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Temps perturbé d’hiver et sécheresse sahélienne. L’exemple d’une station mauritanienne (Aleg, Brakna)

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191 | 2004/2

Les types de temps

Temps perturbé d’hiver et sécheresse sahélienne

L’exemple d’une station mauritanienne (Aleg, Brakna)

Ahmed V. Elghadi et Aziz Ballouche

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/norois/1182 DOI : 10.4000/norois.1182

ISBN : 978-2-7535-1539-0 ISSN : 1760-8546 Éditeur

Presses universitaires de Rennes Édition imprimée

Date de publication : 1 mars 2004 Pagination : 111-119

ISBN : 978-2-86847-977-8 ISSN : 0029-182X

Référence électronique

Ahmed V. Elghadi et Aziz Ballouche, « Temps perturbé d’hiver et sécheresse sahélienne », Norois [En ligne], 191 | 2004/2, mis en ligne le 09 septembre 2008, consulté le 19 avril 2019. URL : http://

journals.openedition.org/norois/1182 ; DOI : 10.4000/norois.1182

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Temps perturbé d’hiver et sécheresse sahélienne

L’exemple d’une station mauritanienne (Aleg, Brakna)

Ahmed V. Elghadi et Aziz Ballouche

Introduction

1 La sécheresse est désormais un thème ordinaire dans les travaux géographiques sur la zone sahélienne. Divers auteurs se sont essayés à en préciser les définitions. Le lien de ce que l’on peut appeler une « sécheresse météorologique », en tant qu’écart relatif par rapport à la moyenne, avec une certaine variabilité pluviométrique est désormais admis (Roche 1986, Mainguet 2003). Les mêmes auteurs ont aussi souligné sa récurrence en Afrique subsaharienne et se sont interrogés sur les causes de grande ampleur qu’elle implique. Notre démarche n’est pas a priori celle de climatologues mais plutôt d’environnementalistes soucieux de comprendre ce phénomène dont l’impact sur les milieux et les sociétés est majeur.

2 Notre travail a pour objectif un diagnostic des ressources environnementales fortement soumises à un risque élevé de dégradation avec toutes les conséquences que cela entend pour les populations. Dans ce processus dit de la « désertification », la dégradation des terres est due à divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques, telles que les déficits pluviométriques marqués, et les pressions anthropiques. Elle se traduit par une diminution de la productivité des cultures, une altération de la biomasse, une réduction de la diversité des espèces végétales et animales et une accélération de la dégradation des sols. La connaissance du phénomène de la sécheresse et de ses modalités est donc une priorité dans tout travail de type systémique (Le Houérou, 1993). De façon générale, en Afrique de l’Ouest, cette problématique relève de la compréhension de l’ensemble du système de la mousson africaine, impliquant lui-même toute une série d’interactions. Or l’exemple mauritanien nous montre que la sécheresse sahélienne est en réalité un fait complexe dont la diminution des totaux pluviométriques n’est qu’une facette. Il ne s’agit pas ici d’apporter des réponses définitives qui ne relèvent pas de notre compétence mais

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de nous interroger sur certaines caractéristiques saisonnières de la circulation atmosphérique tropicale et ses impacts sur la sécheresse. Nous voulons plus particulièrement signaler dans cette note la relation remarquable que nous avons observée sur notre terrain d’étude, la station d’Aleg (Brakna) dans le Nord Sahel mauritanien, entre un type de temps particulier et les déficits pluviométriques.

Le Sud-Ouest mauritanien : un climat sahélien

3 La Mauritanie est un pays de transition entre le Sahara et le Sahel. Le Sud-Ouest du pays appartient au domaine nord-sahélien qui se caractérise par une longue saison sèche, allant au moins d’octobre à juin, et une courte saison des pluies. Cette période pluvieuse, communément appelée hivernage, s’étend ainsi dans le Sud-Ouest mauritanien sur deux à quatre mois, de juillet à début octobre. La pluviométrie annuelle est faible, généralement inférieure à 300 millimètres, avec une augmentation du nord au sud. Le climat est ici essentiellement marqué par ce régime des précipitations (Leroux, 1983, 1996).

4 Les précipitations ont pour origine la remontée latitudinale progressive du « front de la mousson », ou zone de convergence intertropicale (ZCIT). Celle-ci s’explique par la migration saisonnière de l’équateur météorologique entre les deux hémisphères, elle- même liée au mouvement zénithal du soleil. Cependant, la convection du flux humide de la ZCIT dans les basses couches n’explique pas seule la mousson africaine. Celle-ci implique en outre des interactions avec l’air sec advecté depuis le Sahara et surtout les ondes d’est (JEA) dans la troposphère moyenne (Burpee, 1972 ; Leroux, 1996 ; Cook, 1997).

