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La philosophie vive plutôt que la philosophie à vif : Socrate aux périls de Marsyas : recherches sur les modes d'influence chez Platon, précédées d'une étude générale sur la magie et la pensée magique

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Texte intégral

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La philosophie vive plutôt que la philosophie à vif :

Socrate aux périls de Marsyas : recherches sur les modes

d’influence chez Platon, précédées d’une étude générale

sur la magie et la pensée magique

Jean-Charles Boutros

To cite this version:

Jean-Charles Boutros. La philosophie vive plutôt que la philosophie à vif : Socrate aux périls de Marsyas : recherches sur les modes d’influence chez Platon, précédées d’une étude générale sur la magie et la pensée magique. Philosophie. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2013. Français. �NNT : 2013PA010717�. �tel-02070564�

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UNIVERSITÉ PARIS I - PANTHÉON-SORBONNE

THÈSE

pour l’obtention du grade de Docteur de l’Université Paris I

Discipline : Philosophie

Présentée et soutenue publiquement le 17 décembre 2013 par :

Jean-Charles BOUTROS

La philosophie vive plutôt que la philosophie à vif :

Socrate aux périls de Marsyas

Recherches sur les modes d’influence chez Platon, précédées d’une étude générale sur la magie et la pensée magique.

Tome I

Sous la direction de :

Monsieur le Professeur Luc BRISSON et

Madame le Professeur Anne Gabrièle WERSINGER

Composition du jury :

Monsieur Luc BRISSON (Directeur de recherches, CNRS) Monsieur Marcello CARASTRO (Maître de Conférences, EHESS)

Monsieur Charles DELATTRE (Maître de conférences, HDR, Université de Paris Ouest Nanterre) Madame Renée KOCH PIETTRE (Directeur d’études, EPHE)

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Remerciements

J’adresse mes sincères remerciements à mes directeurs, Mme Anne Gabrièle Wersinger et M. Luc Brisson, pour leurs précieux conseils, leur disponibilité et leurs encouragements, qui auront toujours été une grande source de motivation tout au long de cette recherche, autant qu’une exigence à approfondir celle-ci.

Je tiens également à chaleureusement remercier Mme Renée Koch Piettre, M. Marcello Carastro et M. Charles Delattre d’avoir accepté de participer au jury de ma thèse et d’avoir pris le temps de s’intéresser à cette longue recherche.

Ce travail a été commencé sous la direction de M. Rémi Brague : qu’il trouve ici l’expression de toute ma gratitude pour ses conseils avisés et son soutien amical qui ont accompagné les premiers pas de cette recherche.

Je remercie également MM. Jean-Philippe Carrié, Houssaine Oussiali et Philippe Vallat, qui m’ont aidé à un moment ou un autre à me procurer certains documents.

Ma reconnaissance va enfin à ma famille, qui m’a toujours soutenu et avec laquelle j’ai passé trop peu de temps ces dernières années pour mener à bien ce travail.

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R é s u m é

Notre recherche vise à expliciter les principaux modes d’influence qui interviennent dans les Dialogues de Platon. L’influence consiste en une action modifiant les dispositions psychiques des individus, leurs opinions, leurs modes de réflexion, leur vision du monde. Pour être efficace, elle ne peut généralement s’exercer ouvertement et intervient donc à l’insu des personnes sur qui elle porte. Dans ces conditions, les arts occultes sont par nature d’excellents vecteurs d’influence.

Pour cette raison, nous faisons précéder notre recherche d’une étude générale sur la magie. Nous y passons en revue les principales conceptions anthropologiques sur cette pratique, ce qui nous amène à reconnaître que les individus n’y adhèrent pas en vertu d’une quelconque naïveté ou par croyance mais parce qu’ils ont des raisons de le faire, faisant l’expérience de l’efficacité des énoncés et dispositifs liés à la magie. Nous nous intéressons ensuite aux rituels en envisageant à la fois les aspects psychiatriques et les aspects culturels. L’étude des rituels personnels et des troubles obsessionnels-compulsifs nous permet de mettre en évidence la capacité des rituels à réaliser des cadrages cognitifs et à réguler l’interaction des sujets avec leur environnement. Ces caractéristiques se retrouvent au niveau des rituels culturels qui sont capables d’opérer des manipulations cognitives au moyen d’opérations logiques sous-jacentes créant des contraintes cognitives affectant les participants et leur construction de la réalité. Nous complétons cette étude sur la magie par un examen de la pensée magique reconnaissant sa normalité tant chez l’enfant que chez l’adulte et mettant en évidence l’application des lois de la magie sympathique dans de nombreuses réactions psychologiques, ce qui nous amène à faire l’hypothèse que l’individu pourrait recourir à une forme archaïque de logique, remontant aux premiers temps du développement de l’enfant, lorsqu’il doit prendre dans l’urgence une décision face à une situation inconnue potentiellement risquée.

Cette étude générale nous fournit un cadre dans lequel envisager les modes d’influence intervenant chez Platon, à commencer par la dimension de sorcier du personnage de Socrate, reconnue par plusieurs protagonistes et qui découle directement de sa capacité à produire de l’influence sur ses interlocuteurs au moyen de manipulations cognitives, par des cadrages et opérations logiques contraignantes, mettant ses interlocuteurs face à leur rapport à l’ignorance et à l’inconnu. L’objectif de Socrate est d’amener ses interlocuteurs à réfléchir sur eux-mêmes et améliorer leur âme en les questionnant et en les réfutant, malheureusement, tous ne sont pas réceptifs et les réactions peuvent être spectaculaires, voire inattendues face à un personnage qui est voué à éliminer le faux et les illusions.

Dans un premier temps, nous nous intéressons à différents facteurs susceptibles d’influer sur les modes de pensée des interlocuteurs de Socrate et leur manière de concevoir des opinions. Ainsi, la personnalité des individus tend à déteindre sur leurs conceptions. Ensuite l’habitude est propre à créer des évidences qui sont en fait erronées et qui dissimulent une ignorance. Par ailleurs, face à la complexité du déroulement des événements, il est assez facile d’appliquer une clef de lecture préconçue qui appauvrit ceux-ci et qui conditionne la réaction des individus. Le manque de connaissance de soi est également une source d’actions inadéquates, décidées hâtivement. D’ailleurs, l’appréciation éthique d’une action est toujours

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délicate. La société tente bien d’édicter des modèles de comportements valorisés mais il est toujours possible, les connaissant, de donner l’apparence qu’on les suit et de passer pour juste quand on ne l’est pas. La perception par les agents de la valeur éthique de leurs actions dépend en définitive d’un cadrage. Plus généralement, nos modes de connaissance produisent des cadrages qui ne nous donnent qu’une vision parcellaire de la réalité, sans que nous en ayons toujours conscience, si bien qu’il faut être capable de sortir de ces cadres pour améliorer sa connaissance. C’est pour ces raisons qu’une personne peut se croire plus savante qu’elle n’est mais aussi qu’elle peut ignorer toute l’étendue de son savoir, dont une dimension est cachée et qu’elle ne pense pas à prendre en considération. Enfin, nous envisageons à partir de l’étude d’un passage du Cratyle deux magies, celles de Poséidon et celle d’Hadès, dont les effets sont essentiels pour comprendre les phénomènes d’influence magique dans les Dialogues.

Nous détaillons ensuite les cas de divers praticiens de la magie mis en scène dans les Dialogues, après avoir analysé les thèses fondatrices de Gorgias sur la magie rhétorique et sur la puissance qu’elle donne à l’orateur. Nous abordons les effets de transe produits par la rhétorique d’Agathon et envisageons la façon de s’en prémunir. Puis nous nous tournons vers la magie oratoire déployée dans les oraisons funèbres, avant de nous pencher sur le cas du sophiste et de ses prodiges qui le rendent indécelable. Nous terminons cette revue des experts de la magie intervenant dans les Dialogues par l’analyse des moyens mis en œuvre par Agathon pour ensorceler les convives du Banquet, en mettant en parallèle la relation que fait Alcibiade de son expérience déroutante auprès de Socrate, qui nous donne un premier aperçu des enchantements que celui-ci est capable de produire et qui sont pour le moins ambigus.

