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Dans «posthumanisme», il y a «posthumain». Les

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Academic year: 2022

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Michaël de Saint-Cheron

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ans « posthumanisme », il y a « posthumain ». Les tenants de ce mouvement sont donc certains que l’homme tel que nous le connaissons – l’homme que nous sommes – n’est pas au bout de son évolution.

Le site Futura donne une définition assez claire de ce que les porte-parole du mouvement entendent par là. Il n’est qu’à lire :

« Le transhumanisme est un ensemble de techniques et de réflexions visant à améliorer les capacités humaines, qu’elles soient physiques ou mentales, par un usage avancé de nanotechnologies et de biotechnologies.

Qu’il s’agisse de rendre la vue à une personne non voyante, de faire marcher un homme paralysé avec des prothèses animées par un processeur ou encore de stimu- ler le cerveau pour lutter contre la maladie de Parkinson, les travaux se multiplient dans de nombreux domaines pour améliorer les conditions de l’homme. (1) »

Nous sommes tous d’accord sur ce protocole. Nous nous réjouis- sons encore plus quand nous entendons qu’un robot peut mainte- nant, sous la direction du chirurgien depuis sa console, opérer un

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patient dans de meilleures conditions encore que par la main de l’homme. Mais cela est-il le transhumanisme ? Qui nierait qu’amé- liorer ses propres performances mentales, intellectuelles, physiques, comprenant donc aussi le champ immense de la santé, n’est pas le rêve de chacun ? Mais le transhumanisme a ses fondamentalistes comme Raymond Kurzweil, directeur de l’ingénierie chez Google, qui affir- mait il y a quelques années que d’ici à 2030, le cerveau de l’homme serait directement connecté à Internet afin d’avoir accès à une quan- tité phénoménale d’informations. Il est aussi le signe d’un retour à l’eugénisme. Pour nombre de biologistes, de généticiens, cette remise à l’honneur des visées eugénistes est délétère.

D’autres rêvent que la robotique soit comme intégrée à la machine- homme pour faire de l’homme une supermachine capable de relever les défis les plus stupéfiants et de devenir tôt ou tard immortelle.

Mais ce rêve (ou ce cauchemar) d’une vie sans fin et finalement sans âme, sans cœur, sans émotion serait-il réservé à un petit nombre d’hu- mains, les plus riches sans doute, capables

de se payer le robot qui leur serait dévolu, ou bien même les enfants qui aujourd’hui meurent littéralement de faim au Yémen ou ailleurs pourront-ils un jour en bénéficier en cessant d’être affamés ?

Si sur le papier tout semble fait pour le mieux, dans la réalité des fondamentalistes qui ne rêvent que de leur propre immortalité et de leur propre bien-être, une guerre économique, une guerre entre les plus riches et l’immense cohorte des pauvres, n’est-elle pas sous- jacente à cette folie ?

Faisons à cet instant un tour du XXe siècle en 80 secondes. Le XXe siècle a vu naître et se développer nombre de « crises de folie de l’histoire », comme disait André Malraux, de révolutions de tous ordres, historiques, politiques, scientifiques et médicales, artistiques, intellectuelles. Deux prophètes tragiques de la seconde moitié du XIXe siècle ont prévalu sur les révolutions idéologiques du siècle dernier : Karl Marx et Friedrich Nietzsche. Leur ont succédé, dans trois domaines totalement différents, Franz Kafka, Albert Einstein

Michaël de Saint-Cheron est philosophe des religions et chercheur à l’École pratique des hautes études (Centre Histara). Dernier livre paru : Réflexions sur la honte. De Rousseau à Levinas (Hermann, 2017).

› michael.desaintcheron@gmail.com

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et Sigmund Freud, le premier dans le domaine de la littérature préfigurant un monde sans dieu où le crime de culpabilité frappe des innocents qui ne comprennent pas le sens de la question. Eins- tein, qui révolutionna la science avec Niels Bohr et quelques autres, découvrit la théorie de la relativité restreinte et générale, permit la fission de l’atome, qui conduisit Robert Oppenheimer à théoriser la première bombe atomique. Freud, lui, s’attaqua au psychisme et à ses états maladifs. Ces trois hommes révolutionnèrent, au-delà de leur domaine propre, l’approche que l’on a de la condition humaine depuis un siècle.

