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En vertu de l’article L

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Texte intégral

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Commentaire

Le Conseil constitutionnel se prononce sur les conditions dans lesquelles le président de l’Autorité de la concurrence peut réviser certaines mesures

prescrites par cette autorité

Décision n° 2018-702 QPC du 20 avril 2018 Société Fnac Darty

(Pouvoirs du président de l’Autorité de la concurrence en matière d’opérations de concentration)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 5 février 2018 par le Conseil d’État (décision nos 414654, 414657 du 1er février 2018) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la société Fnac Darty portant sur les mots « , des décisions de révision des mesures mentionnées aux III et IV de l’article L. 430-7 ou des décisions nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures » figurant à la seconde phrase du dernier alinéa de l’article L. 461-3 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Dans sa décision n° 2018-702 QPC du 20 avril 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré ces mots conformes à la Constitution.

I. – Les dispositions contestées

A. – Historique et objet des dispositions contestées 1. – Généralités

L’Autorité de la concurrence (ADLC) est une autorité administrative indépendante (AAI) créée par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.

En vertu de l’article L. 461-1 du code de commerce, elle se compose d’un collège de dix-sept membres nommés, pour une durée de cinq ans renouvelable une fois, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’économie. Son président est

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nommé par décret du Président de la République en raison de ses compétences dans les domaines juridique et économique. Quatre vice-présidents sont désignés parmi les membres du collège. Le président et les vice-présidents exercent leurs fonctions à plein temps (premier alinéa de l’article L. 461-2).

L’Autorité dispose de services d’instruction qui procèdent aux investigations, dirigés par un rapporteur général nommé par le ministre chargé de l’économie après avis du collège. Le rapporteur général désigne des rapporteurs généraux adjoints, des rapporteurs et des enquêteurs des services d’instruction (article L. 461-4).

L’ADLC est chargée de veiller au libre jeu de la concurrence (article L. 461-1 du code de commerce). Elle doit notamment contrôler les opérations de concentration économique, régies par les articles L. 430-1 à L. 430-10 du même code. Au-delà de certains seuils définis à l’article L. 430-2, ces opérations doivent, avant leur réalisation, être notifiées à l’ADLC afin de lui permettre de vérifier l’absence d’atteinte à la concurrence. L’Autorité peut également être saisie par le ministre chargé de l’économie, soit pour qu’elle procède à un examen approfondi de l’opération, soit pour qu’elle se prononce sur des manquements aux engagements pris par une entreprise après que le ministre a évoqué l’affaire pour des motifs d’intérêt général autres que le maintien de la concurrence. L’ADLC peut également se saisir d’office sur proposition de son rapporteur général.

La procédure devant l’ADLC se déroule en deux phases : l’instruction, qui se déroule sous l’autorité du rapporteur général, et la délibération, pour laquelle l’ADLC siège soit en formation plénière, soit en sections1, soit en commission permanente (composée du président et des quatre vice-présidents). Ces formations délibèrent à la majorité des membres présents et selon des règles de quorum fixées par le règlement intérieur. En cas de partage des voix, celle du président de la formation est prépondérante (article L. 461-3).

2.– Les pouvoirs du président de l’ADLC prévus à l’article L. 461-3 du code de commerce

Initialement, le dernier alinéa de l’article L. 461-3 du code de commerce disposait :

« Le président, ou un vice-président désigné par lui, peut adopter seul les décisions prévues à l’article L. 462-8, ainsi que celles prévues aux articles L. 464-2 à

1 Le nombre et la composition des sections, qui comportent au moins trois membres, sont fixés par le président de l’Autorité de la concurrence (article R. 461-6). Une section peut à tout moment décider le renvoi d’une affaire en formation plénière (article R. 461-7). En vertu de l’article 37 du règlement intérieur de l’ADLC, il appartient au président de décider à quelle formation l’affaire est renvoyée.

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L. 464-6 quand elles visent des faits dont l’Autorité de la concurrence a été saisie par le ministre en application du quatrième alinéa de l’article L. 464-9. Il peut faire de même s’agissant des décisions prévues à l’article L. 430-5 ».