En conséquence, l’hivernage représente la période où les précipitations sont les plus importantes, voire le seul moment où elles sont présentes. Ainsi le mois d’août dans certaines régions peut représenter à lui seul la moitié des précipitations tombées au cours de l’année.

5 À l’inverse, durant la saison sèche, les hautes pressions tropicales (anticyclones des Açores ou saharien) migrent vers les basses latitudes en suivant le mouvement de l’équateur météorologique. Le domaine sahélien se situe alors dans une période anticyclonique où les pluies sont quasi inexistantes. Cette période correspond également à l’établissement d’un flux dominant soufflant du nord-est, l’Harmattan. Dans notre région, cet alizé continental est présent de façon quasi-continue, d’octobre à juin, donnant de grands vents de sables chauds et secs.

La station d’Aleg

6 Aleg est le chef-lieu de la wilaya (région) du Brakna et préfecture de département. La station se situe par 17°03’ N et 13°55’ W (fig. 1). Les données pluviométriques dont nous disposons, proviennent de différentes sources. D’abord nous avons obtenu, en 1998, du service de l’hydrologie de la direction de l’Environnement et de l’Aménagement Rural (DEAR) du ministère du Développement Rural et de l’Environnement (MDRE), les données qui concernent une période de 77 ans (1921 à 1997). Puis nous avons consulté les archives du service météorologique de la Société des Aéroports de Mauritanie (SAM), c’est à dire les données de l’ASECNA et enfin, nous avons consulté les données disponibles au niveau de la délégation régionale du ministère du Développement Rural et de l’Environnement au Brakna, dont le siège est à Aleg. Ces données sont complémentaires mais certainement hétérogènes dans leur acquisition. Sur l’ensemble de la période considérée, les moyens

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techniques des stations ont évolué et leur suivi a connu des changements notables. Ainsi, on peut trouver des années incomplètes au service de l’hydrologie, par exemple, qui pourront être complétées par les données de la SAM ou celles de la délégation du MDRE et inversement. En revanche, une certaine hétérogénéité de la mesure doit toujours être prise en compte. Nous pensons cependant que dans une étude qui s’attache plus à connaître des tendances qu’à construire des modèles de fonctionnement climatique ceci n’est pas un obstacle à la recherche.

Figure 1 : Carte de situation

7 Pour ce qui est des températures, la station d’Aleg ne nous permet pas de nous référer à des données fiables. C’est pourquoi nous avons utilisé celles de Boutilimit à une centaine de kilomètres au N-W.

8 D’après le diagramme ombrothermique d’Aleg, construit à partir de ces données, pour une moyenne annuelle de 250 mm, seuls les mois d’août (98 mm) et de septembre (65 mm) peuvent être qualifiés d’humides (fig. 2). Autrement, le mois de juillet est le seul à connaître encore des pluies significatives avec 53 mm. Aleg apparaît ainsi comme une authentique station nord-sahélienne. La particularité de cette station serait l’enregistrement marginal mais réel de quelques pluies hivernales avec des moyennes inférieures à 1,5 mm en février et à 1 mm en décembre et janvier.

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Figure 2 : Diagramme ombrothermique d’Aleg (Brakna, Mauritanie)

9 Lorsque l’on prend en considération une longue série d’années, on observe une très forte variabilité des précipitations annuelles, et plus particulièrement la présence de forts déficits pluviométriques.

La variabilité comme règle

10 L’analyse des données pluviométriques et de leur répartition temporelle permet de déceler plusieurs classes pluviométriques (tableau 1). En effet, pour la période de 80 ans de 1921 à 2000, une moyenne annuelle de 250 mm est enregistrée. C’est ce que nous avons convenu d’appeler la « moyenne séculaire ». La période de 1921 à 1971 correspond à celle qui est généralement reprise dans la littérature et souvent considérée comme période de

« pluviométrie normale », malgré l’enregistrement sporadique de faibles totaux de précipitations : sa moyenne annuelle est de 281 mm. En revanche, la période 1972-2000 ayant présenté des précipitations généralement plus faibles, s’est caractérisée par des précipitations moyennes annuelles de 195 mm, soit 78 % seulement de la moyenne séculaire et même 69 % de celle de la période antérieure.

