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Le livre de Philodème La Colère

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Texte intégral

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Problèmes, Renaissances, Usages

 

8 | 2008

Les anciens sophistes

Le livre de Philodème La Colère

Voula Tsouna

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/philosant/4769 DOI : 10.4000/philosant.4769

ISSN : 2648-2789 Éditeur

Éditions Vrin Édition imprimée

Date de publication : 3 décembre 2008 Pagination : 215-258

ISBN : 978-2-7574-0076-0 ISSN : 1634-4561 Référence électronique

Voula Tsouna, « Le livre de Philodème La Colère », Philosophie antique [En ligne], 8 | 2008, mis en ligne le 01 juillet 2021, consulté le 02 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/philosant/4769 ; DOI : https://doi.org/10.4000/philosant.4769

La revue Philosophie antique est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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Philosophie antique, n° 8 (2008), 215-258

LE LIVRE DE PHILODÈME L A C O LÈ RE Voula TSOUNA

Université de Californie à Santa Barbara

RÉSUMÉ. Depuis Homère, les penseurs de l’antiquité se sont intéressés à la nature, à l’usage et au contrôle de la colère. Cet article porte sur le plus ancien ouvrage sur le sujet qui ait survécu de l’antiquité jusqu’à nous, à savoir le traité Sur la Colère de Philodème, un important philosophe épicurien, actif en Italie du Sud au Ier siècle av. J.-C. De façon générale, il s’agit dans cet article de présenter, du point de vue historique, sémantique et méthodologique, le contexte de l’analyse par Philodème de la colère, ainsi que de reconstruire l’essentiel de son argumentation contre différents adversaires. La question comporte un débat sur la bonne façon de traiter la colère ; l’explication que donne Philodème de la nature, des symptômes et des conséquences de cette émotion ; la distinction qu’il opère entre colère naturelle (orge) et non naturelle (thymos), ainsi que son affirmation, que le sage peut à l’occasion resssentir la première, mais jamais la seconde ; enfin, sa réfutation de trois arguments en forme d’epilogismos qui soutiennent que le sage ne sera pas moins sujet à la colère que n’importe qui.

SUMMARY. From Homer onwards classical thinkers were preoccupied with the nature, use, and control of anger. This paper discusses the earlier classical work on that subject surviving in part to our day, namely the treatise On Anger by Philodemus, an important Greek Epicurean philosopher active in Southern Italy in the 1st century BC. The overall aim of the paper is to supply the historical, semantic, and methodological context for Philodemus’ analysis of anger, and also to reconstruct Philodemus’ central argument against different opponents.

Topics include a debate concerning the right method of treating anger ; Philodemus’ account of the nature, symptoms, and consequences of the emotion ; his distinction between natural anger (orge) and unnatural anger (thymos) as well as his contention that the sage occasionally feels the former but never the latter ; and his refutation of three arguments in the form of epilogismos which maintain that the sage will feel no less anger than the common man.

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Philosophie antique, n° 8 (2008), 215-258

L’ouvrage de Philodème, La Colère (De ira = PHerc. 182), est probable- ment la pièce maîtresse de son ensemble consacré aux Passions1, et la première monographie classique dédiée au sujet qui subsiste (en partie) aujourd’hui2. Le papyrus comportait à l’origine cent vingt colonnes envi- ron, et un peu plus de la première moitié du rouleau a péri. La seconde moitié compte cinquante colonnes bien conservées, un certain nombre de fragments dont plusieurs sont substantiels ainsi qu’une quinzaine de colonnes qui sont pour ainsi dire illisibles. Du point de vue de la culture prise au sens large, La Colère reflète une préoccupation largement répan- due dans l’antiquité, touchant à la nature, à l’usage et à la maîtrise de la colère, et ce dès l’époque d’Homère3. Si l’on prend maintenant le mot culture en un sens plus restreint, au sens de « perspective philo- sophique », ce livre occupe une place importante dans le débat, toujours ouvert, sur les passions, et il constitue une contribution majeure à la litté- rature épicurienne sur cette question. En ce qui concerne sa structure, une bonne partie de ce qui nous reste de l’œuvre (VIII.16-XXXI.23, soit vingt-trois colonnes) est occupée par une diatribe, une sorte de « ser- mon » contre la colère qui « met sous les yeux », à travers un tableau très frappant, le caractère intrinsèquement haïssable de cette émotion et ses

1. J’ai consulté les anciennes éditions de La Colère données par Gomperz 1864 et Wilke 1914, mais j’ai surtout utilisé l’édition d’Indelli 1988, ainsi que l’édition-traduction de La Colère par David Armstrong, qu’avec sa générosité coutumière il a mise à ma dispo- sition. Encore inédite à ce jour, elle paraîtra bientôt dans la série des ‘Writings from the Greco-Roman World’ of the Society of Biblical Literature. Les traductions sont les miennes, même si elles doivent beaucoup à l’élégante traduction d’Armstrong. Pour les colonnes

XLVII.18-L.8, j’ai également consulté le travail inédit de Kirk Sanders, que je tiens à remercier. Annas 1992, Erler 1992, Fillion-Lahille 1984, Fish 2004, Harris 2001, Nuss- baum 1994, Procopé 1998, Sorabji 2000, et bien d’autres ouvrages m’ont servi à éclairer divers aspects et implications du traitement par Philodème de la colère.

2. Deux monographies complètes sur la colère nous sont parvenues, qui sont l’œuvre de Sénèque le Jeune et de Plutarque.

3. Harris 2001 fait bien voir la naissance et la persistance du thème du contrôle ou de l’élimination de la colère intense, et recourt pour cela à un nombre important de textes anciens, depuis Homère jusqu’aux premiers chrétiens.

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terribles conséquences. Le reste consiste en un examen, de type dialec- tique, des positions de divers adversaires tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’école épicurienne et, simultanément, une défense par Philodème de sa propre position, laquelle paraît bien avoir été aussi celle de Zénon de Sidon et de ses élèves4.

Des traits stylistiques tels que des références en désordre et peu claires, ou des maladresses de syntaxe, indiquent que La Colère a dû être écrit rapidement et sans beaucoup de soin, pour être communiqué à un petit cercle, et non à la totalité de l’école5. Malgré tout, Philodème y donne aussi des conseils indirects sur la manière de gérer sa propre co- lère6, et il n’est pas impossible qu’il ait proposé des stratégies spécifiques pour la thérapie de la colère dans la partie perdue de l’ouvrage.

