RECHERCHES SUR LE
MÉTABOLISME
DUMAGNÉSIUM
I. - STRUCTURE
PHYSIQUE
DE LA RATION ETMAGNÉSIÉMIE ; EXPÉRIENCE PRÉLIMINAIRE
P. LARVOR M. BROCHART
Avec la collaboration technique de Yvonne CASSOU, C. Ro1’x et G. de SAVIGNAC. Service de nutrition minérale, Laboratoire de Zootechnie
Ecole nationale Vétérinaire, Alfort.
SOMMAIRE
Le
présent
travail a eu pour but de mettre en évidence l’influence de la structurephysique
de la ration sur lamagnésiémie
des bovins.L’expé-
rience a été menée avec un
couple
de vachesjumelles
univitellines, soumises dans unepremière phase
à unrégime identique,
et dans une deuxièmephase
à un
régime
modifié pour une seule des deux vaches, parbroyage
des élé-ments fibreux de la ration. Cette vache
présenta
une baissesignificative
dumagnésium sérique.
Les apports minéraux eténergétiques
ayant été suffisants et constants tout aulong
del’expérience (aucun refus),
on est amené à con-clure à une influence de la destruction de la structure fibreuse des aliments sur la
magnésiémie
des bovins,probablement
en rapport avec les troubles de la rumina- tion et du transit intestinalqui
en résultent.Dans une étude antérieure
(LA DR AT,
I,ARVOR et BROCHART,1959),
concernant
quelques
cas de tétanied’herbage,
nous étions amenés àconstater le
développement progressif
del’inappétence
chez des bovinslaitiers
placés
sur une herbejeune,
avec pour aboutissement une crised’hypomagésiémie aiguë
chezquelques
animaux. Parmi les facteursétiologiques,
le rôlepossible
des troubles de la rumination entraînés parune teneur en fibre
trop
faible de l’herbe a été soulevé. Pour tenter de vérifier le rôle de la structurephysique
de la ration dans le contrôle de lamagnésiémie,
nous avonsentrepris quelques expériences
destinées àmontrer que la destruction de la structure fibreuse de la ration
peut
en- traîner desrépercussions
sensibles au niveau dumagnésium sérique
desbovins.
MATÉRIEL
ETMÉTHODES 1
/
expérimentation
a été menée avec uncouple
de vachesjumelles
univitellines, de racenormande, âgées
de 4 ans 10mois,
et en cours de seconde lactation. Ces animaux ont reçu une ration à base de foin de gra-minées,
orge moulue, tourteau d’arachide etphosphate bicalcique.
1/ana-lyse
minérale descomposants
de la rationfigure
au tableau I.1 / adapta-
tion à ce
régime, qui
fut bien tolérémalgré
un encombrement assezfaible,
commença 15
jours
avant le début del’expérience.
Le schéma d.el’expé-
rience fut le suivant :
pendant
unepériode
témoin de 11jours,
les deuxvaches
reçurent
une alimentationidentique,
dont le seul élément à struc- ture fibreuse était constitué par qkg
de foin degraminées
parjour ; pendant
lapériode expérimentale proprement dite, qui
dura 9jours,
l’unedes vaches continua à recevoir la ration
initiale,
tandis que l’autre eut sonfoin de
graminées remplacé
par le même foinpulvérisé. I,’aspect
du pro- duit obtenu était unepoudre
fine avecprésence
depetits
élémentsfibreux ténus ne
dépassant
pas 5 mm delongueur. V a daptation
au foinpulvérisé
se fit sans la moindre difficulté.I,es vaches étaient
placées
sur untapis
decaoutchouc,
sanslitière,
defaçon
àprévenir l’ingestion
depaille ;
leurs stalles étaient côte à côte, lesprélèvements
de sang furentquotidiens,
le matin à 10h,
encommençant
alternativement par l’une et l’autrevache,
defaçon
à éviterune différence
systématique
éventuelle dûe à l’influence de la réaction émotionnelle sur le taux des minérauxsanguins.
Une
première
série deprises
de sang fut faitependant
les 10 pre-miers
jours
de lapériode
témoin(sur II ),
et une secondependant
les 6derniers
jours
de lapériode expérimentale (sur 9 ),
avec uneinterruption
de 3
jours
au moment de la modification de la ration de l’une des vaches.Une difficulté
d’interprétation
était constituée par le fait que l’une des vaches(que
nousappellerons
n°III)
avait une lactation un peusupé-
rieure à l’autre
(que
nousappellerons nW )
par suite d’unelégère
diffé-rence entre les dates des
vêlages.
