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regards sur la critique littéraire à la fin du xix

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Dans Le Spleen de Paris, Baudelaire évoque un poète dont l’auréole est tombée « dans la fange du macadam 1». À travers cette figure, il rappelle que la pose du Mage romantique est loin d’aller de soi dans la seconde moitié du xixe siècle. Privés de leurs insignes sacrés, les auteurs s’interrogent plus que jamais sur leur identité et leur légitimité. Ce questionnement se traduit notamment au sein de la critique littéraire. Dès les années 1820, Sainte-Beuve a proposé de renouveler ce discours en réformant l’approche essentiellement rhétorique de ses prédécesseurs. La critique s’est ensuite développée de manière considérable au cours du siècle, en bénéficiant de l’essor de la presse et de l’accroissement du lectorat. Mais le legs beuvien est loin de faire l’unanimité

1. BauDeLaire (Charles), Le Spleen de Paris, Œuvres complètes, t. i, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 352.

à la fin du 

xixe

 siècle : 

l’exemple des portraits verlainiens

Solenn DuPaS

Résumé

Dans la seconde moitié du xixe siècle, le legs de la critique beuvienne se trouve progres- sivement mis en cause. En témoignent notam- ment les portraits que Verlaine publie dans Les Poètes maudits et Les Hommes d’aujourd’hui.

Exploitant la fascination des contemporains pour la biographie des écrivains, ces articles interro- gent la posture du grand homme de lettres pour mieux louer les auteurs auréolés par leur marginalité. ils mettent en avant une esthétique moderne, placée sous le signe de la relativité et du « bizarre », dans le sillage des analyses baude- lairiennes. À rebours des critiques académiques, ces portraits sont eux-mêmes émaillés de discor- dances et de contradictions. ils manifestent une volonté de surprendre les horizons d’attente des lecteurs, pour proposer une nouvelle approche de la création et de la réception littéraires.

Mots-clés : critique littéraire, figure de l’auteur, Paul Verlaine.

Abstract

in the second half of the twentieth century, the legacy of Saint-Beuve’s criticism was pro- gressively challenged, most notably in portraits published by Verlaine in Les Poètes maudits and Les Hommes d’aujourd’hui. Taking advantage of his contemporaries’ fascination with biogra- phies of writers, in his articles Verlaine questions the great scholar’s position in order to better praise the authors singles out for their margi- nality. Their aesthetics is modern, as Verlaine uses relativity and strangeness, inspired by Baudelaire’s analyses. Contrary to what can be found in academic criticism, these portraits are marred by discordances and contradictions. They show a desire to challenge readers’ expectations and offer a new approach to literary creation and reception.

Keywords: literary criticism, author figures,author figures,, Paul Verlaine.

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dans les années 1880. De nombreux écrivains considèrent que l’auteur des Lundis a favorisé le développement d’une critique académique, reflétant des préceptes littéraires étriqués. Condamnant le règne des « professeurs jurés 2 », ils reprochent aux héritiers de Sainte-Beuve de privilégier les hommes de Lettres consacrés, salués dans les salons et les académies. À l’image de Mallarmé, ils prétendent dédaigner les « honneurs institués et spéciaux aux lettres » pour mieux vanter les mérites de la « Solitude 3 ». L’isolement est alors présenté comme la garantie d’une création indépendante, le gage d’une reconnaissance purement symbolique. Loin de se réduire à une réalité subie par les auteurs, la marginalité relève ainsi d’une posture associant la légitimité esthétique à l’illégi- timité institutionnelle. afin de jouir du paradoxal « éclat de [leur] invisibilité 4 », les écrivains s’approprient volontiers les ressorts promotionnels de la critique littéraire. en provoquant les commentateurs académiques, ils les amènent par exemple à faire publiquement état de leur ostracisme. Lorsque Baudelaire pose sa candidature à l’académie française en 1861, il sait qu’il s’apprête à heurter la critique officielle. Sa vie et son œuvre sont nimbées de vapeurs sulfureuses qui contrastent avec la réputation de Lacordaire, le célèbre prédicateur dont il brigue le siège. Conformément à ses attentes, Gustave Bourdin condamne Les Fleurs du Mal dans Le Figaro. il reproche à Baudelaire ses « démences » et ses « monstruosités », ses poèmes où « l’odieux côtoie l’infâme 5 ». De même, Sainte-Beuve évoque avec force réticences la « Folie Baudelaire » dans un article du Constitutionnel 6. Cette candidature qui suscite la réprobation des contem- porains constitue finalement une sorte d’« attentat symbolique 7 ». elle permet au poète de s’ériger en martyr, tout en condamnant l’instance responsable de sa mise au ban. Mais les écrivains soucieux d’affirmer leur liberté à l’égard des institutions ne se contentent pas de narguer les commentateurs officiels.

