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RAFALES IV (1! (1) Voir Ja Bévue des 15 décembre 1942, 1«janvier et 15 janvier 1943.

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RAFALES

I V (1!

Sur les deux tours sombrement coiffées d'Ardeloup, des girouettes épanouissaient leurs bouquets rouilles et délicats. L a montagne, dans cette région qui touche à la douce Creuse, perd de sa hauteur, de son poids. L e bleu violent des lointains s'allège de vapeurs. Des étangs baignent les domaines. Dans celui où plongent les murs d'Ardeloup, les roseaux reflétés entourent d'une forêt de lances archaïques l'autre château, celui des profondeurs, plus lumineux que le vrai, mais qui tremble et se disjoint quand souffle le vent.

...La neige tombait depuis trois jours. On redoutait le verglas.

Toujours blonde, et plus que dans sa jeunesse, parce qu'elle détestait à présent les reflets argentés du platine, rayonnante à l'idée de cette foule attendue, Mme Champsert commençait toutefois à s'inquiéter : « Ils ne viendront pas tous... Avec ce temps !... » Dès 3 heures, cependant, des breaks exhumés des remises, tirés par de gros chevaux ferrés à glace, amenaient les premiers invités. D'autres, déposés à deux ou trois kilo- mètres de là par le car ou le train, arrivaient à pied, changeaient de chaussures au vestiaire. Ceux qui passeraient la nuit s'amu- saient des grandes chambres transformées en dortoirs, des matelas sans sommiers posés sur les tapis.

Les lots de la tombola provoquaient des clameurs : cinq kilo?

de sucre, deux beaux lapins vivants, une pelote de laine rose, du vin vieux, un petit saucisson. Près de la table où s'exposaient ces richesses, un grand sapin était maigrement décoré des

(1) Voir Ja Bévue des 15 décembre 1942, 1 « janvier et 15 janvier 1943.

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RAFALES

dernières bougies qu'on avait pu trouver. Tel que, il sentait bon les Noëls d'autrefois. Danièle Nevreux eut, en le respirant, les yeux pleins de larmes. Elle portait une robe de velours noir et une sorte de béret dont la plume retombante accom- pagnait harmonieusement son visage fatigué. Régine avait un col de piqué blanc sur de la serge bleue, un canotier de feutre, l'œil aiguisé de frais et sournoisement joyeux.

— Où est Didier ? demandait tout bas Mme Champsert. Ce garçon est impossible. Il invite des gens que je ne connais pas et ne se donne même pas la peine de descendre. « Madame Nevreux, s'exclama-t-elle quand Danièle se fut nommée, mais parfaitement, je suis charmée.» Elle eut quelque peine, en regardant Régine, à continuer d'aimablement sourire. « Venez avec les jeunes filles... Vous nous aiderez pour la tombola. »

Madeleine Louvi-Juzon venait d'arriver avec la grand'mère Leymarie et quelques membres de la horde qui encombrait la Fauvie. Elle n'avait pas bonne mine et elle paraissait triste.

Régine le remarqua tout de suite, en même temps qu'elle se rappelait la trop jolie belle-mère et le fiancé aux yeux bleus.

— Je vous ai vue, déjà.

— Je ne crois pas.

— J'en suis sûre... C'était il y a deux mois, à C..., un jeudi, à ce thé où se retrouve tout le monde. Mme Devienne, votre amie, qui est une amie de ma mère, m'a même dit que vous étiez fiancée.

— Je le suis, en effet.

— Votre fiancé est là ?

— Il viendra tout à l'heure.

Mal à l'aise, Maddie se détourna ; saisissait-on déjà les raisons de sa peine ? C'est Florence que devait amener Mme Ley- marie. Retenu par ses comptes de fin d'année, Pierre serait très en retard.

— ...Mais, avait dit Madeleine, je vous attendrai.

— Et si j e ne peux pas y aller du tout ?

— Je n'irai pas non plus. Ça m'est tellement égal. Ou, plutôt, ça me ferait plaisir. Je resterais près de vous sans dire un mot. Nous prendrions le thé dans votre bureau.

Cela était arrivé d'autres fois, les jours de grand travail.

Madeleine était capable de rester dans un coin deux heures, trois heures sans bouger, inactive malgré son gros tricot aux

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doigts, oubliant tout pour l'inépuisable joie de dévorer ce- profil au menton net, au front un peu bas, aux cheveux drus. Mai»

Pierre avait applaudi à l'idée de Florence : « C'est Madeleine qu'emmènera votre grand'mère et moi qui vous attendrai. Si vous êtes prêt à temps j ' i r a i avec vousk Sinon, j e renoncerai à ces folles agapes, et ma grande fille aura du moins profité da seul pauvre plaisir qui nous ait été offert depuis des mois... > . II V n'y avait l à qu'une extrême gentillesse. Pourquoi tant d'insistance, au lieu de la toucher, agaça-t-elle Madeleine ? Elle n'eût toutefois pas cédé sans ce grand désir un peu offensant que paraissait avoir Pierre d'être laissé en paix.

Maintenant, à peine arrivée, la jeune fille regardait l'heure.

« En sortant de l'usine il passera prendre Florence. Etant donné les chemins, il faudra plus d'une heure pour venir jusqu'ici. Ils arriveront à la nuit » Elle s'écarta de Régine dont le lucide regard lui était insupportable; Brigitte, debout près du piano, tirait pour l'accorder son violon du vieil étui pelé.

Quand elle l'eut appuyé à son épaule, quand sa joue se coucha sur le bois frémissant, une tendresse, une extase la transfi- gurèrent. Il n'y eut que Didier pour s'en émouvoir. Cest de la musicienne qu'il s'approcha d'abord quand i l se décida à traverser le salon.

— Qu'est-ce que vous allez nous jouer, ma petite Brigitte ? Depuis une heure, dans sa chambre, là-haut, se demandant si Janine, invitée comme tous ceux que pouvaient connaître les Champsert dans la région allait venir, il se répétait : « Je ne me montrerai que quand j e serai bien sûr que, si elle ne doit pas se dérober, elle sera là... » . Mais la jeune fille, si tard qu'il descendît, n'était pas arrivée. Déjà l'on mettait — discrè- tement — au pillage le maigre buffet. « L a musique, c'est avant ou après la tombola ? » demandait M. Champsert en bousculant les chaises.

— J'ai horreur de tout çà, murmura le jeune homme à Brigitte. Ces rires... ces cris... cette gaité déplacée.

— Les prisonniers en bénéficieront. Avec les enchères à l'américaine on fait beaucoup d'argent.

— Je le souhaite. Je souhaiterais aussi, quand vous allez jouer, être seul à vous entendre. Pour m'en donner l'illusion, j ' i r a i me cacher dans le petit salon.

— ...ce qui intriguera certainement beaucoup Régin*

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Nevreux. Evitez de tous retourner. Elle ne vous quitte pas des yeux. Si vous saviez de quelle singulière façon elle vous regarde i

— Didier, viens donc m'aider Í criait M . Champsert.

Le jeune homme dut traverser les groupes, uourire, baiser des mains. Régine, quand il la salua, le fixa en effet assez étrangement. H y « « a i t dans ses yeux de pierre noire des étincelles subites, an crépitement de joie.

— Tout à l'heure, lui demanda-t-elle, est-ce que je pourrai

tous dire un mot ?

