L'AUTO-DA-FÉ»
OU
LE TRIBUNAL
DE L'INQUISITION,
Pièce à spectacle, en trois actes,«1 prose;
fca>
M. GAJIOT;
ReprétentUsu*
h théâtre
def
Ambigu-Comique,
le mwdi z Novembre 1791*
|Pf11,
vingt-quatre
sols.A PARIS,
Ef
SE TROUVE, A LA SALLE DE L'AMBIGU-COMIQVEe\ chez tous les Marchands de Nouveautés.
,
i?9Q.
PERSONNAGE?. ACTEURS.
M. DE FOLLEVILLE, capitaine de M. VARÈNE.
vaisseau marchand François.
VALCOURT, jeune François ami M. DAMAS.
de Folleville, amant et futur
époux de Célestine.
D. FERNAND, Espagnol, riche M. VALCOURT, Commerçant de Goa, père de
Célestine.
DON A
AUGUSTA,
mère de Mlle. SIMOKET.Célestine.
'CÉLESTINE,
promise à Val- Mlle. LANGLADE.court.
VIRGINIE,
Négresse au service Mlle. DOUTÉ.de Célestine.
LE GRAND INQUISITEUR. M. PICARDEAVX.
LE PROMOTEUR. M. JAYMOKD.
D.
PEDRE,
Familier de Plnqui- M. LEBEL.sinon et amant secret de Cé- lestine.
UU
ALCADE.
M. LAKGLADE.UNE
RELIGIEUSE.
Mlle. CHÉNIÉ.GENS DE
L'INQUISITION.
L'AUTO-DA-FÉ,
OU
LE FRANÇOIS A GoA.
ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIERE.
D. PEDR E, (/<«/)
JJEPUIS
quelquesjours, tout respire
en lamaison
de D. Fernand,
unair mystérieux. Une grande
affaire setrame
dansle
plus grandsecret;
on voit régner par-tout
ce gaitumulre, cette
agréable
confusion,
compagneet avant-coureur d'un événement heureux
: quelpeut-il ctre?
Depuis
dix
ans ami de lamaison, instruit
detout
ce qui s'y passe,cette fois,
je suis endéfaut,
A
m
D,
Fcrnand ne m'arkn
confié !cette
rc*erireme blesse
Stroit-iî
question de l'aimable, de la belleCélestine?..,, Un
rivalheureux,
ce jeune
Valcoun;
ceFrançois,
que l'on reçoitavec tant de
cordialité,
viendroit-Hmenîever,
dans un
moment,
une maîtresse que j'adore en secret depuis plus de deux ans? Ce malheuraffreux me seroit réservé I je serois la victime d'un silence que le respect m'a imposé, et que l'amour timide n'a pas osé rompre ! Me préserve
le
ciel d'avoir cet affront à dévorer !Je
suisEspagnol amoureux et jaloux; mes deux divinités seroient
la
vengeanceet
lamort
Maisj'apperçois
Virginie,
îa négresse de Célestine.Interrogeons-là;
peut-êtreparce
moyen appren- drois-je quelque chose. Que ce ne soit pas letriorr-phe
d'ui rival, an,
dans mafureur, rien ne
sera respectable à mesyeux,,,...Contrai-
gnons-nous.
SCÈNE IL
D.
PEDRE,
VT* ilNIE
D.
PEDRE.
mJON
jour,
Virginie.m
V
I
R G1N1|
^on jour, Monsieur.
D PïDKE.
D. Fernand est-il I la maison?
VIRGINIE.
Oui.
D.
Pi DR
E,Est-il visible?
VIRGINIE.
Non
: vous paspouvoir voir maître.
J). PEORK.
Pourquoi?
VIRGINIE.
Moi
passavoir pourquoi.
D. PïDKE.
Et ta maîtresse
?VIRGINIE,
Maîtresse
Madame ?P. PEDRK.
<
Oui, Donna
Avgtot»:,Il
fcmmede P.F«r-
nand.
A2
t4l
VIRGINIE.
Li
être
aussi à la maison ; mais vous paspouvoir
non
plusvoir
maîtresse Madame.D.
PEDRE.
Et la
belle Célestine ?VIRGINIE.
Maîtresse Mameselle ?
D.
PEDRE.
Précisément.
VIRGINIE.
Li
être
dans sa chambre.D.
PEDRE,
En
cecas,
je puisentrer.
Vl RGI NIE,
Non,
moi pas pouvoir laisserentrer vous;
Maîtresse
mameselle vouloirvoir
personne.D.