Ces dispositions étaient issues de l’article 2 de l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence et de l’article 139 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures (qui a ratifié l’ordonnance et apporté des modifications de précision aux dispositions en cause). Le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution (avec l’ensemble de l’article L. 461-3) dans sa décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 20122.

* Le 8° de l’article 215 de la loi du 6 août 2015 précitée les a ensuite complétées, pour y ajouter les « décisions de révision des mesures mentionnées aux III et IV de l’article L. 430-7 » et les « décisions nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures ». Ces dispositions n’ont pas été contrôlées par le Conseil constitutionnel lorsqu’il a statué sur cette loi3.

Ainsi, en matière de contrôle des opérations de concentration, le président peut adopter seul certaines décisions. Le contrôle de l’ADLC en la matière se déroule, selon les cas, en une ou deux phases. La première, dite « phase 1 », correspond à un examen rapide de l’opération, dans les conditions prévues à l’article L. 430-5. Si, à l’issue de ce contrôle, « subsiste un doute sérieux d’atteinte à la concurrence », s’ouvre une phase d’« examen approfondi », dite « phase 2 », régie par l’article L. 430-7, qui consiste à déterminer si l’opération est « de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d’une position dominante ou par création ou renforcement d’une puissance d’achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique » et « si l’opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence » (premier alinéa de l’article L. 430-6). Cet examen approfondi peut également être demandé par le ministre chargé de l’économie (paragraphe I de l’article L. 430-7-1).

Dans la phase 1, l’opération peut donner lieu, en application de l’article L. 430-5 :

2 Décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autre (Autorité de la concurrence : organisation et pouvoir de sanction).

3 Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

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– soit à une décision motivée de l’ADLC constatant que cette opération ne répond pas à la définition de la concentration économique (deuxième alinéa du paragraphe III) ;

– soit à une autorisation de l’opération, le cas échéant assortie de la réalisation effective des engagements pris par les parties (troisième alinéa du paragraphe III).

Les conditions dans lesquelles sont pris ces engagements sont fixées au paragraphe II, qui permet alors à l’Autorité d’ajuster les délais d’examen de l’opération ;

– soit, en cas de doute sérieux d’atteinte à la concurrence, à l’ouverture d’une phase d’examen approfondi (phase 2).

En application du dernier alinéa de l’article L. 461-3, et avant même l’intervention de la loi du 6 août 2015, chacune de ces décisions peut ainsi être prise par le président ou un vice-président de l’ADLC désigné par lui.

Dans la phase 2, l’opération peut donner lieu, en application de l’article L. 430-7 :

– soit à une décision d’interdiction, accompagnée le cas échéant d’une injonction « de prendre toute mesure propre à rétablir une concurrence suffisante » (deuxième alinéa du paragraphe III) ;

– soit à une décision d’autorisation « enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante » ou « les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence » (troisième alinéa du même paragraphe III) ;

– soit à une décision d’autorisation, éventuellement subordonnée à la réalisation d’engagements de l’entreprise (paragraphe IV). Les conditions dans lesquelles sont pris ces engagements sont fixées au paragraphe II, qui permet alors à l’Autorité d’ajuster les délais d’examen de l’opération.

Ces différentes décisions doivent être prononcées par une des formations collégiales de l’ADLC, ainsi que l’a explicitement jugé le Conseil d’État le 23 décembre 2013 dans sa décision Sociétés M6 et TF1 : « il résulte des dispositions combinées des articles L. 430-7, L. 461-1 et L. 461-3 du code de commerce que les décisions prévues à l’article L. 430-7 doivent être adoptées par l’Autorité de la concurrence siégeant soit en formation plénière, soit en sections, soit en

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commission permanente »4. Le juge administratif conclut d’ailleurs, en l’espèce, à la violation de l’exigence de collégialité et annule la décision de l’ADLC attaquée5.