Tableau 1 : Précipitations moyennes, médianes, écarts-types et coefficients de variation (CV) pour la station d’Aleg entre 1921 et 2000

11 Bien au-delà de ces moyennes, les faits les plus marquants sont la variabilité interannuelle enregistrée ainsi que la dispersion des totaux annuels. Ainsi, la moyenne de

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250 mm/an cache des extrêmes très éloignés : 617 mm en 1927 ou 570 mm en 1969 et 78,3 mm en 1972 ; ces deux dernières années ayant fortement marqué la mémoire des hommes. Le quart des années a enregistré des précipitations inférieures à 170 mm et un autre quart plus de 304 mm. Le coefficient de variation qui approche 44 % est typique des stations de la frange sud du Sahara.

12 Outre la forte variabilité inter-annuelle, intervient une certaine variabilité intra-annuelle, c’est-à-dire sur les moyennes mensuelles et saisonnières. En règle générale, le mois le plus arrosé est le mois d’août avec 98 mm en moyenne (114 mm pour 1921-1971 et 70 pour 1972-2000), les extrêmes étant 290 mm en août 1927 et 9,8 mm en 1992. Cependant plusieurs années ont connu des distributions mensuelles des précipitations très différentes. Ainsi sur une année moyenne comme 2001, caractérisée par une pluviométrie de 244,1 mm, les principales pluies ont eu lieu fin juillet, puis fin septembre, avec des précipitations très faibles au mois d’août. Certaines années bien arrosées présentent des particularités remarquables :

• en 1955 (P = 544,3 mm), le mois d’août est normalement pluvieux avec 150,6 mm, mais c’est le mois de juillet qui a vu tomber 250,5 mm de pluie contre une moyenne de 52,8 ;

• en 1969 (P = 569,9 mm), on enregistre 176 mm en août mais 183,9 mm en octobre contre une moyenne de 15,2.

13 Les années les plus sèches, quant à elles, présentent toujours un mois d’août fortement déficitaire – 18,5 mm en 1972, voire 9,8 mm en 1992 – et parfois subordonné à des mois anormalement arrosés comme février 1992 avec 27,7 mm contre une moyenne de 1,4 mm pour un mois de février normal. Les années moyennes dont les courbes de précipitations épouseraient celle du diagramme ombrothermique sont, sommes toutes, peu nombreuses.

14 Le fait que la variabilité se manifeste au niveau de tous les indicateurs climatiques nous a amené à en étudier de plus près les caractéristiques à l’aide des chroniques à notre disposition. L’approche, dans un premier temps empirique, s’appuie ponctuellement sur des comparaisons statistiques.

Sécheresse et type de temps

15 Mettre en relation le phénomène de la sécheresse, des situations particulières de la circulation atmosphérique et certains types de temps est peu aisé dans un pays où le dispositif de suivi météorologique est très lâche. Cela suppose de croiser diverses informations issues des chroniques météorologiques et de leur traitement statistique, de l’histoire et des observations satellitaires.

L’évolution climatique

16 Le discours dominant en Mauritanie, comme dans d’autres régions du Sahel, est celui d’une sécheresse grandissante, voire dans l’esprit de beaucoup irréversible. La réalité est bien moins tranchée. L’une des méthodes mise en œuvre pour s’en faire une idée est celle du suivi de l’évolution climatique sur la longue séquence de 1921 à 2000, éventuellement complétée par l’interrogation de la mémoire des sociétés (orale ou écrite).

17 D’après les données que nous avons déjà présentées, la station d’Aleg a connu, durant le

XXe siècle, une évolution climatique marquée par une tendance à la diminution des totaux pluviométriques annuels. On enregistre ainsi un déficit moyen de 31 % au cours de la

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période 1972-2000 par rapport à la période de 1921-1971, ce qui traduit une nette tendance à la sécheresse. La différence absolue entre ces deux périodes est importante (86 mm). On est là dans un cas exemplaire de sécheresse météorologique. Cependant, l’analyse de la série des précipitations mensuelles depuis 1921 met en évidence le retour régulier de périodes pluriannuelles de déficit par rapport aux moyennes : 1931-1934, 1941-1943 et surtout 1958-1965 où la moyenne des huit années ne dépasse pas 178 mm. La moyenne mobile quinquennale montre très bien cette évolution fluctuante (fig. 3).