PEDRE.
C'est différent.
Ecoute,
Virginie : il se passe ici quelque chosed'extraordinaire
;tu le sais,
instruis-moi.
VIRGINIE.
Moi, babillarde, fi!
Moi toujoursvoir tous;
moi jamais
parler.
m
J).
PEDRE,(gèninustmtmlui offri sa hourst.)
le paierai grassement ton secret.
VIRGINIE.
Vous garder
cela.Moi parler pour plaisir; moi
pas
parler pour argent, et li être
pasplaisir
àmoi, D. PEDRE.
Fort bien
!Je ne
suis pasheureux. Il n'y
apeut-être qu'une
femmediscrette dans le monde, et c'est moi qui la rencontre. Mais, au moins, Virginie, tu ne refuseras
pas de merendre un
service important
?VIRGINIE.
Si, moi pouvoir vous parler,
moifaire toute
de
suite.
D, PEDRE.
J'adore Célestine.
Vl R GINI
E.Tant mieux! li être la maîtresse meilleure
à
moi
D. PERDRE.
Je l'aime depuis deux
ans.VIRGINIE.
Quand on l'aimer une fois, l'aimer pour toute
la vie.
A3
[ <>
)
D PlDRI
Et
je n'ai jamais osé luidéclarer
mon amour.VIRGINIE.
Tant
mieux ! Maîtresse n'aimer pas parler semblables bagatelles.D.
P
E DRI.
Mais
toi,
Virginie,
tu
es pluslibre
que moiauprès
de'Célestine
\ ellete
comble d'amitié ' ellet'ouvre
son coeur : elle permet que tu lui parles sans gène et sanscontrainte.
VIRGINIE.
Oui,
vous dire vfâi.D, P
E D Rt.
Fh bien! dis-moi, s'est-elîe
apperçue de nié*sentimens?
V
I R G IN1 I.
Non,
Monsieur.D.
PiDRt.
Elle
ne parle jamais de moi !VIRGINIE.
Non,
Monsieur.P. PEDRE.
Cest-à-d'ire qu'elle me
voit tomme
si je n'exîs-toit
pas ?m
Y I
R GI
N II.
Oui,
Monsieur»D. PSOR
K.Mm, elle ne voir
pasaîrsi tout
îe mor.de*VIRGINIE.
Moi
passavoir, Monsieur
,
en vérité.
D. PEDRE.
Je recrois. M:û% Monsieur Yaîcourr,
cejeune
François?
VIRGINIE.
Oh
!li parler
jamais seul àMaîrresse
;Ma-
meselle toujours
àMaîtresse
,
Madame
ou àM. Maître.
Ô. PEDRE.
Et Célestine ne t'en parle
jamais?V I
R GI
N I E.Non
; maismoi lui
enparler beaucoup. Mon- sieur François li être
siaimable
! sijoli!
sibon!
Li
pasmépriser
moi. Liblanc,
moinoire
: liprendre la main
a moi-.
li parler avec douceur
:li promettre liberté à moi;
maismoi quitte ja- mais Monsieur blanc, nî Maîtresse, ni ma-
meselle.
D. FIBRE.
Il
aimedonc Célestine
?[8]
VIRGINIE.
Moi pas savoir.
D. PEDRE.
Ce n'est donc pas de son amour que
tu
lui parles ?VIRGINIE,
Moi bien
garder moi,
moi grondéefort
toutede suite.
D. PEDRE.
Eh bien» malgré la peur que t'inspire la colère de ta jeune
maîtresse,
il faut quetu
fasse un effort en mafaveur, dont
je seraitoute
ma viereconnoissant.
VIRGINIE.
Et
quoi ?D.
PEDRE.
Il faut que tu lui dise que je l'adore.
VIRGINIE.
Grand-mcrci, Monsieur;
moi pas vouloir êtrechassée pour vous :
d'ailleurs,
moi assez jeunepour parler amour pour
moi,
sansparler
amour pour les autres.( Elle
sort.)
19)
SCÈNE III.
D. PEDRE, (/««/.)
A-T-ELLE
voulume
jouer, ou la
naivevérité
s'est-elîe
échappée de sa bouche, sansart
et sans apprêt ! Me voilà toujours dansla
mêmeincer- titude
!Valcourt
parle àD. Fernand et
à Don»Augusta,
maisils sont
liéspar raison
de com-merce , D.