Dans une décision Société NC Numericable du 21 mars 20166, saisi d’un grief contestant une prise de position de la commission permanente de l’Autorité de la concurrence modifiant la portée pratique d’une injonction prononcée auparavant, le Conseil d’État a ensuite précisé que cette autorité tire de l’article L. 430-7 la faculté de modifier les injonctions, engagements ou prescriptions figurant dans une décision d’autorisation de concentration « pour en réduire ou même en supprimer la portée en fonction de l’évolution de la situation des marchés pertinents et de l’utilité de la poursuite de l’exécution » de ces mesures : « il suit de là qu’elle peut également, dans les mêmes conditions, modifier la portée pratique de ces engagements, injonctions ou prescriptions ».

Depuis la loi du 6 août 2015 précitée, en application des dispositions objet de la QPC, le président ou un vice-président peut prendre les décisions de révision des mesures mentionnées aux paragraphes III et IV de l’article L. 430-7, régissant la phase 2, et les décisions nécessaires à la mise en œuvre de ces mêmes mesures.

Les « mesures » en cause ne doivent pas être confondues avec les décisions d’interdiction ou d’autorisation elles-mêmes. Le président ne peut donc pas changer le sens de ces décisions, par exemple en substituant une interdiction à une autorisation ou en remplaçant une autorisation sous réserve d’injonctions par une autorisation sous réserve d’engagements.

Le terme « mesures » renvoie en revanche aux engagements, injonctions et prescriptions dont peuvent être assorties les décisions prises par l’ADLC7 : engagements liés à une autorisation8 ; injonctions prononcées en plus d’une interdiction9 ; injonctions ou prescriptions accompagnant une autorisation10. En

4 CE, ass., 23 décembre 2013, Sociétés M6 et TF1, n° 363702, cons. 4.

5 Ibid., cons. 8.

6 CE, ass., 21 mars 2016, Société NC Numericable, n° 390023. Les dispositions ajoutées par la loi du 6 août 2015 n’étaient pas applicables au litige, qui portait sur des faits antérieurs à leur entrée en vigueur.

7 Voir en ce sens le rapport n° 2498 de M. Richard Ferrand et autres (AN – XIVe législature) fait au nom de la commission spéciale de l’Assemblée nationale en première lecture, tome I, volume 2, déposé le 19 janvier 2015, p. 448.

8 Paragraphe IV de l’article L. 430-7.

9 Deuxième alinéa du paragraphe III de l’article L. 430-7.

10 Troisième alinéa du paragraphe III de l’article L. 430-7.

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pratique, ces mesures correctives consistent à céder des activités, à supprimer des liens structurels entre concurrents, à créer de nouvelles capacités, à donner l’accès à des réseaux, infrastructures, licences, brevets, marques ou technologies, à résilier ou modifier des contrats d’exclusivité, à aménager les conditions de distribution ou d’approvisionnement d’un produit, à encadrer des comportements commerciaux etc.

Quant aux décisions « nécessaires à la mise en œuvre » de ces mesures, elles peuvent consister par exemple à agréer ou à refuser d’agréer l’acquéreur d’un actif dont l’entreprise doit se séparer ou d’un mandataire chargé de surveiller la bonne exécution des mesures et d’en rendre compte à l’ADLC.

Ainsi, ces décisions de révision et de mise en œuvre des engagements, injonctions et prescriptions existaient avant 2015, sans base légale expresse, mais ne pouvaient être prises que par une formation collégiale de l’ADLC. Depuis la loi du 6 août 2015, elles peuvent être prises soit par une formation collégiale, soit par le président ou un vice-président.

* Ces prérogatives supplémentaires confiées au président de l’ADLC ont été introduites devant l’Assemblée nationale, en première lecture, à l’initiative du Gouvernement, afin d’« habiliter le président à prendre seul les mesures de révision (le plus souvent il s’agit de prolongation des délais) ou de mise en œuvre des engagements ou injonctions de phase 2 (le plus souvent il s’agit de l’agrément du mandataire ou de l’agrément des repreneurs) »11. Le Sénat a ensuite supprimé les dispositions relatives aux décisions de révision (pour ne conserver que celles relatives aux décisions de mise en œuvre), au motif que « La rédaction adoptée par l’Assemblée nationale ne se limite pas, néanmoins, à ces cas de figure, mais accorde au président un pouvoir général de révision, sans distinction, qui pourrait lui permettre de remettre en cause de façon substantielle une décision prise par l’Autorité. Une révision peut parfois porter sur des aspects importants susceptibles de remettre en cause la décision initiale »12.

En nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale, le Gouvernement a obtenu leur rétablissement, arguant de ce que les décisions en cause « reflètent la vie des engagements et le fait que des circonstances indépendantes des parties peuvent les conduire à ne pas pouvoir respecter la contrainte de délai défini ex ante au moment de la décision d’autorisation. / Contraindre l’Autorité de la concurrence à une

11 Exposé sommaire de l’amendement SPE1539 présenté par le Gouvernement devant la commission spéciale.

12 Rapport n° 541 (Sénat – 2014-2015) de Mmes Catherine Deroche et Dominique Estrosi Sassone et M. François Pillet fait au nom de la commission spéciale en nouvelle lecture, tome I, déposé le 23 juin 2015, p 179.

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délibération collégiale avant l’adoption de chacune de ces décisions, comme c’est aujourd’hui le cas pour des révisions de décisions d’autorisation prises après examen approfondi (article L. 430-7 du code de commerce), est un facteur de lourdeur administrative et obère les capacités de réaction de l’Autorité dans des cas où la réalité du temps économique s’impose avec une particulière acuité »13.

En cas d’inexécution des engagements, prescriptions ou injonctions, l’entreprise encourt non seulement le retrait de la décision autorisant l’opération, mais aussi des injonctions sous astreinte et des sanctions pécuniaires dans la limite, pour les personnes morales, de 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France et, pour les personnes physiques, de 1,5 million d’euros (paragraphe IV de l’article L. 430-8). Si l’opération de concentration a été réalisée en contravention des décisions prises en application de l’article L. 430-7, l’ADLC enjoint sous astreinte aux parties de revenir à l’état antérieur à la concentration et peut infliger les mêmes sanctions pécuniaires (paragraphe V du même article). Ces différentes mesures sanctionnatrices ne peuvent être prises que par une formation collégiale de l’ADLC.

B. – Origine de la QPC et question posée

Le 17 février 2016, le groupe Fnac a notifié à l’Autorité de la concurrence son projet d’acquisition de la société Darty. Celui-ci a fait l’objet d’un examen approfondi, au sens des articles L. 430-6 et L. 430-7 du code de commerce, par l’ADLC. À cette occasion, le groupe Fnac s’est engagé à céder six points de vente à Paris et en région parisienne. L’ADLC a autorisé l’opération le 27 juillet 2016 sous réserve de la réalisation effective de ces engagements. La société devenue « Fnac Darty » a demandé à l’ADLC d’agréer l’un des potentiels repreneurs de certains points de vente et de prolonger les délais d’exécution de ses engagements.

La présidente de l’ADLC a rejeté ces demandes par deux décisions du 28 juillet 2017, faisant ainsi application de la faculté qu’elle tient du dernier alinéa de l’article L. 461-3 du code du commerce. Par une troisième décision du même jour, la présidente a également mis fin à la mission du mandataire indépendant chargé du suivi des engagements pris par la société.

13 Exposé sommaire de l’amendement SPE492 présenté par le Gouvernement devant la commission spéciale.

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La société a contesté ces décisions devant le Conseil d’État et a soulevé une QPC portant sur les dispositions de la dernière phrase de l’article L. 461-3 du code de commerce qui ont été ajoutées par le 8° de l’article 215 de la loi du 6 août 2015 précitée. Par la décision précitée du 1er février 2018, le Conseil d’État l’a renvoyée au Conseil constitutionnel au motif que « Le moyen tiré de ce [que ces dispositions]

portent atteinte aux droits et liberté garantis par la Constitution, notamment au principe constitutionnel d’égalité devant la loi protégé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et faute pour lui d’avoir apporté les garanties légales nécessaires à l’exercice des libertés en cause, notamment la liberté d’entreprendre, à l’obligation qui incombe au législateur d’exercer pleinement sa compétence, soulève une question présentant un caractère sérieux ».

