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La « question totalitaire » en Europe occidentale au cours de l’entre deux guerres (1919-1939) : le cas de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste

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Preprint submitted on 9 Dec 2018

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La “ question totalitaire ” en Europe occidentale au

cours de l’entre deux guerres (1919-1939) : le cas de

l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste

Thomas Mozziconacci

To cite this version:

Thomas Mozziconacci. La “ question totalitaire ” en Europe occidentale au cours de l’entre deux guerres (1919-1939) : le cas de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. 2018. �hal-01948921�

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Article :

La « question totalitaire » en Europe occidentale au cours de l’entre deux

guerres (1919-1939) : le cas de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste

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« Les mouvements totalitaires avaient moins besoin de l’absence de structure d’une société de masse, que des conditions spécifiques d’une masse atomisée ». Hannah Arendt, philosophe américaine d’origine allemande, connue pour ses nombreux travaux sur le totalitarisme va apporter une définition concrète de cette notion au sein de son ouvrage Les Origines du totalitarisme paru en 1951.

Cette expression de « totalitarisme » va apparaître pour la première fois au sein des écrits antifascistes italiens constitués en grande partie par l’opposition catholique libérale italienne à partir de 1923 puis sera récupérée plus tard par Benito Mussolini au cours de son discours de l’Augusteo du 22 juin 1925 : « Tout dans l’Etat, rien en dehors de l’Etat, rien contre l’Etat ».

Ces régimes ne tolèrent la présence que d’un parti unique contrôlant l’Etat, qui, de son côté domine la société et l’ensemble de la masse populaire. Tel que décrit par Hannah Arendt, le totalitarisme n’est pas tant « un régime politique qu’une dynamique autodestructive reposant sur une dissolution des structures sociales ».1 Cette destruction volontaire, prônée au sein des idéologies totalitaires se voit appliquée par la création de camps, d’organisations de jeunesse -vouées à saboter l’institution familiale - ou encore par l’interdiction de liberté religieuse, remplacée par de nouveaux mythes strictement nationaux. De même, l’identité propre de chaque individu va laisser place à un sentiment d’appartenance à une masse populaire, dépourvue de toute classe sociale, dont la dévotion au chef mythique, guide national devient la seule raison d’être. Par ailleurs, et contrairement aux dictatures dites traditionnelles s’apparentant aux régimes autoritaires, autre point que nous pourrons développer au sein d’un autre article, le totalitarisme n’utilise pas la terreur, l’extermination pour parvenir au pouvoir. Au contraire, la terreur totalitaire se met progressivement en place une fois l’accession au pouvoir acquise à la suite d’alliances avec les forces traditionnelles de la société civile.

Bien avant l’avènement des régimes dits totalitaires en Allemagne ou en Italie, car publié en 1915, l’Allemagne au-dessus de tout d’Emile Durkheim tend à expliquer la monstruosité de l’ennemi par le triomphe d’une conception de l’Etat défini par sa puissance et qui, pour dominer une société civile de façon plus sûre doit être à la fois militaire et guerrier2. Le totalitarisme tel que défini par les différents penseurs au cours du XXème siècle tient sa terrifiante originalité non pas à ce qu’une nouvelle « idée » soit venue au monde mais, pour

1 STUDER B., « Totalitarisme », Encyclopédie Universalis (en ligne), consulté le 25 avril 2017, URL :

http://www.universalis.fr/encyclopedie/totalitarisme/

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Hannah Arendt, à des actes en rupture avec toute notre tradition et qui ont littéralement pulvérisé nos catégories politiques comme nos critères de jugement moral3. Cette nouvelle

idéologie va alors se développer sur la base de nombreux phénomènes comme la dilution des classes sociales qualifiées de traditionnelles, génératrice d’un Etat de masse. Cette nouvelle société atomisée fut créée par la déstructuration des classes sociales du fait de la révolution industrielle et des ravages de la première guerre mondiale. Par ailleurs, l’efficacité de l’action dominatrice mise en place sur les masses va être garantie par un nouveau type d’organisation de la société.

En effet, la structure hiérarchique pyramidale de tout système n’existe plus et laisse désormais place à une organisation d’accumulation de strates se développant à partir d’un chef et d’une prolifération de nouvelles instances, rivales les unes des autres, issues d’un dédoublement des institutions étatiques déjà en place. En outre, la logique totalitariste, et donc le mode de domination le plus efficace, sera accompli dans l’exercice de ce qu’Hannah Arendt appelle « l’essence même du totalitarisme » : la terreur, qui réduit voire anéantit les opposants par le biais de regroupements en camps de rééducation ou de concentration. Enfin, l’idéologie constitue le quatrième et dernier ressort du totalitarisme en ce qu’elle confère une légitimité à l’appareil coercitif.

Aussi, outre les éléments relatifs à son origine, le totalitarisme se trouve également constitué d’un ensemble d’idées qui va permettre l’établissement de cette idéologie radicale. Parmi ces idées on peut ainsi retrouver une logique non politique, une logique idéologique et enfin une logique terroriste. Le totalitarisme ambitionne une transformation, une refonte totale de la nature humaine. Cette radicalité idéologique est ce qui va venir conditionner la radicalité des moyens mis en œuvre pour parvenir à la réalisation de cette idée. Tout d’abord, la logique non politique du totalitarisme implique un dépassement et une destruction du domaine politique par excellence que constitue l’Etat : « Leur idée de domination ne pouvait être réalisée ni par un Etat ni par un simple appareil de violence, mais seulement par un mouvement constamment en mouvement ; à savoir la domination permanente de tous les individus dans toutes les sphères de leur vie »4. Par ailleurs, la logique idéologique, dont l’élaboration constitue l’épicentre de toute pratique totalitaire, fixe comme but final l’élaboration d’une société nouvelle dont la logique terroriste de celle-ci viendrait confirmer l’idéologie originelle. Cette logique terroriste, caractérisée par

4 Ibid, p.95

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une terreur infinie des régimes totalitaires en place trouve son illustration la plus frappante par la création de camps ; institution centrale du système totalitaire permettant la rééducation morale ou l’élimination de toute opposition. Cette logique d’exclusion incarnée par ces camps démontre bien la volonté qu’ont eue ces régimes de construire une « communauté totale »5 caractérisée par son unicité et donc exempte de toutes divisions internes.