Fernand
quiétoit
dépositaire de lafortune
que l'oncle deValcourt
lui a laissée enmourant,
il esttout naturel
qu'ils aient be- soin de sevoir,
de s'enfermer même pour separler.
Puissai-jeavoir
devinéjuste!
Puissele
coeur de Célestine
être encore
dans cetétat
calme
et tranquille
queVirginie
m'a laissé en-trevoir!
Sij'y rencontrois un rival aimé,
ceseroit pour
tous deux le signal d'unehaine
qui ne
pourroit s'éteindre que
dans des flotsde
sang.I «° 3
SCÈNE IV,
D,
FERNAND, DON
AAUGUSTA,
CELESTIN t,
V A L COURT,
D. PEDRE, VIRGINIE.
D. F
X R N A N D.\Jvi
ma femme;oui,
mafîlie;
c'est une choseirrévocablement
conclue : on vientd'apporter
le contrat,
crValcourt et
moi nousvenons,
entous attendant,
d'en signer les articles.P. PEDRE, (à part. )
Juste
ciel ! que viens-jcd'entendre?
D, FERNAND.
Ainsi, Dona Augusta, dans Valcourt
vousvoyez
notre gendre
; ettoi, Célestine,
l'épouxque jjc
t'ai
choisi commele
plus digne detoi.
D. AUGUSTA.
Du
moment que j'ai vu M.Valcourt,
j'aidésiré
pour
ma fillele présent
que mon marilui fait
aujourd'hui.
VALCOU RT.
Que
dites-vous?
C'est labelle,
la vertueuseCélestine,
quiest
de tous les présens le plusi » )
préc ?ux
, le
pinsflatteur pour moi, et toute
ma vie peut
i
peine me suffire pourle mériter.
D.
P
E D Rt, à part.
Suis
-
je assezdéchiré
? mon sang bouillonnedans mes veines.
VALCOURT.
Recevoir
ce présent des mains sacrées d'unpère; avoir
ensuite l'aveu sensible ettouchant
d'une
mère,
c'est sansdôme, pour moi,
un fa-vorable augure.
Mais,
adorableCélestine, tour
ce
bonheur s'évanouit,
s'il Coûte àvotre
coeur le plusléger murmure, lé
moindre regret. J'aires-
pectécette pudeur intéressante,
qui donne à vosattraits
ce charme querien
ne peut exprimer.C'est dans le sein de vos parens que j'ai versé
le
secret de l'amour inviolable etpur
que vousm'avez inspiré ; c'est en
leur
présence que,pour h
première
fois,
j'ose vous enparler
; mais si cen'étoit
que par obéissance que vous signez l'acre authentique de mafélicité, j'y
renoncerois des ce moment avecdouleur,
mais consolé, si je vous laissois heureuse.D. PEDRE, à part.
Voyons
sielle
l'aime.'CELESTINE.
Monsieur,
ma mèrene
m'a laisséignorer
"ni[li]
vos
sentimens,
ni la recherchehonorable
quevous faisiez de ma main : croyez que
votre
amour,
passantpar
une bouche aussipure,
m'aLien plus délicieusement
émue,
que si lavôtre
en eut
été l'interprète. Je n'y
serois pas sen- sible, par rapport
àvous,
nue jela
seroisde-
venue, à
causede
l'organe que vous avez em-prunté.
D. PEDRE, à part.
Je
suis au supplice.VALCOURT.
Ainsi,
belleCélestine,
je peux espérer.CÉLESTINE.
Vous pouvez
espérer, Valcourt,
que sil'au- torité
paternelle m'ordonne de vousdonner la
main,
l'obéissance filiale se feraun devoir et
un
plaisir
de vousla présenter.
VALCOURT.
Je
suisle
plusheureux àes
hommes.D. PEDRE, à part.
Et moi,
detous, le
plusinfortuné.
D. AUGUSTA.
Eh
bien!
mafille, tu
peux dès ce momentlaccoutumer
à l'obéissancela
plusentière. Tout
est
prêt.
DemainValcourt
estton
époux.Je
t'3]
connois vos deux coeurs ; et si ce moment
pré-
sage à
tes
parens la plus douceconsolation,
dessoins qu'ils
t'ont donnés,
je vousréponds, et
avecconnoissancede
cause,
que jamais l'hymen n'aura uni de coeurs mieux faits l'unpour l'autre.
VALCOURT,(à Célestine.) Votre
mèrea-t-elle dit la vérité?
