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La crise de la certitude

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Academic year: 2022

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2464 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 19 décembre 2012

Il y a des moments dans la vie où l’on se sent désemparé, mal à l’aise, surtout avec soi-même, perplexe devant des décisions à prendre ou des responsabilités à assumer.

Comme s’il n’y avait plus de points de re- père, de choses auxquelles on pourrait en- core croire, des idéaux à sauver à tout prix.

Si, dans de telles situations, on demande l’avis d’experts, il est facile pour eux de sortir de leur poche une étiquette à mettre en cause, devenue courante, celle de dé- pression. Il en ressortirait que si l’on se soi- gnait convenablement de cette forme d’af- fection trop répandue, et surtout si on la

voyait venir, dans la vie de tout un chacun pourrait régner un équilibre émotionnel tant prisé, la cohérence et une capacité re- lationnelle de toute bonne qualité.

Et pourtant, ces mêmes experts, toujours à la page, doivent admettre que dans des domaines où leur savoir, leur bon sens, leurs convictions inébranlables auraient dû fonc- tionner à merveille, ils n’ont au contraire pas donné les fruits souhaités. Malgré le progrès technologique, les meilleures inten- tions affichées, le savoir-faire, les conflits armés ne diminuent nullement dans le monde, la méfiance réciproque n’est même pas déguisée, l’angoisse devant l’avenir reste de mise, ô combien.

Ainsi, comme toujours, trop de certitude dans la vie politique risque d’amener à la dictature, trop de certitude dans le domai- ne économique peut amener à une sacrali- sation de l’argent, bref, à l’adoration du veau d’or de biblique mémoire. Mais aussi en religion, trop de certitude peut, comme on le sait, conduire au fanatisme, et égale- ment trop de certitude dans la science peut constituer une terrible tentation pour elle d’arborer des dogmes, des réassurances abstraites.

Mais qu’est-ce donc au juste qu’une cer- titude ? Un banal besoin de survie ou une conjuration face à un doute perpétuel ? Un tranquillisant momentané ou un projet im- pliquant alors l’existence tout entière ?

Toujours est-il que la certitude peut appor- ter du plaisir autant que de la souffrance : le plaisir de se percevoir sûr de soi-même et la souffrance de ne plus pouvoir vrai-

ment choisir. Elle peut améliorer les rela- tions sociales autant qu’entraîner une soli- tude dédaigneuse. La certitude préfère en général ce qu’elle appelle la réalité, l’évi- dence, se condamnant par là à mépriser l’imaginaire et l’espoir d’un changement.

Finalement, la certitude se méfie autant de la pure confiance, de la raison et de la lo- gique que des rêves de tous genres.

En médecine, elle s’accroche à l’établis- sement d’un diagnostic prétendu fondé sur le dépassement d’une casuistique trop in- dividualiste, trop centrée sur de l’humani- tarisme. Le fonctionnement du corps, ou

son dysfonctionnement vérifia- ble à tout moment, est mis en exergue face au monde intérieur de chaque patient. Le cerveau, dans ce sens, l’emporte sur le cœur, le raisonnement sur l’émotion. La maîtrise de la douleur, d’une douleur dont cependant la cause doit être nettement re- pérée, l’emporte sur le plaisir, même celui d’imaginer d’accéder à une santé meilleu- re que celle mise en jeu par la maladie.

Devons-nous alors faire l’éloge du doute, de la perplexité ? Nous convertir à la vague nostalgie d’un passé révolu, prétendu dans ce cas fournisseur de plus de chances d’ac- céder au bonheur ? Valoriser l’approxima- tion, le goût du mystère, de l’irrationnel tout court ?

Au fond, nous pourrions essayer d’adop- ter de nouvelles hypothèses nous laissant entrevoir qu’une certitude, ou au moins un besoin de certitude, trouverait son véri- table sens dans la perspective, non pas tel- lement d’éliminer les incertitudes, mais de les placer dans un contexte plus mobile et plus riche en virtualités. Il est peut-être en fait nécessaire que toute certitude se sou- mette périodiquement à l’épreuve du doute, à une révision. Ce serait d’ailleurs d’une incertitude foncière que naîtrait la certi- tude autant dans un contexte dialectique inaliénable que tout simplement pour nous permettre de reprendre notre souffle.

En général, nous ne connaissons pas la date de notre mort. Les jeunes, pleins d’ave- nir, ne savent pas au juste si oui ou non ils vont atteindre un âge avancé. Cela ne nous empêche pas de mettre en route des projets, parfois même quelque peu utopiques. Nous rêvons autant d’agréables surprises que d’une possible et peut-être pas si lointaine fin du monde. Nous nous surprenons en

voyant notre étrange capacité à faire face plus facilement à des frustrations qu’à des gratifications, alors que nous étions sûrs du contraire.

Par moments, nous en arrivons jusqu’à nous demander qui nous sommes réelle- ment. Ce qui nous obligerait à soutenir l’hypothèse qu’une crise de la certitude ressemblerait plutôt à une source d’inquié- tude qu’à une planche de salut à notre por- tée en cas de naufrage.

Pr Georges Abraham Avenue Krieg 13 1208 Genève

La crise de la certitude

… Il est peut-être nécessaire que toute certitude se soumette périodiquement à l’épreuve du doute, à une révision …

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