Figure 3 : Les variations pluviométriques à Aleg (1921-2000)

18 Si l’on remonte plus loin dans le temps, bien qu’aucune comparaison chiffrée ne soit possible, les sécheresses ont largement alimenté les chroniques locales. On peut signaler celle de 1864-1865 qui a donné lieu à de très nombreux poèmes implorant Dieu pour qu’il fasse pleuvoir ou encore celle de 1913 où les populations ont dû avoir recours à l’aide du colonisateur fraîchement installé.

19 Pourtant, le passage, depuis les années 1970, à un nouvel équilibre trentenaire stable, en dessous de la moyenne séculaire, est tout à fait remarquable et sans équivalent sur le siècle (fig. 3). Après 1972, la diminution des précipitations est non seulement nette mais les variations se sont paradoxalement atténuées, ce qui est plus inquiétant.

L’extraordinaire stabilité depuis 1972 autour d’une moyenne de moins de 200 mm, malgré quelques années bien arrosées, est révélée par une courbe des moyennes mobiles quinquennales moins fluctuante et un écart-type plus réduit (tableau 1). De plus, à partir de 1972, sept années seulement ont des écarts à la moyenne séculaire positifs.

20 Une telle situation fragilise durablement les écosystèmes, en particulier le couvert végétal, et a un impact déstabilisant sur les sociétés agro-pastorales soumises à des menaces sérieuses sur leurs cultures et leur cheptel. La part éventuelle d’une cause liée à la circulation atmosphérique et à un type de temps particulier est à lire à travers la répartition saisonnière des précipitations.

Pluies d’hiver et sécheresse : un lien ?

21 Le Sahel est une zone écoclimatique à pluies d’été, généralement appelées pluies de mousson, et tout le fonctionnement du milieu est déterminé par ce rythme. Le pendant

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hivernal de ce fait est un type de temps anticyclonique généralement caractérisé par l’absence totale de pluie. Or la partie nord-occidentale du Sahel, Sénégal et Mauritanie, connaît une exception à cette règle qui est un type de temps pluvieux hivernal, connu dans la littérature géographique francophone sous le nom de « Heug ». Ce mot d’origine ouolof se traduit en Mauritanie par le terme de « Negdha » en hassania. Le mécanisme atmosphérique est complexe et assez mal expliqué, et relève de particularités des systèmes convectifs de méso-échelle. Il correspond grossièrement à un affaiblissement de la cellule anticyclonique des Açores, ce qui ouvre la voie à des perturbations océaniques, et non méditerranéennes comme on a parfois tendance à le lire. Les pluies associées sont généralement faibles voire très faibles accompagnées d’une diminution des températures.

22 Dans le cas d’Aleg et du Sud-Ouest mauritanien, ce phénomène se lit à travers des moyennes pluviométriques faibles mais non nulles en février (1,44 mm) et secondairement en janvier (0,85 mm). En fait, l’analyse des chroniques pluviométriques mensuelles et saisonnières permet de dire que ces pluies correspondent à un phénomène qui, tout en restant exceptionnel, n’est ni aléatoire ni déconnecté du reste du système climatique de la région. On peut noter les remarques suivantes :

1. La caractéristique première est que la pluie, même quand elle n’est que très peu abondante, est présente chaque année. Des précipitations tombent systématiquement en été notamment en juillet, août et septembre (Pjas).

2. En saison « fraîche » (janvier, février, mars) interviennent parfois quelques pluies réduites (Pjfm) qui peuvent être abondantes : en 1972, par exemple, 12,5 mm en janvier et 17,5 février ou en 1992 avec 27,7 mm en février, enfin la situation exceptionnelle sinon extraordinaire de 2002 avec 85 mm en janvier.

3. Les totaux pluviométriques de la saison sèche chaude (avril, mai et juin) et de la saison post- humide de l’automne (octobre, novembre, décembre) sont directement liés aux pluies de

« mousson », dans le cas où l’hivernage commence un peu tôt (en juin en particulier) ou se termine un peu tard (en octobre).

23 Comme le savent très bien les populations locales « la qualité de l’année est directement liée à la qualité de l’hivernage ». Le total annuel est directement dépendant du total des pluies d’été. La forte corrélation entre P et Pjas est confirmée par un coefficient de corrélation r = 0,94.