Le livre de La Colère présente un territoire très peuplé : Philodème y argumente en effet contre de nombreux adversaires, et il n’est pas toujours facile de savoir de qui il s’agit, ni d’identifier les positions qu’ils soutiennent. Dans une première partie, le présent article s’efforcera de tirer au clair ces questions et commencera par fournir un cadre séman- tique et historique dans lequel inscrire la discussion de Philodème. Dans une deuxième partie, touchant à l’argument proprement dit, seront pré- sentées les objections de méthode soulevées par Timasagoras, l’un des rivaux professionnels de Philodème, et on montrera comment Philo- dème y répond. La troisième partie examinera la manière dont Philo- dème rend compte de la nature et des symptômes de la colère, des opinions et des sentiments qu’elle enveloppe, et de ses conséquences. La quatrième partie sera consacrée à la réfutation par Philodème de certains péripatéticiens dont il estime, à tort ou à raison, qu’ils encouragent les gens à se mettre en colère. En outre, cette section examinera le cas des gens qui offrent les apparences de l’irascibilité sans être réellement iras- cibles. Dans la cinquième partie, on abordera la question de savoir si la colère est une bonne ou une mauvaise chose ; on étudiera la distinction

4. Cicéron et Atticus semblent tous deux avoir eu conscience de cette distinction, indépendamment de Philodème ; voir Armstrong 2004. Wilke 1914 (p. vii) suggère que le contenu de La Colère appartient au même abrégé de l’ouvrage de Zénon que La Liberté de parole et tient le passage du De lib. dic. 36.24-25 pour une preuve à l’appui de cette interprétation. Crönert 1906 (p. 91) adopte en substance la même position. Tsouna 2007 suggère que Philodème pourrait avoir emprunté la distinction entre colère acceptable et inacceptable, colère naturelle et vide, à Zénon de Sidon ou à Démétrius Lacon.

5. Cf. Procopé 1998, p. 174-175. Selon Procopé, les faiblesses de style et de langue pouvaient être corrigées sur place par le maître lui-même.

6. Voir, dans un sens différent, Procopé 1998, p. 175, qui suggère que La Colère n’est pas du tout un ouvrage à visée thérapeutique ; il serait moins destiné à des gens souffrant de leur irascibilité qu’à des épicuriens désireux de devenir des thérapeutes ou de s’infor- mer sur la colère.

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que fait Philodème entre deux sortes de colère, qu’il nomme respective- ment orge et thymos, ainsi que son affirmation que le sage épicurien connaît la première sorte de colère, et pas la seconde. Philodème défend cette thèse contre un autre rival professionnel, Nicasicratès, qui soutient que même la colère naturelle est un mal. Je soupèserai les arguments de chacune des deux parties, ainsi que la réponse apportée par Philodème à la question de savoir si le sage peut jamais éprouver une grande colère et, si oui, en quel sens. La sixième partie examinera une question connexe, celle de savoir si le sage ne connaît pas moins la colère que l’homme ordinaire (pas seulement l’orge, mais aussi le thymos). Je discuterai trois ar- guments offrant la forme d’epilogismoi, visant à établir que le sage éprouve autant la colère que l’homme ordinaire, et enfin trois autres arguments dont Philodème se sert pour réfuter ceux de ses adversaires.

I

Un mot d’abord concernant le champ sémantique de la colère. Au cours de la période archaïque déjà, des textes littéraires esquissent une distinction entre une rage irrésistible et généralement de longue durée (menis), dont l’exemple même est le courroux d’Achille, et d’autres varié- tés de colère (désignées, par exemple, par les substantifs cholos et kotos et les verbes comme ochthein, choesthai et meneainein)7. Au Ve siècle av. J.-C.

toutefois, ces termes sont remplacés, la plupart du temps, par orge, qui à l’origine signifiait disposition ou tempérament8, mais qui, à l’époque classique, désigne habituellement une colère intense, et par thymos, un mot utilisé aussi au sens large d’émotion ou de passion, et pour désigner la faculté responsable de ce genre d’états9. Thymos et orge sont les principaux termes

7. Cf. Harris 2001, p. 51-52. Comme le note Harris, le désaccord est grand sur les nuances exactes de ces différents termes et, de plus, ce n’est pas toujours la même signification qui leur est attachée. Homère renvoie habituellement à la colère d’Achille avec le mot menis mais aussi, parfois, avec cholos ; et ochthesas peut signifier « affligé » et non, comme souvent, « en colère ». Néanmoins, il est clair que la menis est une colère sans frein, aux effets terrifiants, et redoutable pour celui qui en est l’objet. Sur la colère et le vocabulaire de l’agression à la période archaïque, voir aussi Adkins 1969, Considine 1966, 1986, Scully 1984.

8. Cf. Harris 2001, n. 11.

9. Cf. Harris 2001, p. 52, Sullivan 1993. D’autres mots peuvent être aussi utilisés, qui conservent généralement leur signification première. Parmi ceux-ci, cholos, nemesis (qui renvoie typiquement à l’indignation justifiée), chalepotes, et les verbes chalepainein et aganak- tein. Harris 2001 (p. 53) suggère que ces trois derniers termes sont moins forts qu’orge, même s’ils renvoient à des affections qui font naître la violence.

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pour exprimer la colère en grec à l’époque hellénistique aussi, et bien sûr chez les philosophes hellénistiques10.

C’est Aristote qui fournit l’arrière-plan philosophique nécessaire pour analyser la colère aux époques hellénistique et romaine, y compris à l’époque de Philodème. Dans son traité De l’âme, dans un contexte où il argumente en faveur de la thèse selon laquelle les affections de l’âme enveloppent le corps et sont des logoi enuloi, des formules matérielles, Aris- tote donne deux définitions différentes d’orge. La première, physique, est relative au domaine du philosophe de la nature, la seconde, qui prend en compte l’intention, est propre au dialecticien. Pour le philosophe de la nature, l’orge est « une montée de sang [ou une bouffée de chaleur] dans la région du cœur »11, tandis que pour le dialecticien elle est « un désir de vengeance (orexin antilypeseos), ou quelque chose de ce genre » (De an. I, 1, 403a16-32). Il n’y a sans doute rien de surprenant12 à ce que ce soit dans la Rhétorique qu’il élabore cette seconde approche, qui définit l’orge comme

« le désir, qui s’accompagne de peine ou de chagrin (lype), de ce qu’on tient pour la vengeance (timorias) d’une offense qu’on a subie (oligorian) et qui était dirigée contre soi-même ou contre son bien alors qu’on ne méri- tait pas cette offense » (Rhet. II, 2, 1378a31 sqq.). Ces passages présentent d’énormes difficultés, mais il suffira pour mon propos de noter que, selon Aristote, la colère peut être approchée sous des angles tant physio- logiques que non physiologiques. Dans le second cas, nous devrions considérer que la colère porte sur un objet (une offense subie), et qu’elle implique un désir manifeste d’agir en quête d’une revanche. La plupart des auteurs postérieurs suivent Aristote sur ces points, même s’ils intro- duisent certaines modifications. Ils suivent également Aristote pour autant qu’ils attribuent à la colère beaucoup des caractéristiques, sinon toutes, qui se rencontrent dans l’étude classique de cette affection par Aristote dans sa Rhétorique (Rhet. II, 2-4).

Venons-en maintenant aux adversaires de Philodème. Tout d’abord, Philodème distingue deux groupes différents parmi les successeurs

10. Les stoïciens en particulier cherchent à maintenir la distinction entre thymos et orge, en présentant le premier comme une orge qui commence à peine (SVF II, 886-887, III, 395-397). Comme nous le verrons, Zénon de Sidon et ses successeurs s’efforcent d’opé- rer une distinction analogue, mais ils renversent les sens quasi techniques de thymos et orge.

