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Academic year: 2022

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Texte intégral

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HAL Id: tel-02042545

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02042545

Submitted on 20 Feb 2019

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société byzantine des XIè-XIIè siècles

Jack Roskilly

To cite this version:

Jack Roskilly. Λoγι�τ ατ oι πo�µϵνϵς: les évêques et leur autorité dans la société byzantine des XIè-XIIè siècles. Histoire. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I; Universität Wien, 2017. Français. �NNT : 2017PA01H115�. �tel-02042545�

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Thèse

en vue de l’obtention du grade de docteur en Histoire présentée et soutenue par

Jack Roskilly

le 30 novembre 2017

Λογιώτατοι ποίμενες

Les évêques et leur autorité dans la société byzantine des XI

e

-

XII

e

siècles

Sous la direction de

M. Michel KAPLAN – Professeur émérite, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Membres du jury

M. Jean-Claude CHEYNET – Professeur émérite, Université Paris-Sorbonne M. Florian MAZEL – Professeur, Université Rennes 2

Mme Sophie METIVIER – Professeure, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Mme Claudia RAPP – Professeure, Universität Wien

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Mes premiers remerciements vont à mon directeur de thèse, Michel Kaplan, dont l’exigence et l’attention à l’égard de ses étudiants ne sont plus à démontrer. Ce travail doit beaucoup à ses remarques et à sa disponibilité, surtout dans les situations les plus urgentes. Contrairement à son homonyme George, il pouvait être contacté et répondre dans les meilleurs délais. Je remercie Jean-Claude Cheynet, Florian Mazel, Sophie Métivier et Claudia Rapp d’avoir accepté de faire partie du jury de soutenance. Leurs critiques adressées durant certaines étapes importantes de mon travail m’ont été d’une grande aide.

Alors que les financements de l’université et de la recherche françaises connaissent une crise aigüe, j’ai pu bénéficier de conditions idéales, mais hélas trop rares, pour mener à bien cette thèse. Mes remerciements vont au PRES Hesam pour m’avoir accordé un contrat doctoral et à l’Université Paris 1 qui a accepté de me confier une mission d’enseignement. Je remercie aussi les directeurs successifs de l’École doctorale d’histoire de l’université Paris 1, Dominique Kalifa, Christine Lebeau et François Chausson, pour leur implication active dans la vie de l’École à travers notamment l’organisation des journées d’études doctorales. La Fondation Thiers m’a permis d’achever cette thèse dans les meilleures conditions en m’accordant une bourse. Je suis particulièrement reconnaissant à ses directeurs successifs, Georges-Henri Soutou et Jacques Verger, d’avoir soutenu mes recherches. Je remercie enfin l’Université de Picardie Jules Verne, en particulier Guillaume Saint-Guillain et l’équipe des enseignants d’histoire médiévale, pour son accueil chaleureux soulageant les dernières semaines de travail.

Comme la recherche ne peut se découpler de l’enseignement et que son exercice m’a aidé à synthétiser et à présenter clairement mes propos aurpès de mes étudiantes et étudiants, je remercie toutes celles et ceux qui m’ont subi en cours dans les universités Paris 1, Paris Sorbonne et à l’Université de Picardie.

Mes remerciements vont également aux membres du Centre d’Histoire et de Civilisation de Byzance (UMR 8167 Orient et Méditerranée) et en particulier à son directeur Vincent Déroche. J’exprime aussi ma gratitude à Marie-Hélène Blanchet, Olivier Delouis et Raúl Estangüi Gómez pour m’avoir apporté leurs éclairages et leurs conseils ainsi qu’à Paolo Odorico (EHESS). J’adresse ma reconnaissance à Béatrice Caseau (Université Paris-Sorbonne) pour m’avoir invité à présenter quelques conclusions importantes au cours de son séminaire ainsi qu’à Sylvain Destephen (Université Paris Ouest Nanterre La Défense) pour m’avoir proposé de participer à un colloque particulièrement stimulant. J’ai aussi bénéficié de l’aide quotidienne des personnels de la Bibliothèque byzantine et de l’IRBIMMA, en particulier de Georges Kiourtzan. Qu’il en soit ici remercié, ainsi que Catherine Piganiol, Guillaume Lebailly, Paule Pagès et Michel Stavrou. Lors de séjours à Vienne, j’ai bénéficié de l’aide de Johannes Preiser-Kapeller et d’Ekaterini Mitsiou (Österreichische Akademie der Wissenschaften) pour l’analyse des réseaux sociaux.

J’adresse mes plus vifs remerciements à mes relecteurs estivaux, Jacques Beauseroy, Pierre Charrey et Numa Buchs pour avoir pris de leur temps précieux. Le soutien des collègues est indispensable à l’achèvement d’une thèse, notamment ceux de Péter Bara, Bertrad Billot, Mathilde Boudier, Benoit Cantet, Jeanne Devoge, Marie Guérin, Lucile Hermay, Anaïs Lamesa, François Miran, Charles Nicolas, Feyzi Ocan, Aikaterini Peppa, Judith Soria, Milan Vukasinović,Lilyana Yordanova. Je remercie aussi tous ceux que j’ai pu oublier.

Je tenais à adresser des remerciements particuliers à mes professeurs d’hypokhâgne et de khâgne, Fabrice Laroulandie et Alain Monchablon, qui ont été déterminants dans le choix définitif de ma vocation d’historien. Je ne saurais résumer en quelques mots tout ce que je dois à mes parents, qui m’ont soutenu moralement et matériellement pendant tant d’années. Enfin, ces années de travail n’auraient pas été les mêmes sans la présence de Coline à mes côtés. Exprimer ce que je lui dois dépasserait le cadre d’une thèse.

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Introduction

Car la rhétorique est appelée au sommet des techniques ; elle proclame la hardiesse aux portes des villes et déclame avec force les discours ; elle est assise près des empereurs ; elle gouverne les villes ; elle ordonne les affaires humaines, elle n'ignore rien de ce qui est proche d'elles et discerne ce qui en est le plus loin1.

C’est par ces mots que Michel Italikos défendait dans l’une de ses lettres l’étude de la rhétorique contre celle de la philosophie. Au-delà du conflit entre deux domaines du savoir, il dresse un portrait de la rhétorique comme art complet, qui participe à tous les niveaux au gouvernement des hommes. Ce modèle de gouvernement fondé sur une compétence intellectuelle élevée est élaboré par Italikos avant qu’il ne devienne métropolite de Philippoupolis dans les années 1140. Peut-on considérer que sa conception du gouvernement fondé sur une maîtrise des codes linguistiques écrits et oraux ait orienté sa manière de prendre en charge ses devoirs épiscopaux ?

