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Traitement fiscal d'une indemnité en cas de renonciation à une servitude

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Traitement fiscal d'une indemnité en cas de renonciation à une servitude

LIEGEOIS, Fabien

Abstract

Le problème posé était le suivant: du point de vue de l'impôt sur le revenu, comment traiter une indemnité versée en échange d'une renonciation à un usufruit portant sur un immeuble?

Avant d'en venir aux faits, souvenons-nous que l'article 16 alinéa 1 LIFD a la teneur suivante:

«L'impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu'ils soient uniques ou périodiques.» Cette disposition doit être lue en relation avec la liste énumérative de revenus imposables (LIFD 16 II et 17 à 23) et la liste exhaustive des revenus exonérés (LIFD 16 III, 20 I a in fine et 24). Bien compris, le système force ainsi l'interprète à conclure que tout excédent qui n'est pas expressément exonéré (re)tombe dans la clause générale. Au lieu d'une définition légale, le législateur fiscal a préféré une approche fonctionnelle du revenu

LIEGEOIS, Fabien. Traitement fiscal d'une indemnité en cas de renonciation à une servitude.

Revue de droit administratif et de droit fiscal , 2017, vol. II, p. 509

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:116593

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RDAF 2017 II p. 509

Autor Fabien Liégeois

Titel Traitement fiscal d’une indemnité en cas de renonciation à une servitude

Seiten 509-516

Publikation Revue de droit fiscal

Herausgeber Association Henri Zwahlen pour le développement du droit administratif et du droit fiscal

Verlag Association Henri Zwahlen

RDAF 2017 II p. 509

Traitement fiscal d’une indemnité en cas de renonciation à une servitude

Fabien Liégeois

Docteur en droit, avocat, LL.M. de la Chicago Law School

Dans un arrêt 2C_82/2017 et 2C_83/2017 du 21 juin 2017 (ATF 143 II 402), le Tribunal fédéral a donné quelques éléments de délimitation intéressants entre la clause générale du revenu (LIFD 16 I), le gain en capital (LIFD 16 III) et les indemnités obtenues en échange de la renonciation à l'exercice d'un droit (LIFD 23 d).

1. Introduction

Le problème posé était le suivant: du point de vue de l’impôt sur le revenu, comment traiter une indemnité versée en échange d’une renonciation à un usufruit portant sur un immeuble?

Avant d’en venir aux faits, souvenons-nous que l’article 16 alinéa 1 LIFD a la teneur suivante:

«L’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques.»

Cette disposition doit être lue en relation avec la liste énumérative de revenus imposables (LIFD 16 II et 17 à 23) et la liste exhaustive des revenus exonérés (LIFD 16 III, 20 I a in fine et 24). Bien compris, le système force ainsi l’interprète à conclure que tout excédent qui n’est pas expressément exonéré (re)tombe dans la clause générale. Au lieu d’une définition légale, le législateur fiscal a préféré une approche fonctionnelle du revenu1.

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2. Les faits de la cause

Un contribuable domicilié dans le canton du Valais (ci-après: «Monsieur X») participe en 1998 au financement du bien immobilier de sa concubine. Celle-ci peut alors acquérir un immeuble à Genève, dont elle devient propriétaire à raison de 50% et nue-propriétaire à raison de 50%. Par le même acte, un usufruit est octroyé à Monsieur X sur la moitié de l’immeuble.

1 Pour plus de détails à ce sujet, voir infra 3.

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A la suite de leur séparation, Monsieur X obtient en 2013 une indemnité d’environ CHF 700'000 en échange de la radiation de la servitude qui grève l’immeuble de son ex-concubine.

Le Service cantonal des contributions du canton du Valais taxe Monsieur X sur cette indemnité, considérée comme un revenu imposable pour la période 2013. Le contribuable conteste ce point de vue jusqu’au Tribunal fédéral. Selon lui, le versement obtenu pour avoir renoncé à son usufruit n’est pas un revenu imposable.