Cependant, si de nombreux auteurs voient dans la révolution industrielle de la fin du 19ème siècle et dans la première guerre mondiale un terrain fertile à la naissance et à la propagation de cette idéologie, d’autres comme Karl Popper établissent un parallèle entre l’idéologie totalitariste et son organisation sociétale avec l’élaboration de la Cité platonicienne développée par le disciple de Socrate au cours du IV ème siècle avant notre ère. Cette cité utopique, imaginée par Platon, trouve son juste équilibre dans une conception d’organisation où l’Etat constitue le seul étalon. La seule question que doivent se poser les législateurs, les magistrats de la Cité demeure : est ce que ceci nuit ou pas la Cité ?

Pour Karl Popper, Platon développe dans son projet de Cité une conception collectiviste, tribale où l’intérêt du groupe, de la tribu, ou de l’Etat prime sur tout. Ainsi, pour Popper le totalitarisme qu’il entrevoit dans l’idée platonicienne de la Cité n’est pas la domination absolue d’une classe sur les autres, ni l’exploitation des classes laborieuses par la classe supérieure, mais bel et bien la stabilité de l’ensemble6.

Ainsi, comment pourrions-nous tenter d’expliquer, par le biais d’une approche historique et idéologique, l’émergence et la mise en place progressive de régimes, de systèmes politiques, qualifiés de totalitaires en Europe occidentale durant la période de l’entre deux guerres mondiales ? Pour tenter de répondre à cette interrogation il conviendra tout d’abord de s’attacher à étudier le totalitarisme nazi (I) avant de nous pencher sur l’étude du régime fasciste (II), de leur accession au pouvoir à la mise en application de leur idéologie.

5 Ibid, p. 57

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Section 1 : l’Allemagne nazie

Au sortir de la première guerre mondiale, l’Allemagne se trouve dans une situation critique car affaiblie par les conditions épineuses énoncées par le Traité de Versailles du 28 juin 1919. Le pays se trouve en effet sanctionné économiquement et territorialement par la perte de nombreuses colonies passées sous contrôle des puissances victorieuses. C’est donc dans une Allemagne agonisante que prend forme la nouvelle République de Weimar, qui, minée par les conflits politiques, et les difficultés économiques disparaitra en 1933 et l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir.

A) L’accession au pouvoir du parti nazi

Les premières années de la jeune République de Weimar sont marquées par des tentatives infructueuses de renversement politique comme les soulèvements spartakistes ou le putsch de Kapp en mars 1920. Dans le même temps, Adolf Hitler adhère au Deutsche Arbeiterpartei, le parti ouvrier allemand, chargé par les services de renseignements de récolter des informations sur les dirigeants du parti. Ses talents d’orateurs permettent un accroissement constant de son auditoire et c’est ainsi qu’Hitler, devenu dirigeant de ce groupe en 1921, en profite pour exposer ses idées extrémistes et restructurer le parti selon sa volonté. En ce sens, la création notamment d’un service d’ordre (les « SA ») permet l’encadrement militaire des membres du parti. Dès l’année suivante, les futures jeunesses hitlériennes sont également créées sous l’appellation « d’association des jeunes du NSDAP ».

Le tournant majeur du jeune parti ouvrier allemand sera l’année 1923, période d’agitation nationaliste. Dans une Allemagne durement touchée par la crise, économique et politique, le président Ebert proclame l’état d’exception sur tout le territoire. C’est le moment choisi par Hitler pour tenter de prendre le contrôle de la Bavière le 9 novembre 1923 lors du putsch de la Brasserie. Véritable échec sur le moment, car Adolf Hitler est condamné, cette tentative de renversement sera, après l’accession au pouvoir, sacralisée au sein de la mystique nazie.

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Condamné à plusieurs mois de prison, Hitler en profite pour rédiger un véritable manifeste politique : Mein Kampf (Mon Combat). Libéré le 24 décembre 1924, Hitler reprend les rênes du parti non sans avoir dû écarter préalablement Georges Strasser, représentant de l’aile gauche du parti.

Le NSDAP, qui se veut « parti-société », demeure assez marginal au cours de ses premières participations aux élections puis, de par son pouvoir d’attraction sur les jeunes et l’électorat populaire accroit son audience jusqu’à devenir une force politique de premier ordre. Ainsi, les élections de 1930 sont marquées par la présence au second tour du parti ouvrier, finalement défait par le maréchal Hindenburg ; par la suite celles de 1932 conforteront la puissance de ce parti qui obtiendra un tiers de sièges de l’assemblée.

« Encerclé par le péril rouge et par le péril noir »7, Hindenburg n’a d’autres choix que de nommer Adolf Hitler, soutenu par les grands industriels, chancelier le 30 janvier 1933. Pour conforter les forces politiques traditionnelles, les membres du parti national socialiste se trouvent en minorité lors de la composition du premier gouvernement. Ce consensus cache à peine la volonté qui anime Adolf Hitler d’établir une véritable dictature en Allemagne ; c’est ainsi que les opposants politiques sont traqués par les groupes paramilitaires ou la police secrète, la Gestapo. L’exemple le plus frappant de cette traque est sans nul doute l’incendie du Reichstag le 27 février 1933 qui permet l’arrestation de plusieurs milliers de militants communistes et l’interdiction de ce parti.