L’épiscopat semble être un groupe bien défini par son statut et sa fonction dans la société byzantine. Le terme d’évêque désigne dans son sens le plus large l’ensemble des titulaires d’un siège quel que soit son rang, patriarche, archevêque de Chypre ou de Bulgarie, métropolite, archevêque autocéphale ou simple évêque suffragant. La hiérarchie ecclésiastique présente elle aussi peu de changements concernant les statuts et rangs des sièges. Les évêques occupent certes une position particulière, mais participent aux évolutions de la société byzantine. Le recrutement des évêques, la trajectoire qui les mène vers l’ordination, les mutations institutionnelles de l’Église, les tendances économiques, les rapports des évêques aux aristocrates laïcs, aux moines ou à l’Empereur ont contribué à modeler l’autorité des évêques, leurs pouvoirs et leurs actions en tant que pasteurs de leur diocèse. Replacer les évêques dans une position sociale soumise aux évolutions de la société permet d’échapper à l’illusion d’une fonction immuable. Si cette dernière conception n’a plus cours pour les historiens, il convient de mettre en pratique une méthode pour mener à bien une analyse sociale et politique de l’épiscopat byzantin des XIe-        

1 MICHEL ITALIKOS, Lettres et discours, n° 13, p. 140 : Καὶ ῥητορικὴ μὲν ἐπ’ ἄκρων τειχέων κηρύσσεται· ἐπὶ δὲ πύλαις πόλεως θαρροῦσα λέγει καὶ θερμῶς ὑπαγορεύει τοὺς λόγους· πάρεδρός ἐστι βασιλεῦσι· τὰς πόλεις δημαγωγεῖ· τὰ ἀνθρώπινα διατάττεται πράγματα καὶ τὰ ἐν ποσὶν οὐκ ἠγνόηκε καὶ τὰ πορρώτατα διέγνωκε.

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XIIe siècles compris comme groupe dynamique, ce qui constitue un angle mort de l’historiographie contemporaine.

Historiographie

L’histoire sociale des évêques byzantins a été marginalisée par l’historiographie car l’épiscopat a été étudié selon d’autres perspectives. La première est celle de l’histoire de l’Église qui considérait l’épiscopat d’un point de vue strictement institutionnel. La reconstitution des listes épiscopales par siège a occupé une part importante de cette historiographie à partir des travaux de M. Le Quien au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles2. Cette perspective a été largement développée par les assomptionnistes dont les travaux d’édition des sources et d’études sur les structures ecclésiastiques conservent une valeur inestimable. L’édition de plusieurs synodika au début du XXe siècle a permis de compléter les listes de certains sièges épiscopaux grâce aux listes d’acclamations des prélats3. L’édition des sceaux de l’Église par V. Laurent obéit à la même logique. Organisé selon l’ordre hiérarchique des sièges et l’ordre de succession des prélats, son catalogue visait à reproduire une liste des évêques par sièges en donnant une chronologie aussi complète que possible selon les sceaux conservés4. Une prosopographie de l’épiscopat par siège a pu être alors esquissée5. L’étude de la hiérarchie des sièges est complétée par l’édition critique des notices épiscopales de J. Darrouzès6. Ces listes, dont les traditions manuscrites sont particulièrement complexes, donnaient la liste des sièges épiscopaux selon leur hiérarchie et permettaient une approche de la géographie ecclésiastique de l’Empire complétant les fastes épiscopaux.

Les synthèses d’histoire de l’Église ont longtemps été tributaires de cette historiographie structurelle et institutionnelle. La première partie de l’ouvrage de H.- G. Beck, Kirche und theologische Literatur im byzantinischen Reich est un tableau de l’organisation et de la hiérarchie ecclésiastique. L’épiscopat n’est traité que d’un point de

       

2 LE QUIEN, Oriens Christianus. Les listes de Le Quien ont été complétées plus récemment par G. Fedalto (FEDALTO, Hierarchia Ecclesiastica Orientalis).

3 PETIT, Synodicon de Thessalonique ; CAPPUYNS, Synodicon de Rhodes ; LAURENT, Synodicon de Thessalonique ; ID., Synodicon de Monombasie ; ID., Synodicon de Sybrita ; ID., Synodicon d’Andrinople ; ID., Liste épiscopale d’Athènes ; ID., Église de Chypre ; ID., Synodicon de Lacédémone.

4 LAURENT, Sceaux. La volonté de V. Laurent de présenter une succession chronologique précise des évêques a donné lieu à plusieurs problèmes dans la datation des sceaux (Cf. chapitre 1).

5 PETIT, Évêques de Thessalonique ; LAURENT, Derniers archevêques grecs de Chypre ; ID., Siège de Trébizonde.

6 DARROUZES , Notitiae.

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vue normatif et seuls la titulature et le statut juridique des évêques sont abordés7. Les évêques s’effacent au profit d’une histoire de l’Église par le haut qui se concentre sur les institutions centrales, le patriarcat de Constantinople et le synode permanent8. Dans le chapitre de sa synthèse consacré à la période 1025-1204, J. Hussey traite ainsi de la politique ecclésiastique générale et uniquement du point de vue constantinopolitain : les procès des hérétiques, les relations avec l’Occident, la politique des patriarches9. Le monde provincial est dès lors uniquement occupé par les monastères et les moines, dont l’importance dans la société byzantine tend à reléguer les évêques au second plan. La Geschichte der orthodoxen Kirche im byzantinischen Reich de H.-G. Beck illustre cette tendance. L’Église byzantine est réduite à sa partie constantinopolitaine, au patriarcat et à ses bureaux et aux relations avec l’Empereur. Les métropolites ne sont mentionnés que lorsqu’ils se trouvent à Constantinople pour participer au synode permanent ou prendre part aux coups d’État10. La présence des métropolites en province est complètement éludée et le seul chapitre qui présente l’Église dans les provinces à l’époque des Comnènes est uniquement consacré aux monastères11. H.-G. Beck considérait de plus que les métropolites du XIIe siècle résidaient pour la majorité à Constantinople et ne gouvernaient pas leur diocèse. Il présente Michel Chôniatès, métropolite d’Athènes à partir de 1182, comme une exception et l’un des rares évêques à prendre en charge ses devoirs dans son diocèse12. L’idée d’un abandon des diocèses par les évêques de l’époque des Comnènes, plus enclins à résider à Constantinople, dispense ainsi de traiter de leur gouvernement et de leur action pastorale en province.

Les évêques sont également quelque peu marginalisés dans les études sur l’aristocratie byzantine. Les ouvrages sur l’aristocratie mésobyzantine d’A. P. Kazhdan et J.-Cl. Cheynet n’ont consacré que quelques pages aux évêques. Le premier considère l’épiscopat comme un sous-groupe de l’aristocratie, dont les principales composantes sont les civils et les militaires13. J.-Cl. Cheynet, qui a remis en cause la stricte dichotomie de        

7 BECK, Kirche, p. 67-74.

8 Voir par exemple la thèse de J. Darrouzès consacré aux offices patriarcaux (DARROUZES, Offikia) ou l’étude de J. Hajjar sur le synode (HAJJAR, Synode permanent).