Nous poursuivons l’étude de la magie de Socrate en nous penchant sur les différentes expériences de possession qui sont présentées dans le Phèdre, qui sont conditionnées par le lieu où se déroule le dialogue et par les divinités qui l’habitent, mais aussi par certains traits de caractère des personnes qui les rend plus réceptives à une certaine rhétorique déchaînant en eux des êtres incontrôlables. Et justement, Socrate s’emploie à traquer ces monstres pour les dompter, ce qui induit un processus initiatique permettant de passer d’une transe incontrôlée à une transe contrôlée, et de cette démarche découlent des méthodes d’acquisition des savoirs et d’interprétation, mais aussi une puissante source d’influence.

Nous analysons ensuite plusieurs cas marquants où se déploie la magie de Socrate. Ainsi, il subjugue Ménon et le paralyse par ses réfutations qui le plongent dans une aporie pétrifiante, coupé de ses habitudes de pensée. Nous nous intéressons aussi au cas d’Agathon, déstabilisé par Socrate avant son discours du Banquet, et contraint à se renier après celui-ci, avant de détailler celui d’Alcibiade, en nous efforçant d’isoler dans son témoignage sa vision subjective de la magie que Socrate déploie sur lui, mettant en évidence divers procédés créant des contraintes cognitives et générant des affections comme la honte. Le discours de Diotime prononcé par Socrate dans le Banquet nous renseigne sur l’initiation qu’il a subie et qui a conditionné sa méthode et son rapport au savoir. Enfin, nous étudions de quelle manière Socrate exploite la magie amoureuse pour essayer d’amener ses interlocuteurs à tourner leur âme vers les réalités intelligibles.

Nous complétons notre analyse en abordant la question de la dimension incantatoire du

λόγος, en nous penchant sur les tours des éristiques de l’Euthydème et les ripostes de Socrate,

qui déploie des talents d’ingéniosité pour préserver ses amis des effets des réfutations éristiques et pour tenter d’envoûter les deux sophistes. L’étude de l’incantation que Socrate propose à Charmide dans le dialogue portant le nom de celui-ci met en évidence l’existence de λόγοι intérieurs aux êtres, déjà envisagés dans l’Euthydème, sur lesquels il est possible

d’intervenir pour générer de l’influence. Nous abordons aussi certains types de contraintes qui conditionnent le comportement de Charmide. Notre enquête sur la magie dans les dialogues socratiques s’achève par l’étude des incantations évoquées dans le Phédon, à la recherche

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desquelles les amis de Socrate sont invités à se lancer pour conjurer leurs craintes de la mort, une fois que lui-même aura bu la ciguë. La philosophie a pour vertu d’aider l’âme à se séparer du corps, qui la retient par de puissants envoûtements provenant des appétits, et de changer de vie en rompant avec l’existence soumise au joug du corps. Avec cette nouvelle vie, Socrate propose un pari qui au pire garantit une existence exempte d’injustice et au mieux donne accès à une félicité de l’âme dans l’Hadès. Par cet acte, il prend ainsi pleinement le contrôle de sa vie dont il affirme ainsi la singularité irréductible. Enfin, nous analysons l’ultime incantation de Socrate, le mythe eschatologique.

Une des applications importantes des incantations chez Platon se trouve dans le domaine politique car elles permettent au législateur d’avoir une action beaucoup plus efficace, en recourant moins à la coercition, puisqu’elles créent chez les citoyens les dispositions propices à la réalisation de ses projets. Pour commencer, nous envisageons les rapports entre les lois et les citoyens à partir du Criton, où l’imprégnation culturelle qu’elles réalisent est soulignée et qui montre la nécessité urgente de rendre les citoyens vertueux. Les incantations sont un moyen pour y parvenir, en déterminant la forme des comportements des citoyens par l’éducation. Ces incantations seront notamment dispensées par la participation des citoyens à des chœurs et par des mythes, qui modifieront le rapport aux plaisirs et aux peines des habitants. L’objectif est de fonder la cité à la manière d’une tribu, en créant une affiliation des individus à celle-ci et en agissant sur leur vision du monde. L’incantation devient un auxiliaire de la loi, apparaissant dans les préambules des textes législatifs, intervenant dans certains domaines de la vie privée où la loi est impuissante, voire contre-productive, participant ainsi efficacement au contrôle social. Néanmoins, certains maux graves ne peuvent être traités par cette méthode, comme l’athéisme qui est une affection de la raison et qui doit être combattu par des raisonnements. Notre recherche se clôt avec l’étude des lois portant sur les crimes de magie.

Notre travail est traversé par la figure mythique du satyre Marsyas écorché vif pour avoir défié Apollon et s’être cru aussi doué qu’un dieu. Tout l’enjeu de l’existence est de parvenir à vivre pleinement en parvenant à échapper à son triste sort, de sortir de soi-même sans déchirer son enveloppe cutanée, en inventant un retournement astucieux.

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Sommaire

Remerciements ... 3 

Résumé ... 5 

Sommaire ... 9 

Abréviations, sigles et références ... 15 

Introduction générale ... 19 

1

re

partie : Étude générale sur la magie et la pensée magique ... 37

 

I.

 

Conceptions anthropologiques de la magie ... 49

 

1-  Les Intellectualistes ... 49 

a)  Les précurseurs : E. B. Tylor, A. Lang et le principe d’association d’idées ... 50 

b)  Les lois de la magie sympathique : J. G. Frazer ... 53 

Note sur une autre approche psychologique : A. Lehmann ... 58 

2-  L’école française d’anthropologie ... 60 

a)  Magie et sociologie : M. Mauss et H. Hubert, É. Durkheim ... 60 

b)  La mentalité prélogique et la loi de participation : L. Lévy-Bruhl ... 65 

3-  L’apport de l’anthropologie de terrain ... 68 

a)  E. E. Evans-Pritchard et la magie chez les Azandé ... 68 

b)  La magie pour contrôler l’incontrôlable et le pouvoir du langage : B. Malinowski ... 73 

4-  Psychanalyse de la magie ... 82 

a)  L’approche freudienne ... 82 

b)  Le principe de magie : G. Róheim ... 85 

5-  Magie et symbolisme ... 86 

a)  C. Lévi-Strauss et l’efficacité symbolique de la magie ... 86 

b)  L’expressivité de la magie ... 90 

c)  La magie comme acte performatif : S. J. Tambiah et R. A. Rappaport ... 91 

6-  La difficulté d’assigner un sens aux rituels ... 97 

7-  L’efficacité réelle de la magie ... 101 

a)  L’efficacité magique n’est pas affaire de croyance ... 102 

i.  Considérations générales sur la notion de croyance ... 102 

Distinctions sémantiques ... 102 

Une attitude qui n’a rien d’irrationnel ... 111 

ii.  La dualité face aux croyances ... 126 

b)  Une ethnologue en prise directe avec la magie : J. Favret-Saada ... 141 

i.  Principes d’action de la magie ... 143 

ii.  Impact social de la magie ... 151 

c)  L’ethnopsychiatrie et l’efficacité de la magie de guérison : T. Nathan ... 156 

i.  Principes de l’efficacité des rituels de guérison ... 156 

ii.  Efficacité réelle contre efficacité symbolique ... 164 

II.

 

Le rituel ... 167

 

1-  Approche psychiatrique : les rituels personnels et les troubles obsessionnels-compulsifs ... 170 

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a)  Rituels religieux et rituels personnels pathologiques ... 174 

b)  Étiologie des T.O.C. ... 177 

c)  La question de l’estime de soi ... 181 

d)  Conséquences pour les rituels personnels et les T.O.C. ... 187 

e)  Incertitude et risque ... 192 

f)  Le rituel manipule un cadre cognitif ... 198 

2-  Les rituels culturels ... 214 

a)  Rôle et utilité des rituels culturels... 214 

b)  L’existence du rituel est une exigence logique ... 219 

c)  Fonctionnement du rituel culturel ... 222 

i.  Des degrés d’implication personnelle divers mais une unité de comportement générale 222  ii.  Une manipulation cognitive ... 224 

iii.  Rituel et logique ... 229 

Note sur les rituels, l’intégrisme et la soumission à l’autorité ... 234 

iv.  Métaphores et symboles ... 236 

v.  Les outils du rituel ... 241 

vi.  Le culte du mystère et de l’étrange ... 246 

vii.  Aspects sociaux du rituel ... 254 

viii.  La construction de la réalité par le rituel ... 259 

ix.  L’efficacité du rituel ... 266 

III.