— Certainement, acquiesça-t-il avec politesse, tout en se promettant d'esquiver l'entretien.

Quelques dames venaient de décider que Brigitte se ferait entendre aussitôt après le goûter. On finirait par la tombola.

Didier, pour ne pas mécontenter sa mère, aida les jeunes femmes à faire circuler la purée de haricots au chocolat et les tartelettes noires, se laissa taquiner, traiter de sauvage qu'on ne voyait jamais et de garçon admirable « comme il nous en faudrait beaucoup en ce moment » . Enfin, les femmes étant assises et les hommes groupés dans l'embrasure des portes, il s'esquiva.

Une tapisserie tendue derrière le piano masquait l'entrée du petit salon. Réfugié là, Didier entendait très bien, ne voyait personne et subissait à son aise la double et déchirante péné- tration de la musique et de sa peine. Cette petite joie inexpli- cable de l'autre jour, enfouie, reprise, pressée et finalement rejetée, cette débile espérance à laquelle pour la punir de l'obséder il croyait si bien avoir tordu son cou, qu'elles restaient cependant présentes et vivantes ! Leurs grands soubresauts pendant qu'il s'efforçait de les achever le torturaient encore plus que quand il commença de les accepter, puis de les détruire. Pour mieux sentir sa détresse, mieux écouter ce chant, cette plainte qui l'aggravaient, il fermait les yeux. L e rêve avait tant de force qu'il suscitait le frôlement, la chaleur, le parfum d'une présence. Avec un long soupir, quand le violon

se tut, le jeune homme desserra les paupières, les souleva.

— Janine ! Vous êtes là !

— Je suis arrivée pendant le menuet et n'ai pas voulu entrer dans le salon. L a femme de chambre m'a fait passer tout doucement par ici. Vous étiez si absorbé -que j e n'ai même pas osé m'approcher de vous. Elle est merveilleuse, n'est-ce pas ?

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— Oui... merveilleuse... Vous aussi, faillit-il ajouter. Mal persuadé encore de sa réalité, impuissant tout à coup à se contrôler, il regardait la jeune fille avec une joie puérile et dévoratrice. Et elle ne paraissait pas fâchée de ce regard, ne baissait pas les yeux.

— Je suis désolée de mon retard. Mais j ' a i bien failli ne pas venir. J'en ai même eu très peur. Mon amie Simone Gorce, qui avait un peu de grippe, s'est sentie plus fiévreuse après le déjeuner. L e chauffeur rechignait, disait qu'on déraperait. J'ai fini par les persuader de rester tous au chaud et de me confier la voiture.

— Très peur, répéta Didier comme si les explications données s'étaient arrêtées à ces deux petits mots, très peur de quoi ?

— De ce que vous auriez pensé, dit Janine bravement.

— Mais ça n'a aucune importance.

— Si... c'est toujours ennuyeux... c'est sérieux de se tromper.

Et vous vous seriez trompé si vous aviez supposé que j e le faisais exprès.

— De ne pas venir ! Mais c'est plus que votre droit de vouloir vous soustraire à ces réjouissances, d'être rasée par elles. Il n'y a guère que ma mère pour en faire ses délices.

Elle lui sourit, d'un beau et indulgent sourire. « Vous ne voulez pas me comprendre. Tant pis. » — Votre maison me plaît, Didier, dit-elle tout haut. Vous m'en avez parlé quelquefois à Paris, vous le rappelez-vous ? Moi je me souviens très bien, sans les avoir jamais vues, d'une vieille petite chapelle qui est dans une des tours, et de votre chambre, basse de plafond, très longue, avec ses trois lucarnes qui donnent sur l'étang.

— Quelle mémoire ! railla-t-il.

Depuis l'explication qu'ils se jurèrent d'oublier, c'était la première fois que l'un ou l'autre disait : « Je me souviens » ou « Vous rappelez-vous ? » L a minute présente, en tout ce qui les concernait directement bornait leurs entretiens ; le passé ou l'avenir qu'ils pouvaient évoquer n'étaient jamais les leurs. Buté, meurtri, hautain, il retint cette remarque qui allait jaillir, se borna à proposer : Allons donc voir la chapelle.

Mon père en est très fier. Il l'a déjà fait admirer aujourd'hui à plus de dix personnes. On retrouve, dans ce qui reste de peintures murales, l'influence italienne...

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Ils étaient sortis du petit salon et traversaient le hall.

— Je n'ai pas encore dit bonjour à votre mère.

— Vous lui direz bonjour tout à l'heure. Entendez-vous ces cris ? Ce sont les deux lapins qu'on met aux enchères.

— Cela monte déjà à plus de deux mille francs, annonça Régine. Debout entre les deux pièces elle épiait le salon mais surveillait aussi le hall. Didier affecta ne ne pas l'entendre.

« Sauvons-nous » . Ils disparurent derrière une grosse vieille porte bardée de bois, cloutée de fer que Régine continua de fixer.

— Cette jeune fille qui s'appelle Janine Desronys n'est-elle pas fiancée avec le fils de la maison ? demanda-t-elle à Ma- deleine Louvie-Juzon qui malgré le froid et la nuit était sor- tie prendre l'air sur le perron et revenait, plus pâle, avec un air de souffrance.

— Fiancée ?... Mais non.

— Je croyais l'avoir entendu dire, dit innocemment Ré- gine. En tout cas ils ont l'air de parfaitement s'entendre.

— Ils se connaissent depuis longtemps.

Madeleine s'assit près de la grande console sur un tabou- ret bas. Elle avait mal à la tête. Dans cette absence, prévue d'ailleurs et qui s'expliquait, d'où venait qu'elle sentit une ma- nière d'offense ? « Je n'ai jamais eu de ces susceptibilités.

Elles sont stupides... » L e regard de Régine quand il pesait sur elle la gênait d'une manière presque physique. Ce fut un soula- gement de la voir s'éloigner et demander à M . Chan^sert où conduisait la petite porte, si curieuse, avec se?, coulures et ses

— ...A une ancienne chapelle !... Puis-je la visiter ?

— Je vous y mènerai tout à l'heure, promit le maître de maison qui ne voulait perdre aucun des enthousiasmes susci- tés par ses fresques, fût-ce celui d'une Régine Nevreux.

Il fallut bien attendre, ce qu'elle fit se détournant parfois pour se ronger un ongle quand la rage de ne pouvoir fran- chir toute seule cette porte la tourmentait trop fort. — « Qu'est- ce qu'ils peuvent bien y faire dans cette chapelle ? De quoi par- lent-ils ?

...Ils avaient commencé par ne pas parler de grand chose, c'est-à-dire par prononcer beaucoup de mots, le plus de mots possible à propos de n'importe qui et de n'importe quoi comme

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DEUX

l'autre jour quand ils étaient assis dans les bots, la ville noire à leurs pieds et le Meu dur des montagnes barrant l'horizon.

L a chapelle était ronde, toute petite, peinte jusqu'à sa voûte où six nervures délicates se réunissaient sous une clef famille©

de grappes et de feuilles. L'autel désaffecté était tendu d'un cuir cordouan qui s'irisait comme use poterie.. Pleine d'am- poules invisibles ane grosse lampe d'argent ruisselant de rayons.

Dans une niche une Vierge Noire rapportée, assurait la tradition, de la troisième croisade, tenait sur ses genoux un petit enfant noir et comme elle habillé de blanc et d'or.