ils entendent également rivaliser avec eux, en publiant leurs propres critiques littéraires. en témoignent notamment les articles que Verlaine publie entre 1884 et 1893 dans Les Poètes maudits et Les Hommes d’aujourd’hui. Généralement présentées comme de médiocres proses alimentaires 8, ces études cristal- lisent l’évolution des discours consacrés à l’écrivain et à l’art dans la seconde moitié du xixe siècle. elles s’inscrivent dans la tradition du portrait littéraire, auquel Sainte-Beuve a plus particulièrement donné ses lettres de noblesse.

2. BauDeLaire (Charles), Exposition universelle (1855), Œuvres complètes, t. ii, Paris, Gallimard, « Biblio- thèque de la Pléiade », 1976, p. 577.

3. MaLLarMÉ (Stéphane), Divagations, Œuvres complètes, t. ii, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 256.

4. GouLeMot (Jean-Marie), oSter (Daniel), Gens de lettres, écrivains et bohèmes, l’imaginaire littéraire (1630-1900), Paris, Minerve, 1992, p. 182.

5. BourDin (Gustave), « Ceci et cela », Le Figaro, 5 juillet 1857.

6. Sainte-BeuVe (Charles), « Des prochaines élections à l’académie », Le Constitutionnel, 20 janvier 1862.

7. BourDieu (Pierre), Les Règles de l’art, Paris, Le Seuil, 1998, p. 108-109.

8. Voir le bilan critique établi par Michel DÉCauDin, in BerCot (Martine) (dir.), Verlaine 1896-1996, Paris, Klincksieck, 1998, p. 15-16.

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alliant notices biographiques et exégèses littéraires, cette forme qui connaît à l’époque un succès considérable constitue un cadre idéal pour renouveler les enjeux du discours critique. Dans cette perspective, Verlaine remotive d’abord les composantes biographiques du portrait en jouant avec les stéréotypes qui sous-tendent les représentations académiques de l’écrivain. Dans le sillage de Baudelaire, l’auteur des Poètes maudits met d’autre part en avant une esthétique moderne, placée sous le signe de la relativité et du « bizarre ». Cette approche se reflète dans l’écriture même de ses articles. À rebours des critiques tradi- tionnels, Verlaine déploie des commentaires tissés de dissonances et de contra- dictions. il se risque à surprendre les horizons d’attente de ses lecteurs pour proposer une nouvelle approche de la création et de la réception littéraires.

Le bohème contre l’académicien : éloge de l’indépendance créatrice

au début du xixe siècle, la biographie a acquis une place déterminante au sein de la critique littéraire. L’existence des écrivains est érigée en principe explicatif de leurs œuvres, selon une logique qu’antoine Compagnon nomme la « vieuvre 9 ». Sainte-Beuve illustre ce principe dans les Nouveaux lundis :

« Je puis goûter une œuvre, mais il m’est difficile de la juger indépendamment de la connaissance de l’homme même ; et je dirais volontiers : tel arbre, tel fruit 10 ». Prétendant restituer une image fidèle des artistes pour évoquer leurs créations, les portraitistes académiques ont tendance à exploiter des sources ancrées dans le quotidien des écrivains. Mais leur démarche ne se limite pas à un souci du détail vrai. Les portraits sont en effet déterminés par des « scé- nographies 11 » préexistantes. La singularité des auteurs est saisie à travers des attitudes, des rôles fixés dans l’imaginaire collectif. or Verlaine se plaît à jouer avec ces codes pour faire œuvre polémique.