24 La recherche d’une corrélation entre P et Pjfm donne certes un r négatif mais sans signification statistique. Pourtant, d’un point de vue strictement empirique, il semble bien y avoir une relation inverse entre pluies d’hiver et pluies d’été et, partant, entre les premières et le total pluviométrique de l’année. Ces pluies de type « negdha » auraient donc des influences négatives sur les pluies estivales. Ces situations seraient typiquement celles de 1972 et 1992, mais aussi 1979 voire 1930. Il faut cependant admettre que certaines années ont connu des précipitations hivernales conséquentes sans que cela ait entraîné un hivernage particulièrement déficitaire (1954 et 1968). Il est tout à fait notable, qu’après 1972, le phénomène est plus marqué. La quantité moyenne des pluies d’hiver augmente après 1972 (tableau 2) et leur fréquence semble s’accentuer : 9 années sur 29 entre 1972 et 2000 contre 11 années sur 51 entre 1921 et 1971.

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Tableau 2 : Comparaison des moyennes des précipitations en hivernage et en saison « fraîche » (janvier, février et mars) selon les périodes pour la station d’Aleg

25 Dès les années 1980, de nombreux auteurs expliquaient la sécheresse persistante sur le Sahel par une modification à la marge de la circulation atmosphérique tropicale et l’effet négatif d’une composante septentrionale de la circulation méridienne sur les pluies estivales (Leroux, 1983 ; Durand, 1988 ; Le Houérou, 1993 ; Le Barbé et al., 2002). Ainsi, les pluies venant de la mousson du golfe de Guinée peuvent être perturbées par quelques pluies d’hiver peu importantes, signalant une prédominance de la circulation des moyennes latitudes. La confrontation des chroniques pluviométriques avec l’imagerie Meteosat disponible depuis 1992 montre assez bien ce lien (fig. 4).

Figure 4 : Image infrarouge Meteosat de la situation exceptionnelle du 10 janvier 2002

* : Aleg : Meteosat

Une situation exceptionnelle ?

26 Le type de temps hivernal pluvieux est une situation d’exception au Sahel mais, dans notre zone d’étude, il n’est pas rare. Nous sommes en présence d’un phénomène qui se répète de façon irrégulière mais avec une fréquence quinquennale à quadriennale qui

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n’est pas négligeable. L’hypothèse d’un lien direct entre ce type de temps, la circulation atmosphérique qui le génère et la sécheresse mérite d’être sérieusement prise en compte.

27 Depuis nos premières hypothèses (Ould Baba et al., 2000), un phénomène climatique réellement exceptionnel a touché Aleg et sa région au mois de janvier 2002 (fig. 4). Il s’agit d’une vague de froid, avec des températures inhabituellement basses (aux alentours de 5 ° C), qui est descendue sur le Brakna, le Gorgol et le Nord du Sénégal et qui s’est accompagnée de précipitations importantes. Les 9, 10 et 11 janvier 2002, il est tombé respectivement 8 mm, 38 mm et 39 mm, soit 85 mm en 3 jours ! Les précipitations de l’hivernage suivant ont été particulièrement faibles, puisqu’on a enregistré à ce moment là 97 mm en juillet, août et septembre 2002 (source : MDRE 2002). Ceci confirmerait spectaculairement l’hypothèse des dérèglements climatiques causés par les pluies d’hiver.

En outre, l’impact direct d’un tel événement pluvieux sur les milieux et les populations est très contrasté. Certes, les pluies ont permis un exceptionnel reverdissement de la strate herbacée au cœur de la saison sèche, mais la chute de température concomitante a provoqué de grosses pertes parmi les petits ruminants.

28 À une autre échelle de temps, nous pouvons affirmer que ces situations se sont répétées dans l’histoire récente. Ainsi, les chroniques régionales des lettrés des zawya du Trarza et Brakna, en particulier celles de Ould H’jab et de Ould Keddah, en signalent plusieurs, parfois avec leurs impacts. Les chroniques désignent souvent l’année concernée, telle qu’enregistrée dans la mémoire collective, par le terme de negdha :

• 1803-1804 : « ‘Am negdhet Ali » que l’on traduit littéralement par « l’année de la pluie hivernale d’Ali », désigne une pluie de saison fraîche abondante qui fait pousser de bons pâturages.

• 1818 : « ‘Am cherwaga », terme berbère qui veut dire, en parlant d’un dromadaire, aller dans un sens puis dans l’autre. C’est une année qui commence bien et se termine mal, par une pénurie générale de vivres.

• 1876 : « ‘Am neghda », également désignée par « ‘Am daya el-khadra », année d’eau et de verdure.

• 1890 : « Neghdet legned » : forte pluie en saison fraîche qui cause la mort de beaucoup d’animaux, signalée dans le Sud du pays.