11. Renehan 1963 suggère de façon convaincante que l’expression e thermou, « ou une bouffée de chaleur », est une interpolation, et devrait être retranchée du texte. Dans la tradition directe, autrement dit chez les commentateurs d’Aristote, la définition physio- logique de la colère donnée dans le livre I du De anima contient dans sa forme standard haimatos, « du sang », sans e thermou. Dans la tradition indirecte, thermou se rencontre sou- vent à la place de haimatos, mais Renehan 1963 soutient que les auteurs qui se rattachent à cette tradition n’utilisent pas comme source le De anima dans les passages en question.

12. Voir Nehamas 1992.

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d’Aristote13, qui apparemment soutiennent pour l’essentiel la même position, à savoir que la colère est nécessaire pour combattre avec bra- voure et que, d’une manière générale, elle est utile pour se défendre soi- même. De plus, l’un de ces groupes au moins avait, semble-t-il, mis l’accent sur la justice obtenue par vengeance, et sur le plaisir qui en découle (XXXII.26-29). Si Philodème a soigneusement rapporté leur point de vue, ils ont mal interprété, ou surinterprété la position d’Aristote.

Nous ne savons rien de l’identité de ces aristotéliciens, dont Philodème dit qu’il les a cités dans la partie perdue de son livre (XXXI.25-27), et qu’il réfute dans ce qu’il en reste.

Les stoïciens constituent une autre cible pour Philodème. D’un côté, dans la partie de La Colère qui subsiste, il ne les attaque pas directement, mais il défend en fait la valeur thérapeutique du Therapeutikos de Chry- sippe, le quatrième livre de son ouvrage Les Affections14. Bien sûr, il est probable que Philodème utilise des matériaux empruntés au livre de Chrysippe dans la longue section de La Colère qui se présente sous forme de diatribe (VIII.16-XXXI.23), celle qui « met sous les yeux » les horreurs de la colère et de la vengeance15. D’un autre côté, il semblerait que cette section du livre soit une parodie d’écrits stoïciens16. La manière dont Chrysippe prend en charge les affections qui sont source de trouble comme la colère, diffère fondamentalement de l’approche épicurienne dont Philodème se fait l’avocat. La position de Chrysippe est grosso modo que le développement propre de notre raison exige que nous fassions disparaître des impulsions excessives et dépourvues de raison que nous développons comme des réponses ordinaires aux affections, et qui sont en réalité des jugements de valeur erronés. Les stoïciens, tant anciens que postérieurs, affirment que la colère naît en particulier du fait qu’on juge mal des facteurs relatifs à une situation donnée. C’est une impulsion excessive qui fait poursuivre les objectifs fixés par cette passion, une

13. Cf. De ira, XXXI.24-25, XXXII.3-4.

14. Comme nous le verrons, Philodème aussi reconnaît la valeur authentique, quoique limitée, de la conférence Sur la colère du philosophe éclectique Bion de Borysthène – la première monographie antique connue à avoir été consacrée de manière spécifique à la colère (De ira, I.7-27).

15. Cette position a été défendue pour la première fois par Wilke 1914, mais, comme Fillion-Lahille 1984 le fait bien voir, rien de décisif ne vient l’appuyer. Armstrong discute cette question d’une manière très éclairante dans l’introduction à son édition-traduction de La Colère. Une partie de la section en diatribe de La Colère, cependant, concerne de manière spécifique les effets de la colère à l’intérieur d’une école qui fait penser à celle de Philodème (XVIII.35-XXI.6 : l’endroit où s’achève cette section est difficile à préciser).

Procopé 1998, p. 186, affirme qu’en fait, la section en diatribe de La Colère est nettement épicurienne dans le ton.

16. C’est à Armstrong qu’on doit cette ingénieuse suggestion.

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pression qui va bien au-delà des limites du raisonnement normatif, qui a son poids propre et déclenche de violents mouvements psychosoma- tiques. Nous souhaiterions la faire disparaître en raison de sa nature, qui est telle que l’affection ne peut pas être enrayée, mais doit connaître une escalade allant jusqu’à la pire cruauté et à l’assassinat (Sénèque, De ira, I, 7, 4 ; II, 5, 3)17. Bref, il n’y a pas de place pour l’orge ou pour l’ira (le prin- cipal équivalent latin d’orge) dans l’idéal de vie stoïcien.

Toutefois, les principaux adversaires de Philodème dans la partie qui subsiste de La Colère sont des épicuriens. Chacun d’eux soutient, comme Philodème, que ce que lui-même et ses successeurs exposent, c’est la po- sition canonique épicurienne défendue par les plus anciennes autorités de l’école. Le point de vue dont Philodème se fait l’avocat (et soutenu probablement aussi par Zénon de Sidon et son école) est le suivant : le sage n’éprouve jamais une sorte de colère non naturelle, mais il peut lui arriver de ressentir une forme naturelle de la colère, qui est compatible avec la perfection morale. Dans ces conditions, on pourrait voir en Phi- lodème un compromis entre péripatéticiens et stoïciens, et également une position intermédiaire entre des factions épicuriennes rivales18. C’est à ces dernières que nous allons maintenant nous intéresser.

Philodème réfute deux rivaux qu’il cite par leur nom, Timasagoras et Nicasicratès. On a vu en eux des péripatéticiens19, mais en fait il y a de fortes chances qu’ils aient été épicuriens20. Quoique leurs noms soient ré- gulièrement associés, ils soutiennent des positions différentes concernant la colère, chacun défendant sa propre position comme étant la doctrine authentique d’Épicure et de ses disciples21. Il est probable que Nicasi- cratès ait dirigé à Rhodes une école à lui (cf. PHerc. 1746, fr. IIb, 3-4),

17. Ces deux points sont discutés dans Nussbaum 1994, p. 396-398.

18. Cf. Procopé 1998.

19. Les noms des deux personnages figurent dans les colonnes qui précèdent la réfutation des péripatéticiens par Philodème (cf. Nikasic[rat ---] : fr.7.15 ; Timasagoras :

VII.7). On a également considéré que tous deux avaient, comme les péripatéticiens, une attitude permissive à l’égard de la colère (cf. Crönert 1906, p. 89 sq., Wilke 1914, p. xxi sq.). Nicasicratès a également été tenu pour un stoïcien ou, avec plus de vraisemblance, pour un académicien, qui admettait l’existence d’une colère naturelle pour des raisons dia- lectiques ; pour ce qui est de Timasagoras, on l’a rangé parmi les philosophes péri- patéticiens, en faisant de lui en gros un contemporain des épicuriens Thespis et Basilide, tous deux actifs au IIe s. av. J.-C. (cf. Asmis 1990, p. 2396-2398).

20. Cf. Longo Auricchio & Tepedino Guerra 1982, suivies par Indelli 1988, p. 153- 155, 223-224.

21. Philodème ne les traite pas sur un pied d’égalité : cf. Asmis 1990, Procopé 1998.

La présentation la plus claire et la plus complète des adversaires de Philodème se trouve dans l’introduction d’Armstrong encore inédite à La Colère.