 

La pensée magique ... 269

 

1-  Un phénomène normal ... 270 

a)  La pensée magique chez l’enfant et l’adolescent ... 270 

b)  La pensée magique chez l’adulte ... 272 

2-  Les lois de la magie sympathique et la psychiatrie ... 276 

a)  Observations de l’application des lois de la magie sympathique au quotidien ... 276 

i.  Interaction avec l’environnement matériel ... 276 

ii.  Interaction avec autrui ... 279 

b)  Une logique archaïque ... 286 

2

e

partie : Recherches sur les modes d’influence chez Platon ... 293

 

I.

 

Cadres et vides cognitifs ... 305

 

1-  Les pièges de la subjectivité ... 306 

a)  L’opinion spontanée ... 307 

b)  Des évidences trompeuses ... 317 

c)  Une question de point de vue ... 326 

i.  Une réalité enchevêtrée ... 326 

ii.  Opinion, interprétation, action ... 331 

iii.  Trouver une référence adéquate ... 335 

2-  Action et réflexion ... 340 

a)  Des risques de certains réflexes ... 341 

b)  Les apparences avant tout ... 346 

c)  Système et logique de l’éthique ... 354 

3-  Aux frontières de l’ignorance ... 364 

a)  Un stratagème trop efficace ... 366 

b)  Savoir sortir des limites ... 376 

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i.  Trouver ses propres opinions ... 383 

ii.  Un savoir profond occulté par l’opinion... 387 

Pris à son propre piège ... 388 

Savoir malgré soi ... 390 

d)  Quand l’inconnu montre l’invisible ... 399 

i.  Apprendre à s’effacer ... 399 

ii.  Révéler l’invisible ... 404 

4-  Les deux magies ... 413 

II.

 

De quelques professionnels de la parole magique ... 429

 

1-  L’héritage de Gorgias ... 430 

2-  Jeux de domination ... 443 

a)  Provoquer la transe ... 444 

b)  Résister à la magie ... 451 

3-  Magie de l’orateur ... 461 

4-  Le plus parfait des camouflages ... 474 

5-  Deux approches de la magie pas si différentes ... 493 

a)  Inversions ... 495 

b)  La magie rhétorique et poétique d’Agathon ... 500 

i.  Transgression et effraction rhétorique ... 500 

ii.  Vers le pouvoir absolu ... 510 

iii.  Une magie orphique ? ... 515 

iv.  Un discours politique ... 521 

v.  Efficacité magique du discours d’Agathon et de l’éloge ... 523 

c)  Marsyas ou la magie vue par ceux qui la subissent ... 525 

i.  Retour de l’aulos ... 525 

Envoûtements et bouleversements ... 526 

Le cas d’Alcibiade ... 534 

ii.  Le discours d’Alcibiade : jeu d’images ... 544 

iii.  Le satyre et son aulos ... 551 

III.

 

Possession et évocations : la nécromancie selon Socrate ... 581

 

1-  Amis ou amants ? ... 582 

a)  La force du faible ... 583 

b)  Diverses formes de possession ... 588 

2-  À la recherche de l’hôte du discours de Lysias ... 611 

a)  Des lieux enchanteurs : une question de vision du monde. ... 612 

b)  Écran d’orgueil ... 623 

c)  Se faire du mal en croyant se faire du bien ... 632 

3-  De la transe à l’initiation ... 637 

a)  Rencontre avec le monstre ... 638 

i.  La transe de Phèdre ... 638 

ii.  Le traque de Python ... 642 

b)  La vérité et les illusions coulent de source ... 650 

c)  Initiations et bifurcations ... 656 

4-  Savoir, penser et faire penser ... 670 

a)  Compréhension et transmission ... 671 

(13)

12

T o m e I I

Sommaire ... 703 

IV.

 

L’art d’influencer ... 709

 

1-  Un embarras contagieux… ... 710 

a)  Des mauvaises habitudes et des bonnes attitudes ... 712 

b)  Un dialogue dans lequel le courant passe entre les interlocuteurs… ... 717 

2-  Faire changer autrui ... 731 

a)  Le manipulateur manipulé ... 732 

b)  Un désenvoûtement ... 737 

c)  Alcibiade témoin privilégié de la magie socratique ... 743 

i.  Les effets de la magie socratique ... 744 

ii.  L’art de l’envoûtement de Socrate... 752 

iii.  L’utilisation de la honte ... 767 

iv.  L’impossible compromis(sion)… ... 779 

3-  L’attraction du vide : éloge de l’intermédiaire ... 785 

a)  La déchirure ... 786 

i.  Du hoquet à l’éternuement ... 786 

ii.  Façons de se transformer sans changer... 791 

b)  Une initiation démonique ... 796 

i.  La médiation démonique ... 800 

ii.  Enfanter un philosophe ... 803 

iii.  Trouver l’objet adéquat de l’amour ... 808 

iv.  Désirer l’immortalité et l’obtenir ... 809 

Se régénérer ... 809 

Prendre soin de son âme ... 812 

Des différentes formes d’immortalité ... 813 

c)  La révélation ... 818 

i.  Un programme de vie à suivre ... 818 

ii.  Une transformation profonde ... 822 

iii.  L’éveil de la pensée et la redéfinition de l’action ... 826 

d)  Attirer et retourner ... 834 

V.

 

Le

λόγος comme incantation ... 851

 

1-  Surtout demeurer à la surface des choses ... 852 

a)  Un outil puissant à ne pas laisser entre toutes les mains ... 853 

i.  Un jeu auquel on perd si l’on en respecte les règles ... 854 

ii.  Profiter de l’instant ... 860 

b)  Retrouver le sens des réalités... 862 

i.  Une curieuse initiation ... 862 

ii.  La contrainte cognitive ... 865 

c)  Vers un ordre du monde dévoyé ... 868 

i.  D’une certaine croyance au pouvoir des mots ... 868 

ii.  Produire avec des mots ... 871 

d)  Envoûter l’envoûteur ... 877 

i.  La théorie : le mythe de Protée ... 877 

ii.  La pratique : Socrate à la manœuvre, avec Clinias, Criton et Ctésippe ... 890 

2-  D’une incantation et d’autres… ... 900 

a)  Jeux d’envoûtements ... 901 

i.  D’un magicien et d’un médecin malgré lui ... 901 

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13

b)  Le pouvoir de l’incantation ... 908 

i.  Niveaux de λόγος ... 908 

ii.  Sauts logiques : l’âme et le λόγος, la réalité et la vie ... 911 

c)  Particularités des incantations socratiques ... 915 

i.  Zalmoxis et la parole efficace ... 915 

ii.  Exigence éthique et émergence de la vertu par le λόγος ... 919 

iii. Où l’incantation appliquée n’est pas forcément celle que l’on croit ... 921

iv.  Critias et la nature formelle de la vertu : corruption de l’incantation ... 925 

d)  Une incantation en action ... 932 

i.  Quand le corps se fait le miroir de l’âme et l’âme celui de l’opinion ... 932 

ii.  Double contrainte ... 939 

e)  Bilan de la recherche et implications éthiques. ... 947 

i.  Retour sur l’incantation et Zalmoxis ... 947 

ii.  Une question d’attitude... 951 

3-  La vie comme envoûtement ... 955 

a)  Trouver l’enchanteur ... 956 

b)  Le mal et le remède ... 973 

i.  L’intérêt de réguler les affections corporelles ... 973 

ii.  Le corps envoûte l’âme ... 975 

iii.  Acquérir de nouvelles habitudes pour changer de vie ... 985 

iv.  Vivre sans rien avoir à perdre ... 994 

c)  La vie est un φάρμακον ... 999 

i.  Magie et changement d’attitude ... 999 

ii.  Le mythe final du Phédon ... 1003 

VI.

 

Un outil à la disposition du législateur ... 1013

 

1-  Un problème de vertu ... 1015 

2-  Altérer les comportements ... 1021 

a)  Nature des incantations ... 1022 

b)  Application à la législation ... 1030 

i.  Un jeu sur la forme ... 1030 

ii.  L’utilisation de la poésie ... 1044 

c)  Divers moyens au service d’une noble fin ... 1049 

3-  Créer une tribu ... 1061 

a)  Fédérer les différences ... 1062 

b)  Affilier ... 1070 

c)  Façonner la vision du monde ... 1083 

4-  L’art subtil du contrôle social ... 1086 

a)  Les préambules des lois et leur champ d’application ... 1087 

b)  L’incantation, complément de la loi ... 1093 

c)  Méfaits de l’athéisme dans la société ... 1100 

d)  La magie dans la cité ... 1105 

i.  L’impiété sous toutes ses formes ... 1105 

ii. Les crimes de magie ... 1110

Conclusion ... 1123 

Bibliographie ... 1133 

Annexe ... 1229 

(15)

14

Index ... 1235 

Index des auteurs anciens et médiévaux... 1237 

Index des auteurs modernes et contemporains ... 1239 

Index des références mythologiques ou religieuses ... 1247 

Index des personnages historiques ... 1249 

(16)

15

Abréviations, sigles et références

Abréviations

C.I.G. Corpus inscriptionum graecarum C.U.F. Collection des universités de France C.V.A. Corpus vasorum antiquorum

D.K. DIELS Hermann KRANZ Walther, Die Fragmente der Vorsokratiker griechisch und deutsch, 9e éd.