Sainte-Beuve et ses héritiers privilégient les auteurs « marquant[s] et célèbre[s] 12 », reconnus par l’institution littéraire. Pour évoquer ces écrivains, Brunetière invite les critiques à détailler leurs « entours », leur « milieu »,

« le secret de [leur] tempérament » et le « mystère de [leur] idiosyncrasie 13 ».

De son côté, Verlaine entend surtout souligner le conservatisme qui sous- tend les biographies des grands hommes de lettres. Les notices lapidaires qu’il consacre aux écrivains illustres sont entièrement structurées autour des notions de bienséance et de respectabilité. Sur un mode discrètement satirique,

9. CoMPaGnon (antoine), La République des Lettres, Paris, Le Seuil, 1983, p. 15.

10. Sainte-BeuVe (Charles), « Chateaubriand jugé par un ami intime », cité par PraSSoLoFF (annie) et Diaz (José-Luis), Pour la critique, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1992, p. 147.

11. Diaz (José-Louis), L’Écrivain imaginaire, scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Champion, 2007.

12. Sainte-BeuVe (Charles), « Chateaubriand jugé par un ami intime », op. cit., p. 147.

13. Brunetière (Ferdinand), article « Critique », La Grande Encyclopédie, t. 13, Paris, H. Lamirault, [1885-1902], p. 416.

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il présente les académiciens comme les membres « bien élevés » d’un « docte corps 14 ». La personnalité de François Coppée est plus particulièrement réduite à son « esprit de suite, d’ordre et de méthode 15 ». De même, Verlaine évoque Leconte de Lisle à travers sa « vie sévère » et « ses mœurs véritablement aca- démiques 16 ». Ces rapides portraits moraux mettent ainsi en lumière le confor- misme qui transparaît dans les critiques de Sainte-Beuve, de Gustave Planche ou de Jules Lemaître. Verlaine poursuit cette critique dans les descriptions physiques qu’il consacre aux écrivains reconnus. À l’instar des physiognomo- nistes, il prétend s’appuyer sur l’apparence des auteurs pour définir leur tempérament et leur caractère. il insiste par exemple sur les traits « régu- liers » de Leconte de Lisle et met en avant son nez « droit », ses lèvres dessinées

« d’une ligne extraordinairement nette et pure ». Ce visage complète une appa- rence « plus que correcte, exemplaire 17 ». Le motif récurrent de la droiture peut faire écho à la caricature de Monsieur Prudhomme, ce parangon de bour- geois inventé par Henri Monnier. il paraît d’autant plus suspect que Verlaine présente le conformisme des écrivains illustres comme la condition première de leur consécration. À ses yeux, les auteurs ne sont pas tant récompensés pour leurs qualités artistiques que pour leur respect des convenances. en pré- sentant Leconte de Lisle comme l’« homme de l’académie et de son Fauteuil 18 », il suggère que ce poète n’existe plus qu’à travers des marques de distinction artificielles. Particulièrement caustique, cette périphrase fait écho à la caricature qui accompagne l’étude de Verlaine (illustration 1). Sur la gravure de Collignon et de tocqueville, Leconte de Lisle s’encombre du fauteuil d’académicien qu’il a remporté à la suite de Victor Hugo. Mais cet objet n’a plus rien du trône majestueux des « rêveur[s] sacré[s] 19 ». il s’agit d’un simple meuble exhibé de manière dérisoire. Dans ce portrait, Verlaine rompt avec la rhétorique élogieuse des critiques traditionnels, pour dénoncer la comédie de la respectabilité qui se joue au sein du champ littéraire.