CÈLES TIN K,(enfourlant. )
Je
ne suis pas assez mal élevéepour
mettre en défaut les connoissances de ma mère.D. PEDRE, (àpart.)
Allons
!on
ne m'épargnera pas les moindres détails de moninfortune.
D. FERNAND.
Tout
cela estfort
agréable àentendre, et
je sens que deux amans ne doivent pas s'en
lasser;
mais vous me faitesoublier
mon amiD. Pedre,
qui n'est pasamoureux, lui, et
quin'a que taire de ces tendres déclarations; aussi
je lui fais mes excuses.
D. P
E D RE, ( ef un
ton decontrainte.)
Eh
de quoi !Je
sens peut-être mieux quetout
autre l'avantage qu'ily
a d'être aimé de la belle Célestine,et
de luifaire
agréer son hommage;aussi,
enparlant
librement en ma présence àI If]
M-
Valcourt, elle
metraite
en ami intimede
lafamille, et croyez que,
dans ma situationactuelle, cela me
flatte et
m'honore infiniment.D. AUGUSTA.
Ah
îD. Pedre,
vous êtestrop
bon d'excuser nos incivilités avectant
d'indulgence.D!
P £
D RE, ( du mime ton.)
Pourquoi gêner
deux amansqui, pour
lapre-
mière
fois,
sefont
de si doux aveux?Il n'y auroit rien à gagner pour l'importun jet la
gênetournerait
au profit de l'amour.D. FERNAND,
D.
Pedre
araison;
mais ne m'en voulez pasnon
plus,
si j'ai lardé jusqu'à ce moment à vousfaire
part
d'un mariage que je desiroistrop pour ne
pascraindre
beaucoup qu'il neréussit
pas.D. P
Ep R E, ( toujours mime ton. )
Vous
vous mocquez !il est
assez tcms dumo-
ment où vousn'y
craignez plus d'obstacles ; je vous en fais mon compliment bien sincère :& je
trouve
si grandle bonheur
desfuturs
époux,que j'en peux
librement
exprimerla part
que jeprends
à leur future
union.VA ico UR
T.Votre
suffragemlionore,
& me flatte deh
manière
la
plus scnfible.D. AUGUSTA.
Ce qu'il
y
a de plus agréable pourvous,
moncher Valcourt, c'est que
D.Pedre
pense toujoursce qu'il
dit;
& ce n'efl sûrement point par l'époux de ma Célestine qu'il voudrait faire usage de ladissimulation.
P. P
E D RE, (
toujourset
mime.)
D. Augusta ne
fait
que me rendre justice.D. A
u
Gu
s T A.Ainfi D.
Pedre,
la noce étant pour demain, vous voudrez bien voustenir
dès ce moment pourinvité ; il n'y aura abfolument que la famille &
ses meilleurs amis,
D. .
P
Ep
R E.La distinction eft très-flateuse pour moi ; & vous pouvez compter sur la plus parfaite reconnois-
sance :
oui,
je serai à votre mariage, charmante Célestine; je serais au désespoir de n'en pas être
le témoin.
SCÈNE r.
*LES
PRËCËDENS,
M. DEFOLLEVILLE.M.
DI FOLIEVILH.
JJONNE excellente touvellc,mon ami Valcourt:
[
i6
]le
vaisseau quia porté
enFrance la riche
succes-sion de ton oncle a fait
Ja
plus heureufetraver-
sée ; & je viens d'en recevoir des nouvelles
cer-
taines & positives : ainsi te voilà maintenant un des plus riches citoyens du royaume.
VALCOURT.
Je
suis sensible à cette nouvelle : si je m'ap- plaudis d'êtreriche,
c'est que je pourraidéfor-
sormais suivre
le
penchantle
plus doux de moncoeur. La bienfaisance envers mes semblables, qui
n'ont
d'autretort
aux yeux de lasociété,
que d'avoirété
oublié de la fortune dans le partage de fes faveurs.CÉLESTINE.
Ah !
Valcourt,
qu'il me sera glorieux & doux de vous le disputer en générosité.VALCOURT.
Vous me permettrez
aussi,
sensibleCélestine,
d'ajouter un fécond
prix
à mes richesses : c'estcomme
amant,
comme époux de pouvoir toujours contenter,
prévenir même le moindre de vos désirs.CÉLESTINE.
Vous n'aviez pas besoin de vos richesses,
Valcourt, pour
que Célestine n'eût plus de voeux à former.M.