I.G. Inscriptiones graecae

L.I.M.C. Lexicon iconographicum mythologiae classicae

O.F. Orphicorum fragmenta in O. KERN, Orphicorum fragmenta O.T. Orphicorum testimonia in O. KERN, Orphicorum fragmenta

P.G.M. K. PREISENDANZ (Hg.), Papyri Graecae Magicae, 2e éd. ; au-delà du n° LXXXI : H. D. BETZ (ed.), The Greek Magical Papyri in Translation, Including the Demotic Spells, 2e éd.

R.E. G. WISSOWA et al. (Hg.), Paulys Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft. Neue Bearbeitung

Manuscrits du texte de Platon cités

Nous reprenons les sigles des éditions parues dans la Collection des universités de France : A Codex Parisinus graecus 1807

B Codex Oxoniensis Clarkianus 39 (souvent appelé « Bodleianus » ou « Clarkianus ») F Codex Vindobonensis 55, supplementum philos. graecum 39

O Codex Vaticanus graecus 1

T Codex Venetus (ou Marcianus), Appendix classis IV, cod. 1 (collocazione 542) W Codex Vindobonensis 54, supplementum philos. graecum 7

Y Codex Vindobonensis 21

Sigles épigraphiques : | Fin de ligne

[α] Restitution de lettres disparues

{α} Suppression de lettres gravées par erreur α Lettre difficile à lire ou mal gravée Citations

Nous conservons la forme originale des textes cités, à l’exception de certains textes en vers et de certaines inscriptions couvrant plusieurs lignes que nous citons en note de bas de page sur une seule ligne, en indiquant les sauts à la ligne dans le passage d’origine par une barre verticale, « | ». Dans les citations de dialogues platoniciens racontés a posteriori par un des

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protagonistes ou un tiers, ou d’extraits de pièces de théâtre, rapportant les propos de plus d’un personnage, pour plus de clarté, nous insérons entre crochets les initiales du personnage qui s’exprime au moment où il prend la parole. La typographie des citations a été également modernisée quand c’était nécessaire. Par convention, les citations en langue étrangère sont en italique. Lorsqu’il nous arrive de modifier la forme originale d’un passage cité, nous l’indiquons.

Références aux textes anciens

Quand une ambiguïté est possible, afin d’éviter toute confusion, nous séparons par un point l’indication des lignes du reste des éléments permettant de localiser le passage, séparés, eux, par des virgules. Ainsi, par exemple, THUCYDIDE, Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, LXXXVII, 4.5-6, se comprendra comme un renvoi au livre II, chapitre LXXXVII, paragraphe 4, lignes 5-6 de l’ouvrage de Thucydide dans l’édition de référence figurant dans la bibliographie, et PLUTARQUE, Vie de Périclès, XXIV, 2.1-9.3, renvoie au chapitre XXIV de la Vie de Périclès de Plutarque, du paragraphe 2 ligne 1 au paragraphe 9 ligne 3, de ce même chapitre.

Sources utilisées

Pour les références et les citations du texte de Platon, nous avons suivi l’édition établie par J. Burnet, Platonis opera, 6 vol., Oxonii, 1899-1907. Lorsque nous nous en écartons, nous l’indiquons.

Concernant les autres auteurs, sauf à de rares exceptions signalées, nous avons eu recours aux éditions de référence retenues par le Thesaurus Linguae Graecae et The Packard Humanities Institute, détaillées en bibliographie et auxquelles nous renvoyons, lorsque nous nous référons à un texte pour la première fois, en mentionnant le nom de l’éditeur scientifique entre parenthèses.

Traductions

Toutes les traductions sont les nôtres, sauf indication contraire et en dehors des auteurs et ouvrages indiqués ci-dessous avec le nom du traducteur correspondant. Dans un souci de précision et de proximité avec les textes d’origine, nous avons souvent préféré conserver une certaine littéralité dans nos traductions, éventuellement au détriment de la forme littéraire.

ESCHYLE Paul MAZON, C.U.F.

EURIPIDE Marie DELCOURT-CURVERS, Gallimard, Bibl. de la Pléiade

HÉSIODE Paul MAZON, C.U.F.

HOMÈRE Iliade Paul MAZON, C.U.F.

HOMÈRE Odyssée Philippe JACCOTTET, rééd., Éditions La Découverte

HOMÈRE Hymnes Jean HUMBERT, C.U.F.

OVIDE Métamorphoses Georges LAFAYE, C.U.F.

PINDARE Aimé PUECH, C.U.F.

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La philosophie vive plutôt que la philosophie à vif :

Socrate aux périls de Marsyas

Recherches sur les modes d’influence chez Platon, précédées d’une étude générale sur la magie et la pensée magique.

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τὸ δ’ ἐν Σάι τῆς Ἀθηνᾶς, [ὃ] ἣν καὶ Ἶσιν νομίζουσιν, ἕδος ἐπιγραφὴν εἶχε τοιαύτην ‘ἐγώ εἰμι πᾶν τὸ γεγονὸς καὶ ὂν καὶ ἐσόμενον καὶ τὸν ἐμὸν πέπλον οὐδείς πω θνητὸς ἀπεκάλυψεν’.

La base de la statue d’Athéna, à Saïs, que l’on considère comme étant aussi celle d’Isis, comporte l’inscription suivante : « Je suis tout ce qui a été, qui est et qui sera, et mon voile, aucun mortel ne l’a jamais soulevé. »

PLUTARQUE, De Iside et Osiride, 354 C4-7 (SIEVEKING).

[Les ensorcelés] assurent, par exemple, que tous ces livres [sc. de magie] portent, au bas de chaque page, l’inscription : « Tourne la page

si tu l’oses, ou si tu le comprends. » La formule varie d’ailleurs selon

les interlocuteurs – qui affirment aussi n’avoir jamais eu de pareils ouvrages entre les mains – énonçant, par exemple : « Tourne la page

si tu l’oses, ou si tu le peux », « ou si tu le veux », etc.

J. FAVRET-SAADA, Les Mots, la mort, les sorts, Paris, 1985, p. 227.

À la fin du XIXe siècle, les historiens et les philologues qui s’étaient tant émerveillés de la belle rationalité des Grecs que leurs travaux avaient éclairée d’une lumière nouvelle et revivifiante commencèrent à prendre conscience qu’à côté des traités de philosophie et de logique, des découvertes scientifiques, des récits historiques et des œuvres littéraires, à côté aussi des prouesses architecturales, des innovations politiques et des grandes traditions religieuses, à côté donc de tout ce lustre culturel marquant du sceau de l’exception cette civilisation, une facette plus ténébreuse émergeait au fur et à mesure des découvertes archéologiques, des progrès de l’épigraphie et des avancées de la papyrologie, qui leur rappelait soudain qu’un peuple ne se réduit pas à ses intellectuels, ses artistes, ses politiciens ou ses prêtres. La publication de véritables grimoires contenant des recettes magiques pour envoûter les hommes et contrôler les démons, guérir les maux et même parfois tuer 1, et la

1. On trouvera chez K. PREISENDANZ, « Die griechischen Zauberpapyri », Archiv für Papyrusforschung, VIII, 1927, pp. 104-131, des éléments permettant de retracer la découverte par les historiens des papyrus magiques et exposant en substance le contenu de ceux-ci. Plus récemment, une importante synthèse sur la question a été publiée par W. M. BRASHEAR, « The Greek Magical Papyri » in W. HAASE, H. TEMPORINI (Hg./ed.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt (ANRW) - Rise and Decline of the Roman World, II, 18.5, pp. 3389-3684. Quelques indications sommaires sont données aussi par H. D. BETZ (ed.), The Greek Magical Papyri in

Translation, Including the Demotic Spells, I, 2e éd., Chicago - London, 1992 [1=1986], pp. XLI-LIII.