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avec laquelle l’école de Philodème avait des disputes doctrinales22. Il aurait apparemment assumé une ligne dure sur bon nombre de ques- tions23, dont celles de savoir si le sage devrait jamais s’efforcer de plaire à quiconque24 et s’il devrait s’autoriser à ressentir une quelconque espèce de colère. Sur cette dernière question, il adopte un point de vue minima- liste : on doit essayer d’éprouver le moins de colère possible et, dans l’idéal, pas de colère du tout.

Définir la position de Timasagoras me paraît plus difficile. Il se pourrait qu’il ait eu sa propre école à Athènes25, et il est sans doute l’un des philosophes qui défendaient la valeur thérapeutique des diatribes, et que Philodème réfute d’une manière qui frise l’insulte (De ira, I, 7-27)26. On l’a tenu pour un maximaliste en matière de colère, c’est-dire pour un partisan de la thèse selon laquelle le sage peut éprouver une colère intense et prolongée, à côté de formes modérées et brèves de cette affec- tion27. Bien sûr, si Timasagoras fait partie de « ceux qui se veulent confiants dans les livres » (bibliakois, XLV.16-17), et qui attribuent aux

« grands hommes » l’opinion que toute espèce de colère est compatible avec la sagesse, alors il peut être, tout comme eux, un maximaliste. Mal- gré tout, nous devrions garder en tête qu’il n’y a pas de preuve décisive

22. Cf. Longo Auricchio & Tepedino Guerra 1982 ; Sedley 1989, p. 103-117 ; et Procopé 1998, p. 186. « Nicasicratès » passe pour un nom rhodien.

23. Cf. Procopé 1998, p. 186.

24. Il semble avoir loué Démocrite pour sa condamnation de toute tentative pour plaire à son entourage, y compris à ses amis : cf. De adul. PHerc. 1457, X.10 sqq.

25. Cf. Indelli 1988, p. 154.

26. Ringeltaube 1914, Procopé 1998, et l’introduction inédite d’Armstrong à La Colère.

27. Deux arguments viennent principalement à l’appui de cette interprétation.

D’abord, Timasagoras refuse l’utilité des diatribes de Chrysippe et de Zénon, parce que, à son avis, citer de tels écrits favorise l’objectif stoïcien d’éradiquer la presque totalité des affections qui nous sont familières, y compris la colère : c’est Ringeltaube 1914 qui défend cette position. Ensuite, Philodème peut laisser entendre que Timasagoras est partisan de la colère quand il se moque de lui dans les termes suivants : « Pour sa part, il (scil. Timasagoras : son nom n’est pas cité, mais il s’agit très probablement de lui) n’était pas conscient des malheurs qui devaient découler de sa colère contre Basilide et Thespis, bien qu’il ait mis des limites, pensait-il, à sa subtilité. » (De ira, V.18-25.) Toutefois, à mon avis, ces raisons ne sont pas concluantes. En effet, aucun lien n’est attesté entre le rejet par Timasagoras des diatribes (sur lequel nous sommes bien informés par Philodème dans La Colère) et ses positions relatives à la colère (qui ne sont nulle part rapportées de façon explicite). En outre, la plaisanterie de Philodème ne prouve pas nécessairement que Timasagoras était partisan de la colère, mais peut s’interpréter différemment : le fait que Timasagoras n’était pas en mesure d’apprécier les conséquences de sa colère contre Basilide et Thespis ni de la contrôler indique qu’il aurait tiré profit des écrits mêmes qu’il rejette (les diatribes).

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pour associer Timasagoras à ces critiques littéraires28. Timasagoras croit aussi que « la colère est un mal radical » (VI.28-29), et dans cette mesure il se rapproche, apparemment, de Nicasicratès qui, lui, est un minimaliste.

Une fois encore, nous ignorons qui sont ces critiques littéraires, et si ce sont ou non les mêmes personnages que les auteurs des trois epilogismoi rencontrés vers la fin de La colère. Peut-être ces auteurs n’appartiennent- ils pas au même groupe, mais représentent-ils deux factions différentes de maximalistes épicuriens : les bibliakoi soutiennent la position la plus faible, selon laquelle le sage éprouvera la rage aussi bien que des formes atténuées de la colère, tandis que les auteurs des epilogismoi29 affirment également que « le sage ressentira la rage [non moins que] l’homme ordinaire » (XLVI.13-16). On peut se demander toutefois si les epilogismoi visent à défendre une position maximaliste, ou s’ils ne cherchent pas plutôt à réduire à l’absurde l’idée que le sage ressentira toute espèce de colère. Dans ce dernier cas, leurs auteurs ne seraient pas des maxima- listes, mais ils seraient au contraire des minimalistes avec un penchant au stoïcisme (Sénèque, De ira, II, 6, 3).

II

Venons-en aux questions relatives à la méthode. La colère est une maladie de l’âme, et pour pouvoir la traiter, le thérapeute épicurien doit la diagnostiquer. Une partie de sa méthode consiste à évaluer les sym- ptômes et les conséquences qui dans notre expérience accompagnent la colère, à établir des similitudes pertinentes et, sur cette base, à identifier à la fois les accès de cette affection et l’irascibilité présente dans l’âme de son patient. Mais la réussite du traitement de la colère réclame aussi la participation active du patient. Il faut l’amener à se rendre compte que la colère est un mal, et à souhaiter en être débarrassé. De quelle manière confronte-t-on vraiment les patients à la nature mauvaise de leur passion ? Philodème, aussi bien que les auteurs de diatribes relatives à la colère, tels Chrysippe et Bion de Borysthène30, pensent que le raison-

28. Cf. la traduction de bibliakoi (XLV.16) proposée par Procopé 1998, p. 183.

29. Cf. tines [de], XLVI.13.

30. Comme on l’a dit, le Therapeutikos de Chrysippe pourrait bien être la source de Philodème pour la section en diatribe de La Colère. L’utilisation que fait Chrysippe de la réprimande, c’est-à-dire le tableau frappant des maux entraînés par les passions, suggère qu’il la considérait comme particulièrement bien adaptée à la correction des jugements aberrants qui caractérisent une passion donnée, en l’occurrence la colère. Néanmoins, il n’y a aucune raison de croire que Chrysippe ait été du nombre de ceux qui « se contentent de blâmer, mais ne font rien d’autre ou presque pour la (scil. la maladie) traiter » (I.13-16), comme semble le suggérer Philodème.

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nement seul ne suffit pas à atteindre le résultat escompté31. Il faudrait le compléter par ce qu’on appelle la technique de la « mise sous les yeux », qui consiste à brosser un tableau frappant des souffrances et des dangers de la passion. À moins de recourir à cette technique, il est probable que le patient ne portera pas attention à ces maux, et ne prendra pas con- science de leur gravité.

[Tandis que certains] des médecins [raisonnent sur, ou discutent] de la gravité de la maladie et des sentiments passionnés qu’elle occasionne, et de ses autres inconvénients et parfois même de ses dangers, (ces choses) échappent à l’attention du patient, certaines totalement ([ka]tholou), d’autres comme ils sont pris en compte (epilogistikos) ; cela a comme conséquence qu’ils se soucient moins de les éviter, comme si c’étaient des (maux) mesurés qui leur arrivaient ; mais quand on leur met la réalité sous les yeux, celle-ci rend les patients plus désireux de se faire soigner.