La musique participa de ces révolutions avec l’entrée en scène de l’abstraction mathématique, de la technologie la plus haute. Elle eut ses théoriciens de génie, avec Arnold Schönberg, Anton Webern, Alban Berg, Edgard Varèse, puis Iannis Xenakis, Pierre Boulez, maîtres souvent incompris qui ont su s’imposer à travers le dodécaphonisme, l’atonalité, puis la musique sérielle. Dans le domaine de la pensée, Edmund Husserl puis Martin Heidegger, avant Emmnauel Levinas et Michel Henry, ont milité philosophiquement pour la phénoméno- logie, qui resitue l’homme, par son corps en face du monde des objets, comme responsable et en correspondance avec lui. Puis il y eut l’ère de la déconstruction avec Jacques Derrida, qui a donné naissance au déconstructivisme… en architecture. Il est rare qu’un philosophe fasse naître un mouvement artistique, architectural.

Aujourd’hui, le principe de déconstruction prévaut dans une grande partie de la créativité dite artistique et parfois on se demande si des détritus exposés et plastifiés méritent encore le nom d’art. De l’époque moderne ou contemporaine, on est passé à la postmoder- nité, concept que l’on doit à Jean-François Lyotard, dans les années quatre-vingt. Georges Perec a repris un jeu d’écriture particulièrement ardu, le lipogramme, dans son roman La Disparition, œuvre écrite à la mémoire de sa mère, assassinée à Auschwitz-Birkenau.

Face à l’horreur des camps et des génocides perpétrés par tant de régimes, on est passé de l’éthique à la méta-éthique, parce que l’éthique ne suffit plus à faire entendre les minima moralia, le minimum éthique que l’on est en droit d’attendre de la société, de l’État, des dirigeants.

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La médecine, la science ne sont pas en reste dans le combat contre la maladie, contre les épidémies. Les scientifiques savent les limites actuelles de la médecine, de la science et à long terme les limites propres à la vie dans son essence.

Notre époque est très friande de préfixes dans toutes langues : trans-, dé-, post-, méta-, on ne les compte plus… N’oublions pour- tant pas Nietzsche, qui créa dans Ainsi parlait Zarathoustra le mythe du surhomme (2), Übermensch en allemand. Mais qu’est-ce à dire ? Écoutons Nietzsche nous répondre :

« Je vous enseigne le surhomme. L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter ? Tous les êtres, jusqu’ici, ont créé quelque chose au-delà d’eux-mêmes : et vous voulez être le reflux de cette grande marée et vous préférez retourner à l’ani- mal plutôt que de surmonter l’homme ? Qu’est-ce que le singe pour l’homme ? Un objet de risée ou une honte douloureuse. Et c’est exactement cela que l’homme doit être pour le surhomme : un objet de risée ou une honte douloureuse. »

Il y a de toute évidence une idolâtrie dans l’idée du surhomme et, comme le dit l’auteur de l’article de l’Encyclopædia universalis,

« la conception nietzschéenne du surhumain est, par anticipation, la dénonciation de cette idolâtrie » (3). Voilà qui est clair et qui nous éclaire aussi avec force. Mais il y a une autre dimension du surhomme, celle de remplacer Dieu, donc de le tuer, c’est-à-dire de le tuer en l’homme. Tuer Dieu ne signifie qu’une chose  : tuer la dimension divine de l’humain.

L’idée du surhomme n’a-t-elle pas réapparu – après les Grecs – chez les Allemands, avec Goethe et son Faust ? Il nous faut bien voir que si certains génies allemands ont créé ce mythe, d’autres Allemands, des fils du démon, ont retourné ce mythe de l’Übermensch pour créer celui de l’Untermensch, le sous-homme, bon à être exterminé dans les camps. On ne peut pas oublier cela.

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Que nous disent finalement ces préfixes über, post-, dé-, trans-, méta-, sans oublier leurs contraires : unter, sous- ? Que nous disent-ils de notre humanité ? Que nous sommes à la fin d’un cycle du monde.

Emmanuel Levinas, loin de ces jeux de langue, cherchait, lui, un

« autrement qu’être » et non un simple « être autrement », parce qu’il estimait que notre époque est arrivée à un tel stade de destruction, de déconstruction, de banalisation de toutes les valeurs, où tout ne compte que par sa valeur marchande, sa valeur d’hyper, de trop, qu’il fallait changer notre mode d’être, notre « persévérance dans l’être », pour parler comme Spinoza. Cet «  autrement qu’être  » répondait pour lui avant tout à la barbarie d’Auschwitz, mais était aussi une façon d’être en face de ceux qui dénient à l’histoire ses vérités, ses analyses, ses démonstrations et que l’on nomme les négationnistes, les révisionnistes.