Les élections de mars 1933 se déroulent dans un climat de tension et de pression exercée par les commandos armés, SA et SS, du parti. Après une victoire sans contestation, le 14 juillet 1933 le parti national socialiste des ouvriers allemands est proclamé parti unique. Toute contestation politique est alors durement réprimée, comme ce fut le cas lors de la « Nuit des longs couteaux » des 29 et 30 juin 1934 au cours de laquelle le chef des SA, Ernst Röhm est assassiné.

Par la suite, Adolf Hitler profitera du décès du maréchal Hindenburg le 2 août 1934 pour fusionner les fonctions de président du Reich et de chancelier. La dictature est définitivement en place.

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B) Organisation idéologique et politique du parti national socialiste allemand

1) Le socle idéologique nazi

A la différence de Benito Mussolini en Italie, dix-huit mois suffirent à Adolf Hitler pour éliminer toute opposition et établir une dictature matérialisée par la maxime : « Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer » (Un peuple, un Etat, un chef). Le plus frappant, outre la rapidité du « consensus », est le degré de totalitarisme atteint en si peu de temps. Cette propagation aussi rapide de l’idéologie, de la conception hitlérienne de l’Etat se base sur trois grandes thèses, œuvres : le Mythe du XXème siècle8 d’Alfred Rosenberg, une thèse nordiciste développée par Hans Günther et enfin Mein Kampf, l’ouvrage d’Adolf Hitler.

Alfred Rosenberg, adhérent du parti nazi dès sa création est un idéologue et théoricien du parti national socialiste en compagnie de Joseph Goebbels. Son ouvrage, le Mythe du XXème

siècle, place la civilisation nordique, dont descendent les allemands, au cœur de l’humanité et

ce depuis l’Antiquité. Cette race nordique se trouve aujourd’hui assiégée par deux ennemis, le cosmopolitisme capitaliste et les vertus d’humilité chrétienne9.

Ce mythe antique entend développer l’honneur allemand, le nationalisme guerrier et belliqueux de cette race ainsi que la pureté et la prolifération de celle-ci par l’acquisition de nouveaux territoires. Cette civilisation que Rosenberg considère comme étant au centre de l’humanité ne pourra en tolérer aucune autre à ses côtés.

Par la suite, dans son ouvrage Raciologie du peuple allemand, Hans Günther va établir une classification des races en fonction de leur valeur ; la race nordique étant en tête et les civilisations issues du Sud et de l’Est de l’Europe étant considérées comme inférieures. Ce postulat de Günther sera mis à mal par des « raciologues » autrichiens pour qui il existe une race allemande en devenir, et non nordique, fruit de la transfusion de différentes races au sein du peuple allemand. Cette idée sera reprise par le parti national socialiste sous le slogan : « Volk Im Werden » (Peuple en devenir).

8 Publié en 1930, cet ouvrage est la traduction du titre allemand Der Mythus des zwanzigsten Jahrhunderts. 9 NEMO P., Histoire des idées politiques aux temps modernes et contemporains, Paris, PUF, 2002, p.1279

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La dernière thèse, le dernier support de l’idéologie nazie est sans doute la plus connue actuellement puisqu’il s’agit de l’ouvrage Mein Kampf rédigé par Adolf Hitler au cours de son emprisonnement à la suite de la tentative de putsch de novembre 1923.

Au sein de cet ouvrage, Hitler y développe les grandes lignes de sa doctrine telles que la théorie d’un peuple supérieur, du regroupement des races allemandes opprimées dans un « grand Reich », ou encore la théorie de l’empoisonnement de la race allemande cause majeure de la défaite de 1918 et responsable de tous les maux allemands.

La corruption de la « bonne nature du peuple allemand » trouve son origine dans son empoisonnement physique (handicapés), culturel (Hitler parle de « Kulturbolchevismus » pour définir les courants artistiques de l’époque que sont le cubisme et le dadaïsme) et moral (l’avidité caricaturale des juifs qui promeuvent une conquête économique et non plus territoriale).

L’idée d’une régénération de l’Homme allemand est alors au centre de l’argumentation de Mein

Kampf : « Tout croisement de deux êtres de valeurs inégales donne comme produit un moyen

terme entre la valeur des deux parents […]. Un tel accouplement est en opposition avec la volonté de la nature qui tend à élever le niveau des êtres »10.

Pour Hitler, il n’existe pas de civilisation sans hommes supérieurs. Ces hommes, vainqueurs des races faibles, constituent la race aryenne qui doit dominer la civilisation. Cette race, caractérisée par son esprit de sacrifice diffère des races dites inférieures simplement soucieuse de leur conservation individuelle. Ces dernières conservent une relative importance pour Hitler : rôle d’exécutants de la volonté aryenne.

10 HITLER A., Mein Kampf, 1924, p.256

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2) L’organisation structurelle du nazisme

La montée du nazisme est due, notamment, à la conjoncture de deux crises, l’une politique, l’autre économique. Dès sa prise en main par Adolf Hitler la prétention du parti a toujours été de rassembler le peuple allemand, de représenter une communauté nationale unie et homogène délivrée des antagonismes de classe nourris par le libéralisme et le marxisme11.

D’après Philippe Burrin12, , quatre éléments structurels vont constituer le régime nazi : une alliance avec les forces conservatrices, un duel Parti-Etat, un soutien populaire et le mythe du chef.

L’alliance avec les forces conservatrices fut le premier élément qui permit la progression politique du parti national socialiste jusqu’à la nomination en janvier 1933 d’Adolf Hitler au poste de chancelier du Reich. La cour assidue à l’égard des élites du pays mais également la pression exercée, notamment par la violence, des SA, va entraîner au sein de la population une convergence vers les idées nationales-socialistes. Cette convergence, il est important de le noter, ne fut jamais totale mais néanmoins suffisante. Il s’agit en effet plus d’une adhésion opportuniste que réelle, franche, sincère. Nous sommes en quelque sorte face à un « accommodement mutuel »13 pour restaurer la puissance et la grandeur d’action d’un Etat

affaibli par le traité de Versailles de 191914.