• 1891 : « Neghdet jrad », une forte pluie de saison fraîche accompagnée de criquets.

29 La recherche systématique de la mémoire de tels événements consignée dans les chroniques multiples tenues par les lettrés des tribus maraboutiques et précieusement conservées devrait être un moyen utile d’approfondir dans le temps notre connaissance de l’évolution climatique de cette partie du Sahel.

Conclusion

30 L’étude des chroniques pluviométriques d’une station nord-sahélienne comme Aleg met en évidence la forte variabilité statistique des totaux pluviométriques annuels et de la répartition des pluies dans l’année. Ces aspects sont à mettre en relation avec la position d’Aleg aux marges de la circulation tropicale typique qui peut laisser place à des situations hors normes avec des types de temps inhabituels. Or la forte corrélation entre la répartition saisonnière des pluies et leur quantité, avec des précipitations estivales qui déterminent le total annuel et la suspicion d’une relation inverse entre les pluies, pourtant marginales, de l’hiver (janvier, février) et celles de l’hivernage nous autorisent à

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y voir non la cause mais l’expression de l’une des causes du déficit pluviométrique de certaines années. Il n’est cependant pas question de voir dans un tel phénomène l’explication de la sécheresse sahélienne aux causes certainement multiples.

31 Affirmée par J.-M. Durand en 1988, cette relation mériterait d’être mieux étudiée aux échelles convective et synoptique, en particulier, dans les modèles de circulation globale.

Étonnamment, pour l’instant, ces aspects ont été peu abordés, ce type de recherche privilégiant soit une étude de la variabilité intra-saisonnière, soit l’exploration de possibles téléconnexions (Janicot et al. 2001), plutôt qu’une caractérisation des systèmes convectifs de méso-échelle. Cependant, Le Barbé et al. (2002) pensent que l’intensité du gradient méridien d’entropie semble jouer un rôle fondamental dans la variabilité de la mousson, en particulier dans ses régimes de démarrage pendant les années humides et les années sèches. De nombreux travaux récents sur les systèmes convectifs de méso-échelle en Afrique de l’Ouest esquissent des interrogations dans ce sens (Le Barbé, Lebel, 1997 ; Hodges, Thorncroft, 1997 ; Lebel et al., 2000 ; Mathon, Laurent, 2001).

32 Le recul temporel que nous avons, avec moins d’un siècle de mesures pluviométriques et un suivi satellitaire très récent qui permet seul de préciser les types de temps doivent nous inciter à projeter ce type de travaux dans l’avenir tout en recherchant des approfondissements dans le passé. Au-delà, notre exemple renforce l’intérêt que peut avoir l’étude des types de temps pour comprendre le phénomène récurrent de la sécheresse.

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RÉSUMÉS

La sécheresse sahélienne est un fait complexe dont la diminution des totaux pluviométriques n’est qu’une facette. Une étude approfondie sur la station d’Aleg, dans le Sud-Ouest mauritanien, permet de mieux décrire quantitativement cette évolution. L’analyse de la série des précipitations mensuelles depuis 1921 met en évidence, d’une part, le retour régulier de périodes pluriannuelles de déficit par rapport aux moyennes, d’autre part, la nette corrélation entre la répartition saisonnière des pluies et leur quantité. Les précipitations estivales déterminent le total annuel, mais elles montrent une relation inverse avec les pluies, pourtant marginales, de l’hiver. Ce dernier fait souligne l’intérêt que peut avoir l’étude des types de temps pour comprendre le phénomène récurrent de la sécheresse.

The Sahelian drought is a complex phenomenon, in which rainfall deficits are only one of several aspects. Rainfall has been recorded since 1921 at a north-Sahelian station (Aleg, Brakna, SW Mauritania) and the analysis of the observed seasonal rainfall data set allows to describe the inter-annual rainfall variation of the region and suggests some correlations between the seasonal distribution and the total annual rainfall. The summer rainy season controlled by the West African Monsoon determines the annual rainfall amount, although the marginal winter rainfall could explain part of the rainfall variability.

INDEX

Index géographique : Aleg, Mauritanie, Sahel Keywords : drought, rainfall, variability Mots-clés : pluviométrie, sécheresse, variabilité

AUTEURS

AHMED V. ELGHADI

GREZOH – Université de Nouakchott ; LSEA – Université d’Angers AZIZ BALLOUCHE

Géophen/LETG-UMR 6554 – CNRS ; Université de Caen, ballouche@geo.unicaen.fr

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