À l’image de l’écrivain consacré, il oppose la figure de l’auteur auréolé par son retrait et son « débraillement 20 ». Verlaine loue les artistes en butte à l’« horreur du Bourgeois 21 », dont les choix de vie et la personnalité s’écartent des valeurs morales et sociales dominantes. S’appuyant sur l’héritage des illuminés de nerval (1852), des Grotesques de Gautier (1856), ou des Oubliés de Charles Monselet (1857), autant de recueils de portraits consacrés à de grands mar- ginaux des siècles passés, il évoque des écrivains contemporains oubliés par

14. VerLaine (Paul), « Léon Dierx », Œuvres en prose complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, p. 786-787. Désormais cette édition est notée OPr.

15. ibid., p. 762.

16. ibid., p. 761.

17. ibid., p. 759-761.

18. ibid.

19. HuGo (Victor), Les Rayons et les ombres, Poésie, t. i, Paris, robert Laffont, 1985, p. 929.

20. OPr, p. 786.

21. ibid., p. 848.

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les « Seigneurs 22 » de la critique. Pour ce faire, il n’hésite pas à recourir à des sup- ports iconographiques résolument modernes. après la parution de la première série des Poètes maudits en 1884, il délaisse les gravures qui accompagnent habituellement les portraits littéraires et demande à son éditeur de publier des photographies de Mallarmé, de Corbière et de rimbaud. L’« avertissement » qui accompagne ces illustrations souligne le caractère novateur du « procédé de la photogravure 23 ». Ce moyen de reproduction qui fascine les contemporains constitue à lui seul un hommage à la modernité de ces artistes. Par rapport à la simple gravure, il peut également donner l’impression d’une plus grande fidélité dans la représentation des poètes maudits. Pour Verlaine, on a « rarement repro- duit par des moyens plus simples, partant plus grands, peut-être plus sûrs, des physionomies [faites] pour l’enragé d’un burin sans frein 24 ». Cependant cette démarche ne modifie pas les logiques profondes de ses portraits, qui relèvent moins d’une approche mimétique que d’une logique herméneutique. Les notices biographiques qui accompagnent les photographies des « Maudits » se concen- trent sur des éléments symboliques, elles soulignent des traits qui expriment l’excentricité et l’irrégularité. Lorsqu’il commente le portrait de rimbaud

22. ibid., p. 776.

23. ibid., p. 635.

24. ibid., p. 636.

Illustration 1 : Leconte de Lisle (Gravure de Colignon et tocqueville

les Hommes d’aujourd’hui, n° 241.)

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réalisé par Étienne Carjat (illustration 2), Verlaine évoque par exemple les cheveux « mal en ordre » du poète, son « menton accidenté » et ses lèvres censées exprimer la « protestation 25 ». Les particularités physiques de rimbaud sont ainsi saisies à travers une sorte de sémantisation maudite. or Verlaine est loin d’inventer cette posture marginale. elle s’inscrit au contraire au sein d’une dense « légende pré-écrite 26 ».

Illustration 2 : Arthur Rimbaud (Photographie Étienne Carjat, lutèce, n° 13.)

Si l’auteur des Poètes maudits fait l’éloge et la promotion de l’artiste bohème, c’est en assumant le caractère stéréotypé de cette représentation.

Bien des écrivains en ont joué avant lui, afin de revendiquer une légitimité esthétique. Ces auteurs ne se sont pas contentés de vivre leur exclusion, ils l’ont également montrée et exprimée à travers des formes « rhétoriquement rentables 27 ». Dans leur sillage, Verlaine use d’un large répertoire d’images et de références qui empruntent aux lieux communs de la persécution, de la mélancolie auctoriales. il émaille par exemple ses notices biographiques d’oxy- mores clichéiques, évoquant le « malheur adoré 28 » ou la « gaie misère 29 » des poètes maudits. Ses portraits convoquent également des comparaisons conve- nues. Les auteurs « absolus » sont régulièrement assimilés à Villon, qui consti- tue une figure archétypale de la marginalité 30. Verlaine renvoie d’autre part à

25. ibid.