I
«7 1M. DE
FOLLEVIÎLE,
Bien, très-bien, de mieux en mieux !
Il paraît
que nos jeunes gens sont d'ace rd.
D.
AUGUSTA, (gaiement.)
Vous le
voyez,
M. de Follcville :et
s'ily
aencore quelque restriction au
traité.qui
lesunit
pour jamais, demain, au grand contentement des pères,et
sur-tout des enfans, nous espérons qu'iln'y
en aura plus dutout.
M.
DE FOLLEVILLE.
C »«
]
conde
étant
dans lecloître,
vous allezrester seuls: le
tems vousparaîtra
bien long.D. AUGUSTA.
Pourquoi,
dans un moment de joie, nouspré-
senter
un sitriste
avenir.M.
DE FOLLET ILLE.
Parce
qu'ilne tient
qu'à vous dele rendre
plus gai.
D. FERNAND.
Ah
!parlez,
moncher Follcvilîe; et
croyez*que si cela est possible, je ferai
tout
pour ne?me séparer jamais de ma Célestine
, dont l'en-
fance
afait le
bonheur de monautomne, et -déni le
bonheur ferala
consolationde
mesdernières année?.
M. DE
FOLLE VILLE.
: Xé moyen
tsi toiit'sitaple:
suivez l'exemple"de vctke
gendre;
rendez vos richessesportati- ves,.et
venez vousétablir
enFrance
aveclui.
V ALCOURT.
_,
Oh !
la
délicieuseidée! Oui,
monpère,
voussuivrez
,
vous n'abandonnerez pas vos enfans.:Et vous ; mère de ma bien
aimée,
ne vousop-
posez
fas
à un projet qui ne me laissera plusrien
àdésirer.
ï*9l
D.
FERNAND.
Comment !
à
mon âge, j'abandonnerais
- ma
patrie
!...
M. DE
FOLLEVILLE.
Mon bon
ami,
point demots,
des choses;la patrie est où l'on trouve le
bonheur, et
le bonheur d'un père est d'être :émoin de celui de fes enfans.Ils
sontjeunes,
ils peuvent s'é- garer ; qui les remettra dans le bon chemin ?Quelqu'orage léger peut s'élever dans
Jcur
mé-nage ; qui prendra soin de l'écarter et.de rame- ner parmi eux le calme et la paix ?
Votre fil'e
étantmariée,
tous vos devoirssont-ils
rem-plis ?
Non
, vous devez à votre gendre les fruits
de votre expérience ; la mère de Céiestine
lui doit
enseignerl'art
de captiver un mari, de lui faire aimer sa maison
et
ses enfants : c'est la tâche la plus difficile ; vous serez toujours aumilieu de votre famille; vous n'aurez point chan-
gé de patrie.
D.
FERNAND.
Oui,
je crois que vous avez raison.M.
DEFOLLEVILLE.
Vous De m'accuserez pas de prévention : mon caractère connu n'en est gùères susceptible ; mais je ne conçois pas que l'on puisse vivre dans un
«2
[io]
pays où l'inquisition déploie sa bannière
san- glante et terrible
; deux ans j'aiporté
ses chaî-nes ; ses cachots
obscurs et
infectsont entendu
mes gémissemeiis
et
mes plaintes ; un désespoir affreuxfaillit m'y faire attenter à
ma vie :.j'aiété revêtu
de sonhorrible saubénito
; j'aivu de-près
lebûcher
fatal allumépar àss
hommesde sang,
au nom d'unDieu
de miséricordeet
de paix ; j'ai pu
sentir l'activité dévorante
dela
flamme qui consumoit lesmalheureux qui élevaient
au ciel des mains quil'avoient tou- jours imploré:
ericoreun pas, et jetoisplongé
moi-même dans ces
brasiers
épouventables
:et
pourquoi? parce que d'infâmes espions
m'ont dé- féré
à cetribunal,
oùc'est un crime d'exercer la
plus noble
fonction
del'homme, celle
depenser librement
: mesdélateurs
sesont
cachés dans la poussière ; j'aiété
accusé sanspouvoir
medéfendre
;toutes les formalités ont été
violées..On
m'a .donné unavocat, à
quiil étoit défen-
du de
parler pour
moi ; j'ai demandé àvoir
mes
témoins,
personne n'aparu
: je sentoisde jour
en jour le glaivesacré s'approcher
de moncoeur
sins pouvoir l'écarter; en
unmot,
j'aiété réduit
àl'horrible
humiliation deconfesser
un crime que je n'avois pasfait, et
laverge
in- flexibleet
sanglante ne s'est pasretirée
de des-[21]
sus ma tête.