Cette Vierge, les fresques et leur peintre, les lapins aux en- chères, le pathétique visage de Madeleine Louvie-Juzon, tout, encore une fois, aux deux qui étaient là, paraissait secourante et préférable à eux-mêmes. Ce tremblement d'âme qu'ils avaient, Janine la première s'en impatienta. Elle coupa net sa phrase, at- tendit, vit que Didier paraissait tout occupé de déchiffrer sur le bouclier d'un chevalier rouge el bleu une inscription qu'évi- demment il connaissait par cœur et, comme parlant à soi-même, interrogea doucement :

— ...Pourquoi redoutons-nous ?

— Qu'y a-t-il donc à redouter ? demanda le jeune homme sans se retourner.

Assise sur un vieux coussin de tapisserie, ses longues j a m - bes croisées, les mains nouées autour de son genou, Janine attendit encore. Des cris, venus du salon, arrivaient confusément.

La neige se collait aux vitraux des trois étroites fenêires.

— ...Je ne sais pas si vons l'avez remarqué l'autre jour, mais j'ai beaucoup changé... Et vous ? demanda-t-elle.

Le jeune homme examina de plus près les lettres latines, gratta de l'ongle un peu de plâtre tombé sur la boiserie. Cette joie qui revenait, qui avait la folie de revenir encore, pour rien, pour absolument rien et qu'il faudrait recommencer à arra- cher de lui, à étouffer, il ne lui permettrait pas de seulement l'approcher. « Changé ? en quoi ? » voulut-il interroger d'un ton, avec un rire qui la mettrait en fuite. Mais sans orgueil lui non pins il s'entendit simplement répondre : « Nom, j e n'ai pas changé ? » Et venant s'asseoir près de Janine il jouait eomme distraitement avec cette main qu'elle Loi reprit un jour et qu'elle ne retirait plus. Une chevalière d'or ornait le petit doigt. L'an- iii&laire était nu. Sur cette place nue, cette place Fibre, il se

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mourait d'envie d'appuyer ses lèvres, et se penchait déjà quand il la. lâcha, se leva, frémissant d'impatience indignée. Les cris exaspérants devenaient des clameurs. « Trois mille francs...

trois mille... » glapissait une voix féminine qu'aussitôt soutenait une voix d'homme. « Trois mille francs ! Deux lapins ! C'est pour rien ! adjugé ! » — Une trombe d'applaudissements en- gloutit, emporta tous les autres tapages. — « Janine... o u i - peut-être... Je crois que nous avons à nous dire des choses vraies, des choses vivantes... mais pas ici » pria-t-iL « C'est in- tenable. »

— Quand rentrez-vous ?

— Mercredi. Naturellement je ne vous demande pas de venir chez moi. Et chez vous, chez Sabine, on ne doit pas non plus être bien tranquille. L e silence que j e voudrais autour de nous...

— Nous le trouverons partout où nous serons tous les deux.

Même dans ces thés, ces cafés où j'avais refusé de vous ac- compagner. Ce que je commence à comprendre... c'est tous les jours un peu mieux que j e le comprends... Alors, où vous vou- drez...

Il marcha derrière elle dans le couloir étroit, mais la dépassa pour ouvrir la porte qu'aussitôt il faillit refermer.

Régine, immobile à son poste de guet, les enveloppait l'un et l'autre de son pesant regard.

— Votre père m'a demandé de l'attendre. I l va me faire visiter la chapelle.

— ...Pardon, dit le jeune homme sans autrement répon- dre. Il passait. Régine, d'une main posée sur son bras, l'arrêta.

— Je vous répète que j e voudrais vous dire un mot...

— Hé, dites-le, jeta-t-il, dites-le vite. Ma mère me fait signe.

— Bah ! votre absence vient d'être assez longue, ce n'est pas une minute de plus ou de moins... J'ai eu la surprise, con- tinua-t-elle très vite, le sentant prêt à l'envoyer promener, de découvrir que nous avions des . amis communs.

— Quel amis ? Il regardait Janine qui se penchait vers Madeleine Louvie-Juzon, toujours écrasée sur son petit banc, lui disait quelques mots, l'entraînait. La lumière qu'il gardait au fond des yeux persistait. Régine y plongea son regard noir.

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REVUE DES DEUX MONDES

Elle s'était déplacée de deux pas et se trouvait à présent juste en face de lui.

— Antoinette Grosbois.

— J'ignore absolument cette personne.

— Sans doute... mais vous connaissez, ou du moins vous avez connu... très bien, souligna-t-elle, une de ses amies, Ma- rianne Clergoux.

Brusquement la poitrine du jeune homme se souleva. Un flot de sang lui sautait au visage. « Marianne Clergoux '? » ré- péta-t-il d'une voix indifférente comme s'il cherchait vraiment à se rappeler. Et Régine fit entendre son petit rire insolent et sec, qui gifflait, qui blessait.

— Voyons !... Vous ne me ferez pas croire que vous l'avez oubliée. Ça ne serait pas gentil... Ah ! voilà votre père. Si vous venez aux Fougères, un de ces jours, j e vous donnerai des nouvelles.

Elle s'éloignait mais se retourna avec son terrible sourire à bouche serrée, rentrée.

— ...Vous savez, elle n'a pas eu de chance, Marianne Clergoux...

Didier soulevait .ses deux poings. L e grand froid qui ve- nait par la porte à chaque instant ouverte parce que les invi- tés commençaient à partir, le calma. Il traversa le salon, cher- chant Janine avec une angoisse avide et l'aperçut près du buf- fet qui faisait boire à Madeleine une tasse de thé chaud ; mais au moment de la rejoindre, comme aveuglé par ce même flot brûlant qui revenait l'étourdir, il tourna sur lui-même, tra- versa de nouveau la grande pièce presque vide et montant l'es- calier quatre à quatre s'enferma dans sa chambre d'où il ne bougea plus.

L'auto de Mme Leymarie ne stoppa qu'une minute devant la maison du notaire. L a vieille dame était fatiguée et les filles et nièces entassées avec elle pressées de retrouver leur progé- niture. « Bonsoir Madeleine, à demain... nous allons gronder Pierre. Et dites bien à Mme Louvie-Juzon comme on l'a regrettée » . La jeune fille, la porte à peine ouverte, se préci- pitait.

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RAFALES

— Madame n'est pas rentrée, déclara Jeanne. Monsieur Pierre est venu la prendre vers les quatre heures... Alors vous ne les avez... Mademoiselle ne les a pas vus ! Pourvu qu'ils n'aient pas eu un accident !

— Oui, dit Madeleine, c'est vrai... Il y a aussi l'accident.

Elle monta dans sa chambre, et son manteau, son cha- peau jetés sur le lit, se regarda dans cette robe qu'elle avait pour la première fois tirée de sa valise et que Pierre ne connaissait pas. « C'est une robe qui me va bien » pensait-elle tout à l'heure quand elle quitta la maison. Maintenant elle constatait :

« C'est une robe qui ne me va pas du tout. « Des larmes qui montaient et ne coulaient pas encore gonflaient ses traits un peu forts, les faisaient trembler. « Est-ce que je suis vraiment laide ? Non, ni laide, ni jolie. » Dans sa sévérité elle ne voyait même plus les longs cils qui battaient sur l'or changeant de ses yeux ni dans sa grande bouche, mal dessinée mais fraî- che, ses dents si blanches.