Par ailleurs, la question de la place du parti une fois celui-ci passé de l’opposition au pouvoir pose un problème central au sein des régimes totalitaires, puisqu’il en sera également question en Italie avec le parti fasciste de Benito Mussolini. En Allemagne, le parti d’Adolf Hitler, devenu un parti de masse, demeure le seul à pouvoir assurer à la fois un maintien de l’Etat mais également sa remise en cause. En effet, le parti et l’Etat sont, à cette époque, deux institutions parallèles, ayant une identité propre15. C’est pour cette raison que la fusion Etat-parti est, à l’origine, repoussée en faveur du maintien d’un appareil indépendant, sans doute dans l’optique de conserver une « façade légale » du nouveau régime.

11 BURRIN P., Fascisme, nazisme, autoritarisme, Paris, éd. Seuil, 2000, p.88

12 Historien, professeur des relations internationales à l’Institut universitaire des Hautes Etudes Internationales,

Philippe Burrin est spécialiste des études idéologiques des différents mouvements et partis politiques européens de l’entre deux guerres.

13 BURRIN P., op.cit., p.16

14 Cependant, cette alliance volera en éclat avec la proclamation le 14 juillet 1933 du parti unique. 15 Ibid, p.24-25

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Le problème se pose quand on analyse précisément les deux éléments en question. Le parti et l’Etat étaient l’un et l’autre des instruments au service d’un chef. Ainsi, même si aucune superposition d’activité n’existait, il en allait différemment des relations, compétitives et conflictuelles, entre ces deux organes. Le parti, base historique de l’idéologie nouvellement en place en Allemagne, conservait une volonté insatiable d’hégémonie et s’employait à arracher les compétences historiques de l’Etat dans le domaine de l’armée ou de l’instruction publique. Adolf Hitler semble trancher en faveur du parti lors du congrès de Nuremberg de 1934 en énonçant « C’est nous qui commandons à l’Etat ». Malgré tout, il demeure difficile d’affirmer la supériorité du parti nazi sur l’Etat. D’après Peter Diehl-Thiele, il serait plus juste d’affirmer que tous deux sont des instruments servant à l’accomplissement de la mission du peuple allemand.

Par ailleurs, le régime nazi s’appuyait également sur une base, un soutien populaire notamment des anciennes élites qui ne voyaient pas d’un bon œil la mise en place, en 1919, d’un régime de gouvernance démocratique. Le retour au pouvoir d’une force qui sait courtiser cette classe traditionnelle par son aspect conservateur, autoritaire, permet l’adhésion de l’ensemble de ces membres au nouveau régime. Ainsi, la base populaire « semble avoir été dûe à de multiples facteurs qui conditionnaient un soutien réel mais fragile, dans toute la mesure où il était fondé sur une inadéquation marquée entre les motivations de la population et les objectifs du pouvoir »16. Parmi ces facteurs l’on retrouve alors notamment le développement d’une politique sociale faite de loisirs ou d’assistance, promesse d’un mieux vivre futur.

Enfin, le mythe du chef apparaît comme le dernier composant de la structure nazie. Un véritable messianisme entoure la personne de celui que la population considère comme le sauveur. Ce chef, véritable guide de la nation allemande qui dispose des pouvoirs exécutifs, judiciaires et législatifs, tous confondus entre ses mains incarnait l’unité du peuple allemand, l’idée d’un glorieux avenir commun. Cependant, malgré son image d’homme de la Providence, le chef du parti se doit de conserver une « image humaine », de rester proche de son peuple, des enfants, génération future appellée à participer à la restauration de la grande Allemagne voulue par le Führer. Cette idée de « surhomme » semble être le seul élément de réussite totale du régime nazi. Pour Philippe Burrin, il s’agit en réalité d’une « réponse (faite) à une forte attente envers un pouvoir personnel en qui l’individu pouvait avoir foi »17

16 Ibid, p.35

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3) Les instruments du totalitarisme

Pour appliquer son idéologie, le nazisme va mettre en place toute une série d’instruments, d’éléments parmi lesquels nous pouvons retrouver la violence, cœur de la conception nazie du pouvoir.

Cette violence, qui permettait l’affirmation du droit du plus fort, et qui, pour les nazis, constituait une valeur en soi, prenait trois formes différentes. La première violence était celle de la répression politique qui ciblait les critiques d’Adolf Hitler et criminalisait également les opinions considérées comme inacceptables au sein du Reich (les témoins de Jéhovah par exemple).

La seconde violence était celle employée pour favoriser l’homogénéisation de la communauté populaire. Celle-ci punissait et excluait définitivement tous ceux qui ne pouvaient intégrer cette communauté à savoir les asociaux et les homosexuels. Enfin, cette violence nazie se poursuivait dans une logique strictement raciste « d’épuration de la race, d’assainissement du peuple », en vue de créer un espace vital strictement réservé à la race aryenne.

De même que l’autorité étatique, à la fois absolue et concentrée dans les mains d’un seul homme, le Führer, la propagande est également un des instruments du totalitarisme. Populaire, car adaptée aux facultés de tous, celle-ci est utilisée pour atteindre le plus largement possible la masse. Cette propagande ne s’avérera efficace que si la population allemande se trouve privée de toute source d’information ou d’expression extérieure c’est-à-dire non contrôlée par les membres du parti nazi. Ainsi, les journalistes se trouvent dans l’obligation d’adhérer à une corporation permettant de contrôler leurs écrits.18 De même, d’autres arts se retrouvent mis au service de l’appareil de propagande du régime ; c’est le cas du sport avec notamment les jeux olympiques de Berlin de 1936 mais également du cinéma, utilisé pour magnifier l’histoire germanique et assurer les masses endoctrinées de la justesse du combat mené par les nazis et de la supériorité de la civilisation aryenne sur les autres.