9 HUSSEY, The Orthodox Church, p. 124-183.

10 BECK, Geschichte der orthodoxen Kirche, p. 96-174.

11Ibid., p. 179-183. Les chapitres consacrés à Byzance dans les volumes médiévaux de l’Histoire du christianisme relèvent de la même logique. Le point de vue du centre prédomine et sont principalement étudiés les institutions centrales et l’établissement des normes religieuses. Le monachisme est également analysé à part mais l’épiscopat est peu considéré (DAGRON, Le temps des changements ; PATLAGEAN, Une chrétienté impériale ; EAD., L’Église grecque de 1123 à 1204).

12 BECK, Geschichte der orthodoxen Kirche, p. 169-170 et 174-179.

13 KAZHDAN,RONCHEY, Aristocrazia, p. 280-284.

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Kazhdan entre le politikon genos et le stratiotikon genos, traite l’épiscopat comme l’un des corps de l’administration de l’Empire. Il distingue un recrutement différencié entre les plus hauts sièges confiés à des aristocrates de la capitale et des sièges suffragants plus modestes tenus par les archontes provinciaux14. Il est vrai que l’épiscopat s’intègre difficilement aux études sur l’aristocratie. Plusieurs problématiques l’en excluent. La question de la parenté et des stratégies matrimoniales concernent peu les évêques, dont l’appartenance à une famille est mal connue. Les carrières laïques sont aussi très différentes de la carrière épiscopale. Les aristocrates changent en effet régulièrement de fonction tandis qu’un évêque est nommé à vie dans un diocèse. L’ethos, c’est-à-dire les manières d’être et de se comporter, et les valeurs de l’aristocratie laïque sont enfin éloignées de celles des évêques.

La thèse récente de L. Andriollo en apporte la confirmation. Son étude sur les provinces micrasiatiques de l’Empire inclut l’épiscopat comme institution de gouvernement provincial mise sur le même plan que l’administration militaire et civile15. Ses chapitres consacrés à l’idéologie et à la culture aristocratiques se concentrent sur les laïcs. Si certains évêques participent à la production de la littérature qui exalte les qualités aristocratiques, les exploits militaires des aristocrates sont bien éloignés de l’ethos épiscopal16. Ces remarques rappellent que, si nous disposons de travaux sur la culture et l’idéologie de l’aristocratie laïque, peu d’études concernent celles des évêques. Ces derniers peuvent y être intégrés lorsqu’ils partagent un trait culturel commun avec les laïcs. P. Magdalino intègre par exemple les écrits d’Eustathe de Thessalonique pour illustrer le snobisme et la culture agonistique des aristocrates byzantins17.

Une troisième perspective historiographique implique les évêques. Certains d’entre eux faisant partie des élites intellectuelles de l’Empire ont été inclus dans des histoires des idées et du système d’enseignement à Byzance. Ils sont cependant perçus dans ce cadre comme des penseurs et non comme des évêques. La prospographie des enseignants du

XIIe siècle établie par R. Browning s’intéresse peu au fait que certains d’entre eux deviennent évêques18. L’étude d’A. Kazhdan sur les idées d’Eustathe de Thessalonique ou de Nicéphore Chrysobergès s’inscrit dans cette logique. Les conceptions d’Eustathe de la société ou de l’art sont étudiées pour elles-mêmes et ne sont jamais liées à son épiscopat19. L’ouvrage de N.Wilson, Scholars of Byzantium, analyse aussi les cadres d’apprentissage,        

14 CHEYNET, Pouvoir et contestations, p. 316-318.

15 ANDRIOLLO, Constantinople et les provinces, p. 106-123, 175-197, 266-284.

16 Ibid., p. 355-402.

17 MAGDALINO, Byzantine Snobbery, p. 70.

18 BROWNING, Patriarchal School.

19 KAZHDAN, Eustathios of Thessalonica ; ID., Nicephorus Chrysoberges and Nicholas Mesarites.

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les idées et le rapport à la haute culture des intellectuels byzantins. Beaucoup d’évêques sont inclus dans son étude sans faire cas de leur épiscopat20. P. Lemerle fait de même dans son article sur le gouvernement des philosophes. Il s’intéresse à Jean Mauropous en tant qu’enseignant mais n’évoque pas son épiscopat à Euchaïta21.

Même si ces travaux apportent beaucoup d’éléments pour la connaissance de l’épiscopat byzantin des XIe-XIIe siècles, les évêques en sont des personnages périphériques.

Ceux-ci ne sont pas complètement laissés de côté. Les prélats les mieux connus, attestés par de nombreuses sources et auteurs de plusieurs textes, ont été étudiés individuellement par des articles et des monographies. Les premiers visaient à reconstituer la biographie d’un évêque dont la chronologie était complexe et demandait une recherche précise dans des textes souvent difficiles22. À partir des années 1970, l’édition ou la réédition des corpus épistolaires d’évêques des XIe-XIIe siècles a rendu ces sources plus accessibles et en a facilité l’analyse23. Ces évêques étaient cependant toujours traités individuellement et comme des personnages exceptionnels, bien que leur action pastorale dans leur diocèse eût été davantage mise en valeur. P. Magdalino a consacré un article aux relations entre Eustathe de Thessalonique et les habitants de sa cité, mettant en évidence les contradictions fortes entre un métropolite constantinpolitain cultivé et une société provinciale à la fin du

XIIe siècle24. La synthèse de M. Angold sur l’histoire de l’Église à l’époque des Comnènes est la première à faire une place à l’action des évêques dans leur diocèse. M. Angold rédige plusieurs chapitres sur les évêques des XIIe-XIIIe siècles en analysant leur parcours, le gouvernement de leur diocèse et leurs relations avec leurs fidèles25. Il abandonne l’idée d’une incompréhension insoluble entre des évêques originaires de la capitale et les sociétés provinciales. Il considère que les prélats de l’époque des Comnènes ont pris leurs devoirs au sérieux et n’ont pas méprisé leurs fidèles. Son étude n’est pas une analyse générale des évêques. Elle ne prend en compte que les principales figures de l’épiscopat du XIIe siècle et        

20 WILSON, Scholars of Byzantium.

21 LEMERLE, Gouvernement des philosophes. Voir aussi la monographie d’I. Thallon sur les rapports de Michel Chôniatès à la culture grecque classique, THALLON, Michael Akominatos.

22 DRÄSEKE, Johannes Mauropus ; STADTMÜLLER, Michael Choniates. Nous pouvons y ajouter les études plus récentes sur la vie et l’œuvre de Jean Mauropous, Jean Kastamonitès et Michel Chôniatès, respectivement d’A. Karpozilos, B. Katzaros et F. Kolovou (KARPOZILOS, Mauropodos ; KATZAROS, Kastamonitès ;KOLOVOU, Μιχαήλ Χωνιάτης).