3. Les motifs de l’arrêt

3.1. En fait: un accroissement (net) du patrimoine?

Le Tribunal fédéral commence par souligner que l’article 16 alinéa 1 LIFD «exprime» le concept de

«l’accroissement du patrimoine». Cette disposition vise «un montant net. Il [le montant net] correspond à l'excédent de l'ensemble des entrées patrimoniales par rapport à l'ensemble des sorties sur une même période fiscale»2.

En l’espèce, le Tribunal fédéral ne connaît pas la valeur de l’usufruit. Elle n’a pas été établie par l’instance précédente. Par conséquent, il ne peut pas déterminer si Monsieur X a bénéficié d’un accroissement de fortune lorsqu’il y a renoncé. La réponse à cette question peut néanmoins rester ouverte dans la mesure où l’indemnité va être qualifiée de revenu exonéré.

3.2. En droit: la qualification de l’élément examiné

Que l’on constate un accroissement du patrimoine du contribuable ou non, il y a lieu de se demander comment qualifier l’élément examiné: le revenu est-il exonéré ou imposable? La qualification (ou délimitation) de l’élément examiné constitue en général la deuxième étape du raisonnement. Dans le cas particulier, c’est la seule question à trancher puisque le pouvoir de cognition du Tribunal fédéral ne lui

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permet pas dire si l’indemnité qu’a reçue Monsieur X est supérieure ou inférieure à la valeur capitalisée de l’usufruit (question de fait) et donc s’il s’est enrichi.

Comme le droit auquel Monsieur X renonce contre une indemnité appartient à sa fortune privée, celui-ci défend la position selon laquelle le résultat de l’opération (l’éventuel excédent) doit être qualifié de gain en capital exonéré. L’article 16 alinéa 3 LIFD prévoit que «les gains en capital réalisés lors de l'aliénation d'éléments de la fortune privée ne sont pas imposables».

Techniquement, la question devient la suivante: la renonciation de Monsieur X à son usufruit correspond-elle à une aliénation au sens de l’article 16 alinéa 3 LIFD?

Cela ne va pas de soi. Cette disposition introduit en effet une exception au principe de l’imposition selon la capacité économique; il faut dès lors l’interpréter restrictivement3. En même temps, l’usufruit est une servitude personnelle «proprement dite» dont la particularité est d’être incessible et intransmissible4. L’usufruitier use de la chose, en jouit et la gère, sans pouvoir en disposer. Il faut au demeurant noter que la servitude ne s’éteint que de trois manières (CC 748 II):

i. Echéance du terme;

ii. Renonciation, ou;

iii. Décès de l’usufruitier.

Cela signifie que Monsieur X ne pouvait ni aliéner l’objet (immeuble) ni le droit (usufruit). Et pourtant, il a

«diminué son patrimoine d'un élément ayant une certaine valeur contre une somme d'argent»5. Il faut ainsi admettre que la renonciation à l’usufruit valait aliénation. Par conséquent, l’indemnité peut être qualifiée de gain en capital exonéré de l’impôt sur le revenu.

2 Arrêt du TF 2C_82/2017 et 2C_83/2017 du 21 juin 2017 consid. 5.2.

3 Arrêt du TF 2C_82/2017 et 2C_83/2017 du 21 juin 2017 consid. 5.3.

4 Arrêt du TF 2C_82/2017 et 2C_83/2017 du 21 juin 2017 consid. 6.2 et les références citées.

5 Arrêt du TF 2C_82/2017 et 2C_83/2017 du 21 juin 2017 consid. 6.5.

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3.3. La délimitation par rapport à la renonciation à l'exercice d'un droit

Retenir cette qualification, c’est exclure l’application de l’article 23 lettre d LIFD aux termes duquel: «les indemnités obtenues en échange de la renonciation à l'exercice d'un droit» sont imposables. Pour délimiter l’objet examiné, le Tribunal fédéral a ainsi précisé que cette dernière disposition «ne vise pas à imposer les gains en capital issus de la renonciation onéreuse à un bien de la fortune privée [...]»6.