26. GouLeMot (Jean-Marie), oSter (Daniel), Gens de lettres…, op. cit., p. 130.

27. BriSSette (Pascal), La Malédiction littéraire, Presses de l’université de Montréal, 2005, p. 18.

28. OPr, p. 848.

29. ibid., p. 855.

30. ibid., p. 641 et p. 855.

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des personnages littéraires récurrents dans l’imaginaire bohème. L’« épique Chevalier de la Manche 31 » constitue ainsi un répondant usuel de l’écrivain anti-conformiste. Conscient des aspects conventionnels de sa démarche, Verlaine n’hésite pas à railler certains versants du topos sur lequel il s’appuie.

À la suite de Baudelaire ou de Corbière, il moque notamment les facettes pathétiques et larmoyantes de la posture marginale. en témoigne le commen- taire qu’il formule à propos de Mallarmé : « n’est-il pas vrai que, et nunc et semper et in secula, le poète sincère se voit, se sent, se sait maudit par le régime de chaque intérêt, ô Stello 32 ? » Ce personnage de Vigny qui incarne l’artiste « étouffé par une société matérialiste 33 » renvoie à une vision pathé- tique de la bohème romantique. Mais les contemporains savent que la vie familiale et professionnelle de Mallarmé se distingue de l’existence miséreuse de Stello. L’interrogation rhétorique semble en fait s’inscrire dans une logique parodique. La locution adverbiale latine, la disposition ternaire des verbes et l’apostrophe lyrique constituent autant de stylèmes convenus et finalement autant de signaux de l’ironie. À travers ces notations distanciées, Verlaine paraît adresser un clin d’œil aux lecteurs connivents. non content de souli- gner la prégnance des stéréotypes biographiques, il en suggère également les limites. en creux, il indique que la « vieuvre » ne constitue pas un principe suf- fisant pour expliquer les œuvres littéraires.

L’éloge du « bizarre » à rebours des esthétiques académiques Les reproches que Proust formulera dans le fameux Contre Sainte-Beuve com- mencent en effet à se dessiner dès la seconde moitié du xixe siècle. en 1867, dans un article consacré à Baudelaire, Gautier met par exemple en cause ceux qui ont « l’habitude de confondre l’auteur avec son œuvre 34 ». Charles Monselet indique également en 1876 que « l’œuvre nous donn[e] souvent plus que [la]

biographie 35 ». tout en jouant avec la curiosité de ses contemporains pour la vie des écrivains, Verlaine privilégie à son tour l’étude des textes. À ses yeux, les auteurs méritent moins d’être « connus » que « d’être lu[s] 36 ».

La part qu’il accorde aux citations dans Les Poètes maudits et Les Hommes d’aujourd’hui confirme cette inflexion. Verlaine s’approprie cette convention qui consiste à insérer de brèves anthologies dans les portraits littéraires.

À de nombreuses reprises, il souligne le rôle déterminant de ces florilèges dans la mise en place du discours critique. Pour rendre justice à l’originalité de rimbaud, il s’engage par exemple à le citer « le plus qu[’il] pourr[a] 37 ».

31. ibid., p. 776 32. ibid., p. 664.

33. ViGny (alfred de), « Dernière nuit de travail », Chatterton, Paris, Gallimard, 2001, p. 51.

34. Gautier (théophile), « Charles Baudelaire né en 1821 », Le Moniteur, 9 septembre 1967.

35. MonSeLet (Charles), Les Oubliés et les dédaignés, Charpentier, Paris, 1876, p. iV.

36. OPr, p. 855.

37. ibid., p. 644.

