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Compte-rendu du livre d’Aline Estèves et Jean Meyers, (dir.), Tradition et innovation dans l’épopée latine, de l’Antiquité au Moyen Âge, Ausonius, « Scripta Receptoria », Bordeaux, 2014, 234 p.

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Aline ESTEVES et Jean MEYERS (dir.), Tradition et innovation dans l’épopée latine, de l’Antiquité au Moyen Âge, Ausonius, « Scripta Receptoria », Bordeaux, 2014, 234 p.

Cet ouvrage collectif, qui correspond à l’édition des actes de deux journées d’études propose un programme ambitieux : « étudier, dans une approche diachronique, les modalités d’écriture d’une épopée latine évoluant entre tradition et innovation » (p. 9). Les articles réunis par Aline ESTEVES et Jean MEYERS sont répartis en deux grandes périodes : l’épopée classique et post-classique (p. 15-124) et l’épopée tardive et médiévale (p. 125-200). Les différents contributeurs se sont attachés à démontrer à travers leurs études, l’évolution d’un genre qui n’a cessé de refléter, dans sa composition, ses capacités d’adaptation aux préoccupations esthétiques, sociales, religieuses, idéologiques et politiques de chaque époque.

Un grand nombre d’articles montre d’abord combien l’épopée est le lieu d’un véritable engagement politique et un mode d’expression poétique qui se plaît à rendre compte des mentalités, de l’imaginaire collectif et de la société de sa période d’écriture. Évoquant un véritable processus d’identification avec les héros épiques dans la culture de la noblesse sénatoriale à Rome, Gilles SAURON rappelle combien les épopées homériques et surtout virgilienne ont influencé les représentations de l’aristocratie romaine, tant dans le domaine public que le domaine privé. Anne VIDEAU présente la création ovidienne comme

« révélatrice d’une forme de désarroi contemporain et le reflet d’un changement profond des mentalités dans un temps de bouleversements politiques et théologiques » (p. 57). Sa lecture des Métamorphoses renvoie à l’affirmation d’un ordre stabilisé, à la fois témoin des blessures du passé mais également porteur d’unité pour l’Empire naissant dont la nouveauté se laisse pressentir sous le calame du poète à l’écoute des changements dont il est le contemporain. En étudiant de façon détaillée la description du champ de bataille de Pharsale, Régine UTARD

évoque une profonde inversion des valeurs épiques traditionnelles chez Lucain. Son analyse conclut à l’affirmation d’une visée épique renouvelée chez le poète néronien qui, contrairement à son prédécesseur dans le genre épique, n’a plus pour objectif « l’exaltation des hommes et des valeurs qui ont fait la grandeur de Rome mais une réflexion portant sur les leçons de l’histoire, sur ses dérives et sur les hommes, en emblèmes du Bien comme du Mal » (p. 92). Georges DEVALLET associe les diverses péripéties des courses présentes dans les jeux funéraires épiques (Énéide, Punica et Thébaïde) aux fata de Rome et à cette réalisation de la Ville qui passe par de multiples épreuves avant la « résilience » finale.

Une seconde piste de travail est également exploitée par les contributeurs de ce volume qui sont nombreux à avoir réfléchi à la question de la tradition épique, aux modalités de sa constitution sous la forme d’un palimpseste, entre continuité et rupture. À partir de questionnements précis ou de perspectives plus générales, tous ont mis en valeur l’extrême vitalité et la plasticité d’un genre que chaque auteur ancien a su enrichir de nouveaux aspects et de nouvelles valeurs en revenant sans cesse (selon une dynamique d’imitatio-aemulatio ou au contraire de retractatio) sur le positionnement de son (ses) prédécesseur(s). Séverine CLEMENT-TARANTINO s’est interrogée sur l’énonciation épique virgilienne et ses rapports avec la tradition épique antérieure. En démontrant une troublante connivence entre le je épique et la voix de Fama, elle propose une vision de la voix épique en rupture avec les modèles antérieurs (et notamment celui des Muses archaïques). Judith ROHMAN met en regard les valeurs traditionnelles héroïques homérique et virgilienne (auxquelles elle ajoute l’intermédiaire apollonien) autour du personnage d’Énée. Héros aux multiples facettes, Énée est au cœur d’un renouvellement générique majeur parce qu’il incarne une alliance inédite entre l’héroïsme homérique reposant sur la norme achilléenne (à laquelle il adhère lors de la scène finale de l’épopée) et un héroïsme profondément romain. Jean-Baptiste RIOCREUX, qui

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réfléchit également à l’évolution dans la conception du héros épique, porte son attention sur une thématique peu conforme au genre : la fuite du champ de bataille. En comparant les deux récits de la fuite de Pompée dans la Pharsale et le traitement moral de la fuite dans les Punica, il distingue deux stratégies différentes dans la synthèse de la morale épique traditionnelle et de la matière historique. Là où Lucain livre un récit contradictoire dans lequel il défend philosophiquement un acte que la morale héroïque réprouve, Silius Italicus oppose à la réalité historique des dispositifs narratologiques complexes avant de soumettre un héroïsme de substitution qui permet d’expliquer la fuite.