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L’article 23 lettre d LIFD concerne uniquement les rendements, c’est-à-dire des accroissements du patrimoine (revenus) qui ne s’accompagnent pas d’une atteinte à la substance du bien ou du droit qui les génèrent7.

En l’occurrence, l’indemnité qu’a perçue Monsieur X s’est substituée à un élément de son patrimoine. A l’issue de l’opération, son droit n’existait plus. Le gain en capital suppose en effet que «le bien [ou le droit]

aliéné quitte la fortune de la personne concernée et en diminue la substance, jusqu'à réception de la contreprestation»8. Cela étant, les circonstances qui ont présidé à l’obtention du droit, telles que l’année, la cause du transfert et les modalités de financement, sont sans pertinence pour juger l’opération de 2013. En l’absence de rendement, l’application de l’article 23 lettre d LIFD peut ainsi être écartée.

4. Eléments d’appréciation

4.1. Théorie de l’accroissement net du patrimoine

Encore une fois, le Tribunal fédéral se réfère explicitement à la théorie de l’accroissement du patrimoine pour déterminer le revenu de l’article 16 alinéa 1 LIFD. Il devient dès lors difficile d’en ignorer l’importance au moment d’interpréter la clause générale9. Mais, il y a mieux: le droit cédé faisait en l’occurrence partie de la fortune privée du contribuable. Plusieurs décisions confirment ainsi l’application de cette conception théorique du revenu, indépendamment du système auquel est soumis le contribuable (fortune privée ou fortune commerciale)10.

La théorie de l’accroissement (net) du patrimoine ou Reinvermögenszugangstheorie constitue en effet un outil approprié pour cerner l’objet que vise la loi, à savoir un revenu global net11. Le surplus de richesse auquel a accès le contribuable au cours de la période d’exa-

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6 Arrêt du TF 2C_82/2017 et 2C_83/2017 du 21 juin 2017 consid. 5.3.

7 En ce sens, arrêt du TF 2C_82/2017 et 2C_83/2017 du 21 juin 2017 consid. 5.3 et la doctrine citée.

8 Arrêt du TF 2C_82/2017 et 2C_83/2017 du 21 juin 2017 consid. 5.3 et la référence citée.

9 En ce sens, Blumenstein Ernst/Locher Peter (2016), System des schweizerischen Steuerrechts, 7e éd., Zurich, § 11 p. 204 et s.

10 Pour d’autres décisions, voir ATF 142 II 197 consid. 5.1 p. 200, 139 II 363 consid. 2.1 publié à la RDAF 2013 II 607 p.

608, 131 I 409 consid. 4.1 p. 413, 125 II 113 consid. 4a p. 119; arrêts du TF 2C_439/2015 et 2C_440/2015 du 21 janvier 2016 consid. 2, 2C_368/2013 et 2C_369/2013 du 2 février 2014 consid. 5.1 publié à la RDAF 2014 II 555 p.

562, 2C_711/2012 du 20 décembre 2012 consid. 2.1, 2C_91/2012 du 17 août 2012 consid. 3.2, 2C_120/2008 et 2C_121/2008 du 13 août 2008 consid. 2.2 publié à la RDAF 2009 II 34 p. 37; pour une décision où le Tribunal fédéral jugeait qu’aucune théorie ne devait prédominer et qu’il fallait se montrer pragmatique «en s’inspirant des exemples énumérés dans la loi», voir ATF 117 Ib 1 consid. 1b publié à la RDAF 1993 28 p. 30.

11 ATF 136 I 65 consid. 5.3 publié à la RDAF 2010 II 22 p. 33, 133 I 206 consid. 11.1 publié à la RDAF 2007 II 505 p.

526 et s., 125 II 113 consid. 4a p. 119 et s; arrêts du TF 2C_276/2010 du 19 octobre 2010 consid. 3.1, 2A.103/2007 et 2C_715/2007 du 28 avril 2008 consid. 2.1 publié à la RDAF 2008 II 364 p. 368, 2A.425/2001 du 12 novembre 2002 consid. 3.1 publié aux Archives 73 p. 299/302 et s.