23 La monographie de M. Mullet sur la correspondance de Théophylacte d’Ohrid, qui constitue le corpus épistolaire le plus riche de son temps, est l’aboutissement de ces entreprises éditoriales. Elle produit une analyse complète des lettres replacées dans leur contexte et étudiées aussi bien du point de vue littéraire que de celui de l’histoire sociale. Elle livre notamment une analyse détaillée des correspondants de Théophylacte et des usages du réseau de l’archevêque (MULLET, Reading the Letters).

24 MAGDALINO, Eustathios and Thessalonica.

25 ANGOLD, Church and Society, p. 156-262.

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les sources que ces prélats ont produites. Elle n’est d’autre part qu’une somme de monographies qui recoupe peu les sources des évêques qui étaient pourtant contemporains.

Si les principales figures de l’épiscopat des XIe-XIIe siècles ont donné lieu à des études approfondies, une analyse générale des évêques de cette période reste à faire. Des ouvrages ont déjà été consacrés aux périodes antérieures. Cl. Rapp, dans Holy Bishops in Late Antiquity, a reconstitué un modèle d’autorité des évêques, fondé sur trois éléments : l’autorité spirituelle, ascétique et pragmatique26. B. Moulet dresse dans sa thèse un tableau complet de l’épiscopat durant la période mésobyzantine jusqu’au début du XIe siècle. Il conclut sur la constantinopolitisation de l’épiscopat au cours de la période avec une accentuation du phénomène au XIe siècle. Celui-ci se traduit par la présence grandissante des évêques dans la capitale27. La question des rapports entre la capitale et la province devient alors un problème à prendre en compte dans la mesure où les évêques sont pris dans cette dialectique28.

Limites spatiales et temporelles du sujet

La périodisation de notre objet peut difficilement échapper à celle de l’histoire politique de Byzance, tant les évêques et leur gouvernement sont liés aux institutions centrales de l’État et de l’Église. Notre étude débute ainsi à la fin du Xe siècle durant la période d’expansion de l’Empire byzantin qui atteint son apogée territoriale au milieu du

XIe siècle lorsque Constantin IX Monomaque annexe le royaume d’Arménie en 1045. Elle s’accompagne d’une extension des horizons de l’Église byzantine avec la conversion du prince de Kiev Vladimir en 988, qui fait entrer la Rus’ dans le monde byzantin. La reconquête d’Antioche en 969 est un autre jalon important pour l’histoire ecclésiastique avec le retour d’un patriarcat oriental sous la domination byzantine. Une autre Église revient sous contrôle byzantin à partir de 1018 et de l’achèvement de la conquête de la Bulgarie par Basile II. L’Église bulgare est dotée d’un statut autocéphale, théoriquement indépendant du patriarcat de Constantinople, et devient une institution essentielle dans les relations entre l’Empire et les sociétés slaves des Balkans. À la même date est créée une        

26 RAPP, Holy Bishops.

27 MOULET, Évêques, pouvoir et société, p. 515.

28 La centralisation du pouvoir à Constantinople avait été mise en évidence par H. Ahrweiler dans son article sur les mutations sociales au XIe siècle. Les carrières et les fortunes se font désormais dans la capitale ce qui accentue le rôle du palais impérial. Cela se traduit aussi par une distance accrue entre la capitale, lieu de résidence de l’aristocratie et de concentration des richesses et de la haute culture, et les provinces, espaces considérés comme rustres (AHRWEILER, La société au XIe siècle, p. 102-105 et 123-124).

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métropole byzantine en Hongrie qui marque l’expansion ecclésiastique maximale de Byzance vers le Nord-Ouest29. Sans fixer une date unique arbitraire, le début de notre étude dépend de la chronologie propre à chaque région, en particulier pour les périphéries de l’Empire. La fin de notre période est plus simple à définir : la prise de Constantinople par les croisés en 1204. Si l’événement ne constitue pas un objet à prendre en considération, en raison de l’absence des évêques dans son déroulement, il est un point de rupture que nous ne pouvons ignorer. La fragmentation de l’Empire byzantin entre l’Empire latin, les entités politiques grecques revendiquant l’héritage impérial et les royaumes slaves, Serbie et Bulgarie, a des conséquences importantes sur l’épiscopat. Beaucoup de prélats grecs sont exilés et remplacés par des Latins, d’autres doivent établir de nouvelles modalités de gouvernement avec des autorités laïques différentes, moins éloignées mais aussi moins puissantes que les empereurs des dynasties des Comnènes et des Anges. 1204 constitue une rupture dans notre étude mais pas un horizon d’attente. Les interprétations de la crise de l’Empire byzantin et de sa fragmentation après la quatrième croisade oscillent entre des analyses structurelles et conjoncturelles30. L’étude de l’épiscopat seul ne permet pas d’apporter de nouveaux éléments à ces débats et le rôle, réel ou supposé, des évêques dans l’effondrement de l’Empire ne sera pas pris en compte afin d’éviter toute interprétation trop téléologique de l’action politique des évêques.

Les limites territoriales ne peuvent se confondre entièrement avec celles de l’Empire byzantin. L’importance croissante du nombre d’évêques byzantins dans des territoires dominés par d’autres autorités que l’Empire empêche de les exclure.

L’expansion de l’Église byzantine aux Xe-XIe siècles s’est parfois faite au-delà des territoires byzantins, dans les mondes russes et hongrois. Le recul territorial byzantin dans la deuxième moitié du XIe siècle, d’abord en Italie méridionale sous les coups des Normands puis en Asie Mineure sous ceux des Seldjoukides, oblige à prendre en considération la présence ou l’absence d’évêques byzantins sur les sièges perdus. La reconquête partielle de l’Asie Mineure au XIIe siècle sous les Comnènes, la partie occidentale sous Alexis Ier puis la Cilicie et la côte sud sous Jean II, s’accompagne d’une nouvelle occupation byzantine des évêchés micrasiatiques. Les sièges orientaux, bien qu’ils ne soient plus sous domination byzantine depuis plusieurs siècles, restent dans l’horizon impérial. Cela concerne en particulier les patriarcats de Jérusalem, d’Alexandrie et d’Antioche à partir de sa nouvelle perte en 1084 en raison du maintien de l’idéologie de        

29 BAÁN, Metropolitanate of Tourkia, p. 46-48. La métropole de Hongrie est créée entre 1018 et 1022.

30 Pour un résumé de l’historiographie de ce sujet, voir SIMPSON, Interpretations of the Late Twelfth Century.

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la pentarchie à Byzance et du gouvernement idéal de l’Église par les cinq patriarcats. Il faut donc étudier ces prélats au même titre que les autres dans la mesure où ce sont des agents de l’Empire envoyés non pas dans les provinces mais dans des territoires extérieurs.

