paysans. Pour lutter contre le désert, pour réanimer la production du milieu, pour reprendre la production agricole,

il faudrait que les paysans en aient les moyens. Qu'est-ce qui leur manque? M. Ouata nous a dit que la scolarisation était générale dans l'ensemble des villages de Côte d'Ivoire, et c'est vrai. Mais ce n'est pas le cas au Sahel. Les pays du

Sahel, beaucoup plus pauvres, scolarisent les gosses des villes: 50 à 80 % de scolarisation en ville. Depuis le Sénégal, où les taux sont légèrement plus élevés, jusqu'au Tchad 9% des garçons et 2% des filles des campagnes vont à

l'école primaire. Ce qui ne leur sert en rien à faire de meilleurs paysans, mais seulement à préparer le secondaire. Or comme c'est justement la campagne qui accueille les plus mauvais instituteurs, très peu d'entre eux accèdent au

secondaire, ensuite à l'université, et ceux-là vont en ville.

Ce sont les villes qui fournissent les lycées et les universités en français, qui ont un caractère tout à fait

particulier dans le Sahel. C'est la région du monde entier où les anciens élèves des lycées et des universités vont en plus forte proportion dans la bureaucratie.

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