(IV.4-19.)

Comment justement la technique en question incite-t-elle à chercher à se soigner ? Quel élément ou quel aspect particulier en elle fait de l’effet là où les raisonnements sont impuissants ? Philodème n’aborde pas cette question de manière explicite. Mais, puisque la « mise sous les yeux » recouvre principalement des descriptions frappantes, il paraît raisonnable d’inférer que la technique fonctionne en faisant naître des tableaux ou des images dans l’esprit du patient32, et active une forme d’imagination33. Cette dernière pourrait être comprise comme une imagination qui n’en- veloppe ni opinion, ni rêve éveillé34, mais dont les images mentales et les domaines apparentés sont comme le moyen propre35. Une personne qui enrage voit les maux qui découlent de la colère dans le présent plutôt que

31. Cf. les colonnes qui ouvrent ce qui subsiste de La Colère (I.1-VIII.9 ou environ ; seules quelques lettres de VIII.9-20 sont lisibles).

32. La technique de la « mise sous les yeux » était utilisée dans les écoles épicuriennes à des fins d’éducation et d’amélioration morale.

33. Si la restauration du texte est juste, la conjecture [anagraph]on (De ira, III.6) peut renvoyer à l’imagination, sans que ce soit absolument nécessaire. En fait, la forme infini- tive du verbe signifie habituellement cataloguer ou enregistrer. Cependant, il est clair que Phi- lodème ne considère les images mentales induites par la technique de la « mise sous les yeux » comme produites ni par la raison ni par l’affection.

34. Dauer 1993, p. 265-266, affirme qu’une sorte d’imagination trouve sa place entre opinion et fantaisie, et il opère une distinction dans l’emploi d’« imaginer » entre les sens cognitifs du terme d’un côté, et de l’autre, les usages qui font référence à la libre ima- gination.

35. Selon Dauer 1993, p. 266-268, elle ressemble à l’opinion dans la mesure où, contrairement à la libre imagination, elle est soumise à des contraintes extérieures. Par ailleurs, elle ressemble à la libre imagination ou au rêve éveillé, dans la mesure où elle peut coexister à la fois avec l’opinion et avec la connaissance.

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dans l’avenir, éprouve de l’aversion pour sa passion, et forme le souhait de la supprimer36. Quels sont les contenus de telles images ? Philodème les décrit comme « des réalités dont le patient est complètement ignorant, d’autres qu’il a fini par oublier, d’autres dont il n’a pas pris en compte la gravité du moins, à défaut d’un autre aspect, et d’autres enfin qu’il n’a jamais observées ensemble comme un tout » (III.7-13). Les philosophes vraiment excellents brossent le tableau de tous ces maux, même s’ils le font avec modération (III.18-21), insistent sur le fait qu’il est au pouvoir du patient de les éviter (III.15-17), et ébauchent (hypogra- phousin, III.24-25) les moyens qui nous permettront d’éprouver le moins possible des sentiments de colère » (III.21-25).

C’est ici que Timasagoras entre en scène37. Ses objections contre la méthode utilisée par Philodème portent sur des caractéristiques impor- tantes de cette méthode, et constituent un réel défi. En premier lieu, soutient-il, la réprimande est une folie, et la technique de la « mise sous les yeux » n’a absolument aucune valeur thérapeutique. Il est inutile de

« mettre sous les yeux » les raisons pour lesquelles la colère est un mal parce qu’« il est tellement évident pour tous que la colère est un mal absolu – et pour cette raison ceux qui adressent des réprimandes (scil. les auteurs de diatribes) agissent d’une manière [dépourvue de raison]... » (VI.27-31)38.

Chose plus grave, le traitement devrait être conduit au moyen de la seule persuasion par la raison39. Les thérapeutes de l’âme devraient user d’arguments, non de descriptions frappantes, et ils devraient impliquer la

36. Si le but, lorsqu’on met sous les yeux les maux qu’entraîne la colère, est évidem- ment de les faire voir au présent plutôt qu’au futur, on pourrait se demander pourquoi la présentation des maux au présent déclencherait une plus grande aversion pour la colère que leur présentation comme des maux à venir. Une réponse possible serait que notre attitude vis-vis de la souffrance présente est différente de celle que nous avons pour des souffrances à venir. Sur ce point, voir Parfit 1984, p. 149-186.

37. Il est à peu près certain que c’est lui, plutôt qu’un autre philosophe, que Philo- dème critique dans un passage où l’accent est mis sur le fait que la réprimande ne suffit pas par elle-même à éradiquer la colère : « S’il (scil. Timasagoras) a rejeté les gens qui se contentent de blâmer en ne faisant rien d’autre ou presque contre elle (scil. la colère), comme Bion dans son livre La Colère et Chrysippe dans le livre Therapeutikos de son ouvrage Les Affections, il aurait eu une position mesurée. Mais les choses étant ce qu’elles sont, en tenant (la stratégie qui consiste à) mettre sous les yeux les maux que la colère entraîne pour ridicule, en général, et insensée, [c’est lui-même qui est insensé et ridicule]. » (I.12-27.)

38. Ma reconstruction de cet argument est hypothétique. De fait, il est très difficile de dire qui est l’auteur du point de vue présenté ici : Timasagoras, ou Philodème en réponse à ce dernier ?

39. « ... Car il n’est pas impossible [d’échapper aux maladies], mais on a un besoin très grand de ceux (médecins ou remèdes) qui vous aident d’une manière uniquement raisonnable ([eul]ogos). » (VI.9-12.)

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raison et non n’importe quelle faculté à même de former des images dans l’esprit du patient. En outre, Timasagoras affirme que les gens en colère

« deviennent incapables de prendre en compte (anepilogistous, VII.7-8) leurs passions » (VII.7-9), et c’est pour cette raison que la thérapie des passions doit prévenir, et non guérir (VII.5-6), contrairement à ce que Philodème et ses maîtres répétaient.

Comment Philodème répond-il à ces critiques ? Il aborde effective- ment, semble-t-il, chacune des questions soulevées par son rival40. En tout premier lieu, il n’est pas vrai que les maux de la colère soient par- faitement évidents, et que nous n’ayons pas besoin qu’on nous les fasse voir41. Une raillerie aux dépens de Timasagoras le réduit à quia : il n’a pas su, pour ce qui le regarde, apprécier correctement ce qui devait résulter de sa colère contre ses compagnons épicuriens (qui étaient probablement partisans des diatribes), et il a cru qu’il maîtrisait sa colère alors qu’en réalité ce n’était pas le cas42. De plus, à la différence des auteurs de dia- tribes, Philodème explique réellement pourquoi la réprimande est utile, et quels sont les maux qui accompagnent la maladie de l’âme (V.7-17)43.

Pour ce qui est des passions présentes dans notre âme, qui sont la consé- quence de notre propre inclination pour l’opinion fausse (pseudodox[ia]n,

VI.14-15), dont certaines (sont mauvaises pour nous) en genre, et d’autres par l’intensité, [le facteur principal de leur suppression] réside dans l’observation de leur intensité et du grand nombre de maux qu’elles renferment et apportent avec elles (VI.13-22)44.