Nous n’analyserons pas l’ensemble de leurs relations à la société locale, ce qui demanderait la lecture de sources dans des langues qui nous sont inaccessibles, mais nous les inclurons en considérant leurs relations avec Constantinople, leur place dans la politique impériale et en comparant ponctuellement leur situation à celle de leurs collègues nommés en territoire byzantin.

Méthodologie et problématique

La première étape de notre travail a consisté à produire une prosopographie de l’épiscopat byzantin. Les dictionnaires prosopographiques complets existent pour les périodes antérieures. Les volumes de la Prosopographie der mittelbyzantinischen Zeit couvrent la période mésobyzantine jusqu’à 1025 et nous fournissent des entrées pour le début de notre période. La Prosopography of the Byzantine World a été mise en oeuvre sous la direction notamment de M. Jeffreys pour le XIe siècle avant d’être élargie à la première moitié du XIIe siècle. Ce projet demeure encore incomplet et n’inclut pas l’ensemble des individus ni l’ensemble des sources de la période. La fin du XIIe siècle est par ailleurs peu documentée. Il convenait donc de fournir de fiches les plus complètes possibles sur les évêques de la période afin d’établir une sociographie de l’épiscopat. Ces fiches se trouvent en annexe de notre thèse. L’objectif de cette prosopographie n’est donc pas d’établir des listes les plus complètes possibles d’évêques par sièges comme le projetait Le Quien mais de mettre en évidence des parcours biographiques, des caractéristiques communes, mais aussi des divergences, du groupe épiscopal au-delà de la fonction. La méthode prosopographique opère ainsi un travail de déconstruction des groupes pour en rechercher les composantes irréductibles, les hommes, afin de reconstruire des groupes plus solides31.

Le premier élément important apporté par la prospographie est l’étude des trajectoires des évêques. Malgré des données biographiques limitées, nous pouvons reconstituer les origines sociales, les parcours, les formations et les carrières des individus vers l’épiscopat. Il ne s’agit pas de considérer ces biographies fragmentaires comme des

       

31 MAGDALINO, Byzantine Identity, p. 46-47.

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récits linéaires et strictement déterminés suivant la mise en garde de P. Bourdieu contre l’« illusion biographique » qui est une illusion rétrospective que peut avoir un individu sur sa vie mais aussi celui qui en fait l’étude : « la vie ne constitue pas un tout cohérent et orienté, expression unitaire d’une intention ou d’un projet32. » Notre recherche vise plutôt à comprendre comment les différentes positions des évêques avant d’obtenir l’ordination ont pu infléchir la représentation qu’ils avaient de leur place et de leur rôle en tant que pasteurs. C’est ici qu’intervient la question de l’autorité des évêques et du modèle auquel ils se réfèrent pour construire le fondement de leur pouvoir. L’autorité est la capacité d’un individu en position de domination à être obéi sans faire usage de violence et en obtenant le consentement de ceux qui lui obéissent. Les représentations que les individus ont d’eux- mêmes et des autres permettent alors de comprendre sur quoi se fonde une autorité. Les évêques sont investis d’une autorité spirituelle par l’institution ecclésiastique qui leur transmet l’Esprit par le biais de l’ordination33. Nous faisons l’hypothèse que l’autorité des évêques n’est pas uniquement fondée sur leur position dans l’Église mais qu’elle est aussi formée par leur trajectoire antérieure dont ils conservent un ethos. L’autorité est aussi relationnelle. Elle est définie par rapport à d’autres groupes qui peuvent entrer en concurrence entre eux. Il faut donc étudier la position des évêques en relation avec celles des autres individus ou groupes pour comprendre comment leur autorité se définit et s’exerce34.

Il s’agit donc de considérer les évêques et leur autorité selon l’ensemble des aspects de leur biographie et de leurs positions diachroniques ou synchroniques : membres de l’Église, agents de l’État, intellectuels et aristocrates. La définition de l’aristocratie donnée par J.-Cl. Cheynet s’applique tout à fait aux évêques : l’importance de la naissance comme critère de distinction, la richesse et la propriété foncière, l’exercice d’une fonction et la possession d’une dignité35. Cela pose la question de la place des évêques dans la structure sociale aristocratique et dans celle, institutionnelle, de l’Église et de l’État. Les plus récents travaux sur l’aristocratie byzantine ont en effet mis en évidence sa structure propre et ont insisté sur les liens d’homme à homme et les réseaux qui l’organisent. J.-Cl. Cheynet a montré l’importance des relations interpersonnelles au sein de l’aristocratie : la parenté et        

32 BOURDIEU, L’illusion biographique, p. 67.

33 Sur l’origine de cette conception de l’autorité, voir AIGLE, Introduction, p. 9-10. La réception de l’Esprit est à l’origine d’une conception charismatique de l’autorité qui est captée par l’institution ecclésiastique lorsqu’elle s’empare du monopole du don de l’Esprit.

34 Sur les définitions et la production historiographique récente autour du concept d’autorité, voir DROIT, KARILA-COHEN, Relation d’autorité, p. 15-17.

35 CHEYNET, Aristocratie. Nous préciserons au cours de ce travail l’importance relative de ces critères pour les évêques.

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les clans qu’elle formait, les liens de dépendance et d’amitié qui définissent le rang social autant que la fonction ou la dignité. Il précise leur importance croissante aux XIe-

XIIe siècles36. D’autres recherches sont allées plus loin et ont fait des liens personnels les principaux éléments de structuration de la société byzantine et de l’État. L. Neville considère ainsi que l’oikos, la maison et les relations qui l’organisent entre les parents et leurs serviteurs, constitue le principe sur lequel sont modelées l’ensemble des relations sociales à Byzance jusqu’aux liens entre l’Empereur et les serviteurs de l’État37. É. Patlagean a considéré que la « révolution aristocratique » des XIe-XIIe siècles avait abouti à la soumission de la puissance publique aux logiques sociales de l’aristocratie38. Sans réduire la question du pouvoir aux seuls liens personnels, il convient donc d’étudier l’épiscopat en l’analysant comme une fonction au service de l’Église et de l’État mais sans oublier que les évêques sont intégrés aux structures sociales de l’aristocratie et que les liens de parenté, d’amitié ou de dépendance doivent être pris en compte pour comprendre leur carrière et leurs actions dans le cadre de l’exercice de leur fonction.