Alors que les artistes, les philosophes, chacun à sa manière, tentent d’être la main qu’André Malraux évoque à la dernière page des Voix du silence, « cette main, dont les millénaires accompagnent le trem- blement dans le crépuscule, [qui] tremble d’une des formes les plus secrètes, et les plus hautes, de la force et de l’honneur d’être homme », les transhumanistes de tout bord ne cherchent-ils pas à réduire ou à dominer l’esprit humain, pour l’aliéner un peu plus, se fichant com- plètement de l’honneur et de la force d’être homme, pour leur seule soif d’hyperpuissance et, qui sait, d’immortalité ?

Est-ce que le transhumanisme sera la panacée ? Le réchauffement climatique, la montée des eaux destructrices d’un côté du monde, les sécheresses effroyables de l’autre ne sonnent-ils pas l’état d’urgence général, auquel nul n’échappe ? Ce n’est plus la patrie qui est en dan- ger, c’est l’humanité et la planète. Mais des gens se mettent en quête non d’apporter fût-ce qu’un début de réponse pratique à cela, mais de bâtir des utopies aussi folles que dangereuses basées sur les progrès fan- tastiques des technosciences, cherchant à lier pour le meilleur ou pour le pire l’homme à la technologie, à la robotique. Pour emprunter à l’historien israélien Yuval Noah Harari, nous dirons que nous sommes entrés dans le temps du dataïsme, néologisme pour parler des data, les données numériques, qui construisent des intelligences artificielles.

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Si certains s’en réjouissent, il n’est pas une personne sensée qui ne s’inquiète des perspectives ouvertes par une interdépendance qui deviendrait un lien consubstantiel entre l’homme et la machine et l’on imagine sans mal les répercussions et les dérives entre les mains de fondamentalistes, d’États policiers, de gouvernements fascisants ou fascistes. Encore une fois, personne n’est contre le fait d’enrichir les fonctionnalités du vivant mais jusqu’où ?

Quel télos, quelle téléologie recherche-t-on ?

Eh bien je vais vous dire ce que ces gens-là oublient : ils oublient les enfants à naître. « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants », disait Antoine de Saint-Exupéry (4), reprenant le chef indien Seattle ou un proverbe africain, peu importe.

Pour moi, les vrais témoins du transhumanisme, c’est-à-dire d’un humanisme radical repensé, ce ne sont pas ces hurluberlus, ces uto- pistes, voire ces sorciers d’un nouvel âge, ce sont deux économistes de génie, qui nous viennent du sous-continent indien, qui ont travaillé des décennies durant sur la mise en pratique d’une économie distri- butive à partir d’une idée révolutionnaire de la justice, le microcrédit : les deux Prix Nobel Amartya Sen, l’Indien, et Muhammad Yunus, le Bangladais. Tous deux ont établi des processus économiques basés sur l’idée de justice et sur la mise en pratique de l’amour pour autrui ou de la responsabilité pour lui.

Ce sont eux les champions de l’« humanisme de l’autre homme », comme disait Emmanuel Levinas, car pour fonder un transhuma- nisme qui soit valable, il faudrait déjà que les dominants, que les puis- sants, que nous tous ici, citoyens des pays riches ou avancés, soyons capables d’exercer notre humanisme, notre autrement qu’être.

Cette dernière année en France, vous voulez connaître le nom d’un authentique transhumaniste qui n’avait nul besoin de ce préfixe trans- pour être un humaniste total de l’autre homme ? Arnaud Beltrame.

Si dans certains cas, pour des violeurs ou des criminels pédophiles, ou des tueurs en série, ce transhumanisme peut avoir un caractère bénéfique, on imagine aisément ce qu’il peut devenir dans une dic- tature ou s’il tombe entre les mains de fanatiques, de terroristes.

Telle est la question qui se pose à nous tous et qui est fort inquiétante.

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Les médecins, les scientifiques eux-mêmes sont parmi les premiers à s’alarmer des discours transhumanistes, qui entendent remettre en question l’unicité de l’homme.

Agir sur nos corps « par des exosquelettes, des manipulations géné- tiques, une interface homme-machine », comme l’écrit le théologien Matthieu Villemot dans sa tribune de La Croix (5), est quelque chose de grave, d’inquiétant.

1. Www.futura-sciences.com/tech/definitions/technologie-transhumanisme-16985.

2. Prologue de Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, §3, cf. http://nietzscheacademie.over-blog.

com/article-je-vous-enseigne-le-surhomme-67342136.html.

3. « Friedrich Nietzsche, le surhomme », http:/www.universalis.fr/encyclopedie/friedrich-nietzsche.

4. Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, 1939.

5. Matthieu Villemot, « Le transhumanisme déteste la chair », La Croix, 15 avril 2016.

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