Les passions qui découlent d’opinions fausses sont mauvaises pour des raisons multiples et diverses, parmi lesquelles le caractère erroné de ces opinions. Argumenter contre ces dernières est utile, mais ne suffit pas à supprimer la détresse45. La guérison n’aura de chance d’être assurée que si l’on observe, que si l’on voit avec l’œil de l’âme (theores[ai], VI.19-

40. Il commence par dénoncer la « manière bavarde » (adoleschos, I.10-11) avec laquelle Timasagoras soutient que la réprimande est insensée, et il l’injurie en des termes particu- lièrement énergiques (I.12-27).

41. Philodème appelle cette assertion « la plus honteuse de toutes » (VI.26-27).

42. Voir le texte ci-dessus, note 27.

43. Toutefois, d’autres interprétations de ce passage sont également possibles. Dans ce qui subsiste de ces lignes, l’identité des hoi de (V.7) ne peut être précisée ; il pourrait aussi bien s’agir de Timasagoras et de ses successeurs que des partisans des diatribes.

44. Supposant que ce passage présente le point de vue propre de Philodème, je le lis comme une riposte au grief de Timasagoras, que la thérapie devrait être menée à l’aide de moyens rationnels à l’exclusion d’autres formes de persuasion.

45. Ce passage suggère que, outre « la cause principale » de la suppression des passions, qui selon moi désigne la technique qui assure ou garantit la cohérence de la thérapie ([to] sun[e]chon, VI.18), il existe d’autres manières de s’attaquer aux passions.

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20), la gravité des passions et leurs conséquences. La technique de la

« mise sous les yeux » recouvre justement cette sorte de theoria ; elle est donc bien adaptée au traitement des passions, et de la colère en particu- lier. Bien plus, à propos de l’affirmation de Timasagoras, que la thérapie doit prévenir, Philodème souligne que la colère ne devrait être traitée qu’après son apparition, « il n’est pas besoin d’utiliser ces (thérapies) avant que quelqu’un ne se mette effectivement en colère » (VII.5-6)46. C’est quand les gens deviennent enragés que nous devons leur faire voir tout ce que la colère implique de déraison (VII.13-16), « et apprécier de cette façon le caractère pur de ce mal, comme nous avons précisément l’habitude de le faire également dans le cas du désir amoureux » (VII.16- 20)47.

Pour conclure, en défendant sa méthode contre les objections de Timasagoras, Philodème se montre conscient de l’utilisation picturale du langage et de sa capacité de faire naître des images dans l’esprit. La mise en œuvre de ces images diffère, pour lui, de celle des concepts et des ar- guments, et il les distingue également des affections et des désirs. Il laisse

46. Les écrits éthiques de Philodème laissent penser qu’il existe en fait plusieurs raisons différentes pour lesquelles la thérapie des passions doit jouer un rôle correcteur, et non préventif. Certaines sont d’ordre méthodologique (cf. le débat entre Philodème et Timasagoras concernant la thérapie de la colère), tandis que d’autres découlent de la nature ad hoc de la thérapie, et d’autres encore de l’entreprise pédagogique visant à cor- riger les erreurs individuelles sans prendre en compte la personnalité du patient comme un tout (cf. De lib.dic. 78-80N.1-3).

47. Dans ce passage Philodème brosse un parallèle intéressant entre le traitement de la colère et celui du désir amoureux. Il est difficile de saisir tous les détails du parallèle, du fait que le texte est corrompu en plusieurs endroits cruciaux. Toutefois, la chose est claire, dans un cas comme dans l’autre, le traitement s’accompagne d’appréciations comparatives (cf. epilogisasthai, VII.17) qui mettent en lumière la nature sans mélange des maux causés par ces passions. Dans le cas de la colère, comme dans celui de l’amour, le médecin épicurien fait à ses patients un tableau au naturel de leur passion, et leur montre ce qu’elle a de déraisonnable. Un autre aspect de ce parallèle souligne la manière habi- tuelle dont la colère affecte et effraie tout le monde de la même manière (VII.26-VIII.8), quoique peut-être la gravité et l’intensité de la colère éprouvée puissent différer d’un individu à l’autre. Philodème oppose (tote… [n]unei en VII.21 et VII.26, respectivement) les traits communs du traitement de la colère à certains traits du traitement de l’amour (VII.21-26), même si je ne vois pas bien en quoi consiste cette opposition. Selon une interprétation (Indelli 1988, p. 156.), dans le cas de l’amour le médecin adaptera son tableau frappant des maux aux différentes variables (par exemple, à l’âge du patient), tandis que dans le cas de la colère, il n’est pas nécessaire de mentionner de tels détails parce que les symptômes de l’affection sont communs aussi bien aux jeunes qu’aux gens âgés (VIII.5-8). Cependant, le passage relatif à l’amour ne fait pas mention de l’âge ni des habitudes individuelles. En outre, je me demande si Philodème pourrait dire que la nature du désir amoureux dépend pour une part considérable de la disposition de chaque individu. De fait, le traitement épicurien de l’amour, chez Lucrèce par exemple, n’est pas particulièrement centré sur les variations individuelles de la passion.

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entendre, semble-t-il, que les images mentales, la pensée picturale, etc. ont une relation au monde qui leur est propre, véridique ou autre, et qu’elles possèdent également des propriétés logiques distinctes. Il paraît supposer que de tels tableaux sont réalistes, et croquent un personnage réel, ou un type individuel, d’une manière à la fois adéquate et soignée. En général, Philodème partage avec les auteurs de diatribes (spécialement avec Chry- sippe) l’idée que des images ont le pouvoir de modifier l’attitude d’un individu et d’influer sur ses actions. Je me plais à penser que Philodème et Chrysippe se rendaient compte tous deux, dans une certaine mesure, que notre capacité de nous peindre des objets pour nous-mêmes est en partie ce qui fait de nous des êtres moraux (même si rien ne prouve qu’ils aient formulé cette opinion). La section qui vient maintenant va montrer comment Philodème fait usage de matériaux provenant des diatribes pour brosser les portraits d’hommes en colère, et comment il joue sur les possibilités figuratives de telles images pour mettre en lumière la nature et les conséquences de la colère.

III

Philodème donne le nom de colère aussi bien à la disposition irascible qu’aux épisodes colériques, et il explique les différentes manifestations de la colère par référence à la disposition de l’individu48. Une occurrence typique de la colère49 découle précisément de l’irascibilité, « une disposi- tion (diathesei, XXVII.21) impitoyable, sauvage et rude... à laquelle l’affec- tion (pathos) est liée » (XXVII.19-23)50. Comme les vices et autres affec- tions, la colère est un état intentionnel qui a à faire avec les réactions de l’individu à certains types de situations dont il a l’expérience. Si un individu irascible (orgilos, cf. XIV.32, XXVI.11) est enclin à se mettre en colère et désire se venger, c’est par réaction à ce qu’il ressent comme un tort qu’un tiers lui a causé intentionnellement. Le désir en question est particulièrement intense et irrésistible. Philodème le qualifie d’« in- dicible » (cf. arrheton, XXIII.27), « un désir d’avoir à tout prix ce qu’il brûle

48. Il peut tout aussi bien renvoyer à des facteurs extérieurs.

49. Dans la section en diatribe de La Colère (VIII.16-XXXI.23), il n’opère pas de distinction entre différentes sortes de colère. Toutefois, il peint les caractéristiques, et les conséquences surtout, de ce qu’il appellera par la suite rage (thymos), l’espèce d’affection qui est non naturelle et nuisible, et non celles de l’orge, la colère naturelle et acceptable.