...Comme elle avait crié : « Flo !... » deux voix en bas appelaient : « Mad... Mad... où es-tu donc ? » Sans hâte elle descendit. Pierre et Florence tapaient sur les dalles leurs pieds chargés de neige. « Enfin nous voilà. J'espère que tu ne t'es pas trop inquiétée. »

— Non. Je ne pensais pas à un accident... quoique Jeanne en parlât.

— Tant mieux, dit Pierre lourdement.

— Il s'en est cependant fallu de peu, dit Florence. Figure- toi que ce garçon m'est arrivé vers quatre heures tout heureux d'avoir dépêché sa besogne. « Vite, filons ! Nous serons à A r - deloup dans une heure... » Ah ! bien oui... à même pas vingt ki- lomètres d'ici, dans la côte de La Font, le moteur cale. Nous avons eu toutes les peines du monde à arriver jusqu'au village.

Il a fallu aller chercher un mécanicien et nous réfugier dans l'auberge où il n'y avait pas le téléphone. Nous nous sommes fait un mauvais sang !....

— Pourquoi ? demanda Madeleine.

Sa tranquillité, son indifférence même, son manque d'élan à l'égard de Pierre qu'elle n'avait pas vu de la journée furent remarqués à peine. L'animation que les deux autres rappor- taient de cette promenade manquée et qui leur brûlait les joues les empêchait d'y bien voir. La jeune fille au contraire obser-

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vajt lucidement. Troublés ? Non. Mais masqués, Sans doute ils étaient allés à L a Font. Ils y avaient fait halte. C'est l'imprévu dë cette halte qui demeurait douteux. Est-ce que. cela dès hier n'était pas décidé ? « Dépêchez-vous de rentrer, Pierre, disait- elle cependant. Votre grand'mère était si sûre de vous trouver k L a Fauvie. » Elle tendait la main à son fiancé, le poussait vers la porte et se défendait de regarder Florence par peur de retrouver sur le beau visage presque trop pur, trop régulier ce frémissement, ce feu que, pendant tout un automne, il y avait dix ans, elle épia cruellement.

Noël n'apporta rien qu'un poids de plus au cœur. Une au- tre année recommença d'entasser jour après jour Ses blocs écra- sants. L'ennui était plus fort que toutes les inquiétudes. L'es- sence disparaissait. L e moindre déplacement devenait une aven- ture. Cette impression d'immobilité forcée, de cercle qui se res- serre, d'emprisonnement en compagnie d'êtres de plus en plus rares et surtout de soi-même, c'est Madeleine à présent qui plus que Florence en souffrait.

Elle regrettait, implorait sa maison, sa chambre de Paris, ses habitudes de Paris, toute cette douceur de vivre qui si légè- rement vous maintenait en surface et vous gardait de couler, d'atteindre en vous engloutissant les profondeurs redoutables.

Aucune explication entre elle et son fiancé. Un autre plus que Pierre sensible aux nuances eût caché son soulagement.

Lnî ne le pouvait pas et avec naïveté se prêtait aux manœuvres par quoi Maddie se défendait d'être seule avec lui. Par ailleurs il témoignait d'un grand zèle à exagérer ces soins, ces atten- tions, ces taquineries gentilles qui leur étaient habituels, et

auxquels la jeune fille ne s'empressait pas moins. Mais la fis- sure imperceptible gagnait en profondeur ; la petite plaie su- perficielle, laissée à l'abandon, se boursoufflait sur les bords, étendait sa tache rouge. Un lancinement en pleine nuit réveil- lait la jeune fille. L'aube la trouvait assise depuis des heures dans son lit, l'œil creux, la tête brûlante. Florence, quand elle Tenait l'embrasser, s'inquiétait.

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— Que tu as mauvaise mine ! T u te fatigues beaucoup trop.

— Peut-être. Quoique en ce moment, ce soit plutôt calme. L a plupart de nos réfugiés sont repartis.

— Alors c'est peut-être ce calme au contraire. Tu t'en- nuies...

— Et toi ? demandait Madeleine.

— Oh ! moi, tu sais...

Un geste de la main souple, aux ongles laqués, exprimait une résignation si totale et si simple qu'un remords envahissait Madeleine. « Ce doit être moi qui suis un monstre » , se disait- elle. Et dure envers soi-même pour que cela aidât à la lucidité, elle revenait au premier jour de son mal, à l'attente, sur ce banc dans le vestibule envahi et bruyant d'Ardeloup. Alors elle retrouvait ce frisson qui gagnait une à une chaque goutte de son sang mais aussi la douceur d'un visage, d'une main, d'une voix amies. « Que Janine a été gentille ! Je voudrais la revoir...

Pierre, demanda-t-elle un soir où elle avait dîné à la Fauvie, quand donc retournez-vous à C... ? »

— Pas avant jeudi. Je partirai le matin.

— Emmenez-moi. Je déjeunerai chez les Gorce.

— Y aura-t-il une petite place pour moi ? demanda Flo^

rence.

— ...C'est que, dit Pierre indécis, j'emmène Fauvel et Ber- trand.

Deux de ses ingénieurs. Les voyages en ville ne pouvant plus garder, par suite du manque d'essence, leur régularité, tout le monde en profitait. Il y a quinze jours seulement, à la veille de ce dimanche, Madeleine se fût effacée. « Vas-y FU>.

Au fond je n'y tiens pas. J'ai tant à faire ici. » Aujourd'hui elle se contenta de murmurer : « Je regrette. Mais j ' a i absolument besoin de voir Janine Desronys. Elle m'a fait promettre, la pre- mière fois que l'auto pourrait rouler, d'en profiter. Excuse-moi, » ajouta-t-elle. Elle ajouta encore : « Je suis désolée » . La jeune fille fermait les yeux à demi. Etait-ce pour permettre à Pierre et à Florence, déçus, d'échanger un regard ou pour ignorer ce regard qui n'avait pas besoin de sa permission ? Aussitôt elle passa dans le petit salon où se trouvait le téléphone et appela Janine.

...La Thuilière s'élève au bord de ce boulevard en corniche-

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qui domine la ville. L'ardoise fine de son toit est bleue quand il fait beau et plus bleue en hiver sous son miroitement mouillé.

Aujourd'hui elle étincelait. L a neige venait d'y fondre. L e ciel, pur un instant, retenait derrière la montagne le troupeau noir qui tout à l'heure se précipiterait. Janine ouvrit elle-même la grille du jardin.

— ...Viens vite dans ma chambre. Nous disposons d'au moins une heure. Simone n'est jamais prête. Que je suis heu- reuse de te voir ! Es-tu mieux ?

— Je ne crois pas, dit Maddie.

Les deux fenêtres qui formaient un angle se louchaient.

De ce coin où étaient placés des fauteuils et une table basse on ne *oyait que les puys couverts de sapins et le hérissement sec des vignes dépouillées. Dans la dure lumière qui la blessait presque, la visiteuse à peine assise s'étonna de ces ombres sur le visage de son amie, de ce creusement au coin des yeux, des lèvres.

— Mais toi-même, Janine ?

— Moi...

— L'autre jour, hasarda Maddie, quand je vous ai vus Didier Champsert et toi sortir de ce couloir qui mène à la cha- pelle, je me suis imaginé...

— Je m'imaginais aussi. Mais je pense à présent qu'il était sans doute trop tard.

— Trop tard pour quoi ?