La dernière problématique de notre travail est ainsi celle du gouvernement des évêques à Constantinople et dans leur diocèse. Le modèle d’autorité élaboré par les évêques se heurte à son application concrète. Si les évêques ont un rôle bien défini dans la société byzantine et des pouvoirs spirituels comme temporels39, les évolutions de leur conception de l’autorité ne peuvent que modifier leurs pratiques du pouvoir et leurs relations aux fidèles dont ils ont la charge d’âme. Il convient donc d’éclairer leurs pratiques et de comprendre l’influence du modèle de l’autorité épiscopale sur leurs actions ainsi que les failles que l’autorité peut présenter ainsi que ses contestations. Il faut alors analyser les tensions entre un modèle d’autorité élaboré durant une carrière principalement constantinopolitaine et un exercice du pouvoir en province dans un Empire où la distance symbolique entre centre et périphéries s’accroit.

Notre thèse est divisée en deux parties. La première concerne la construction du modèle d’autorité des évêques en relation avec leur trajectoire sociale et leur carrière pré- épiscopale. Après une présentation générale des sources (chapitre 1), les origines et la formation des évêques sont tout d’abord étudiées ainsi que la création de liens et de réseaux dans le cadre de leur parcours (chapitre 2), la procédure de désignation et        

36 CHEYNET, Pouvoir et contestations, p. 261-301.

37 NEVILLE, Authority, p. 5-38.

38 PATLAGEAN, Un Moyen Âge grec, p. 227-285. Sur l’historiographie de la dialectique entre la puissance publique et les liens personnels, voir ANDRIOLLO, Constantinople et les provinces, p. 11-12.

39 MOULET, Évêques, pouvoir et société, p. 349-350.

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d’ordination des prélats montre ensuite le jeu des relations de pouvoir entre l’Église, l’Empereur et les impétrants à l’épiscopat (chapitre 3). Ce parcours des évêques conduit à la formalisation d’un nouveau modèle d’autorité intellectuelle de l’épiscopat qui contient la trace des carrières des évêques et des représentations que ceux-ci ont d’eux-mêmes, de leur fonction et de leur pouvoir (chapitre 4). Ce modèle est ensuite mis à l’épreuve des pratiques de gouvernement dans la deuxième partie. Le premier problème à résoudre est celui de la présence effective des évêques dans leur diocèse et des reconfigurations de la géographie ecclésiastique à partir de la fin du XIe siècle et des pertes territoriales byzantines (chapitre 5). L’étude du gouvernement épiscopal débute par celle de son fondement matériel et des revenus épiscopaux qui occupent une place importante dans les sources et sont l’objet de mutations importantes et d’enjeux de conflits avec les agents de l’État et les autres grands propriétaires provinciaux (chapitre 6). Les relations des évêques à la société locale nous occupent ensuite et concernent les rapports de pouvoir, au spirituel comme au temporel, des évêques avec leurs fidèles ainsi que les modalités de gouvernement mises en œuvre par les prélats dans leur diocèse (chapitre 7). Les évêques relaient dans leur diocèse les décisions du patriarcat et du synode permanent prises à Constantinople par les plus hauts prélats, ce qui nous oblige à nous intéresser au rôle politique des évêques au centre de l’Empire (chapitre 8). La fin de carrière, la mort et la mémoire des évêques résument enfin de nombreux problèmes, difficultés de gouvernement et contradictions entre le centre et la périphérie qui s’imposent aux prélats des XIe-

XIIe siècles (chapitre 9).

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Chapitre 1 – Les sources : les traces éclatées des évêques à Byzance aux

XIe

-

XIIe

siècles

Les sources que nous utilisons pour étudier l’épiscopat byzantin ont déjà bénéficié du travail d’éditeurs scientifiques plus ou moins récents et sont toutes imprimées. Elles présentent en revanche un caractère éclaté. L’approche prosopographique de l’épiscopat nous oblige à recourir à la plus grande extension possible des sources pour y trouver des informations biographiques sur les évêques. Les données qui nous permettent de dessiner le tableau le plus complet possible, ou le moins incomplet, de l’épiscopat sont dispersées dans des sources de natures très variées. Le corpus sélectionné trahit ainsi cette dispersion des traces des évêques, de leur place et de leurs actes dans la société byzantine. Les sources sont présentées ici selon leur importance décroissante pour l’étude que nous proposons de mener. Elles sont regroupées par grands types. Le grand nombre de sources et leur disparité ne permettent pas de faire une critique de chaque document, critique qui a souvent été faite par les éditeurs scientifiques. Les éléments de critique interne ou externe d’une source particulière sont discutés, si l’argumentaire le nécessite, dans les chapitres suivants en prenant en compte les principes généraux exprimés ici.

Lettres et épistolographie

Les lettres fournissent pourtant une source particulièrement intéressante. Beaucoup d’épistoliers byzantins sont des évêques, envoyés en province à l’époque où le pouvoir connaît une centralisation croissante à Constantinople. Le maintien de liens avec la capitale, c’est-à-dire avec la haute aristocratie, est un enjeu de pouvoir essentiel pour ces prélats. La lettre est donc non seulement un support d’échanges et de circulations diverses, mais aussi un outil de gouvernement. F. Millar caractérisait l’Empire romain comme un système de « gouvernement par correspondance », ce qui s’applique également à sa partie orientale et médiévale1. Ce système de gouvernement et le maintien de liens entre les élites de l’Empire impliquent des échanges et des circulations constantes.

       

1 MILLAR, Emperor, p. 551 : « If we look back from the end of Constantine's reign over his relations of church and emperor, we can see mirrored in them almost every one of the distinctive features of the imperial

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Les lettres byzantines ont pourtant longtemps été négligées, considérées comme de simples exercices de style et sans véritable portée pratique. Le jugement de R. Jenkins, exprimé en 1963, était alors sans appel : « To us, a letter is a message accompanied by an expression of personal regard ; a Byzantine letter is an impersonal rhetorical flourish, which either contains no message at all, or, if it does, the message is couched in so obscure and allusive a fashion as to be nearly unintelligible2. » La lettre n’était pas étudiée comme vecteur de circulations mais comme un objet littéraire byzantin dans tous les sens du terme, marqué par le sceau pesant du cérémonial3. Les lettres byzantines ne peuvent être totalement inclues dans les catégories de l’intime ou de l’expression personnelle. Certaines sont lues en public ou adressées à des supérieurs hiérarchiques et leur écriture obéit ainsi à des normes rhétoriques, qui relèvent du contrôle conscient de l’épistolier et de la culture du groupe auquel il appartient.