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men peut être appréhendé sans égard à la source dont il provient. L’approche est fonctionnelle plus que formelle: le revenu se compose de tout ce qui contribue à l’augmentation du patrimoine de l’individu au cours de la période envisagée12, sauf lorsque la loi exonère expressément l’avantage examiné.

4.2. Eléments de méthode

Pour mesurer la variation du patrimoine, on peut procéder de la façon suivante:

1. En premier lieu, constater l’état du patrimoine au commencement de la période (T.0);

2. En second lieu, faire la somme de l’ensemble des éléments qui accroissent le patrimoine de l’individu au cours de la période (T.0 à T+1);

3. En troisième lieu, soustraire de la somme obtenue les frais liés à l’acquisition des éléments donnant lieu à un accroissement, car le «surplus de patrimoine consommable» ou «revenu disponible» ne comprend pas les sommes engagées pour le dégager (T.0 à T+1);

4. En quatrième lieu, constater l’état du patrimoine au terme de la période (T+1);

5. En dernier lieu, faire la différence entre l’état du patrimoine au terme de la période et l’état du patrimoine au commencement de la période pour obtenir le montant théorique de revenu réalisé (T+1).

Le constat factuel (ou économique) de l’existence d’un enrichissement du contribuable est une condition sine qua non du revenu de l’article 16 alinéa 1 LIFD. Cela signifie par exemple qu’il n’y a pas d’élément imposable en cas de remboursement de frais ou de compensation du damnum emergens13.

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Une fois effectué le constat factuel, l’élément examiné (l’excédent) doit faire l’objet d’une qualification ou d’une délimitation en droit.

i. Selon les circonstances, l’excédent peut en effet être entièrement imposable. C’est le cas de l’indemnité que reçoit le contribuable-propriétaire en échange d’une renonciation à former opposition contre le projet de construction de son voisin14.

ii. L’élément examiné peut aussi recevoir un traitement privilégié. C’est le cas du dividende en cas de participation d’au moins 10% au capital d’une société de capitaux ou coopérative15.

iii. Le législateur peut enfin l’exonérer. Ce fut le cas de l’indemnité qu’a reçue Monsieur X, fut qualifiée de gain en capital.

Pour que l’avantage économique reçu soit qualifié de gain en capital, la substance doit être entamée sur une

«longue période» et de «manière illimitée»16. Dans une affaire où la question posée était, cette fois-là, celle de la qualification de la compensation reçue en échange de la constitution d’une servitude de passage, le Tribunal fédéral avait déjà insisté sur le critère de l’atteinte à la substance du droit pour fonder son opinion17. En l’occurrence, le contribuable faisait valoir l’inscription d’une servitude de passage au registre foncier comme événement entraînant la réalisation d’un gain en capital exonéré. Il s’appuyait ainsi sur la situation juridique pour convaincre les juges qu’il avait bien dû consentir à entamer la substance de son droit sur une longue période et de manière illimitée. Ceux-ci ne l’ont toutefois pas suivi au motif que l’existence d’un cas

12 von Schanz Georg (1896), «Der Einkommensbegriff und die Einkommensteuergesetze», Finanzarchiv 13, Stuttgart, p. 5 et p. 23; cette approche sera reprise par Haig Robert Murray (1921), «The Concept of Income – Economic and Legal Aspects», in: The Federal Income Tax, Haig Robert Murray (édit.), New York, p. 25: «Income is the money- value of the net accretion to one’s economic position between two points of time.». Puis, elle sera encore précisée par Simons Henry Calvet (1938), Personal Income Taxation: The Definition of Income as a Problem of Fiscal Policy, Chicago: «Personal income may be defined as the algebraic sum of (1) the market value of rights exercised in consumption and (2) the change in the value of the store of property rights between the beginning and end of the period in question.»; sur le concept de revenu comme accroissement net du patrimoine et les travaux de Schanz- Haig-Simons, voir Weidmann Markus (1996), Einkommensbegriff und Realisation: zum Zeitpunkt der Realisation von Ertrag und Einkommen im Handels- und Steuerrecht, thèse Zurich, p. 12-21.