Nous avons tourné cette difficulté de lafaçon
suivante :W en administrant à la vache ? III des
apports
un peusupérieurs,
calculés de
façon
à compenser la différence de lactation de 3kg.
En pra-tique,
nous avons donné lkg d’orge supplémentaire.
I,e tableau II donnela
comparaison
des besoins et desapports
pour les deuxvaches,
etpermet
de constater que la satisfaction de leurs besoins est assurée de
façon quasi identique.
2
° en utilisant comme témoin la vache n° m et comme animal traité la vache n°I. En
effet,
le résultatespéré
étant une baisse dumagné-
sium
sérique,
il fallait se mettre dans les conditions lesplus défavorables,
c’est-à-d.ire utiliser comme témoin l’animalayant
laplus
fortelactation,
donc le
plus
sensible à un trouble du métabolisme dumagnésium.
3
° De
plus, pendant
lapériode expérimentale,
la rationcomportant
du foinpulvérisé
entraîna chez la vache n°i une baissesignificative
dela lactation par
rapport
à sa soeur, et la différence passa de 3kg
à 4,3kg.
La vache liol s’est donc trouvée de ce fait avoir des
apports
alimentaires relativementplus
élevés que sa soeur, nouvelle circonstancequi
n’auraitpas dû favoriser une baisse du
magnésium sérique,
bien au contraire.Pendant toute la durée de
l’expérience,
iln’y
eut aucun refus.RESULTATS
Les résultats des
analyses sanguines
sont donnés dans le tableau III(en
mg pour 100ml),
ainsi que la lactationquotidienne
enkg.
L’analyse statistique
des résultats a été effectuée de lafaçon
suivante : I,’influence dujour
a été éliminée en considérantuniquement
l’écart III-I, c’est-à-dire la différence entre les chiffres obtenus pour les deux vaches un mêmejour.
I/ensemble des écarts pour lapériode
témoin aensuite été
comparé
à l’ensemble des écarts pour lapériode expérimentale,
au moyen d’une
analyse
de variance. Les résultats de cettecomparaison
sont rassemblés dans le tableau IV.
On constate :
W que le
remplacement
du foin normal par du foinpulvérisé
a dimi-nué
significativement
leiVlg sérique (d’environ 16 p. 100 )
ainsi que la secré-
tion lactée
(d’environ
z4 p.ioo),
2
0 que cette
opération
n’a passignificativement
affecté le Casérique (- j
p.ioo),
ni le P totalsérique (—
5 p.100 ).
DISCUSSION
1 /
hypothèse
du rôle d’une insuffisance de la structure fibreuse de la ration dansl’étiologie
de la tétanied’herbage
adéjà
étéémise,
notam-ment par FpENS
(zg 5 8), qui
pense que l’herbejeune s’agglomère
en unemasse
compacte,
où les fermentations sontinhibées,
d’où unedigestion
anormale. Par
ailleurs,
les recherches de KICK etal., ( 1937 ), SWANSON
et HERMAN
(ig52),
GORDON(1 95 8),
ont montré que le fait depulvériser
un
fourrage
raccourcit nettement letemps
consacré à la rumination etpeut
allerjusqu’à
lasupprimer.
Il semble que ce ne soit pas enrapport
avec une
impossibilité mécanique,
maisplutôt
avec une absence de sti- mulation du rumen par les alimentsbroyés.
Dans notreexpérience,
sansavoir mesuré avec
précision
letemps
derumination,
il nous a semblé effectivement que la vache recevant du foinpulvérisé
a ruminé moins que sa soeur, sans pour autant voir son étatphysiologique
altéré ou sonappétit
diminué. Le seulsigne clinique
a été unedépression
modéréemais
significative
de la lactation.L’aspect
des fèces et la finesse des par- ticules fécales n’ont pas étémodifiées,
ainsi que lesignalaient déjà
en193 6
KICK et al.
Les effets de ce raccourcissement de la rumination
pourraient être,
entre autres, une diminution de l’insalivation des aliments et, bien que la motricité du rumen soit peu modifiée
(LE
BARS etS IMONN ET, ig5 7 ),
unediminution du
brassage
dans la panse. Deplus,
les travaux de BLAXTERet al.