K. Preisendanz a publié en 1928 et 1931deux tomes contenant une édition et une traduction des papyrus connus à cette époque (Papyri Graecae Magicae. Die griechische Zauberpapyri, Leipzig - Berlin). Cette édition a été revue et augmentée par A. Heinrichs en 1973-1974. L’ouvrage de H. D. Betz contient la traduction des papyrus figurant dans cette réédition, avec l’addition d’une cinquantaine de textes publiés depuis, souvent courts. Dans la suite de notre travail, lorsqu’il nous arrivera de mentionner ces textes nouveaux, nous utiliserons la référence que H. D. Betz leur a donnée. Compte tenu de leur nombre, nous n’indiquerons pas ici les nouveaux papyrus publiés depuis la réédition de la collection de Preisendanz, ni les nouveaux recueils qui sont venus la compléter : nous renvoyons à notre bibliographie pour les références de ceux que nous citons dans notre recherche.

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mise au jour de tablettes de malédictions 2 constituant d’authentiques tranches de vie révélaient une population en proie à la haine et à la jalousie, aux rivalités commerciales et sportives, à la souffrance physique mais aussi aux tourments de l’amour, prête à s’en remettre à des rituels censés mobiliser des forces occultes grâce à des formules ésotériques, des signes cabalistiques et l’utilisation des produits les plus hétéroclites, tout cela étant bien loin des projets glorieux et des théories sophistiquées de l’élite, qui, cependant, n’en demeurant pas moins humaine et traversée elle aussi par les passions, ne refusait pas non plus de pousser la porte des sorciers. La magie et son cortège de croyances irrationnelles et de pratiques extravagantes faisait partie de la vie quotidienne et ordinaire des Grecs, comme de celle des peuplades primitives.

Justement les progrès accomplis par l’anthropologie et l’ethnologie au cours de la première moitié du XXe siècle, permirent à E. R. Dodds de faire paraître un livre important recensant et analysant divers traits de la société grecque en lien avec des pratiques magiques. En particulier, l’helléniste irlandais, dans le sillage de K. Meuli, qui s’était intéressé à la Scythie et à la Thrace 3, mettait en évidence la présence d’une forme de chamanisme en Grèce et estimait qu’elle avait été introduite au moment où les premières colonies grecques s’étaient constituées autour de la mer Noire, au VIIe siècle av. J.-C. Reconnaissant que la figure de l’« Homme de Dieu », le θεῖος ἀνήρ, était issue de cette tradition, Dodds associait à ces

pratiques des grands noms considérés jusqu’alors comme d’éminents représentants de la philosophie présocratique, tels que Pythagore, Épiménide et Empédocle 4, jusqu’à Anaxagore

2. K. PREISENDANZ, « Die griechischen und lateinischen Zaubertafeln », Archiv für Papyrusforschung, IX, 1930,

pp. 119-154, XI, 1933-35, pp. 153-164, réitère avec les tablettes de malédiction le travail qu’il avait effectué avec les papyrus magiques et que nous avons mentionné dans la note précédente. Parmi les nombreuses publications et collections de tablettes d’envoûtement, citons les recueils importants de R. WUENSCH (ed.), I.G., III, III, et A. AUDOLLENT, Defixionum tabellae quotquot innotuerunt tam in Graecis Orientis quam in totius

Occidentis partibus praeter Atticas in Corpore Inscriptionum Atticarum editas, Luteciae Parisiorum, MDCCCCIV. Les sources archéologiques comportent également des amulettes et des gemmes magiques. Les principaux recueils sont les suivants : C. BONNER, Studies in Magical amulets, Chiefly Graeco-Egyptian, Ann Arbor - London, 1950, A. DELATTE, P. DERCHAIN, Les Intailles magiques gréco-égyptiennes, Paris, 1964,

R. KOTANSKY (ed.), Greek Magical Amulets. The Inscribed Gold, Silver, Copper, and Bronze Lamellae, I,

Opladen, 1994, S. MICHEL, Die magischen Gemmen. Zu Bildern und Zauberformeln auf geschnittenen Steinen der Antike und Neuzeit, Berlin, 2004. Nous renvoyons enfin à A. DELATTE, « Études sur la magie grecque », Bulletin de correspondance hellénique, XXXVII, 1913, pp. 247-278 ; XXXVIII, 1914, pp. 189-249 ; Le Musée belge, XVII, 1913, pp. 321-337 ; XVIII, 1914, pp. 5-96 ; XXVI, 1922, pp. 253-259, qui publie et étudie des objets magiques de toutes sortes.

3. À partir de l’étude d’Hérodote, K. MEULI, « Scythica », Hermes (Wiesbaden), LXX, 1935, pp. 121-164, affirme notamment l’existence de chamanes dans ces deux régions. Nous précisons qu’il existe de multiples façons de retranscrire le terme « chamane », issu du toungouse šaman, par l’intermédiaire du russe, et qui pourrait même peut-être avoir une racine indienne (voir M. ELIADE, Le Chamanisme et les techniques

archaïques de l’extase, 2e éd., Paris, 1968 [1=1951], pp. 21-28, 385-387) : nous avons choisi une orthographe qui respecte les conventions graphiques usuelles en français pour représenter les différents sons. Même si cette orthographe ne semble pas être la plus utilisée, elle est attestée par le Trésor de la langue française (dans sa version informatisée : http://atilf.atilf.fr/, s. vv. « chaman(e), shaman(e) »). Dans nos citations, nous reproduirons en revanche la graphie utilisée par les auteurs.

4. E. R. DODDS, Les Grecs et l’irrationnel (1959), trad. française, 2e éd., Paris, 1977 [1=1965], pp. 144-150. À la

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qui aurait emprunté sa doctrine de l’Intellect séparé cause de l’ordre du monde à Hermotime de Clazomènes, un ancien chamane dont Pythagore prétendait être la réincarnation 5, ce qui, selon Dodds, pourrait être une façon de dire qu’il aurait simplement fait référence aux expériences psychiques du chamane pour étayer sa théorie 6. Déjà H. Diels reconnaissait des similitudes entre les conceptions cosmologiques d’Anaximandre et certains aspects du chamanisme, tout en refusant l’existence d’un lien génétique entre les deux, estimant qu’il n’y avait rien de surprenant à cette ressemblance eu égard à l’universalité des caractéristiques de l’esprit humain et à la possibilité d’une évolution culturelle identique à partir de celles-ci dans des aires géographiques différentes 7. Dans une autre étude parue la même année, Diels attribuait à Pythagore et Empédocle la qualité de prophètes, considérant Épiménide comme étant en plus un chamane et mettant en évidence chez Parménide des doctrines chamaniques 8. Dans la même optique, nous pouvons évoquer également, quelques années avant la parution du livre d’E. R. Dodds, les travaux de F. M. Cornford, qui estimait que les premiers philosophes réunissaient les figures du prophète, du poète et du sage et relevait le parallélisme existant entre le chamanisme et le pythagorisme, ainsi que bon nombre de philosophes revendiquant ou démontrant une inspiration ou des capacités prophétiques tels qu’Épiménide,

constatées en Grèce trouvent leur origine dans le chamanisme scythe (ibid., note 32, p. 164). Néanmoins, après avoir réfuté les principales raisons invoquées par Meuli pour conclure à l’existence d’un chamanisme chez les Scythes, K. DOWDEN, « Deux notes sur les Scythes et les Arimaspes », Revue des études grecques, XCIII, 1980, pp. 486-490, dément point par point les arguments avancés par Dodds à son tour pour étayer l’origine ou pour le moins l’influence scythe sur les pratiques de ceux que celui-ci désigne comme les « chamans grecs ». Pour K. DOWDEN, « Apollon et l’esprit dans la Machine : origines », Revue des études grecques, XCII, 1979, pp. 293-318, l’existence en Grèce de phénomènes chamaniques, véhiculant notamment la doctrine du voyage de l’âme, ne doit pas être pour autant rejetée mais elle ne trouve son origine ni chez les Thraces, ni chez les Scythes, et remonte à une époque précédant Homère, certainement pas après le VIIIe siècle av. J.-C., et ce serait plutôt du

côté de l’Inde qu’il faudrait chercher la source de ces pratiques et conceptions, la tradition chamanique toungouse étant elle-même assez récente et redevable aux influences bouddhistes (voir M. ELIADE, Le Chamanisme…, pp. 385-391, qui reconnaît les apports méridionaux mais relativise leur importance en ce qui concerne le cœur de la doctrine).