Et
par qui ai-jeété
jugé ? vousau-
rez peine à le croire ! mais j'en suis
le
garant ;par
un hommequi,
chargé du dépôt de la foi etdes
écritures,
ne lesconnoit
ni ne les entend.J'ai invoqué pour ma défense des
autorités dont il
ignorel'existence, et
qu'il .n'a jamaispu
m'interprêter; et
voilà celuiqui,s'il l'eut
voulu,
m'envoyoit aubûcher; et
voilà celui quitient
dans ses mains vosjours,
ceux devotre femme,
de vos enfanset
d'une nationentière. Eh ! quel
tribunal
prononcevotre ar-
rêt?^
tribunalpour
qui rien n'est respec-table; rois, princes, grands, citoyens, tout
luiest soumis: point de distinction de sexe ni
d'âges ; le fanatisme en posa les fondemens,
et
l'orgueil y éleva son
trône; la terreur et la mort
en occupent l'enceinte : on
n'y
entend que ÛQScris de
douleur
et dedésespoir,
auxquels succède unmorne silence,
plus effrayant que lamort
même,
la
clémenceet
l'humanité en sont àja-
mais bannies : le mot de grâce
n'y
frappa jamaisl'oreille
étonnée ; vous n'en sortez jamais quemeurtris
ou flétris par le bien qui vous frappe ;*t
si la pitoyablemort vient
au milieu de vos chaînes vousdérober
àleur
poidsénorme,
necroyez pas que la vengeance du
tribunal soit
appaisée? elle
poursuit
sesvictimes, au-delà
B3
[«]
même du
terme
où meurenttoutes
les haineset toutes les inimitiés les plus invétérées
:
voseffigies, vos ossemcns sont
livrés
aux fiâmes,et
vousne
jouissez pas même du calmereli-
gieux,
que l'ondoit,
que l'onporte par-tout
à la cendre des
morts.
VALCOURT.
Quel
horrible
pays ! ah ! degrâce, D. Fer-
nand
, hâtons le
moment oùnous ne respirions
plus un
air
si dangereux.D. PEDRE, (àpart.)
Je
commence àentrevoir un
moyen de mevenger.
M.
DE FOLLE
VIXLE.
D. Fernand est Portugais, et
je suis plusinstruit
que lui de ces mystères d'iniquité :la loi
du secret quel'on
impose à ceux quiont le
bonheurd'éviter
lesfiâmes, fait
quetoutes
ces
horreurs sont
enveloppéesdu voileténébreux
del'erreur et
du mensonge ; maismoi,
jene
l'ai que
trop vu, et
c'est bienla dernière
foisque j'aborderois ces côtes abreuvées de sang ! Quelle différence de mon
pays,
dela France,
à celui que je vous propose de
quitter
! Depuis unan,
du sein de lacapitale, la liberté
a faitfloter
dans lesairs
sonétendard, et
couvre lesFrançois
de son égide ;les
anciens abussont
prêts
àdisparaître;
un nouvelordre
de chosesva naître
du sein des cahos ; le despotismeest aboli;
tous les citoyenssont frères,
les noeuds du serment nefont
duroyaume
qu'une mêmefamille
dont le roi est le père et
le protecteur.la
pensée,libre
commel'air, peut
s'y manifester sanscrainte,
sans obstacle ; Théraisn'y recon- noit
d'hommes dangereuxet
punissablesque
ceux quisont
perfides àla nation
-, rebelles à
la loi
qu'ilsont faite eux-mêmes
;et
nousentrevoyons
déjàle moment flatteur
oùson
glaivedormira
dansle fourcau,
si elle n'a plusque de pareils citoyens à
frapper.
D. FERN AN p.
M. de
Folleville,
vous me décidez :oui,
jesuivrai ma fille en
France;
mais vous sentez que ce n'est pas uneopération
d'unjour;
quede vendre
et
derendre portatives
mes posses-sions
; vous conviendrez aussi quele secret le plus
profonddoit dérobera tout
le mondela
connoissançe de ce
projet
: mais m'importede la prudence, et
je vousdonne
ma parole.VALCOURT.
Ah
! monpère,
que de reconnoissance!(tout
le monde le remercie
dt sa
résolution.)
B4
r*4]
^ » D-
PEDRE.