Enfin, la jeunesse allemande, représentante du devenir de la race aryenne est également un des instruments mis en place par la dictature hitlérienne dans sa quête de totalitarisme. Créées en 1922 sous le nom de « Compagnie des jeunes » puis renommées Jeunesses

18 A ce sujet, Joseph Goebbels, ministre de la propagande d’Adolf Hitler déclarera « que chacun joue de son

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hitlériennes en 1926, cette organisation dont la raison d’être est la formation de futurs « surhommes aryens » rassemblait l’ensemble de la jeunesse allemande sous une instruction sportive, militaire où la discipline, l’héroïsme et l’esprit de sacrifice prenaient le pas sur l’instruction scolaire. Cet encadrement de la jeunesse ravive le mythe spartiate d’une éducation commune, l’agogé, à visée holistique et militaire.

Comme le nazisme, le fascisme est un nationalisme de réaction face à une humiliation nationale. Ces deux idéologies sont nées de la misère, de la crise, du chômage et de la faim et apparaissent à l’origine comme des mouvements de désespoir et de révolte contre le libéralisme19.

Section 2 : L’Italie fasciste

Au sortir de la première guerre mondiale et malgré sa présence dans le camp des nations victorieuses, l’Italie est affectée par ce conflit notamment par l’incapacité de son gouvernement à défendre la position du pays lors du Traité de Versailles. Cette « victoire mutilée »20, terme employé de façon récurrente chez les nationalistes italiens de l’époque, aggrave la rancœur envers une classe politique déjà déstabilisée et ouvre la voie à de nouvelles tendances politiques parmi lesquelles le futur parti fasciste du Duce, Benito Mussolini.

A) La conquête du pouvoir

Militant de l’aile gauche du parti socialiste italien dont il devient un des leaders à partir de 1912, Benito Mussolini crée au lendemain du premier conflit mondial son propre parti, les « fasci italiani di combattimento », avec l’aide d’anciens combattants, de nationalistes et d’anarchistes. Le terme de « fasci », employé ici, demeure assez ambigu car il n’est pas sans

19 TOUCHARD J., Histoire des idées politiques du 18ème siècle à nos jours, Paris, PUF, Tome 2, 2005, p.804

20 Employée par Gabriele d’Annunzio, prince de Montenevoso, écrivain et soutien du régime fasciste à ses

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rappeler la tradition anarchisante des paysans siciliens insurgés en 1893 contre le pouvoir central, mais évoque également une tradition d’unité et d’autorité de l’ancienne Rome21.

Contre la victoire mutilée, et à la suite de la déroute électorale de 1919, ce nouveau parti prône un refuge dans le prestige romain antique de l’Italie. Au cours de l’année suivante se développe leur structure paramilitaire, les chemises noires, qui constitue un véritable bras armé de la contre révolution au service des grands propriétaires et dont l’agitation gagne progressivement les centres urbains.

Officiellement créé en novembre 1921, le parti national fasciste échoue une nouvelle fois aux élections électorales de 1922. De cette défaite naît la volonté d’une action directe pour conquérir le pouvoir. Ainsi dans le courant du mois d’octobre 1922 le congrès fasciste réuni à Naples décide d’une tentative de coup d’état le 27 octobre, journée au cours de laquelle plusieurs milliers de « squadristi » marchent sur Rome pour tenter de renverser le gouvernement du roi Victor Emmanuel III. Ce dernier, soucieux d’une part d’éviter tout massacre civil et d’autre part d’analyser ce que certains ministres appellent « la solution Mussolini » n’intervient pas.

Le 29 octobre 1922, Benito Mussolini, chef du parti fasciste italien est nommé président du conseil italien et compose alors un cabinet ministériel pluraliste avant de se voir voter, le mois suivant, les pleins pouvoirs pour une durée d’un an par le Parlement. Progressivement, le Duce établit une véritable dictature par l’adoption de la loi Acerbo qui lui permet d’obtenir la majorité des sièges lors des élections de 1924, ou encore par l’élimination pure et simple de tout opposant politique comme ce fut le cas lors de l’affaire Matteotti, secrétaire général du parti socialiste italien enlevé puis assassiné par les chemises noires en juin 1924.

Le 3 janvier 1925, Mussolini annonce officiellement le début de la dictature et le vote dès l’année suivante des lois fascistissimes suite à l’attentat raté contre sa personne. Ces lois permettent un élargissement des pouvoirs du président du Conseil qui n’est responsable que devant le roi, suppriment toute initiative parlementaire et enfin autorisent la traque de tout ennemi du régime par la police politique, l’OVRA (« Organizzazzione di Vigilanza e Repressione dell’Antifascismo »).

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Les leviers de l’Etat sont dorénavant concentrés entre les mains du Duce assisté par le grand Conseil du fascisme ; le roi n’étant maintenu que dans un simple rôle de représentation, de même que le Sénat, conservé car garant du prestige de la Rome antique.

En comparaison avec le nazisme, la mise en place d’un régime plus radical en Italie par Benito Mussolini requiert plus de temps car ce dernier devra composer avec une « tradition culturelle et une légitimité historique22 » du Roi et de l’Eglise23 que n’avait pas à affronter Adolf Hitler en Allemagne. Le Duce apparaît alors comme « l’élément régulateur et propulseur de l’Etat dans chaque domaine, de la politique extérieure à l’intérieur, des finances aux batailles autarciques ».24

B) Le fascisme, concept et application

1) Définition

« Le fascisme est une forme nouvelle, inédite, d’expérience de domination politique mise en œuvre par un mouvement révolutionnaire qui professe une conception intégriste de la politique, qui lutte pour conquérir le monopole du pouvoir et qui, après l’avoir conquis, par des voies légales ou illégales, dirige ou transforme le régime préexistant et construit un Etat nouveau, fondé sur le régime à parti unique et sur un système policier comme instrument de la révolution permanente contre les « ennemis intérieurs »25. Le fascisme s’apparente à un concept élastique universellement employé dans un sens péjoratif à l’encontre d’idéologies de droite, contre-révolutionnaires, conservatrices et autoritaires. Le principe de son idéologie est la critique des idéologies26.