Tout de suite elles se retrouvaient en confiance. Ce chu- chotement qui à douze ans, à quinze ans, les immobilisait des heures entières, penchées sur le même livre, les doux cheveux de l'une à la tempe de l'autre, elles croyaient en avoir oublié le besoin. Mais qu'il revenait vite ! Plus tourmentées qu'aux heures anxieuses de l'adolescence, plus hantées de méditations vastes et d'intimes découvertes, troublées par la remous for- midables du monde mieux qu'elles ne le furent nmais par la chaleur inconnue de leur cœur et de leur san^. incertaines, éperdues, elles étouffaient de silence. Leurs fierlos, plus ten- due chez Madeleine, plus secrète chez Janine, se défirent en même temps. Elles rapprochèrent les fauteuils. Leurs genoux se touchaient.

— Commence, Maddie.

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— Non. Donne l'exemple. Moi ce que j ' a i à dire, c'est dif- ficile, c'est laid.

— Je préférerais, j e crois savoir que c'est laid... Mais, rien !... ne pas comprendre. Puisque tu nous a vus sortir de ce couloir... quel air avait-il, lui ?

— L'air de quelqu'un qui aurait voulu envoyer au diable tous ceux qui étaient là... l'air de quelqu'un qui ne pouvait supporter que tu t'éloignes de lui... La façon dont il me re- gardait quand tu m'as emmenée...

— Eh ! bien, Maddie, depuis ce moment-là je ne l'ai pas revu.

— Comment vous êtes-vous quittés ?

— Nous ne nous sommes pas quittés. J'ai dû partir, hon- teuse d'être la dernière, sans qu'il ait reparu... Vois-tu, j'aurais dû tout de suite être franche avec lui au lieu de me contenter de lui laisser deviner... C'était peut-être un reste de mon ancien orgueil. Aujourd'hui j e n'imagine plus en avoir beaucoup. Ce que nous endurons en ce moment m'a comme recréée, repétrie.

Un temps est arrivé où tout a été mort, et la mort même était vide. Et puis les choses se sont mises à reprendre une valeur...

mais qui n'était plus celle d'autrefois, une valeur...

Elle cherchait... Les nuages pleins de neige sautaient par dessus les pins. Ils accouraient. Le vent qui les apportait glis- sait comme une lame de couteau au joint des fenêtres. Maddie en sentait sur sa joue la coupure brûlante.

— ...Une valeur, continuait Janine, plus totale, plus dense.

Ce grand feu qui passait n'était pas que destructeur. Il fé- condait en même temps... Tout ce qui avait été détruit dans ma vie, autour de moi, en moi, je l'oubliais déjà. Mais cette espèce de richesse nouvelle qu'il devenait possible et nécessaire d'acquérir me causait une grande joie. Je découvrais l'horizon qu'un brouillard m'avait caché jusqu'ici de sa mollesse et de sa tiédeur. Et je pensais que Didier était de ceux qu'occupaient déjà, bien avant nos malheurs, ces connaissances et ces exigences secrètes, cette vie intérieure qui cherche et qui s'af- fame. Ce monde, presque ignoré d'une jeunesse qui fermait tous les livres, j'avais eu moi-même l'ambition d'y pénétrer... et j e m'apercevais que mon orgueil au contraire me le rendait étran- ger... qu'il m'avait arraché la clef mystérieuse. Ma sœur, dont

TOME L X X I U . — 1943 4

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j'avais si fort méprisé l'esclavage, c'est elle, contre moi, qui avait raison. L'amour n'est jamais bas. Ce qu'est devenu le sien qui aimait tant de demeurer le front dans la poussière, il me faut l'admirer. Sur ces cartes qu'elle échange avec son mari, dans ces quelques mots qu'ils ont le droit de se dire, ils trou- vent moyen de mettre des choses très belles. Pardonne-moi de parler si longtemps. Je voudrais te faire comprendre. J'aurais surtout voulu faire comprendre à Didier... M'humilier devant lui après l'avoir repoussé, il m'eût été impossible il y a seule- ment un an de concevoir cela. Et cela quand j ' a i tenté de le faire n'a plus été que merveilleux. Oh ! il l'a bien senti. Il parais- sait le sentir... Alors ?... implora-t-elle les yeux vers la fenêtre où commençaient à se coller les flocons grisâtres.

— Il lui suffira de deux mots, assura Madeleine, pour s'ex- pliquer. Je te le répète, j ' a i vu cet air qu'il avait. Oh ! je vou- drais être aussi tranquille que tu peux l'être. Moi, reconnut- elle avec une tranquillité triste, j e suis beaucoup moins in- telligente que toi. Toutes ces idées qui te soutiennent je ne di- rai pas que je m'en moque. Elles ne me viennent même pas. Je souffre plus simplement, plus à ras de terre. Et c'est affreux de ne pouvoir même pas se raisonner. Cette jalousie dont j ' a i

essayé de rire me possède à présent comme elle possède les bêtes. Je voudrais mordre, détruire...

— C'est de Florence que tu es jalouse ?

— Elle cherche à me prendre Pierre.

:— Oh ! protesta Janine.

Madeleine posa sa main sur le genou qui touchait le sien.

— Non. Tais-toi. Tu comprends bien que tout ce que tu pourrais me dire..

— Mais Florence t'aime. Elle t'aime de tout son cœur.

t — Elle le croyait peut-être. Et mois aussi j e le croyais.

Elle serra le genou de Janine entre ses doigts sans finesse qui tremblaient nerveusement.

— Ce qui est horrible pour moi c'est de me dire qu'après tout Pierre est libre et pas tellement plus jeune qu'elle. Un ma- riage entre eux n'aurait rien de choquant.

— Maddie... tu ne te contentes pas de ne plus raisonner, Tn déraisonnes. Un mariage !... Peut-être le plus vague flirt... Et en- core !... Parce qu'ils se voient tout le temps, parce qu'ils s'en- nuient.

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— Et parce qu'elle est très belle... et parce qu'un homme se lasse de trop longues fiançailles, et parce que... parce que tout.

Vois-tu, j e viens de te le dire : j e réfléchis moins que toi mais j e ne suis pas stupide. J'observe. L'humanité est trop secouée en ce moment, trop retournée. L e monde se tend à craquer. Il me sem- ble que toutes les puissances des ténèbres sont déchaînées.

— Et les autres aussi, dit doucement Janine. Je pense bien souvent que de ce chaos surgiront près des monstres des êtres magnifiques.

Quoique la seige s'épaissît, qu'il fît sombre dehors, la lu- mière de nouveau était sur son visage que Madeleine embras- sait. Elles n'eurent qu'un seul soupir. « Vois-tu... » continuait Janine. — Un son de gong l'interrompit, déçue. « L e déjeuner, déjà ! » Elles coururent à la coiffeuse, débouchèrent des flacons.

— C'est un nouveau parfum que j ' a i trouvé. Essaye-le.

— Merci, disait Madeleine ayant cueilli une goutte sur le bout de son doigt et le frottant lentement contre son autre main.

Ecoute... Pendant que nous sommes encore seules... crois-tu que Didier voudrait parler à Pierre ?

— De Florence ?

— De... de leur imprudence... Oh ! j e voudrais tant croire qu'il n'y a eu encore que cela !... Et du mal qu'ils me font. L'ad- miration que Pierre avait pour Didier quand il se battait sous ses ordres et qu'il a conservée lui permettrait d'accepter n'importe quel conseil. Il se laisserait convaincre. C'est un faible.