Il
fveutquitter le Portugal pour la France;
mais, malgré lui,
j'aitrouvé
le moyen del'y
fixer pour
jamais.D. FERNAND.
Mes
amis,
mesamis,
ne me remerciez pas ; sic'est nh plaisir pour
vous de mevoir suivre
vospas,
cVn est pourle
moins un aussigrand pour
moi de De vous
quitter,
jamais !Vous le voyez,
D.*
Pedre,
je suis bien foible ; maisun
pèrepeut-il
se résoudreà quitter pour toujours
lamoitié
la plus chèrede
lui même.D. PEDRE.
Non,
sansdoute
: commeami,
j'en souffri-rai
; maisla nature doit l'emporter, et
je vousapprouve.
-•:.-.
D. FERNAND.
*Eh bien!
ïuafille; et vous,
ma femme; venezjoindre sur le contrat
vos signaturesaux nôtres;
et
vous, M.Follcville,
conduisez ces jeunes gens ; nousparlerons un
momentde votre
projet.D.
Pedre,
ne nousquittons
pas de lajournée.
D. PEDRE.
Je
suistout
àvotre
service.D. FERNAND.
Je reviens
dansl'instant.
I
*5 1SCÈNE VI.
D. PEDRE, (seul.)
AI-JE
assez
dévoré
mafureur et
mon outrage?m'ont-ils
avec assez decruauté
enfoncéle poi- gnard
dansle
coeur?est-il
un seulcôté
quin'ait
pas reçu une blessure
mortelle
?Et
je souffriraisènsilence! et je
n'immolerais pas l'odieuxrival
qui m'enlève
l'objet
qui seul pouvoitfaire le
bonheur
de mavie!
qu'il périsse millefois!
mais
il est aimé; irai-je
meprésenter
àCéles- tine couvert
du sangde
son amant ? Ceserait
une mort inutile. Elle
m'estime ; quandelle
n'aura plus Valcourt, elle
passera facilementde cesentiment à un autre
plustendre;
maiss'il
tomboit
sous mescoups, elle ne verrait en
moi que son
meurtrier, et
jen'aurais pour
récompense qu'une haine éternelle. Cachons mieux les coupsdont
je doisfrapper
monrival.
Famillier
del'Inquisition,
je peuxla
faireser- vir
a mavengeance!eh
! cen'est
pasla pre- mière,
ce ne sera pas non plusla dernière
fois qu'elle
aura servi les fureurs et
les crimesde
l'amour!
f *î
SCÈNE VIL
1E GRAND INQUISITEUR,». PEDRE.
1E GRAND INQUISITEUR.
JWAII je
crois qu'ily a
dansla
maisonde
V. Fernand
nnesprit de
vertige quitourne tomes
lestêtes
; je chercheen
vain un domes- tiquepour
m'annoncer : je n'en vois aucun.P. PEDRE, (i/**.)
Voici justement
une
occasion favorable ;il
faut en profiter.
( Haut.)
Cedont
vous vous plai- gnez, seigneur,
n'est pointétonnant. D. Fernand
marie demain sa fille à
ce
jeune François qui est venurecueillir la
successionde
sononde, et
unpeu
4c désordre est
pardonnableen
ce moment.riNquïsiTEU».
Il
marie sa fille à unFrançois! Il la quittera éonc?
. .
D. PIDRE,
Won,
seigneur.riNQUISITEUR.
Ce
François
s'établit donc àGoa?
I n I
D. PlDRI.
Au contraire, tonte
sa fortuneest 4éjl par-
venue en France*
l'iNQUISITIUR.
D.
Fernand suivra
donc safille?
D.
PEDRE.
Précisément; et il fa été
déterminépar
lesconseils de ce
François
à qui vouseites, il v a
deux
uns, la bonté de
sauverla
vie.l'iNQUISITEUR.
Quoi! un relaps?
D. PEDRE.
Il
n'estsorte d'horreurs
qu'il n'aitvomit contre l'Inquisition,
sontribunal et
sesministres;fétois
présent,
j'en aifrémi
d'indignation... .
l'iNQUISITEUR.
Et D. Fernand l'a
entendu?D, PEDRE,
Comme moi.
1'INQUISITEUR.
Sa femme?
D. PEDRE?
Etoit i
ses côtés.M
l'iNQUISITEUR.
Saillie?
D. PEDRE.
Ne les a pas quittes.
l'iNQUISITEUR.
Son gendre
fu;ur
?D. PEDRE.