13 Pour plus de précisions à propos des Schadenersatzleistungen, voir

Richner Felix/Frei Walter/Kaufmann Stefan/Meuter Hans Ulrich (2013), Kommentar zum Zürcher Steuergesetz, Zurich, Remarques préliminaires ad art. 16-39 N 27, ad art. 16 N 28 et ad art. 22 N 89; ég. ATF 132 II 128 consid.

3.1 p. 130 publié à la RDAF 2007 II 22 p. 24 et s., 117 Ib 1 consid. 2b p. 2 publié à la RDAF 1993 28 p. 30.

14 Voir à cet égard, arrêt du TF 2C_902/2013 et 2C_903/2013 du 11 juillet 2014 consid. 5.3 publié à la RDAF 2014 II 477 p. 483.

15 Sur le caractère arbitraire de la fixation d’un seuil de détention, voir not. ATF 136 I 65 consid. 5.5 publié à la RDAF 2010 II 22 p. 34 (arrêt Schaffhouse).

16 Arrêt du TF 2C_902/2013 et 2C_903/2013 du 11 juillet 2014 consid. 3.1 publié à la RDAF 2014 II 477 p. 480.

17 Arrêt du TF 2C_902/2013 et 2C_903/2013 du 11 juillet 2014 publié à la RDAF 2014 II 477.

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de réalisation (même partielle) au sens de l’article 16 alinéa 3 LIFD doit être évaluée au vu de «tous les faits prouvés, en tenant compte de leur réelle portée économique»18. Il fallait donc vérifier si l’inscription du droit avait véritablement constitué un «un acte de consommation de fortune»19. Or, étant donné que la servitude existait déjà de fait au moment où il a acquis la parcelle, le contribuable n’a pas effectivement procédé à un acte de réalisation en acceptant son inscription en échange d’une indemnité20. Il n’a pas aliéné un droit, mais monnayé sa formalisation en l’imposant à celui

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qui en jouissait déjà. D’un point de vue économique, il n’a donc pas diminué sa fortune en échange d’une contre-prestation, mais augmenté son pouvoir de disposer de la somme de CHF 20'000 reçue en échange de l’inscription des servitudes au registre foncier.

4.3. Superposition ou autonomie du droit fiscal

Au-delà de la conception théorique du revenu que privilégie le Tribunal fédéral, la problématique de la renonciation à une servitude illustre le type de raisonnement que nous impose le droit fiscal. Pour qualifier le revenu, il faut en effet tenir compte d’un rapport de base. En l’occurrence, il fallait raisonner à partir des caractéristiques de l’usufruit au sens du Code civil et en particulier de ses modalités d’extinction. Cela étant, l’examen aurait aussi pu porter sur les effets d’un contrat, l’interposition d’une personne morale ou un règlement de prévoyance. Dans chacune de ces situations, le rapport de base procède du droit privé ou du droit public. Ce qui est important, c’est que les caractéristiques propres à ces rapports de droit participent de l’appréciation fiscale, voire la déterminent21. Par exemple, lorsqu’un contrat de prêt est valablement conclu, le droit fiscal tire les conséquences (économiques) de la relation (juridique) établie: imposition des intérêts chez le créancier, d’une part, et déduction des intérêts chez le débiteur, d’autre part22. Lorsque l’autorité fiscale ou le juge se confrontent à un état de fait déjà connoté juridiquement, on peut dire que le droit fiscal

«se superpose» à un rapport de droit existant23. RDAF 2017 II p. 509, 516

Si l’organisation qu’a choisie le contribuable déploie, en règle générale, des effets sur le plan fiscal24, des garde-fous existent. L’autorité ou le juge peuvent s’écarter du rapport de base en particulier lorsque la norme comporte une «notion à rattachement économique»25. De telles normes exigent en effet une appréciation de l’ensemble des circonstances concrètes de la situation. Lorsque le droit fiscal s’appuie sur une notion ou