( 195 6)
démontrent que, chez le mouton, larapidité
du transitintestinal s’accroît avec la finesse du
broyage
de la ration. BALCH et al.(1954)
ont trouvé aucontraire,
chez lesbovins,
une diminution de larapidité
dutransit,
lors duremplacement
dufourrage
par unmélange
concentré
pulvérisé,
avec,cependant,
une accélération du transit dans laphase
initiale. Ce ralentissementpeut
êtreexpliqué
enpartie,
selonBt,axr!R et al.
(zg 5 6),
par une réduction de laquantité
totale d’alimentsadministrée.
D’ailleurs,
iln’y
avait pas substitution d’un foin entier par un foinpulvérisé,
maisremplacement
d’un foin entier par unmélange
concentré
pulvérisé
nettement différent. Onpeut
d.onctenir pour valables,
dans le casqui
nous concerne, les résultats de BLAXTER et al.(zg56).
L’influence du
broyage
desfourrages
sur leurdigestibilité
a faitl’objet
de nombreuses
études ;
pour MoRROW et LAMASTER( 19 2 9 ),
ainsi quepour SwaNSOrr et HERMAN
( 1952 ),
iln’y
a pas de modification de ladigestibilité ;
pour OisoN( 1930 ),
il y a, dans certains cas seulement, une diminution de ladigestibilité ;
pour FORBES et al.(i 9 2 5 ),
il y a une dimi-nution nette de la
digestibilité,
ainsi que pour MEAD et Goss( 1935 ) (fibre brute)
et pour WOODMAN et EVANS(i 944 ).
Il nous semble que les résultats de BIAXRER et al.( 195 6)
tranchent laquestion
d’unefaçon
décisive : Selon ces auteurs, ladigestibilité
diminuerégulièrement quand
la vitesse du transit intestinal
augmente,
et lapulvérisation
dufourrage
entraîne à la fois une
augmentation
de la vitesse d.u transit et une dimi- nution de ladigestibilité (pour
la matièresèche,
la matièreorganique,
lafibre
brute,
l’extractif nonazoté,
laprotéine brute,
la cellulose et lespentosanes cellulosiques
et noncellulosiques).
Il ne semble malheureuse- ment pas exister de données sur ladigestibilité
desminéraux,
etplus particulièrement
dumagnésium,
dans cesconditions ;
lephénomène
encause semble
cependant
extrêmementgénéral ;
deux facteurspermettent d’expliquer
que lemagnésium sérique
soitparticulièrement
affecté :1
° la difficulté de mobilisation des réserves
squelettiques
demagnésium (tout
au moins chez les bovinsadultes).
2° le caractère souvent « limite odes
apports
enmagnésium.
Ces deux conditions se trouvantréunies,
onpeut
tenterd’expliquer
la baisse de lamagnésiémie
que nous avons cons-tatée par une diminution de la
digestibilité
dumagnésium.
Nous ne nous dissimulons pas les faiblesses de la
présente expérience :
ration d’une
composition
assez anormale, absence de variété dans legéno- type testé ;
nous pensonspouvoir
obvier à ces inconvénients dans uneexpérimentation
ultérieure.Ce travail
préliminaire permet
néanmoins de penserqu’il
seraitintéressant
d’envisager
le rôlepossible
de la structure de l’herbe dansl’étiologie
de la tétanied’herbage.
SUMMARY
This work has been done to demonstrate the influence of the
physical
struc-ture of food on
magnesaemia
of the bovine. Theexperiment
has beenperformed
with a
pair
of monozygousdairy
cattle twins, submitted in a firstperiod
toan identical diet, and in a second
period
and for asingle
cow, to a diet modi- fied bygrinding
the fibrous elements of the feeds. This cow exhibited asigni-
ficant
drop
inmagnesaemia.
Mineral and energysupplies having
beenlarge enough
and constantthroughout
the wholeexperiment,
we are induced tothink that there is an influence of the diet structure on
magnesaemia, proba- bly
connected with theresulting
disturbances in rumination and rate of passage of foodthrough
thedigestive
tract.REMERCIEMENTS.
Nous tenons à remercier ici la Société de Fabrication Rationnelle d’Ali- ments pour le Bétail
(S AND r; RS ) qui
a mis ses installations à notredisposition
pour la
pulvérisation
du foind’expérience.
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