— Comme tant d'autres. C'est drôle, murmura-t-elle rêveuse, cela non plus ne se voyait pas, ce besoin qu'ont la plupart des êtres, cette faim d'un guide, d'un chef. On marchait au hasard, avec l'illusion que c'était droit devant soi. Tout allait vaille que vaille. Maintenant il y en a tout de même un plus grand nombre qui s'inquiète de la route à suivre. Alors il suffit que quelqu'un comprenne cette inquiétude, qu'il la place sur le plan le plus haut et derrière celui-ci ils se précipitent tous. Oui, promit-elle en sou- , riant à Madeleine, j e demanderai à Didier de faire ce que tu veux,

dès que j e le verrai. Mais quand ?

Son bref sourire s'effaça. Elle respira longuement. L e sang lui montait aux joues. La main dont elle toucha son amie brûlait.

— Je suis peut-être compliquée, mais pas, ou du moins plus du tout en ce qui concerne mon amour, j e te l'assure. J'aime Di- dier comme tu aimes Pierre, d'une manière aussi totale, aussi...

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instinctive, avoua-t-elle d'une voix un peu plus basse et plus sourde.

* * #

« 11 y a des lettres dont on sait bien qu'elles ne seront jamais • envoyées, Janine. Celle-ci sera détruite dès sa dernière ligne. Ce qu'elle contient il faudra bien pourtant que vous le sachiez un jour, un jour que je repousse de toute ma lâcheté et qui doit ce- pendant être très prochain. Ce temps que j e m'efforce misérable- ment de gagner, à quoi sert-il puisque jusqu'au moment où vous saurez, je ne vous reverrai pas, j e n'oserai pas vous revoir ?

Depuis que cette Régine l'autre jour à Ardelôup a prononcé le nom de Marianne Clergoux, depuis qu'est revenu à la surface ce cadavre lesté de tant de pierres et de plomb... Ah ! c'est de- vant vous que j ' a i besoin de me rappeler, de m'expliquer... Vous seule pouvez me donner une force que je pensais avoir et que je ne retrouve plus. Cependant dès les premiers mots, vous prenant ainsi à témoin, j e voudrais supplier : n'écoutez pas Janine, ne me regardez pas... »

Si je ne commence tout de suite, je ne le ferai jamais. Il le faut cependant, pour moi-même, pour comprendre. Donc voilà. Il y a sept ans...

Il y a sept ans, je faisais mon service militaire. L'instruc- tion préparatoire terminée j ' a i été envoyé comme sous-lieutenant à Aurillac. J'attendais ce moment avec un singulier mélange d'ap- préhension et d'ardeur. Ces jeunes hommes de mon âge auxquels je commanderais, avec lesquels j'allais vivre, si différents de mes camarades d'études, il me semblait que j'allais recevoir d'eux j e ne savais quelles blessures en même temps que les plus néces- saire et fécondes révélations.

Au début, je ne fus que heurté, rebuté. Toutes ces grosses ma- nières de penser et d'agir, tant de laideur dans la sottise et la ruse, ce lourd déchaînement, cette goinfrerie de tout ce qui est bas, matériel et facile, limitaient mes découvertes à une anima- lité que j e n'eusse jamais imaginée aussi dépouillée de tout cor- rectif humain. J'avais tort. Ces épaisseurs j ' a i appris peu à peu à les traverser... appris que ce qui compte c'est ce qu'on trouve au- delà. La leçon était bonne : elle m'a beaucoup servi. Mais pendant ces premiers mois j e n'éprouvais qu'un dégoût auquel je ne savais pas encore découvrir de remède. Pour la première fois, ma

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famille chez qui j e trouve peu de secours me paraissait secou- T a b l e . C'était le temps des vacances. Dès que j'avais une permis- sion j e prenais ma voiture et faisais cent cinquante kilomètres

•pour venir m'abattre à Ardeloup. Mais mon père ni ma mère, n'ont jamais su bien comprendre ce qui peut se passer en moi.

Cette année-là justement ils ont décidé d'aller admirer l'au- tomne à Venise. Je me suis trouvé seul, affreusement. Alors pendant ces permissions inutiles, j e courais le pays. Vic-sur- Cère n'est pas loin. C'est un endroit charmant. Dans l'hôtel

où j ' a i déjeuné le premier jour, il y avait une petite jeune fille

•qui surveillait le service et qui tenait la caisse, une jeune fille

•d'une vingtaine d'années, brune, frisée, très jolie, et qui me parut d'une finesse assez étonnante. Elle paraissait triste aussi.

J e la retrouvai deux heures plus tard prenant l'air sur la route où je me promenais moi-même fumant une cigarette.

« Elle avait étudié chez les sœurs à Mauriac. Son père te- nait un garage. Sa mère un beau soir n'était pas rentrée et

n'avait plus jamais donné de ses nouvelles. Marianne... C'est vrai, c'est son nom ! Je crois que j e ne l'ai jamais dit îout haut devant personne et à moi-même c'est si rarement que je l'ai dit tout bas ! Marianne ne rêvait pas de Paris, mais de Lyon. Une place qu'on lui avait promise dans une fabrique de soierie se faisait attendre. Alors pour fuir la maison où son père la brutalisait et pour gagner de quoi s'acheter un beau manteau d'hiver, avec de la fourrure, elle avait accepté de ve- nir à-Vie, où elle s'ennuyait. « Je n?y ai pas d'amis et pen- sez-vous que j e vais accepter de sortir le dimanche avec ces gars des fermes.. Pour aller où d'abord ? Toujours descendre ou monter. Ce pays m'éreinte. Ah ! vivement la grande ville ! . . . » Elle était prétentieuse, nullement intelligente, et cette finesse que j e lui prêtai d'abord n'était que dans ses traits. Mais ce qu'elle avait de nostalgique et de désemparé la rapprochait de moi dans cette espèce de crise que j e traversais.

L e danger ne m'apparut qu'au troisième rendez-vous. Pour me dérober à celui qui devait suivre j'envoyai une dépêche.

Tonte la semaine j e m'étais exhorté, mis en garde, mais d'une manière asez molle, avec la honte et l'angoisse, cherchant à m e ressaisir, de ne plus reconnaître celui qui m'habitait. Cer-

tes, j e n'étais pas amoureux. Je ne désirais même pas avec -violence cette petite fille vulgaire, inondée d'un lilas acheté

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chez la mercière, qui ne m'aimait pas non plus et ne se cram- ponnait que par ennui. L e samedi soir, ma dépêche expédiée, j'éprouvai même une impression de soulagement. Mais le di- manche fut une de ces journées sans histoire dont, le souve- nir oppresse comme celui d'un malheur. Il m'est arrivé, au dé- but, de beaucoup penser à cet affreux jour-là qui décida de tout, et j e n'ai rien trouvé, pas même des pensées de décou- ragement particulier ou de plus vive amertume. Rien. Une tris- tesse sans nom, engloutissante, étale. J'avais dû fuir la cham- bre que j e louais en ville parce que j ' y serais j e crois devenu fou. Mes livres, le jardin que dominait ma fenêtre, moi-même, tout était vide, d'un vide plus pesant que la pire souffrance.