5. E. R. DODDS, op. cit., p. 148 et note 58, p. 168 ; voir PYTHAGORE, 14 A 8 (D.K.) [=DIOGÈNE LAËRCE, Vie,

doctrines et sentences des philosophes illustres, VIII, 5 (LONG)].

6. E. R. DODDS, op. cit., p. 147 et note 50, p. 167 ; voir ANAXAGORE, 59 A 58 (D.K.) [=ARISTOTE, Métaphysique, A, 3, 984 b15-20 (ROSS)]. Sur Hermotime et la sortie de son âme de son corps, voir APOLLONIUS

PARADOXOGRAPHUS, Historiae mirabiles, III, 1-3 (GIANNINI), PLUTARQUE, De genio Socratis, 592 C9-D9

(SIEVEKING) (qui l’appelle Hermodore de Clazomènes).

7. H. DIELS, « Ueber Anaximanders Kosmos », Archiv für Geschichte der Philosophie, X, 1897, pp. 233-235. 8. H. DIELS, Parmenides Lehrgedicht. Griechisch und deutsch, Berlin, 1897, pp. 12-16. Voir aussi, avant lui,

A. BOUCHÉ-LECLERCQ, Histoire de la divination dans l’Antiquité, II, Paris, 1880, pp. 100 sq., 121-124, qui

relève déjà que l’on prête à certains de ces personnages des dons surnaturels notamment en matière de divination. J. S. MORRISON, « Parmenides and Er », The Journal of Hellenic Studies, LXXV, 1955, p. 59, observe quant à lui que « Parménide descend dans le monde souterrain comme un chamane-poète à la recherche d’un savoir » (« Parmenides descends to the underworld as a shaman-poet in search of knowledge »). W. K. C. GUTHRIE, A History of Greek Philosophy, II, Cambridge - London - New York, 1965, pp. 11 sq., admet

l’analyse de Diels concernant Parménide et souligne la difficulté de mesurer l’étendue exacte du caractère non rationnel de ses doctrines, à côté de l’avance intellectuelle remarquable dont il a fait preuve dans un contexte de quasi-irrationalité primitive.

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Héraclite, Parménide ou Empédocle 9. Dans un ordre d’idées légèrement différent mais toujours motivé par la recherche des fondements anthropologiques de la pensée grecque, L. Robin pensait trouver dans la philosophie grecque, notamment chez certains des auteurs cités par Dodds, des traces de la « mentalité primitive » que l’anthropologue L. Lévy-Bruhl 10 avait cru déceler chez les peuples vivant dans des sociétés traditionnelles 11, les thèses de Platon sur l’imitation pouvant renvoyer à la « loi de participation » énoncée par ce même anthropologue, les doctrines platonicienne sur la nature image d’une surnature servant de modèle présentant des analogies avec les conceptions mythiques des primitifs, tout comme sa conception de la temporalité 12. Même si les thèses de L. Lévy-Bruhl seront sérieusement remises en question par les progrès de la recherche anthropologique, le travail de L. Robin a le mérite de percevoir le riche fond culturel et anthropologique qui imprègne la philosophie. D’autres études suivront celle de Dodds, confirmant et étendant ses thèses. Ainsi citons celle de W. Burkert, qui retrouvera également des pratiques relevant du chamanisme aux sources du pythagorisme, ainsi que chez Épiménide, Empédocle et même Parménide 13. Plus récemment, P. Kingsley, en plus de reconnaître un caractère de chamanes à Pythagore et Empédocle 14, soutenait que Parménide, lui aussi, était un prêtre d’Apollon et un magicien, plus précisément un guérisseur formé par un pythagoricien 15. Par ailleurs, quoique pouvant être des indications légendaires, il existe également divers témoignages reconnaissant à d’autres philosophes, plus récents, des accointances avec le domaine de l’occulte. Ainsi,

9. F. M. CORNFORD, Principium Sapientiæ. The Origins of Greek Philosophical Thought, Cambridge - London - New York, 1952, pp. 88-98, 108-124.

10. Voir infra, p. 65.

11. L. ROBIN, « Quelques survivances dans la pensée philosophique des Grecs d’une mentalité primitive » (1936) in L. ROBIN, La Pensée hellénique des origines à Épicure. Questions de méthode, de critique et d’histoire, 2e éd., Paris, 1967 [1=1942], pp. 30-37.

12. Ibid., pp. 38-46. L. Robin s’intéresse aussi aux influences mystiques venant de l’orphisme et des traditions mythiques (ibid., pp. 47-58).

13. W. BURKERT, Lore and Science in Ancient Pythagoreanism (1962), trad. anglaise, Cambridge (MA), 1972, pp. 136-165, 208-217, 283-285.

14. P. KINGSLEY, « Greeks, Shamans and Magi », Studia iranica, XXIII, 1994, pp. 187-190, Ancient Philosophy,

Mystery, and Magic: Empedocles and Pythagorean Tradition, Oxford - New York, 1995, pp. 217-249, 278-316. C. H. KAHN, « Religion and Natural Philosophy in Empedocles’ Doctrine of the Soul », Archiv für Geschichte der Philosophie, 42, 1960, pp. 30-35, bien que reconnaissant qu’Empédocle « continue de revêtir le manteau de magicien » (ibid., p. 35 : « still wears the mantle of the magician »), refuse, contre Dodds, d’admettre qu’il ait pu être également un chamane, au motif que qu’il n’y aurait pas de trace d’une pratique de la transe extatique dans ses doctrines particulièrement celles ayant trait à l’âme, et qu’il n’aurait pas accompli de voyage souterrain parmi les morts. P. KINGSLEY, art. cit., pp. 187 sq., s’élève contre cette interprétation et rejette ces objections mais les fragments et témoignages qu’il cite ne sont guère explicites (31 A 98, B 111, 112 (D.K.)) et peuvent donner lieu à de multiples interprétations. Pour notre part, il nous suffit de savoir qu’Empédocle pouvait s’adonner à l’occasion à des activités ayant un rapport avec la magie (voir infra, p. 25 et P.-M. SCHUHL, Essai sur la

formation de la pensée grecque. Introduction historique à une étude de la philosophie platonicienne, 2e éd.,

Paris, 1949 [1=1934], pp. 303-305). Voir également M. TODOUA, « Empédocle : empêche-vents ou dompteur des mauvais génies ? Réflexions autour du fr. 111 Diels-Kranz », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2005, pp. 49-81, qui est également favorable à la magie d’Empédocle.

15. P. KINGSLEY, In the Dark Places of Wisdom, Inverness (CA); 1999, passim, notamment pp. 61-76, 118-149, 173-192. Sur Parménide, prêtre d’Apollon et membre d’une confrérie de guérisseurs, voir aussi W. BURKERT, « Das Proömium des Parmenides und die Katabasis des Pythagoras », Phronesis, XIV, 1969, p. 22.

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Démocrite aurait voyagé chez les Perses pour étudier auprès des Chaldéens, ainsi qu’à Babylone chez les mages 16, dont Protagoras aurait également suivi l’enseignement 17. Gorgias aurait été présent lorsque Empédocle se livrait à des rituels de sorcellerie 18. Platon lui-même aurait souhaité se rendre chez les mages mais en aurait été empêché par les guerres secouant l’Asie 19 ; il aurait toutefois reçu la visite d’un Chaldéen alors qu’il était déjà âgé 20 et des mages seraient également venus à l’Académie s’enquérir de sa philosophie, fait hautement peu probable néanmoins, le témoignage visant à souligner la supériorité de Platon sur Pythagore, lequel avait, lui, eu à se déplacer chez les mages 21.

Dans un contexte culturel où la magie est vivace, trouver chez Platon des références à cet univers n’a en définitive rien d’étrange, surtout qu’il met en scène des personnages de son époque, dans leur environnement, n’écrivant pas des traités dans lesquels serait exposée une doctrine d’une façon abstraite, déconnectée du quotidien. Or, le fait est que les allusions aux sorciers, aux filtres et aux incantations parsèment les Dialogues de Platon 22. Si les apparitions de mots désignant la science des mages (μαγεία) 23 sont plutôt peu fréquentes, les occurrences

16. Voir entre autres DÉMOCRITE, 68 A 1.13-14 (D.K.) [=DIOGÈNE LAËRCE, op. cit., IX, 35.6-7], 16.3-4 [=ÉLIEN,

Histoires variées, IV, 20.4-5 (HERCHER)], 40.3 [=HIPPOLYTE, Réfutation de toutes les hérésies, I, XIII, 1.3

(MARCOVICH)], B 299.11-12 [=CLÉMENT d’Alexandrie, Stromates, I, XV, 69, 6.1-2 (STÄHLIN, FRÜCHTEL, TREU)], 300, n° 6.2-3 [=PLINE l’Ancien, Histoire naturelle, XXV, 13.5-6 (MAYHOFF)].