Si ces trois contributions évoquent plus ou moins directement la tradition épique et ses modalités, les trois suivantes sont plus nettement concernées par cette problématique. Le travail mené par Florence KLEIN à partir des figures de Jupiter et de Fama dans les Métamorphoses, offre une réflexion complexe et passionnante sur la manière dont Ovide construit une vision radicalisée de la tradition virgilienne pour mieux proposer, dans son propre récit épique, des alternatives personnelles au positionnement virgilien. Ainsi, en intégrant et en réinterprétant le fonctionnement épique virgilien à « sa » manière, Ovide peut dès lors construire son propre univers épique et « s’adonne(r) aux tentations refusées, aux hantises conjurées par (Virgile), pour les développer pleinement » (p. 80). À propos du

« tabou de la navigation », François RIPOLL explique comment Valerius Flaccus intègre en fausse tradition archaïque une thématique récente (la navigation impie) issue des écrits de la période Julio-claudienne (Horace et Sénèque). Il revient par ailleurs sur le « recyclage » de la véritable tradition ancienne des divinités marines jalouses des mortels et montre enfin comment Valerius Flaccus se « débarrasse » de cette double tradition, dont la présence dans les Argonautiques semble destinée à mettre en lumière la dimension « qualifiante » de l’épreuve de la navigation pour l’humanité héroïque (p. 118). Dans un long travail de statistiques, Jean-Louis CHARLET procède à un panorama diachronique de l’hexamètre dactylique dans les œuvres épiques, de l’antiquité tardive à la période pré-humaniste en passant par l’épopée médiévale. À partir de l’étude de schémas métriques, de l’alternance dactyle-spondée, de l’observation de la récurrence des synalèphes, des élisions, des césures et des clausules, cette esquisse d’une histoire métrique de l’épopée met face aux auteurs classiques les auteurs d’épopées tardives puis les auteurs d’épopées médiévales et enfin deux auteurs pré-humanistes. Le bilan proposé (p. 162) permet de visualiser les auteurs qui se situent préférentiellement dans la mouvance virgilienne, lucanienne, ovidienne et même ceux qui hésitent entre plusieurs traditions.

La dernière piste de travail tourne autour de l’exploration des limites et interférences génériques inhérentes au genre épique. Bruno BUREAU met brillamment en relief une écriture en tension dans le carmen Paschale de Sédulius. En plus de la subordination de la narration à une dimension épidictique dont l’épopée de l’antiquité tardive est plutôt coutumière, il souligne le transfert d’esthétique, d’univers et de conception du récit propre à l’auteur. Il évoque à ce titre « une pratique typiquement sédulienne de cette oratio segmentata qui allie virtuosité formelle, intertextualité complexe et renvoi à des modes de composition qui ne relèvent pas forcément du domaine littéraire, mais empruntent à d’autres modes d’expression » (p. 141). Francine MORA (« Interférences génériques dans l’épopée médiévale,

», p. 165-176) étudie quant à elle les interférences génériques qui semblent constitutives de l’épopée médiévale, d’Ermold à Gauthier de Chatillon. Panégyrique, élégie, allégories, tragédie et satire effleurent ouvertement le genre épique pour mieux légitimer l’épopée chrétienne aux yeux d’un public laïc « tenté par les fausses valeurs de la cité terrestre » (p. 176). Ce syncrétisme générique de l’épopée médio-latine composé de réminiscences et d’allusions aux auteurs classiques plus ou moins mises à distance semble répondre à la

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nécessaire adaptation du genre en vue de sa christianisation. Jean MEYERS fait voix à la même observation d’une intergénéricité qui semble au cœur de la composition du Carmen 41 de Sedulius Scottus. À travers l’analyse détaillée de cette pièce burlesque, il souligne la profonde originalité de l’auteur réussissant avec brio l’exploitation parodique d’une double tradition médiévale : l’héritage virgilien et le modèle de la Bible. Enfin, Sylvain LEROY reprend cette dernière thématique en évoquant, dans le Liber Prefigurationum Christi et Ecclesie, un refus de la culture païenne et de la tradition épique classique dans le cadre de l’exégèse biblique en hexamètres qu’il compose et où l’auteur ne cherche pas tant à innover qu’à dépoétiser la forme versifiée.

Pour conclure, le volume est, dans son ensemble, d’une très haute tenue scientifique. Les contributions, bien que peu nombreuses pour un sujet aussi passionnant, sont d’une grande qualité, tout à fait de nature à exaucer le vœu des éditeurs scientifiques qui espéraient en introduction « fournir un ouvrage de référence sur l’épopée latine, capable d’apporter un éclairage complémentaire aux approches globalisantes de la recherche anglo-saxonne » (p. 14). Malgré un appareil de fin de volume satisfaisant (bibliographie, index des sources et index des noms), le seul bémol que nous pourrions noter concerne l’absence d’une conclusion à ce séduisant volume qui eût pu faire voix aux débats, constats et autres bilans qui ont sans aucun doute ponctué les journées d’études à l’origine de ces travaux. Après des articles d’une si grande richesse, le lecteur reste malheureusement un peu sur sa faim !

Emmanuelle Raymond-Dufouleur Université d’Angers

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