Dans ce contexte, la morsure de la colère est une expérience très douloureuse, et ne doit pas être confondue avec la morsure que, après qu’il aura opéré la distinction technique entre orge et thymos, Philodème réservera à la seule orge.

50. Philodème la présente comme « la disposition (to te [tes di]atheseos : II.15-16) qui fait qu’ils (scil. les colériques) [sont saisis d’égarement], sont affligés d’innombrables maux et (nous le savons bien) la plupart du temps se causent à eux-mêmes des maux [toujours]

nouveaux » (II.15-21).

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d’obtenir » (XXVII.28-29)51. Philodème nous « met sous les yeux » les objets et les caractères physiques de la colère qui sont, pour user de l’analogie médicale, les symptômes de la maladie. « La colère est un état qui s’accompagne, pour ainsi dire, de fièvre, de gonflement, d’irritation et d’indignation, et aussi d’un vif désir de vengeance et de l’angoisse de ne pas réussir à se venger » (VIII.20-27). Elle provoque des mouvements désordonnés de tout le corps, une accélération de la respiration qui devient haletante, des palpitations cardiaques, des tremblements et des secousses de tous les membres, et même une paralysie semblable à celle qui touche les épileptiques (VIII.32-IX.21). Ses victimes sont « toujours tellement sujettes aux accès de bile noire que souvent même leur cœur [devient] noir » (IX.37-41). Leurs yeux sont ceux des fous (fr. 6.3-12), leur visage est rouge écarlate, leur cou tendu, leurs veines dilatées, leur salive amère et salée (fr. 6.12-20). Outre « l’ [échauffement] et le déchirement de l’âme » qu’elle provoque (X.28-30), la colère peut plonger l’individu dans des états qui peuvent aller jusqu’à mettre sa vie en danger (IX.29-33,

X.30-32).

Philodème présente la colère comme un événement à la fois cognitif et affectif. Comme dans le cas d’autres affections, les opinions jouent un rôle important dans la naissance de la colère, et semblent avoir une priorité à la fois causale et chronologique par rapport aux autres éléments constitutifs de l’affection. Si nous laissons de côté pour le moment la colère du sage et les opinions vraies qu’elle enveloppe, la colère du colé- rique est la conséquence d’opinions fausses (pseudodoxia, VI.14-15). Typi- quement, un colérique croit que celui qu’il suppose lui avoir causé du tort a agi avec l’intention de lui nuire, que le tort est plus grand qu’il ne l’est en réalité et que l’auteur du tort doit subir à son tour un tort con- sidérable. Quand on enrage, on ne veut pas entendre les explications ou les excuses de l’auteur du dommage, en grande partie parce qu’on se fait de fausses opinions sur ce qui se passe (XXIII.20-24). C’est sur la base d’opinions fausses que « certaines personnes sont non seulement conti- nuellement en rage, mais sont parfois saisies d’accès de rage qui durent des années et sont très difficiles à vaincre ; et même s’ils sont chassés, ils retrouvent de nouveau leur violence, et certains accès ne quittent pas les gens avant leur mort et souvent se transmettent aux enfants de leurs en- fants » (XXX.13-24). Comme cela va ressortir de l’opposition entre orge et thymos, la colère qui repose sur des opinions vides présente une qualité d’expérience qui lui est propre (cf. XLIII.41-XLIV.35, XLV.34-37). Elle est ressentie comme une affection particulièrement violente et intense

51. Elle produit aussi « un grondement bestial qui ne trouve jamais de cesse, comme celui des lions » (XXVII.30-32).

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(XLIV.5-10), persistante et durable, s’accompagnant d’un désir obses- sionnel de vengeance et échappant à tout contrôle52. Nous avons vu que les images mentales, la pensée picturale, sont aussi des éléments de cette affection. L’homme qui est en rage se voit lui-même comme un dieu terrible dans sa colère, ou comme un héros qui cherche à se venger pour laver son honneur53. « Ils déraisonnent, [sont pleins d’amertume] et [d’in- dignation], imitant [hors de propos] la colère des dieux [traditionnels]. » (XIV.1-6.)

La colère du colérique est étroitement liée aussi à d’autres défauts de caractère.

[L’affection vous pousse]… à lutter pour la victoire, [à vous donner du mal], à déprécier les autres et à faire beaucoup d’autres choses désa- gréables. Et quand elle s’intensifie, elle peut devenir aussi une cause de misanthropie, et [parfois] même d’injustice, puisque aucun juge, aucun membre du conseil, aucun membre de l’assemblée, aucun archonte ni, en un mot, aucun être humain ne peut jamais être juste s’il est gouverné par des sentiments de colère. De plus, pour des raisons faciles à voir, les gens colériques risquent de virer aussi au despotisme, de voir le mal partout, de devenir menteurs, mesquins, sournois, fourbes, ingrats et égoïstes. Il est inutile de parler [de ce que n’importe qui peut] percevoir, à savoir qu’ils ne goûtent aucun bien de toute leur vie, aucun des biens, s’entend, qui découlent du fait de prendre les choses de manière acceptable, ainsi que de la douceur des manières et de la profonde intelligence. (XXVIII. 5- 40.)

Les relations que ces défauts entretiennent entre eux se situent sur le plan des opinions et des sentiments tout ensemble. Les opinions vides sous-jacentes à la colère s’apparentent à celles que recouvrent l’arro- gance, la vaine gloire, la cruauté et l’injustice. De plus, les sentiments de colère se retrouvent associés à des sentiments de supériorité, de mesqui- nerie, d’ingratitude, de soupçon, de crainte, etc. Compte tenu de ces caractéristiques, Philodème se représente la colère comme un état fonda- mentalement dépourvu de raison qui se rencontre dans « les âmes [ser- viles] » (XXI.5-6), brouille les fonctions de la raison et est comparable à la folie (X.19-26, XII.20-22, XVI.34-40)54.

52. Ces points seront abordés plus loin.

53. Parmi les dieux mentionnés, on relève les noms de Zeus (XVI.12, XLIII.3), d’Apollon et d’Artémis (XVI.19-24), et de Dionysos (XVI.24 ; c’est là une bonne conjec- ture), tandis qu’Achille est le type même de la colère et de la vengeance du héros.