17. PROTAGORAS, 80 A 2.2-10 (D.K.) [=FLAVIUS PHILOSTRATE, Vies des sophistes, I, X, 1-2, p. 494.9-21 de

l’édition de G. Olearius, Lipsiae, 1709 ; p. 13.2-14 de l’éditionde C. L. Kayser, tome II, Lipsiae, 1871]. 18. GORGIAS, 82 A 3.3-4 (D.K.) [=DIOGÈNE LAËRCE, op. cit., VIII, 59.1-2].

19. DIOGÈNE LAËRCE, op. cit., III, 7.2-3.

20. S. MEKLER (ed.), Academicorum philosophorum index herculanensis, Berolini, MCMII, p. 13, col. III.36-41.

21. L. G. WESTERINK (ed.), Anonymous Prolegomena to Platonic Philosophy, 2e éd., Westbury, 2011 [1=1962],

§ 6.19-22. Voir aussi A. S. RIGINOS, Platonica. The Anecdotes Concerning the Life and Writings of Plato, Leiden, 1976, Anecdote 141, pp. 66, 190 sq.

22. Voir nos tableaux récapitulatifs en annexe.

23. Sur la terminologie de la magie, en particulier la différence entre la μαγεία et la γοητεία, la première étant au départ l’activité des prêtres perses, donc un culte mais avec une dimension péjorative en grec, du fait de l’intimité relative entre Grecs et Perses, donc une pratique non liée à la sorcellerie et aux enchantements, et qui les rejetait en Perse quoique recourant à des incantations et pratiquant des rites pouvant probablement s’assimiler à ce qui sera appelé plus tard la magie blanche, contrairement à la γοητεία, dont le sens commence à déteindre sur la μαγεία à partir du Ve siècle av. J.-C., voir A. D. NOCK, « Paul and the Magus » (1933) in A. D. NOCK,

Essays on Religion and the Ancient World, I, Oxford - London, 1972, pp. 308-324, J. BIDEZ, F. CUMONT, Les Mages hellénisés. Zoroastre, Ostanès et Hystaspe d’après la tradition grecque, I, Paris, 1938, pp. 143-150, A. BERNAND, Sorciers grecs, rééd., Paris, 1995 [1=1991], pp. 44-48, F. GRAF, La Magie dans l’Antiquité

gréco-romaine. Idéologie et pratique, rééd., Paris, 1997 [1=1994], pp. 31-45, P. KINGSLEY, art. cit., pp. 192-194,

A. DE JONG, Traditions of the Magi: Zoroastrianism in Greek and Latin Literature, Leiden - New York - Köln, 1997, pp. 387-403, R. MARTÍN HERNÁNDEZ, El orfismo y la magia, Tesis doctoral, Madrid, 2006, pp. 56-72, M. CARASTRO, « Quand Tirésias devint un mágos. Divination et magie en Grèce ancienne (Ve-IVe siècle

av. n. è.) », Revue de l’histoire des religions, 224, 2007, pp. 220-230, « L’Invenzione della magia in Grecia » in U. ECO (a cura di), L’Antichità. Grecia, Milano, 2012, pp. 648-653. W. BURKERT, « ΓΟΗΣ. Zum griechischen

‘Schamanismus’ » (1962) in W. BURKERT, Kleine Schriften, III, Göttingen, 2006, pp. 173-190, et S. I. JOHNSTON, Restless Dead: Encounters between the Living and the Dead in Ancient Greece, Berkeley - Los Angeles - London, 1999, chap. 3, proposent des études complètes sur les origines et le rôle du γόης, ainsi que sur l’évolution de la notion, que l’on pourra compléter en se référant à S. I. JOHNSTON, « Songs for the Ghosts:

Magical Solutions to Deadly Problems » in D. R. JORDAN, H. MONTGOMERY, E. THOMASSEN (ed.), The World of Ancient Magic. Papers from the first International Samson Eitrem Seminar at the Norwegian Institute at Athens, 4-8 May 1997, Bergen, 1999, pp. 92-100, et R. MARTÍN HERNÁNDEZ, op. cit., pp. 81-99. Les autres

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de termes renvoyant à la sorcellerie (γοητεία) sont une trentaine et concernent une douzaine de

dialogues, tandis que dix-sept ouvrages appartenant au corpus dont l’authenticité est généralement admise contiennent quatre-vingt-dix occurrences de mots désignant des opérations magiques ou le résultat de l’exercice d’une magie. Il faut ajouter également un peu plus de cent occurrences de mots appartenant à la famille de φάρμακον, sur lesquelles une trentaine concerne un emploi dans un sens faisant référence à la magie ou intervenant dans un contexte que l’on peut considérer comme de près ou de loin magique, et cela dans huit dialogues authentiques plus le Premier Alcibiade, dont l’authenticité fait débat. Au total, ce sont vingt ouvrages réputés authentiques qui comptent au moins une référence lexicale au monde des sorciers 24. Les références directes ne sont donc pas rares et interviennent dans environ les deux-tiers des dialogues. À la lecture des Dialogues, la magie apparaît comme un thème très discret, passant facilement inaperçu, d’autant qu’il peut être pris métaphoriquement : toutefois ces statistiques indiquent que ce sujet est récurrent.

Que Platon se plaise à traiter les sophistes de sorciers alors qu’il réprouve leurs pratiques n’a rien de choquant, le terme étant devenu péjoratif et une forme d’insulte que l’on jetait couramment à la figure d’un concurrent 25 : il dénigrerait ainsi leurs artifices et leurs illusions de charlatans, avec en plus une référence perfide à Gorgias qui fut le premier à assigner une puissance magique au λόγος. En revanche, que ce soit Socrate lui-même qui se

trouve désigné comme un magicien et qu’il revendique l’utilisation d’incantations, et que Platon, même, assigne une utilité politique à l’usage d’incantations, est beaucoup plus intrigant dans le cadre d’une pensée réputée rationnelle, voire intellectualiste. Quand ils ne sont pas négligés, ces faits sont généralement traités de façon ponctuelle par les commentateurs, qui soit étudient un passage sans aborder la question de la magie dans son ensemble 26, soit abordent le problème en tant que manière de parler ou métaphore de la part familles de mots importantes sont celle de ἐπῳδή et φάμακον, le premier désignant les incantations, le second les philtres et poisons et, d’une manière générale, tout matériel magique.

24. Banquet, Charmide, Cratyle, Euthydème, Gorgias, Hippias mineur, Lettre VII, Lois, Lysis, Ménexène, Ménon, Phédon, Phèdre, Philèbe, Politique, Protagoras, République, Sophiste, Théétète, Timée, plus l’Alcibiade I, auxquels s’ajoutent l’Axiochos et la Lettre II. Nous n’incluons pas dans notre récapitulation les dialogues contenant des mots de la famille de φάρμακον n’ayant pas de lien avec l’univers de la magie, même si la frontière est souvent très mince entre d’un côté le remède ou le poison et de l’autre le philtre qui ensorcelle. 25. Voir G. E. R. LLOYD, Origines et développement de la science grecque. Magie, raison et expérience (1979), trad. française, Paris, 1990, pp. 67 sq., et W. BURKERT, « ΓΟΗΣ. Zum griechischen ‘Schamanismus’ », pp.

184-186 (pp. 50 sq. dans la publication originale), qui évoque notamment ESCHINE, Discours, III (Contre Ctésiphon),

137.2-3 (BUDÉ, MARTIN), traitant Démosthène de μάγος et de γόης, compliments que celui-ci retourne à son rival

dans le Discours, XVIII (Sur la couronne), 276.3-5 (BUTCHER), et qu’il adresse également à Philippe de Macédoine, en mettant en scène Eschine (Discours, XIX (Sur les forfaitures de l’ambassade), 102.5-6, 109.7). 26. Contentons-nous de citer quelques études : N. LORAUX, « Socrate contrepoison de l’oraison funèbre. Enjeu et signification du Ménexène », L’Antiquité classique, XLIII, 1974, pp. 172-211, W. A. WELTON, « Incantation

and Expectation in Laws II », Philosophy & Rhetoric, 29, 1996, pp. 211-224, L. BRISSON, Platon, les mots et les

mythes. Comment et pourquoi Platon nomma le mythe ?, 2e éd., Paris, 1994, pp. 95-102, « L’Incantation de Zalmoxis dans le Charmide (156d-157c) » in T. M. ROBINSON, L. BRISSON (ed.), Plato: Euthydemus, Lysis, Charmides. Proceedings of the V Symposium Platonicum; Selected Papers, Sankt Augustin, 2000, pp. 278-286,

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de Platon 27. Par ailleurs, la condamnation des activités occultes et magiques est manifeste dans la République 28 et les Lois dénoncent toutes les pratiques tentant d’instrumentaliser les divinités 29 et développent un arsenal juridique pour pénaliser sévèrement les crimes de magie 30, autant de constatations qui, ajoutées à l’observation que nous faisions sur l’utilisation péjorative du terme de sorcier, tendent à reconnaître chez Platon une aversion pour la magie qui paraît mal s’accommoder avec l’attribution à son personnage principal de dons de magiciens.