Le Conseil constitutionnel a requalifié la saisine comme portant sur les mots « , des décisions de révision des mesures mentionnées aux III et IV de l’article L. 430-7 ou des décisions nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures » figurant à la seconde phrase du dernier alinéa de l’article L. 461-3 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015.

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

La société requérante reprochait aux dispositions contestées de permettre au président de l’ADLC de prendre seul les décisions de révision et de mise en œuvre des engagements, injonctions et prescriptions décidés par cette Autorité dans le cadre de l’examen approfondi des opérations de concentration économique. En ne garantissant pas que ces décisions soient prises collégialement, le législateur avait, selon elle, méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions de nature à affecter la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle et le droit de propriété. La société requérante soutenait également qu’en conférant au président de l’ADLC le pouvoir de décider discrétionnairement de prendre seul les décisions en cause ou de les renvoyer à une formation collégiale, le législateur avait permis de traiter différemment des entreprises se trouvant pourtant dans la même situation. Il en résultait, à ses yeux, une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

A. – Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi

La société requérante se prévalait de la jurisprudence constitutionnelle encadrant la faculté de confier un litige à un juge unique : si son grief était fondé sur l’égalité devant la loi, il s’inspirait en réalité de la jurisprudence relative à l’égalité devant la

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justice14, qui est celle qui a principalement développé la question des alternatives procédurales et qui implique d’assurer au justiciable des garanties égales.

Toutefois, le Conseil constitutionnel n’a jamais appliqué le principe d’égalité devant la justice pour juger de procédures relatives à des AAI rendant des décisions ne participant pas d’une procédure juridictionnelle ou n’aboutissant pas au prononcé de sanctions ayant le caractère d’une punition.

Dès lors, c’est sur le classique terrain du principe d’égalité devant la loi (paragr. 3) que le Conseil constitutionnel a contrôlé les dispositions relatives aux pouvoirs du président de l’ADLC dans le cadre de l’examen approfondi des opérations de concentration (paragr. 4 et 5). Rappelant l’objet de la loi, le Conseil constitutionnel a jugé qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer l’exécution effective et rapide des décisions de l’Autorité de la concurrence en matière de contrôle des opérations de concentration, « en permettant à son président, ou à un vice-président, de décider seul lorsque l’affaire ne présente pas de difficultés particulières ou lorsque des exigences de délai le justifient » (paragr.

6). Contrairement à ce qu’indiquait la société requérante, les dispositions ne conféraient donc pas au président, en lui permettant de choisir entre prendre la décision seul et renvoyer l’affaire devant une formation collégiale de l’Autorité de la concurrence, un pouvoir totalement discrétionnaire.

Le Conseil constitutionnel en a conclu que « les dispositions contestées n’instaurent aucune différence de traitement entre les personnes intéressées par les décisions en cause. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté » (paragr. 7).

B. – Le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre 1. – La jurisprudence du Conseil constitutionnel

* Depuis sa décision n° 2000-439 DC du 16 janvier 2001, le Conseil constitutionnel juge qu’« il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme

14 En particulier, les décisions n° 75-56 DC du 23 juillet 1975, Loi modifiant et complétant certaines dispositions de procédure pénale spécialement le texte modifiant les articles 398 et 398-1 du code de procédure pénale, cons. 2 à 7 et n° 2010-54 QPC du 14 octobre 2010, Union syndicale des magistrats administratifs (Juge unique), cons. 2, 4 et 5.

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et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi »15. Par conséquent, toute limitation de cette liberté doit être justifiée par une exigence constitutionnelle ou par un motif d’intérêt général.

La liberté d’entreprendre recouvre à la fois la liberté d’accéder à une profession ou une activité économique16 et la liberté dans l’exercice de cette profession et de cette activité17.

Le Conseil reconnaît généralement une large marge d’appréciation au législateur.