22 CHAPOUTOT J., Fascisme, nazisme et régimes autoritaires en Europe : 1918-1945, Paris, PUF, 2013,

p.99-100

23 Notamment, ici, avec la signature des accords du Latran en février 1929 qui instaurent la souveraineté du Pape

sur le territoire du Vatican.

24 ASTRALDI, R. La legislazione fascista nella XX legislatura, 1934-1939, vol.I, a cura del Senato del Regno e

della Camera dei fasci e delle corporazioni, Rome, Tipografia della camera dei fasci e delle corporazioni, 1939,p.15.

25 GENTILE E., « Parti, Etat et monarchie dans l’expérience totalitaire fasciste » in Stéphane Courtois, Quand

tombe la nuit, Origine et émergence des régimes totalitaires en Europe : 1900-1934, Paris, l’âge d’homme, 2001

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Benito Mussolini affirme que le fascisme est une philosophie spiritualiste, condamnant la lutte des classes, et symbole de l’unité, de la force et de la justice d’un Etat. Au contraire, Jean Touchard, politologue français, voit le fascisme « d’abord comme une mythologie avant d’être une politique. Il impose un style plus qu’il ne propose un programme »27.

Pour Johan Chapoutot, le fascisme n’est pas un phénomène simple ou immuable ; il évolue dans le temps pour tenter d’atteindre, par l’intermédiaire de quatre stades différents, son

état le plus pur.

Le premier stade, que l’on nomme également premier fascisme est marqué par le développement, contre le capitalisme et la menace révolutionnaire, des mouvements extrémistes dans un contexte de crise. Le second fascisme est assez paradoxal puisqu’il naît de l’union entre le premier stade du fascisme et les grands intérêts privés et bourgeois. Les mouvements extrémistes appelant à une haine du capitalisme, on peut expliquer l’alliance de ses deux mouvements par la nécessité vitale d’accélérer un processus de modernisation face à une situation économique catastrophique et l’apparition de l’Etat providence.

Par la suite, le troisième stade du fascisme repose sur un compromis ayant permis l’accession du fascisme au pouvoir. Les classes économiquement dominantes voient leur hégémonie se réduire à mesure que se renforce le totalitarisme et pour garder leur pouvoir économique celles-ci préfèrent délaisser le pouvoir politique au fascisme.

Enfin, le quatrième et dernier stade du fascisme correspond à un système totalitaire le plus pur où le politique et l’idéologie prennent le dessus sur l’économique. Dans ce système totalitaire, les méthodes de terreurs, physique ou morale, se trouvent renforcées de manière démesurée.

Cependant, d’autres interprétations au sujet de la nature totalitariste ou non du régime fasciste virent le jour dès l’avènement de cette organisation étatique. Ainsi, de nombreux auteurs se penchèrent sur la question et développèrent leur propre conception sur la nature de ce régime.

Pour Emilio Gentile le fascisme est le premier mouvement à se penser comme « religion politique » en raison de sa référence au mythe comme seule culture adaptée aux masses28. De même, pour notre auteur, les attributions du Duce et du Parti National Fasciste (PNF), quoique

27 TOUCHARD J., op.cit., p.807

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distinctes, obéissent à une seule et même finalité à savoir la construction d’un Etat totalitaire. Renzo De Felice, pour sa part, dans des travaux datant de 198129, défend l’idée que le projet

totalitaire de Benito Mussolini préexiste aux lois raciales de 1938, que Gentile conçoit comme le point de bascule totale vers l’Etat totalitaire. De Felice présente le PNF comme l’agent essentiel de la politisation de la société civile sans pour autant jouer un rôle déterminant dans le mécanisme de décision politique. Le Duce serait donc à ses yeux le seul maître, le seul décisionnaire de l’Italie à cette époque.

Mais, deux grands philosophes, Hannah Arendt et Raymond Aron, s’opposent à l’idée de qualifier le régime fasciste d’Etat totalitaire. En effet, pour ces deux penseurs l’expérience fasciste ne saurait être assimilée à un phénomène d’essence, d’inspiration totalitaire en raison du caractère limité, bien qu’existant, de son programme de destruction de masse30. En outre, il n’existerait pas de « matrice révolutionnaire » suffisante pour entraîner une déformation substantielle de la société et du système politique31.

Par ailleurs, Sabino Cassese, juriste32 et membre de la Cour constitutionnelle italienne, émet également des doutes quant à l’idée de qualifier l’Italie mussolinienne de régime totalitaire car pour lui « le parti, le mouvement ou le fascisme en tant que tels furent totalitaires mais pas l’Etat dont ils prirent possession »33. Pour étayer ses propos il énumère, ce qui constitue à ses yeux, un certain nombre de paradoxes politiques. Parmi ceux qui attirent notre attention nous pouvons parler du fait que le fascisme veuille se caractériser par son opposition à d’autres régimes tout en acceptant de transiger avec des institutions libérales, comme le Roi et le Sénat, l’Eglise et son poids important au sein de la société italienne, mais également le capitalisme et la bourgeoisie34

En outre, Cassese trouve paradoxale l’idée que le fascisme puisse prétendre au titre d’Etat totalitaire. En effet, pour un régime qualifiable de moniste le régime mussolinien accepte une forme de pluralisme, même limité, au sein de la sphère politico administrative.35

29 DE FELICE R., Mussolini il Duce, II, Lo stato totalitario 1936-1940, Einaudi, Torino 30 ARENDT H., Le système totalitaire, Paris, Le Seuil, 1972, p.242

31 MUSIEDLAK D., op.cit., p.314

32 Professeur émérite à l'École normale supérieure de Pise et juge au Conseil constitutionnel italien, il est l'un des

principaux spécialistes des problèmes de l'État et de l'administration. Il fut également ministre de la Fonction publique en 1994 au sein du gouvernement de Carlo Azeglio Ciampi avant que celui-ci ne devienne président de la République italienne.