Cependant, plusieurs interprètes ont envisagé sérieusement la possibilité que Socrate puisse être considéré comme un sorcier 31 ou utiliser une magie efficace. Ainsi, dans une étude consacrée aux modes de guérison par la parole en Grèce antique, P. Laín Entralgo 32, après avoir signalé cetains usages métaphoriques des incantations chez Platon, considère que le Charmide opère une rationalisation des incantations par rapport aux usages de l’époque archaïque, car étant un λόγος καλός, son pouvoir ne vient plus d’une force occulte mais des

mots eux-mêmes qui lui donnent une efficacité thérapeutique et persuasive pour inculquer de nouvelles opinions, qui se retrouvera aussi dans les incantations des Lois et du Phédon. Ayant débarrassé les incantations des superstitions qu’elles véhiculaient, Platon est désormais très loin de la γοητεία. Toutefois, la rationalisation ne signifie pas que l’efficacité du procédé soit

totalement compréhensible, car l’incantation relève du démonique qui instaure une relation mutuelle entre les hommes et les dieux, la σωφροσύνη produite par l’incantation n’étant pas

et dans S. SCOLNICOV, L. BRISSON (ed.), Plato’s Laws: From Theory into Practice. Proceedings of the VI

Symposium Platonicum; Selected Papers, Sankt Augustin, 2003 : C. HELMIG, « Die Bedeutung und Funktion

von ἐπῳδή in Platons Nomoi », pp. 75-80, M. VORWERK, « Zauber oder Argument? Die ἐπῳδοὶ μῦθοι in Nomoi

X (903 A 10-905 D 1) », pp. 81-86.

27. Par exemple E. R. DODDS, op. cit., note 20, p. 224 (à propos des incantations dans les Lois) ; P. HADOT, « L’“Amour magicien”. Aux origines de la notion de “Magia Naturalis” : Platon, Plotin, Marsile Ficin », Revue philosophique, 172, 1982, pp. 284-286, parle d’allégorie et se contente de relever les ensorcellements bénéfiques de Socrate qu’il associe à la magie d’Éros, en tant qu’éducateur, le Philosophe fécondant les âmes par de beaux discours.

28. République, II, 363 c3-365 a4, particulièrement 364 b5-c5, sur la dénonciation de charlatans et de devins (ἀγύρται δὲ καὶ μάντεις) prétendant connaître des sacrifices et des incantations (θυσίαις τε καὶ ἐπῳδαῖς) permettant de laver les injustices moyennant rétribution et qui sauraient également des sorts et des envoûtements (ἐπαγωγαῖς τισιν καὶ καταδέσμοις) capables de convaincre les dieux de faire du mal aux ennemis, indépendamment de la justice réelle de ceux-ci.

29. Lois, X, passim, notamment 888 b8-c7, où les principales sortes d’impiété sont énumérées, à savoir, croire que les dieux n’existent pas, ou que s’ils existent, ils ne se préoccupent pas des affaires humaines, ou enfin que s’ils s’en préoccupent, il est possible de les apaiser par des sacrifices et des prières.

30. Ibid., XI, 932 e4-933 e5.

31. Nous ne nous attarderons pas sur L. ROBIN, art. cit., pp. 52 sq., qui considère que la figure d’enchanteur de

Socrate est un reste d’une croyance ancienne dans le démonisme, mais qui ne tire aucune conséquence philosophique de cette observation, cette caractéristique de Socrate semblant rester pour lui une sorte de curiosité archéologique.

32. P. LAÍN ENTRALGO, La Curación por la palabra en la antigüedad clásica, rééd., Rubí (Barcelona), 2005

[1=1958], pp. 107-123 (pp. 108-126 de la traduction anglaise, The Therapy of the Word in Classical Antiquity, New Haven - London, 1970, qui est généralement la version citée), voir aussi une adaptation en allemand de la version espagnole : « Die platonische Rationalisierung der Besprechung (ΕΠΩΙΔΗ) und die Erfindung der Psychotherapie durch das Wort », Hermes (Wiesbaden), 86, 1958, pp. 298-323.

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elle-même totalement rationnelle et celui qui en est pourvu est considéré comme étant béni des dieux. Laín Entralgo estime pour conclure que le λόγος καλός s’élève au niveau d’une

psychothérapie technique verbale et que cette opération de rationalisation menée par Platon aura conduit à distinguer trois sortes d’incantations à visée thérapeutique : celle qui, magique, appartient à la médecine superstitieuse, combattue par Platon, celle qui est rationelle et constitue un λόγος καλός, et celle qui permet de supplier et qui prend la forme d’une prière adressée aux dieux, pour demander la guérison.

J. de Romilly, partant de Gorgias et de l’influence de la poésie, reconnaît le lien entre la rhétorique et une magie technique, envisagée comme un art pratiqué par un professionnel qui sait ce qu’il fait et qui ne compte pas sur une quelconque inspiration, maîtrisant parfaitement les drogues et les philtres produisant exactement l’effet qu’il recherche 33. Les considérant comme des imposteurs trompeurs, Platon invite à se méfier de ces magiciens du discours mais sa position vis-à-vis de la magie est plus complexe et ne se limite pas à une condamnation en bloc de la pratique car il reconnaît sérieusement à Socrate la qualité de sorcier, pratiquant une autre magie, inspirée et détruisant les illusions grâce au pouvoir du vrai, remettant la poésie et la rhétorique dos à dos, en leur déniant le statut d’art 34.

E. Belfiore 35 oppose la magie qui produit des opinions fausses, et la philosophie qui est l’ennemie de celle-ci et qui, par l’ἔλεγχος, chasse l’opinion fausse, fonctionnant ainsi comme

une « contre-magie », affectant l’interlocuteur comme Socrate, et fonctionnant comme dans le cas d’Alcibiade, à la manière des rites de possession, purifiant ainsi le sujet de ses opinions erronées après lui avoir fait prendre conscience de son état. L’usage des incantations est aussi souligné, pour utiliser les émotions afin d’obtenir certains comportements, notamment chez des êtres dont la raison n’est pas pleinement développée. Enfin, Socrate apparaîtrait sous des dehors de magicien séducteur et trompeur aux ignorants qui ne mesurent pas la vraie valeur de ses paroles, alors qu’il est en fait « le bien-aimé, que l’amoureux de la vertu suit de son plein gré » 36.

Relevant quatre niveaux d’analyse de magie chez Platon, G. Casterano 37 commence par considérer une forme trompeuse et factice de magie pratiquée par divers individus allant des adeptes d’Orphée et des faux devins aux poètes, en passant par les orateurs et les rhéteurs possédant l’art d’envoûter. Il passe ensuite à une forme essentiellement imitative, pratiquée par les sophistes, redoutable car souvent difficile à distinguer de l’activité originale, en

33. J. DE ROMILLY, « Gorgias and Magic » in J. DE ROMILLY, Magic and Rhetoric in Ancient Greece, Cambridge (MA) - London, 1975, pp. 1-22.

34. J. DE ROMILLY, « Plato and Conjurers » in J. DE ROMILLY, op. cit., pp. 23-43.

35. E. BELFIORE, « Elenchus, Epode, and Magic: Socrates as Silenus », Phoenix, 34, 1980, pp. 128-137.

36. Ibid., p. 137 : « the beloved, whom the lover of virtue follows of his own free will ».

37. G. CASERTANO, « Magia, incantesimo e filosofia in Platone » (1989) in G. CASERTANO, L’Eterna malattia del discorso. Quattro studi su Platone, Napoli, 1991, pp. 59-80.

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