J'errai de café en café. J'ai payé des tournées. J'ai bu pas mal moi-même, ce qui ne m'arrive jamais. A sept heures, j ' a i pres- que supplié un de mes camarades, un employé de banque pour qui j e me découvrais tout à coup une immense sympathie, de dîner avec moi. Il a refusé parce que sa petite amie l'attendait.

J'ai eu une impression de détresse sans nom. Si Monestier avait accepté mon invitation bien des choses eussent été changées.

Je ne cherche pas d'excuses. Je n'en ai pas. Même sans cet hom- me à ma table j e disposais encore de la minute où notre destin ne dépend que de nous-mêmes. Et cette minute-là m'a trouvé défaillant. L à est le crime, dans ce relâchement. Où m'en étais- j e donc allé ? me suis-je demandé bien souvent, au fond de quels abîmes de torpeur, d'écœurement ? Je n'en sais rien. J'ai fait seul, sans y prendre le moindre plaisir, un repas formi- dable. J'ai continué à boire. Ma note payée il n'était cepen- dant que neuf heures du soir. Alors tout d'un coup ma vague misère est devenue le besoin d'une présence féminine.... Il me fallait entendre de petits mots bêtes et doux. Même cette gros- sière, cette écœurante odeur de lilas, il me devenait nécessaire de la respirer puisque rien de plus délicat ne m'attendait. J'ai sauté dans ma voiture, conduit comme un homme ivre. A Vie, les lumières étaient déjà éteintes, quelques ombres rôdaient, pourtant, près des hôtels. A la silhouette, dans le clair de lune, à l'odeur, j ' a i reconnu Marianne. Un garçon marchait près d'elle, comme elle avait le premier jour, marché près de moi.

Je l'ai brutalement écarté. « Et alors ? » ai-je dit. L a lune qui surgissait m'a montré ce triste rival, stupide, lent à préparer sa riposte, qui en ses habits du dimanche, faisait pauvre

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figure. « Dis-donc... qu'est-ce qui te prend ?... » a-t-ii gro- gné. « Laissez, suppliait Marianne qui me sentait trembler de colère. C'est mon ami qui ne devait pas venir ce soir et qui

•est venu. > Elle m'entraînait : « Quelle surprise !... ah ! que j e suis contente. Je pleurais, quand cet autre s'est approché, de ne pas vous avoir vu. > Nous nous sommes embrassés. Mais i l fallait bien s'éloigner de l'esplanade où demeurait le gar- -oon maugréant. Les petites rues étaient noires, déjà froides.

Marianne n'avait pas sa chambre à l'hôtel, mais dans une vieille maison où n'habitait personne-

Aventure misérable dont les détails à présent surgissent, conservés par l'oubli comme ces corps que le glacier après des années rend intacts. Je revois la laideur de cette chambre, son

«éclairage brutal et cette enfant contre moi jouant mal la comé- die de la honte et moins désespérée que sournoisement triom- phante. Tout de suite j ' a i reconnu qu'elle avait beaucoup moins que moi perdu la tête... quoique j e fusse le premier... Jamais j e ne l'aurais cru. Elle riait de mes reproches. Alors, tout de suite, tant j e me détestais, j e me suis mis à la détester, elle aussi, avec une violence dont j'avais peur qu'elle ne s'aperçût.

...Nous ne nous sommes revus que deux fois après cette sinistre première fois. Je fus envoyé à Fontainebleau. Ma- rianne n'estima pas mon départ dramatique. Une lettre de Lyon lui annonçant que la place tant attendue serait pour elle disponible à la fin du même mois la comblait de bonheur. Elle me prévint qu'elle aimait peu écrire. Je lui fis le même aveu.

Nous nous quittâmes cordialement. Je crus respirer. Toute l'im- portance de mon acte, tout ce que celui-ci me parut d'abord avoir d'obsédant, de durable, disparaissait. L e bain d'or que j e prenais sous les taillis sauvages où j'enfonçais dans les feuilles mortes jusqu'aux genoux achevait de me libérer. L a forêt me se- courait comme une personne, comme une femme. C'est elle qui m'a recueilli sur sa mousse, contre l'un de ses arbres, le jour où j e me suis abattu, après avoir ouvert cette lettre... Marianne m'annonçait qu'elle était enceinte et l'annonçait sans drame.

« Je suis extrêmement embêtée... » écrivait-elle. Et elle me de- mandait ce que j e comptais faire.

« Devant moi-même j e n'ai jamais voulu reconnaître ce qui demeure aujourd'hui aussi pénible qu'à ce moment et que j e vais avouer, cette... oui, cette peur qui m'envahit, cette peur

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immense et basse d'enfant qui s'est mal conduit et qui r e - doute la giffle ou le cachot noir. Qu'allaient dire mes parents ? Je n'avais à ce moment aucune indépendance pécuniaire. Mille- histoires de chantage, de carrières brisées, d'unions for- cées d'où l'on ne pouvait s'évader que par le crime, tournaient dans ma mémoire. Après seulement, oui, après, ah ! j e ne vous- cache rien de mon égoïsme, j ' a i cessé de m'occuper de moi pour m'inquiéter de Marianne et de cet enfant qui était le mien- Alors mes responsabilités ont commencé d'apparaître. Mais elles demeuraient dans une confusion que j'évitais lâchement d e dissiper. Ces excuses que j e rejette aujourd'hui je ne me tour- nais que vers elles, j e les implorais. Je dois toutefois reconnaî- tre que devant mon père, quand je lui ai tout avoué, elles ont fait silence. J'ai parlé franchement. J'avais demandé à mes parents deux heures au moins d'entretien, exigé que l'on condam- nât la porte. Les reproches, la colère, la consternation, je m'at- tendais à tout excepté au grand rire de mon père et à l'excla- mation de ma mère : « Que ce petit imbécile m'a donc fait- peur ! Dieu sait ce que j e redoutais ! » Aujourd'hui revoyant ce garçon atterré qu'ils s'efforçaient l'un ei l'autre de « remon- ter » j e ne saurais dire s'il était plus soulagé qu'indigné. Je crains, pour être franc, qu'il ne fût soulagé. Mon cœur se des- serrait. L'avenir devenait libre. Ce qui m'obligeait à protester restait, comment dirai-je, livresque ? Il y a une expression que ma mère employait souvent — elle continue d'ailleurs — et qui merveilleusement la libère du scrupule ; par acquit de cons- cience... « Faisons ça par acquit de conscience, et n'en parlons- plus... » Eh ! bien, je protestais « par acquit de conscience... » Cela se sentait trop. Mon père m'envoya promener : « Je vais tout arranger, donne-moi les adresses. Je te tiendrai au cou- rant. D'ici là, fais-moi le plaisir de ne même pas répondre à cette petite, et amuse-toi... A ton âge c'est ce que tu as de mieux.

â faire, pourvu que ce ne soit pas bêtement.

— Une sottise préserve des autres, énonça ma mère.

Et mon père conclut presque joyeusement :

— L e voilà vacciné.

La facilité avec laquelle j'admis en tout ceci la légèreté d e mes parents, dont j'avais tant souffert, paraît incroyable. Mais je n'en suis stupéfait que depuis quelques jours. Mon soulage- ment, j ' a i la honte de le répéter, fut immense. Il s'accrut quand

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«non père revint de son voyage car il avait voulu que rien ne dût réglé par correspondance.