L’édition de nombreux corpus de lettres à partir des années 1970 a conduit une révision de cette conception strictement littéraire de la lettre byzantine. Celle-ci a été considérée, non plus seulement comme un exercice de style vide de tout contenu, mais comme une source révélant des realia sur la société byzantine. Dans son avant-propos à l'édition de la correspondance de Théophylacte d'Ohrid, A. Failler a souligné que l'édition de P. Gautier fait apparaître « sous la paille foisonnante des mots, le grain épars des réalités4. » Pour J. Darrouzès, la lettre byzantine, pour peu qu'elle soit insérée dans un contexte historique précis, compense souvent la disparition de sources majeures, notamment les archives de l'État et de l'Église. Toujours selon J. Darrouzès, la lettre apporte un autre point de vue sur la société byzantine, celui d'acteurs engagés dans les événements qu'ils relatent5. L'intérêt des lettres byzantines a ainsi été réévalué par les historiens, qui ont mis l'accent sur leurs aspects instructifs, allant de la biographie de l’auteur à sa place dans la société en passant par l’étude des objets et des cadeaux échangés6. Les monographies les plus récentes sur les évêques ont été produites avec pour        monarchy which we have observed in operation in other contexts : the emperor's personal pronouncement of decisions and verdicts ; the addressing of accusations and petitions to him ; his conferment of privileges, and his decisions on the exclusion or inclusion or marginal cases ; gifts in cash and kind ; confiscation and restoration of property ; the issuing of edicta an general epistulae, and before that, for a long period, only of rescripta in answer to consultationes by governors, or to letters from koina and cities. »

2 JENKINS, Byzantine Literature, p. 45.

3 KARLSSON, Épistolographie, p. 16 : G. Karlsson théorise la « déconcrétisation » de la lettre byzantine, la réduisant à des écrits impersonnels copiés sur des modèles anciens.

4 THEOPHYLACTE D’OHRID, Lettres, p. 7.

5 GEORGES ET DEMETRIOS TORNIKES, Lettres et Discours, p. 5-6.

6 A. Karpozilos s’est ainsi attaché à faire l’inventaire des objets échangés avec les lettres à Byzance, dans une perspective d’étude de la vie quotidienne (KARPOZILOS, Realia, p. 36-37 pour l’index).

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source principale la correspondance des prélats7. Les correspondances ne sont donc pas complètement dénuées d'intérêt et une lecture plus attentive dissipe parfois les premières impressions négatives de l'historien. Il arrive que leur auteur, souvent par nécessité, doivent tenir un discours plus factuel qui apporte des informations sur les problèmes auxquels sont confrontés les métropolites dans la gestion matérielle et spirituelle de leur diocèse : relations avec leurs fidèles, avec les fonctionnaires de l'État central, avec les puissants de la province. Les lettres donnent à voir l'évêque dans le monde social dans lequel il évolue ainsi que dans ses activités quotidiennes de gestion de son diocèse. La nécessité d'écrire des lettres se fait souvent ressentir lorsque le prélat vient d'être nommé à son siège et quitte Constantinople : tous les métropolites qui ont laissé une correspondance ont en effet exercé une fonction dans la capitale avant d'être ordonnés, et le thème de l'exil est omniprésent dans leur correspondance8. Replacées dans leur contexte de production, les lettres ont été historicisées et les études ont pu mettre en évidence les évolutions dans l’écriture et le contenu des correspondances, démentant ainsi l’idée d’un genre figé9.

D’autres études, en particulier celles de Magaret Mullet, ont considéré la lettre dans son aspect relationnel. Les lettres apportent énormément d'informations sur les relations sociales des évêques : la liste des correspondants à elle seule permet de reconstituer les interactions d'un monde social, celui d'une élite lettrée7 (famille, amis, supérieurs ou subordonnés de l'évêque). Il est possible d’étudier le réseau d’un individu à travers sa correspondance et l’étude de M. Mullet sur la correspondance de Théophylacte de Bulgarie demeure un modèle extrêmement stimulant10. L'approche littéraire de la lettre permet de définir le degré d'affinité de l'évêque avec son correspondant, les rapports d'amitié ou d'inimitié, de domination ou de soumission qui lient l'émetteur et le destinataire. Ce travail sur le réseau est indispensable pour comprendre la place des évêques dans la société byzantine, leurs rapports avec les autres groupes ou individus qui la composent, et leurs usages de leur relations pour obtenir privilèges et autres avantages. Le faible nombre d’évêques auteurs de correspondance par rapport à la masse des prélats limite l’analyse des

       

7 Voir les chapitres consacrés aux évêques dans la monographie de M. Angold (ANGOLD, Church and Society, p. 158-231).

8 MULLET, Byzantine Letter, p. 90-91.

9 Ibid., p. 84-89. M. Mullet montre ainsi l’évolution de la lettre romaine vers la lettre byzantine. Tandis que la lettre romaine n’est qu’un prétexte pour écrire de la philosophie ou de la littérature, la lettre byzantine, qui prend sa forme au IVe siècle, devient une véritable correspondance, quoiqu’incluse dans une forme stricte.

Entre les VIIe et IXe siècles, la lettre byzantine, dans un contexte de crises, devient davantage fonctionnelle et politique et moins littéraire. Attribut qu’elle retrouve à partir de la fin du IXe siècle et de la correspondance de Photios, qui inaugure l’âge d’or de la lettre à Byzance qui se poursuit jusqu’au XIIIe siècle. 

10 MULLET, Reading the Letters, p. 163-222.

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réseaux à quelques figures. Néanmoins la conservation des correspondances est une opportunité à saisir car ce sont les sources les mieux adaptées pour reconstruire le réseau d’un individu, comme l’a rappelé M. Grünbart : « analysis of Byzantine networks is limited to a certain kind of sources, one of the most valuable of them is epistolography11. » Dans une société où les relations d’homme à homme sont importantes, les relations que font apparaître les lettres ont un caractère éminemment politique, même lorsque le contenu documentaire de la lettre est faible12.

Les travaux sur les lettres ont ainsi permis de ne pas réduire ces textes à de la simple rhétorique. C’est un terme qui est souvent usité pour désigner un texte conçu comme une composition obéissant à des règles rigides et multipliant les topoi13. Les correspondances présentent tout de même plusieurs limites : d'une part, elles n'ont été produites que par des métropolites ou des archevêques, qui sont des élites à l'intérieur du corps épiscopal. Les évêques de la base n'ont pas laissé de correspondance. Nous pouvons néanmoins trouver quelques lettres adressées par des métropolites à leurs suffragants, mais elles contiennent peu d'informations sur le destinataire. Par ailleurs les lettres contiennent relativement peu d'informations factuelles ou les cachent derrière un discours rhétorique subtil, fait de figures de style et de sous-entendus que seul le lecteur averti peut comprendre, ce qui rend leur lecture difficile. Enfin, dans la perspective de reconstitution du réseau d’un évêque, les lettres ne nous renseignent que sur les liens entre l’évêque et ses correspondants, mais trop peu sur les liens que pouvaient entretenir les correspondants entre eux. Il faut alors recréer des liens parfois hypothétiques pour tenter d’avoir une vision d’ensemble du réseau d’un évêque, qui ne se contentent pas décrire des liens centrés exclusivement sur l’auteur des lettres.

Les correspondances épiscopales couvrent l’ensemble de la période étudiée14. Le métropolite Léon de Synada, envoyé en ambassade à Rome en 997, a laissé une correspondance durant le règne de Basile II. Jean Mauropous a rédigé ses lettres durant les décennies centrales du XIe siècle. Ses lettres sont sans doute les plus complexes à aborder.