33 CASSESE S., L’Italie, le fascisme et l’Etat, continuités et paradoxes (Traduction et préface d’Éric Vial),

éditions rue d’ULM, 2010, p.55

34 Ibid, p.106 35 Ibid, p.108

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Ainsi, deux « courants » de pensée s’opposent ici quant à la qualification, à la classification de ce régime comme totalitaire ou non. Aujourd’hui encore il demeure assez difficile, malgré les différentes études de pencher en faveur de l’une ou l’autre hypothèse. Piero Melograni36 énonçait d’ailleurs que « la relecture de l’histoire n’est jamais achevée. Ainsi, (…) il serait opportun de parler non pas de fascisme, mais de mussolinisme ».37

2) L’organisation du pouvoir et les instruments du fascisme

Comme pour le nazisme en Allemagne, le fascisme italien se structure sur la base de quatre principaux éléments que sont l’alliance aux forces conservatrices, un duel parti- Etat, un soutien populaire et le mythe du chef.

L’alliance aux forces conservatrices est plus marquée en Italie où le Duce va devoir composer avec la place traditionnelle et historique de l’Eglise chrétienne et du souverain Victor Emmanuel III38. Cette présence de « contre-pouvoirs » empêche ainsi Mussolini de prôner un totalitarisme poussé à l’extrême sous peine de perdre le soutien de l’armée et d’une partie des grands décideurs du pays. Cette perte sera néanmoins effective lors de la chute du Duce, arrêté le 25 juillet 1943 sur ordre du roi, désireux de sauver sa dynastie potentiellement compromise du fait de ses liens avec le fascisme.

Comme pour Adolf Hitler, le parti fasciste est pour Mussolini un instrument à son service mais au contraire de l’organisation allemande, où le parti semblerait commander à l’Etat, en Italie le parti est subordonné à l’Etat du fait de l’omniprésence des contres pouvoirs historiques évoqués précédemment. Ce « parti-instrument », n’est pas la seule illustration d’un certain mimétisme entre les deux régimes.

36 Historien italien décédé en 2012. Ecrivain, il fut également professeur d’histoire contemporaine à l’université

de Pérouse.

37 CASSESE S., op.cit., p.29

38 En théorie, le roi Victor Emmanuel III demeure le premier personnage de l’Etat italien, mais la crainte d’un

effondrement de la monarchie en même temps que celui du fascisme entraîne de la part du monarque un « retrait » de la vie politique. Ce recul engendre ainsi un glissement politique progressif de la monarchie constitutionnelle vers le pouvoir fasciste.

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En effet, dès 1936, l’Italie de Benito Mussolini tend à se rapprocher de l’Allemagne nazie par un raidissement de l’idéologie fasciste39. Le Duce apparait de plus en plus attaché à

l’importance des signes extérieurs de puissances, et en vient ainsi à imiter le Führer jusque dans la législation raciale avec la publication, en 1938, d’un « Manifeste de la défense de la race » puis la création d’un Conseil supérieur pour la démographie et la race « sous l’égide duquel des mesures discriminatoires seront prises ».40

Par ailleurs, l’acquisition d’un soutien populaire et d’une légitimation du régime par celui-ci demeurait l’objectif principal de toute organisation politique de type fasciste. L’encadrement de la population par une « fascisation de l’esprit » et une propagande extrêmement développée permettait une plus large mobilisation de la population. Ainsi, dès leur plus jeune âge, les enfants étaient concernées par ce contrôle. En effet, cet embrigadement de la jeunesse commence, dès l’âge de quatre ans, avec l’organisation des « Fils de la Louve » avant de se poursuivre avec les « balilla », dès l’âge de huit ans. Par la suite, les « avanguardisti » prennent le relais dès l’âge de 14 ans, jusqu’à dix-huit ans, âge auxquels les futurs étudiants d’universités adhérent à de nouvelles organisations ou syndicats fascistes.

La base populaire constituait ainsi un soutien réel mais fragile, majoritairement manifesté à l’égard du chef et non du régime en lui-même. En effet, situé au-dessus du parti, loin du quotidien, le chef représentait un facteur d’intégration et de stabilisation41. Pour s’assurer de la confiance de cette base populaire le Duce et le régime fasciste mirent en place un encadrement de la population au niveau de l’instruction publique, pour les plus jeunes, ou du monde du travail pour les adultes. En effet, comme l’énonce l’universitaire et sympathisant fasciste Pietro Fedele, « le gouvernement exige que toute l’école, à tous les degrés, dans tout son enseignement, éduque la jeunesse italienne à comprendre le fascisme et à vivre dans le climat historique créé par la révolution fasciste ».42 S’agissant du monde du travail, le régime créa des syndicats fascistes, légitimés par l’adoption en 1926 de la loi Rocco. Cette dernière dispose qu’au sein de chaque catégorie socioprofessionnelle, une seul association salariale ou patronale, proche du régime en place, n’est reconnue. « L’État fasciste réaffirme ainsi sa souveraineté en dominant toutes les forces

39 Malgré la publication dès 1932 de sa « Dottrina del fascismo » écrit avec l’aide du philosophie italien

Giovanni Gentile. Il y développe d’ailleurs l’idée d’un chef infaillible et omnipotent placé au sommet de l’Etat pour donner tout son sens à ce dernier.