— Eh bien, me dit-il, je l'ai vue. Ce n'est pas une mau- vaise fille et nous n'aurons aucun ennui avec elle. Avec le père non plus : un individu peu intéressant et qui n'a aucun souci des siens. Sais-tu ce qu'il lui a répondu — elle lui avait naïvement écrit, avant de t'écrire à toi-même pour lui demander conseil : « Tu es la digne fille de ta mère. Va-t-en la retrouver -si tu peux et laisse-moi la paix. Vive la liberté !... » J'ai vu la lettre. Non, nous n'aurons aucun ennui. D'autant qu'elle s'était rajeunie ! Le jour de votre première rencontre était juste celui de sa majorité. C'est une chance...

Il avait proposé une rente mensuelle plus que raisonnable à condition que celle-ci fût considérée comme un secours, non cemrae un dû et que Marianne s'engageât à ne plus jamais me tlonner signe de vie, auquel cas les versements seraient aussi- tôt interrompus.

— Finalement, conclut-il, l'histoire tourne au plus grand toien de cette petite malheureuse. Rien ne l'empêchera d'élever convenablement son enfant qu'elle a d'ailleurs l'intention de reconnaître et qu'elle aurait pu avoir avec le premier venu,

©ans ce milieu c'est fatal. Et maintenant, ta délicate conscience peut être tranquille. Oublie tout ça, qui ne regarde plus que moi. Dépêche-toi d'en finir avec ton service, passe tous les examens qui te chanteront ou ne passe rien si tu préfères et ne

•tarderas trop à nous amener comme belle-fille une jolie fille à qui je ferai la cour pour le plaisir de vous enrager ta mère et

«toi.

Il se mit à rire, ma mère nous versa du porto. « Oublions le passé » , répéta-t-elle en levant son verre. Elle vint m'embras- ser et de nouveau m'appela tendrement « petit imbécile » . Leur

gaîté me gagna. Si mon affection pour eux n'était pas de la qualité que j'eusse souhaité, elle existait cependant. Jamais nous ne nous entendîmes mieux que pendant les mois qui suivirent.

L'ordre d'oubli qu'ils m'avaient donné, c'est à le suivre que j e mettais désormais mon scrupule. Je m'y appliquai si bien que malhabile comme pouvait l'être un garçon de mon âge à calculer certaines dates, j e n'appris l'existence de mon fils que près de deux mois après sa naissance. « Il va bien, elle va bien, ne t'occupe donc pas de tout ça qui ne te regarde plus » .

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...Tout ça qui ne me regardait plus... Janine, et que d'ail- leurs j e refusais de considérer... Concevez-vous qu'attentif k moi-même comme j e m'efforce de l'être et plus sévère peut- être à mes intentions qu'à mes actes, j ' a i pu permettre qu'une telle indifférence durât des années ! L'espèce de malaise qui la troublait au début n'a pas duré longtemps. Des mois pou- vaient passer sans que la pensée de Marianne et de l'enfant se représentât. Elle ne surgissait plus qu'atténuée, alors, j e de- mandais à mon père : « T u n'oublies pas d'envoyer ?~. — Mais- non... mais non. Sois tranquille... » Marianne n'accusait même pas réception de cet argent ; mon père pour mieux rompre le con- tact l'en avait dispensée. Elle n'écrivit que deux fois pour in- diquer son changement d'adresse ayant quitté Lyon pour Mar- seille et Marseille pour Guérei où elle doit se trouver aujour-

d'hui. . Cela eût peut-être continué, Janine. Mais les paroles de-

cette fille infernale, de cette Régine... E i qu'elle les ait pro- noncées juste au moment où le bonheur que vous me don- niez venait de s'abattre, cela m'étouffait. Il y avait là quelque chose de si prodigieux qu'il m'a bien fallu y reconnaître j e ne sais quelle intervention surnaturelle. Et j ' a i senti qu'il m'était pour l'instant impossible de vous revoir, fût-ce pour vous dire adieu. Je suis monté dans ma chambre et m'y suis enfermé. L e lendemain les premières personnes que j ' a i revues, la femme de chambre avec son plateau, ma mère qui venait 'prendre de mes nouvelles, m'ont paru différentes de ce qu'elles étaient 1»

veille, étrangères. Mais c'est moi qui changeais, qui m'étais éloi- gné. Quelle nuit ! C'est tout ce que j'avais acquis au cours des récentes années, je ne puis dire ce trésor, mais ce petit com- mencement d'épargne intérieure, cette ambition de netteté, de sincérité, ce refroidissement hautain qui me dressait au-dessus de l'immense nappe stagnante où tous s'engloutissaient, pour chercher plus haut... beaucoup plus haut, le seul air respirable*

c'est tout cela qui me mettait, qui continue à me mettre en lambeaux. L a lucidité à laquelle j e ne cesse de m'appliquer ra- mène devant moi l'acte d'autrefois et me maintient devant lui.

C'est un tête-à-tête atroce. « Marianne Clergoux n'a pas eu de chance...» Cette phrase, avec ses sous-entendus, m'obsède. Jus- qu'où cette malheureuse abandonnée par sa mère, par son père, par mei-méme, a-t-elle pu déchoir ? Et l'enfant... mon fils.. A

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six ans les exemples subis marquent déjà... Quand enfin l'un et l'autre consentent à me libérer de leur médiocrité et de tou- tes les laideurs que j'imagine autour d'eux, c'est pour me livrer à d'autres, mes élèves, mes amis. Ah ! comment vous expliquer par le détail ma complexe et mon immense misère ?...

Quand j e vois près de la masse amorphe et indifférente de tous ceux qui ne comprendront jamais et qui d'ailleurs n'ont pas besoin de comprendre, seulement d'être menés, quand j e vois cette autre masse houleuse et tressaillante des hommes et des garçons de bonne volonté, quand j ' y réclame ma place, cela déjà est grave... Mais ce qui l'est davantage, ce qui est tragique, c'est cette confiance que quelques-uns commencent à mettre en moi. « ...Ce qui nous est nécessaire, répondait l'autre jour à mes protestations un de mes élèves, le petit Laurent Bourges dont j e vous ai parié, ce n'est pas seulement ce que vous dites, c'est ce que vous êtes... » . Ce que j e suis ! Mais d'où cela vient- il, ces illusions que l'on se fait ? Ah ! Je voudrais marcher à la remorque de n'importe quel autre au lieu d'indignement traîner cette suite inquiète et toujours grossissante. Songer que j ' a i pu souhaiter cela, cette espèce de puissance ! Quand pour mon maître Desmareuil j e dépouillais toutes ces lettres, quand j e recevais ceux qui venaient l'implorer, j e trouvais cela si beau cette forée, cette bienfaisance, cette espèce de... oui, d'impo- sition des mains sur ces pauvres fronts tourmentés. Et mainte- nant — oh ! j e ne voudrais pas que vous me croyiez de l'orgueil...

ï ] ne serait qu'absurde... Je ne compare en rien. Mais ces quelques-uns qui sont ici et qui souhaitent la vraie vie, quand j e les vois venir et me remettre leurs inquiétudes et attendre

de moi j e ne sais quoi qui les alimentera de lumière et de certitude.- Cela épouvanterait déjà si Ton était digne... Mais quand on ne l'est pas, quand on découvre au fond de soi cette boue dont on enseigne aux autres le dégoût !... Et ce n'est pas fini ! Quelles révélations me réserve cette Régine ? Je dois aller la voir. Je retarde ce moment... » .

ANDRÉ CORTHIS.

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