La plupart des noms des destinataires sont absents du manuscrit unique des œuvres du métropolite d’Euchaïta. D’autre part, ses lettres sont pauvres en realia et contiennent peu        

11 GRÜNBART, Reconstructiong networks, p. 310.

12 Un bilan précis de la fonction politique des lettres médiévales occidentales, très proches en définitive des lettres byzantines, a été fait dans DUMEZIL, VISSIERE, Épistolaire politique I, p. 11-14.

13 Pour un bilan historiographique plus général sur l’épistolaire byzantine, voir MULLET, Epistolography, p. 882-893.

14 Pour une répartition chronologique générale des lettres byzantines, voir GRÜNBART, From Letter to Literature, p. 292.

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de détails concrets sur sa vie et son action dans son diocèse. La correspondance de Théophylacte de Bulgarie s’étend sur le cœur du règne d’Alexis Ier Comnène, les années 1090 et 1100. Les correspondances du XIIe siècle sont plus nombreuses. Michel Italikos, métropolite de Philippoupolis, et Georges Tornikès, métropolite d’Éphèse, écrivent au milieu du siècle. Son dernier quart présente les correspondances de trois prélats qui ont été proches et dont plusieurs lettres sont adressées aux deux autres : Euthyme Malakès, métropolite de Néopatras, Eustathe de Thessalonique et Michel Chôniatès, métropolite d’Athènes. Les lettres du métropolite de Naupacte Jean Apokaukos ont aussi été prises en compte de manière plus marginale car ce prélat débute son épiscopat vers 1200 et la majorité de son œuvre épistolaire est produite après 1204. Les correspondances nous renseignent non seulement sur la vie de l’évêque dans son diocèse mais également sur sa carrière antérieure à son épiscopat. Les correspondances de Jean Mauropous, Michel Italikos, Georges Tornikès et Eustathe de Thessalonique contiennent plusieurs lettres datant d’avant leur ordination. Pour compléter les correspondances épiscopales, nous avons pris en compte les correspondances de laïcs qui ont pu être en contact avec des évêques.

Cela complète certaines lettres épiscopales lorsque le correspondant d’un évêque est également un épistolier connu, Michel Psellos pour Jean Mauropous ou Théodore Prodrome pour Michel Italikos.

Toutes ces correspondances ne forment pas des collections cohérentes et organisées dans le cadre d’un projet conscient de l’auteur ou d’un copiste15. Les lettres de Théophylacte de Bulgarie ont été conservées dans différents groupes de manuscrits et ne forment pas une collection cohérente16. Les lettres de Michel Italikos présentent également une transmission chaotique17. Celles de Georges Tornikès et d’Euthyme Malakès sont conservées dans un manuscrit unique18. La correspondance de Michel Chôniatès présente une plus grande cohérence et est conservée intégralement dans neuf manuscrits selon une logique qui semble chronologique19. Les choix de conservation des lettres posent problème. Dans la plupart des cas, nous ne savons pas qui effectue ce choix ni pour quelles

       

15 Sur ces distinctions, voir VERBAAL, Epistolary Voices, p. 11-16.

16 Un premier groupe de lettres en contient soixante-quinze, un second soixante-quatre dont treize identiques au premier, tandis que les autres lettres qui complètent les cent trente-neuf du corpus complet se trouvent isolées dans d’autres manuscrits (GAUTIER, Introduction aux lettres de Théophylacte, p. 13-27).

17 MICHEL ITALIKOS, Lettres et discours, p. 7-13.

18 GEORGES ET DEMETRIOS TORNIKES, Lettres et discours, p. 62-66 ; BONIS, Introduction.

19 Certaines lettres du corpus de Chôniatès sont conservées isolées ou en petits groupes dans d’autres manuscrits (MICHEL CHONIATES, Lettres, p. 11*-17*).

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raisons20. Plus que pour tout autre épistolier, les lettres de Mauropous doivent être replacées dans l’ensemble des œuvres du métropolite et recoupées avec ses épigrammes et ses discours. Cela permet d’une part de comprendre certaines allusions des lettres. D’autre part, Mauropous a lui-même réécrit et organisé ses œuvres et les a mises en ordre dans le manuscrit unique qui les contient (Vat. gr. 676) et qui pourrait être autographe21. Mauropous a probablement pensé non seulement sa correspondance mais aussi l’ensemble de ses textes comme un ensemble cohérent et il faut en tenir compte lorsque nous analysons l’un d’eux.

Les discours et textes rhétoriques

Les discours de genre différents et prononcés par des évêques en de multiples occasions sont davantage conservés pour les XIe-XIIe siècles. La maîtrise du logos est une compétence attendue des évêques et constitue un instrument politique fondamental.

L’accès à la parole est une caractéristique des élites intellectuelles et les discours contiennent de nombreuses informations sur leur place dans la société byzantine. Le

XIIe siècle est marqué par une floraison de textes rhétoriques produits par les milieux intellectuels constantinopolitains, dont font partie certains évêques ou futurs évêques. Ces textes obéissent à des règles de composition héritées de la rhétorique antique, comprise comme la technique du langage visant à produire des discours persuasifs22.

Nous disposons tout d’abord de plusieurs éloges funèbres d’évêques. La tradition littéraire hellénistique puis byzantine distingue deux types d’éloge funèbre, l’épitaphe et la monodie. L’épitaphe est structurée comme un éloge classique et doit évoquer dans l’ordre la famille, la naissance, le caractère, l’éducation, les faits et gestes du défunt. La monodie présente une organisation temporelle : présent (la lamentation devant le tombeau), passé (la vie du défunt), futur (le défunt comme modèle pour les générations à venir)23. Les deux types ne sont cependant pas toujours bien distincts car certains textes sont intitulés

« épitaphes » dans la tradition manuscrite alors que leur structure est celle d’une        

20 M. Grünbart (From Letter to Literature, p. 303-304) accorde un rôle important au theatron où les lettres étaient lues dans les milieux intellectuels constantinopolitains. La qualité littéraire de l’écrit et sa popularité auprès de l’audience seraient alors des critères importants dans la conservation d’une lettre. Nous ne pouvons cependant pas exclure d’autres critères de sélection, notamment les choix de l’auteur lui-même, bien que ces dernier puissent également être guidés par des considérations esthétiques.

21 D. Bianconi a montré que le manuscrit des œuvres de Mauropous datait de la fin du XIe siècle, soit de la fin de la vie de Jean Mauropous, mort après 1082 (BIANCONI, Giovanni Mauropode).

22 SCHOULER, La rhétorique dans l’enseignement byzantin, p. 174-175.

23 Ménandre le Rhéteur, p. 170-178 (épitaphe) et 200-206 (monodie).

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