18 Arrêt du TF 2C_902/2013 et 2C_903/2013 du 11 juillet 2014 consid. 5.2 publié à la RDAF 2014 II 477 p. 483.

19 Ibidem.

20 Ibidem.

21 Pour un exemple, ATF 139 II 363 consid. 3.3 publié à la RDAF 2013 II 607 p. 612 et s.; s’agissant de l’opposition doctrinale entre notions de droit civil et notions économiques, Yersin Danielle/Aubry Girardin (Commentaire romand, Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct, Noël/Aubry Girardin, 2e éd., Bâle, 2017, Remarques préliminaires N 50) se demandent si le législateur «entend reprendre cette notion telle quelle et s’y tenir ou s’il s’agit d’un ‘point d’accrochage’ permettant de définir l’opération ou l’état de fait qu’entend saisir la loi»; sur la distinction, voir en particulier Torrione Henri (2014), «L’approche selon la réalité économique (die wirtschaftliche Betrachtungsweise) en droit fiscal et en philosophie du droit», in: Mélanges en l’honneur de Walter A. Stoffel – Avec un accent sur la société simple, Amstutz/Chabloz/Heinzmann/Hochreutener (édit.), Berne, p. 313 et p. 315.

22 Dans les limites de l’article 33 alinéa 1 lettre a LIFD pour les dettes de la fortune privée.

23 En ce sens, Torrione Henri (2005), «Application des conventions fiscales aux sociétés de personnes: une approche

’systémique’», in: Internationales Steuerrecht in der Schweiz: aktuelle Situation und Perspektiven: Festschrift zum 80. Geburtstag von Walter Ryser, Locher/Rolli/Spori (édit.), Berne, p. 227/229 (note de bas de page 3); pour une étude approfondie des interactions entre droit fiscal et droit privé et notamment l’évolution de la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière, voir Koller Thomas (1993), Privatrecht und Steuerrecht: eine Grundlagenstudie zur Interdependenz zweier Rechtsgebiete, thèse d’habilitation Berne, p. 302-392.

24 Sur le pendant fiscal de l’autonomie de la volonté qu’est la liberté de planification et d’organisation des entreprises, voir arrêts du TF 2C_95/2013 et 2C_96/2013 du 21 août 2013 consid. 2.3 publié à la RDAF 2014 II 336 p. 340, 2C_396/2011 du 26 avril 2012 consid. 4.2.1 publié à la RDAF 2012 II 503 p. 510 et s.

25 Sur la question, voir (déjà) Wurlod Marcel (1947), Forme juridique et réalité économique dans l'application des lois fiscales, thèse Lausanne, en particulier p. 63; Oberson Xavier (Droit fiscal suisse, 4e éd., Berne et al. 2012, p. 63 N 13) relève que «si les notions utilisées par le droit fiscal s’éloignent de celles du droit civil, les concepts fiscaux peuvent alors être interprétés de façon autonome, en prenant en considération leur réalité économique»; sur la notion à rattachement économique de liquidation, voir arrêts du TF du 6 novembre 1990 consid. 4a publié aux Archives 59 p. 717/720, du 23 avril 1999 consid. 2a publié aux Archives 69 p. 642/645.

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institution du droit privé, l’autorité peut aussi chercher à montrer que les conditions de l’évasion fiscale sont réunies. Dans l’affirmative, les relations que les parties ont mises en place peuvent être ignorées.

En présence d’une notion à rattachement économique, la situation juridique (le rapport de base) constitue le point de départ de l’appréciation. Elle n’en constitue pas la limite. Ce sont en effet l’ensemble des circonstances concrètes (la fameuse «réalité économique») qui priment in fine. Pour décrire le processus de raisonnement à l’oeuvre, il faut préférer l’usage des mots suivants: «appréciation des faits selon la réalité économique»26. Dans ce cas précis, le Tribunal fédéral a ainsi estimé que la renonciation à une servitude en échange d’une indemnité équivalait à aliéner un droit.

26 Torrione Henri, «L’approche selon la réalité économique (die wirtschaftliche Betrachtungsweise) en droit fiscal et en philosophie du droit», op. cit., p. 313.

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