La liberté d’entreprendre peut ainsi être limitée au nom d’un objectif de valeur constitutionnelle tel que le droit de disposer d’un logement décent 18, pour des raisons d’ordre public19, de protection de la santé20, au nom des droits sociaux résultant du Préambule de 194621 ou pour certains motifs d’intérêt général, comme, par exemple, le développement de laboratoires de biologie médicale intégrés aux établissements de santé et la mutualisation de leurs moyens22.

Le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître d’atteintes portées à la liberté d’entreprendre par des dispositions visant à favoriser la concurrence.

Dans sa décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, à propos de dispositions permettant au ministre de réprimer les pratiques contractuelles restrictives de concurrence, il a considéré « qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a attribué à l’autorité publique un pouvoir d’agir pour faire cesser des pratiques restrictives de concurrence mentionnées au même article, constater la nullité de clauses ou contrats illicites, ordonner le remboursement des paiements indus faits en application des clauses annulées, réparer les dommages qui en ont résulté et prononcer une amende civile contre l’auteur desdites pratiques ;

15 Décision no 2000-439 DC du 16 janvier 2001, Loi relative à l’archéologie préventive, cons. 10.

16 Décision n° 2011-139 QPC du 24 juin 2011, Association pour le droit à l’initiative économique (Conditions d’exercice de certaines activités artisanales).

17 Décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012, M. Christian S. (Obligation d’affiliation à une corporation d’artisans en Alsace-Moselle), cons. 7.

18 Décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015, Société SAUR SAS (Interdiction d’interrompre la distribution d’eau dans les résidences principales), cons. 4 à 10.

19 Décision n° 2011-132 QPC du 20 mai 2011, M. Ion C. (Incapacité et interdiction d’exploiter un débit de boissons), cons. 7.

20 Décision n° 2011-139 QPC précitée, cons. 3 à 8.

21 Décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, Société SOMODIA (Interdiction du travail le dimanche en Alsace- Moselle), cons. 6 à 8.

22 Décision n° 2014-434 QPC du 5 décembre 2014, Société de laboratoires de biologie médicale Bio Dômes Unilabs SELAS [Tarif des examens de biologie médicale), cons. 6.

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qu’ainsi, il a entendu réprimer ces pratiques, rétablir un équilibre des rapports entre partenaires commerciaux et prévenir la réitération de ces pratiques ; qu’eu égard aux objectifs de préservation de l’ordre public économique qu’il s’est assignés, le législateur a opéré une conciliation entre le principe de la liberté d’entreprendre et l’intérêt général tiré de la nécessité de maintenir un équilibre dans les relations commerciales ; que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre par les dispositions contestées n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi »23.

De même, saisi des dispositions relatives aux prérogatives de l’ADLC dans le cadre d’une opération de concentration, lui permettant notamment de retirer une autorisation déjà délivrée, le Conseil a jugé, dans sa décision n° 2012-280 QPC précitée :

« Considérant, en premier lieu, qu’en adoptant les dispositions du paragraphe IV de l’article L. 430-8 du code de commerce, le législateur a attribué à l’Autorité de la concurrence, en cas d’inexécution d’une injonction, d’une prescription ou d’un engagement figurant dans une décision autorisant une opération de concentration, la faculté de retirer la décision ayant autorisé la réalisation de l’opération de concentration et d’infliger une sanction pécuniaire aux personnes auxquelles incombait l’obligation non exécutée ; que le retrait de la décision autorisant l’opération de concentration est applicable uniquement lorsque cette autorisation a été accordée sous condition ; que lorsque la décision ayant autorisé l’opération est retirée, à moins de revenir à l’état antérieur à la concentration, les parties sont tenues de notifier à nouveau l’opération de concentration à l’Autorité de la concurrence dans un délai d’un mois à compter du retrait de l’autorisation, sauf à s’exposer à d’autres sanctions ; que par ces dispositions, le législateur a entendu assurer le respect effectif des injonctions, prescriptions ou engagements dont sont assorties les autorisations de concentration ;

« Considérant, en second lieu, que les sanctions prévues par le paragraphe IV de l’article L. 430-8 du code de commerce ne sont encourues que lorsqu’une opération de concentration est autorisée "en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une

23 Décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, Société Système U Centrale Nationale et autre (Action du ministre contre des pratiques restrictives de concurrence), cons. 5.