A
marquépour
le Saint-Office un mépris oftansant :et
c'est aux sollicitationsde ces deuxFrançois,
queD.
Fernanda
cédéet
promis devendre toutes ses possessions
portugaises, et
d'aller
seretirer
enFrance.
UNQUISITEUR.
-
En France!
D.
PEDRE.
Oui,
où l'ondit
quela liberté
des opinions religieuses est établie de la manière la moins scrupuleuse.l'iNQUISITEUR.
Et D.
Fernand est riche ?D. PEDRE.
Très-riche ;
admis dans l'intimité de sa mai-son
,
oïil'on vous reçoit
avec le respect quel'on
vous doit :fous
devezle
savoir aussi bienque moi.
1*9]
l'iNQUISITEUR.
Il
esttrès-riche, et
veutquitter
le Portugal pourla France!
sa foi yserait eu
danger.D. PEDRE.
Dans
le
plus grand danger.l'iNQUISITEUR.
Celle de sa famille?
D. PEDRE.
Suivrait
l'exemple du chef.l'iNQUISITEUR.
C'est un crime dont
le
Saint-Officedoit pren- dre
connoissance.D.
PEDRE.
Avec la plus grande célérité : les possessions
de
D.
Fernand sont d'unprix
reconnu, et il trouvera
bientôt des acquéreurs.l'iNQUISITEUR.
Et
safonune, dit-on,
semonte..
?A P £
D R E.Au moins à deux millions.
l'iNQUISITEUR.
Que de malheureux on pourra soulager en l'empêchant de s'expatrier
, et
enle
forçant derester dans
la
bonne voie ![3o]
D. PEDRE.
Ce»
l'actionla
plusméritoire
que vous puis-siez faire.
l'iNQUISITEUR.
Ce que vous me dites
est
biencertain?
D.
PEDRE.
Très-certain.
l'iNQUISITEUR.
Et il a
entendu blasphémersur l'Inquisition,
et ne
l'a pasdéfendue,
nilui, ni
sa famille?D. PEDRE.
En aucunes manières.
l'iNQUISITEUR:
Il
approuvoit donc tacitementtout le
malqu'on en disoit ?
D. PEDRE.
Et
mêmeouvertement,
puisqu'ila
consentià
suivre songendre
en Franèv.l'iNQUISITEUR.
Vous- avez
raison;
je vaisl'envoyer arrêter.
D. PEDRE.
Et moi je
vaisrester ici, pour n'être
aucu-nement suspect.
( 3i
1l'iNOUISlTEUR.
A merveilles.
D. PEDRE.
Et
pour mieux cachernotre secret,
sortez comme vous êtesentré
; sansêtre
apperçu,
lafoudre les frappera avant qu'ils aient
eu le
tcms de
voir
l'éclair.l'iNQUISITEUR.
Excellent!; idée ! je vais
la
mettre enpra-
tique : vous viendrez me
rejoindre,
sansdélai,
à la
Santa
Casa.D.
PEDRE.
Vous pouvez
y
compter.SCÈNE VIIL
D.
PEDRE, (*#«/.)
JE
commence àjouir, et
mon triomphe s'ap-prête;
maisil
fautagir,
encette
circonstance,avec bien de l'adresse. Ce n'est pas la
mort
deD. Fernand,
ce n'est pas sa fortune ; c'est safille que je veux : que
le
glaive de l'inqu'sition frappe monrival,
mais qu'il épargne la famillede
celle
que j'adore ; c'està
moi dele
conduire dans les mains de l'Iiiquiskeur,et je
m'en charge.[
3* 1SCÈNE IX.
D. FERNAND, DONA AUGUSTA,
CÉLESTINE, VAL COURT,
D. PEDRE, Partns, Amis,
Voisins deD. Fernand.
D. PEDRE.
JH.H
bien! D. Fernand, est-ce
une choseter-
minée? le contrat est-il
revêtu detoutes
les signatures?D. FERNAND.
Oui,
c'enest fait; il n'y
a plusà
s'en dédire.D. AUGUSTA.
Je ne crois
pas que ni l'un nil'autre
des deuxamans
en ait
àprésent
l'envie.VALCOURT.
*Ni
àprésent, ni
jamais ; vous pouvezen ré-
pondre
par
moi.h
'CÉLESTINE.
Soyez ce que vous fûtes
toujours, Valcourt,
et
ma mère sera aussi ma caution.UN PARENT.
M.
Valcourt,
uni de très-prèspar
1* sang àla
famille