54. Cela est manifeste tant dans les symptômes que dans les conséquences de l’affec- tion. Avant de nous y intéresser, nous voudrions toutefois faire la remarque suivante : bien que Philodème concède que les gens qui sont en proie à la colère ressentent une sorte de contrainte, il souligne néanmoins que « ce n’est pas la nécessité qui est à l’origine

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Philodème « met sous les yeux » l’absence de raison inhérente à la colère, aussi bien que la souffrance qui accompagne tant l’affection elle- même que ses conséquences. En témoigne tout d’abord le comporte- ment des gens qui sont en rage : « ils se lèvent d’un bond, se lancent, très souvent nus, à la poursuite des gens et les empoignent sous l’effet de ces violents symptômes (X.19-26), etc. ; … se portant imprudemment en avant, parfois du fait de leur manque de maîtrise d’eux-mêmes, ils se heurtent à une poutre, aux murs, ou tombent dans des fossés, ou autres choses du même genre. » (XIII.13-17.) L’absence de raison est également évidente dans le choix de leurs cibles. Ils s’en prennent non seulement à des personnes, mais aussi à des animaux, à des objets inanimés et même à des ombres (XXVI.4-7). Aveuglés par leur soif de vengeance, ils sont incapables d’estimer comme il faut les conséquences de leurs actes et agissent à l’encontre de leur propre bien55. La politique est un terrain dangereux pour des colériques, car ils ne peuvent se fier à personne pour garder même les secrets desquels dépendent leur vie et la vie des autres.

« Dans leur rage, il leur arrive souvent de dévoiler des conjurations dont ils ont été partie prenante, aussi bien que d’autres actions secrètes, ce qui a pour conséquence de les faire tomber pour cela même dans de grands malheurs. » (XXV.15-21.) Grandes aussi sont les souffrances que cause la crainte d’être puni en se vengeant, ou la frustration résultant de l’incapa- cité de se venger, ou la pensée qu’on a de nombreux ennemis tant chez soi qu’à l’extérieur, ou des sentiments de repentir quand il est trop tard pour réparer le dommage causé (XIV.29-33, XXVI.14-25)56.

de leurs [hallucinations], mais plutôt des opinions ; et c’est exactement ce qu’ils éprou- vent dans le cas de la contrainte » (fr. 12.5-10). Ils désirent consacrer l’essentiel de leur énergie à leur vengeance, et ils détruisent beaucoup de choses volontairement (hekousios,

XXIII.25). Philodème ne précise pas pourquoi il tient pour volontaires les actes motivés par la colère. L’opposition entre la nécessité et l’opinion suggère que, alors que les événe- ments nécessaires ne dépendent pas de nous, il est au pouvoir de chacun de corriger ses opinions (fausses), et ainsi de faire disparaître sa colère et son désir de vengeance. Ce n’est que si la colère est volontaire qu’elle peut faire l’objet d’une thérapie.

55. Ils ne se rendent pas compte, en particulier, que ce sont moins leurs victimes qu’eux-mêmes qu’ils maltraitent (XIII.4-11). Ils dépensent des fortunes à poursuivre ceux qui leur ont causé du tort ; parfois ils perdent tout leur bien au tribunal (XXIII.26-35), tandis que d’autres fois ils tombent sous le coup des peines fixées par la loi, pour avoir exercé des violences physiques (XII.33-40). « [Parfois] même ils s’en prennent à des gens bien plus forts qu’eux » (XII.22-25), qui sont eux aussi colériques. Leur colère provoque de nombreuses catastrophes (XI.8-9) et « souvent même des morts épouvantables, quand ils rencontrent des rois ou des tyrans [qui ont un caractère comme le leur], et qu’ils ont imprudemment commerce avec eux ; et ensuite, selon le mot de Platon, ils s’attirent “de très lourds châtiments pour leurs paroles vides et ailées” » (XI.12-21).

56. Le repentir en question n’est pas, bien sûr, fondé sur l’appréciation raisonnable de sa propre erreur, mais il est une réaction tout aussi déraisonnable que la colère elle-même.

« Ils (scil. les gens qui sont en rage) s’asseyent tout à coup en rejetant leur chevelure en

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Philodème est l’un des premiers philosophes à avoir étudié les effets de la rage sur le cercle de la famille et des amis, ainsi qu’à avoir contesté la colère exercée par les parents contre leurs enfants57. Les colériques, s’ils sont mariés, accusent leur femme d’avoir une conduite qui les outrage (XXII.32-XXIII.2), et quand ils ne sont pas mariés, ils se méfient de leurs héritiers (XXII.29-31). Ils passent leur colère sur leurs enfants

« [en leur donnant des coups de pied] et en mettant leurs vêtements en pièces » (XVII.8-9). Ils deviennent odieux à leurs parents, frères, enfants et amis (XXIV.1-4). Quoique ces remarques soient peu nombreuses et puissent reprendre des topoi épicuriens, elles révèlent que Philodème avait réfléchi à la question de la colère qui s’exerce contre la famille, et qu’il s’intéressait à la qualité des relations humaines dans ce contexte-là. En outre, il condamne les manifestations extrêmes de colère envers les es- claves, sur des bases qui relèvent à la fois de la morale et de la prudence.

Sur fond d’un système esclavagiste incroyablement dur, Philodème cri- tique celui qui se laisse aller à « battre et piétiner un esclave qui a laissé échapper une parole ou lui a fait obstacle » (fr. 13.23-26)58 ; et dans un autre passage, il dit sur le ton du découragement qu’il ne parle pas « des esclaves dont on a crevé les yeux, qui souvent se font massacrer ou qui s’échappent, dans le meilleur des cas » (XXIII.36-40).

Par ailleurs, dans un passage qui, curieusement, n’a guère attiré l’attention, il fournit une appréciation réaliste des risques encourus par les colériques qui possèdent des esclaves, ce qui vise à provoquer chez le lecteur un sentiment de compréhension, sinon de sympathie, pour les esclaves qui se rebellent59.

De combien de (maux) ces esclaves sont-ils à l’origine, non seulement de manquements dans leur service, mais aussi de difficultés financières et de toutes sortes de malheur ; car à cause des grondements de colère, des arrière et en sanglotant sur les blessures qu’ils ont infligées aux gens, et parfois même ils vont jusqu’à se tuer eux-mêmes. [L’intensité de ce sentiment est si grande] qu’il amène ceux qui enragent à envoyer promener les choses mêmes qu’ils désiraient le plus vivement. Ainsi le Phénicien rapace et fripon de la comédie qui, parce qu’il a perdu une pièce de bronze, s’étrangle de rage en disant : “Tu te promènes la bouche ouverte sans faire attention à toi”, sa colère le force à compter toutes ses pièces sur le bateau et, alors qu’il est à la recherche d’un unique tétradrachme, à jeter toute sa fortune à la mer. » (XV. 12-30.) De telles tortures mentales peuvent devenir littéralement insupportables, jusqu’à amener l’individu à se jeter du haut d’une falaise ou à se poignarder (XVI.25-34 ; voir aussi

XXVI.25-34).

57. Cf. Harris 2001, p. 306-307.

58. Toutefois le contexte dans lequel s’insérait cette remarque fait défaut.

59. Harris 2001, p. 322, considère que ce passage souligne seulement les raisons de prudence pour lesquelles il faudrait éviter de manifester sa colère contre les esclaves : elle rend difficile leur surveillance et leur encadrement.

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