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contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence" ; qu’en outre, en vertu du premier alinéa de l’article L. 462-7 du même code : "L’Autorité ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s’il n’a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction" ; qu’enfin les décisions prises par l’Autorité de la concurrence sur le fondement du paragraphe IV de l’article L. 430-8 peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel ; qu’il appartient au juge, saisi d’un tel recours, de s’assurer du bien-fondé de la décision ;

« Considérant que les dispositions contestées relatives au contrôle des opérations de concentration ont pour objet d’assurer un fonctionnement concurrentiel du marché dans un secteur déterminé ; qu’en les adoptant, le législateur n’a pas porté au principe de la liberté d’entreprendre une atteinte qui ne serait pas justifiée par les objectifs de préservation de l’ordre public économique qu’il s’est assignés et proportionnée à cette fin ; que, par suite, le grief tiré de l’atteinte à la liberté d’entreprendre doit être écarté »24 .

2. – L’application à l’espèce

La société requérante reprochait uniquement au législateur de n’avoir pas garanti qu’une formation collégiale de l’ADLC statue sur la révision et sur la mise en œuvre des engagements, injonctions et prescriptions décidés dans le cadre de l’examen approfondi d’une opération de concentration. Elle n’invoquait aucune autre garantie légale que celle que constituait, selon elle, la collégialité de la décision. Le Conseil constitutionnel s’est, dès lors, placé sur le terrain de la méconnaissance directe de la liberté d’entreprendre plutôt que sur celui de l’incompétence négative affectant cette même liberté.

Après avoir rappelé sa formulation de principe relative à la liberté d’entreprendre, il a recherché l’objectif poursuivi par le législateur en rappelant l’objet de la loi, à la lumière de ce qu’il avait jugé dans sa décision n° 2012-280 QPC précitée : « en adoptant les dispositions contestées, le législateur (…) a entendu assurer l’exécution effective et rapide des décisions de l’Autorité de la concurrence en matière de contrôle des opérations de concentration. Ces décisions ont pour objet d’assurer un fonctionnement concurrentiel du marché dans un secteur déterminé.

Ce faisant, le législateur a poursuivi un objectif d’intérêt général » (paragr. 9).

Puis, il a procédé à l’examen de l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre par le fait que les décisions en cause pouvaient être prises par le président de l’Autorité de

24 Décision n° 2012-280 QPC précitée, cons. 9, 10 et 11.

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la concurrence plutôt que par une formation collégiale. Il a d’abord rappelé la portée strictement définie des dispositions, qui permettent au président ou à un vice-président « de réviser ou de mettre en œuvre, dans le respect des décisions d’autorisation ou d’interdiction d’une opération de concentration, les engagements, injonctions et prescriptions dont ces décisions [d’autorisation ou d’interdiction d’une opération de concentration] peuvent être assorties » (paragr. 10). Il a ensuite relevé que le président et les vice-présidents de l’Autorité sont dotés « des garanties statutaires équivalentes à celles des autres membres de cette autorité » (même paragr.). Enfin, il a souligné que « la liberté d’entreprendre n’impose pas que les décisions en cause soient prises par une autorité collégiale » (même paragr.).

Le Conseil constitutionnel en a conclu que « les dispositions contestées ne portent ainsi pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre au regard de l’objectif poursuivi » (paragr. 11).

Enfin, après avoir également écarté les griefs tirés de l’incompétence négative, de la liberté contractuelle et du droit de propriété, il a déclaré conformes à la Constitution les mots « , des décisions de révision des mesures mentionnées aux III et IV de l’article L. 430-7 ou des décisions nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures » figurant à la seconde phrase du dernier alinéa de l’article L. 461-3 du code de commerce (paragr. 12).

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