40 BERSTEIN S. et MILZA P., op.cit., p.287 41 BURRIN P., op.cit., p.37

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qui existent dans le pays, les disciplinant et les encadrant, tout en assurant l’unité économique par l’association des patrons et des ouvriers au sein des corporations ».43

En outre, l’ensemble de la structure politique (Elites, Etat, parti, peuple) s’organise autour de la personne, du mythe du chef, rassembleur national. De nombreux emprunts à la culture chrétienne sont effectués lorsque le chef est représenté comme le sauveur, l’Homme de la situation. Le chef, ici Mussolini, se veut à la fois intouchable, quasi divin, mais également proche du peuple évoquant son origine modeste et la difficulté des épreuves subies jusque-là. Enfin, le Duce n’hésite pas à rappeler fréquemment le prestige antique romain dont il déclare être le renouveau.

3) Les ambitions du fascisme

L’ambition première du fascisme est de créer une véritable conscience communautaire. Cette idéologie de l’entre deux guerres va souligner le rôle essentiel de l’Etat à travers le prisme du chef charismatique. Par ailleurs, de même que le nazisme en Allemagne, le fascisme conservait l’idée de formation d’un homme nouveau, d’un peuple nouveau mais non sur un modèle ancestral, antique comme l’énonçait le parti national socialiste allemand.

La révolution fasciste initiée en 1922 lors de la marche sur Rome avait pour fondement une philosophie de la force et du combat. La guerre, épreuve de vérité par excellence pour ces idéologies totalitaires, permettait de montrer la « volonté de puissance et de domination de l’Etat fasciste ». Cette idée de force, de combat va se retrouver dans la politique extérieure, belliqueuse et guerrière progressivement adoptée par le Duce, et dans sa volonté de reconstituer géographiquement les possessions de la Rome antique.

En effet, nous pouvons fractionner l’historique de la politique extérieure fasciste en trois phases. La première, de 1922 à 1926, se caractérise par un véritable compromis entre d’un côté un souci de prestige et de l’autre une conservation de cette « vocation agressive » du fascisme. La deuxième phase, de 1926 à 1933, que Serge Berstein et Pierre Milza qualifient « d’ère

43 POUPAULT C., « Travail et loisirs en Italie fasciste. Le système corporatif et l’encadrement des masses

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révisionniste »44 se distingue par l’expression de la volonté expansionniste italienne, clairement

affichée par Mussolini, se croyant alors protégé par l’Angleterre. La dernière phase, entre 1933 et 1936, constitue « l’apogée » de la politique extérieure fasciste avec le développement, principalement, en Europe, de partis ouvertement fascistes ou fascisants45 ainsi que la mise en place d’expéditions colonisatrices.

Cependant, cet « Imperium Romanum » ne verra jamais le jour du fait des difficultés militaires auxquelles doit faire face Mussolini. Victime de nombreux revers militaires, difficile colonisateur de pays africains comme l’Ethiopie la volonté de renouveau hégémonique de l’empire romain antique sera un échec retentissant pour le Duce.

Au cours de cette présentation, nous avons pu développer les différents éléments aussi bien historiques qu’idéologiques ayant facilité la mise en place progressive de nouveaux régimes qualifiés de totalitaires ou non selon leur nature. Ces nouvelles méthodes de gouvernance nées, notamment, d’une déstructuration sociétale, causée par les révolutions industrielles de la fin du 19ème siècle, et des ravages de la première guerre mondiale sur les puissances aussi bien vaincues que victorieuses vont profondément marquer le continent européen du fait de l’atrocité générée par ces « idéologies de la haine ». Actuellement, en Europe, de nouvelles voies se font entendre à la suite des difficultés économiques, issues de la crise financière, et politiques rencontrées. Ces problèmes-là ayant été, il y a près d’un siècle, un terreau fertile à la mise en place de régimes dits totalitaires, aussi bien en Italie qu’en Allemagne, peuvent-ils aujourd’hui encore s’assimiler à une nouvelle dérive fascisante ou plutôt à une situation réactionnaire, contestatrice de l’ordre établi, porteuse d’une volonté de renouveau organisationnel ? Nous pourrons éventuellement tenter de répondre à cette nouvelle problématique au cours d’un prochain article.

44 BERSTEIN S. et MILZA P., L’Italie contemporaine, du Risorgimento à la chute du fascisme, Paris, Armand

Colin, 1995, p.318

45 Ce fut notamment le cas du mouvement de la Phalange en Espagne ou du Francisme de Marcel Bucard en

France. Bien qu’hostile à l’origine à toute exportation du fascisme, la crise mondiale change radicalement la conception du fascisme de Mussolini notamment lors du discours de Milan du 25 octobre 1932 au cours duquel il énonce : « Dans dix ans on peut le dire (…) l’Europe sera fasciste ou fascisée ! ».

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Bibliographie : Ouvrages

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BERSTEIN, S et MILZA, P. Histoire du XXème siècle, Paris, Hatier, Tome 1, 2005, p.314 BERSTEIN, S. et MILZA, P. L’Italie contemporaine, du Risorgimento à la chute du fascisme, Paris, Armand Colin, 1995, p.318

Chapitre d’ouvrage

GENTILE, E. « Parti, Etat et monarchie dans l’expérience totalitaire fasciste » in Stéphane Courtois, Quand tombe la nuit, Origine et émergence des régimes totalitaires en Europe : 1900-1934, Paris, l’âge d’homme, 2001

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Article de périodique

POUPAULT, C. « Travail et loisirs en Italie fasciste. Le système corporatif et l’encadrement

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Site web

STUDER, B. « Totalitarisme », Encyclopédie Universalis (en ligne), consulté le 25 avril 2017, URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/totalitarisme/

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