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Mais Verlaine se démarque de l’usage qui consiste à reproduire des extraits canoniques déjà bien connus des amateurs. Chez lui, la citation vise moins à conforter la consécration des œuvres célèbres qu’à faire découvrir des textes ignorés. Parmi les poèmes de Mallarmé, il néglige ceux qui se trouvent « dans la publicité 38 » pour se concentrer sur des pièces inédites. Ses portraits litté- raires acquièrent dès lors une dimension éditoriale. Verlaine se permet d’ailleurs de suggérer la réédition de certains textes, comme les Amours jaunes de Corbière, un recueil « introuvable ou presque 39 » à l’époque. Dans certains articles, il va jusqu’à assumer un rôle de médiateur éditorial. Le portrait de rimbaud lui permet notamment de lancer une œuvre de collecte, en faisant appel à la bienveillance de ses lecteurs. « [S]es amis connus ou inconnus » qui posséderaient des poèmes inédits se trouvent priés de « bien vouloir les [lui]

faire parvenir 40 » pour qu’il puisse les faire publier. À défaut d’aborder la vie des écrivains de manière exhaustive, Verlaine propose donc d’offrir au public la vision la plus complète possible de leurs œuvres.

Cette poétique de la citation s’accompagne d’une démarche exégétique concertée dans Les Poètes maudits et Les Hommes d’aujourd’hui. La naïveté et l’impressionnisme qu’on attribue généralement à Verlaine ont conduit à négliger cette dimension, voire à en conclure à l’absence de tout système de référence critique dans ses textes. Pourtant ses commentaires manifestent une véritable réflexion esthétique. ils prennent d’abord le contre-pied des doctrines classiques qui continuent à régner dans les cercles académiques, au nom de la dignité des Belles Lettres. Malgré les innovations apportées par les écrivains romantiques, bien des contemporains entendent pérenniser un idéal de stabilité et de perma- nence au sommet du Parnasse. Sainte-Beuve, qui a manifesté un attachement durable aux traditions littéraires, reste pour beaucoup une caution. Ce critique reproche volontiers aux auteurs leurs audaces trop marquées : « ne craignez pas tant de sentir comme les autres, n’ayez jamais peur d’être trop commun 41 ».

Ses héritiers qui officient dans le Constitutionnel ou La Revue des deux mondes continuent à louer l’harmonie, la mesure, la clarté et la pureté de la langue.

Lorsqu’il évoque Leconte de Lisle dans les années 1880, Jules Lemaître insiste par exemple sur la « régularité classique » de ce poète et sur « la netteté sereine » de ses créations. Dans l’ensemble, ce commentateur est redevable aux écrivains de bannir toute irrégularité risquant « d’inquiéter l’oreille et par là de troubler la quiétude de l’esprit 42 ». une épithète apparaît régulièrement dans ces critiques conventionnelles : Jules Lemaître et ses pairs vantent sans relâche les mérites d’une écriture « impeccable». or Verlaine dénonce justement

38. ibid., p. 665.

39. ibid., p. 640.

40. ibid., p. 655.

41. Sainte-BeuVe (Charles), « À propos des Fleurs du Mal », cité par PraSSoLoFF (annie) et Diaz (José- Luis), Pour la critique, op. cit., p. 351.

42. LeMaître (Jules), « Leconte de Lisle », Les Contemporains, série 2, [1886-1899].

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l’art « impeccable, c’est-à-dire assommant 43 » de ses contemporains les moins originaux. Les conventions qui sous-tendent les « discussions souvent abat-jour- vert et surannées » des académiciens menacent selon lui de « dessécher la veine et la verve 44 » des écrivains. il sait que l’esthétique classique est traditionnel- lement présentée comme la garantie d’une compréhension universelle. Jules Lemaître considère que François Coppée réussit à « plaire à la foule » et à être

« compris par tous les publics » parce qu’il est un poète « officiel » digne des vénérables « anciens 45 ». Mais pour l’auteur des Poètes maudits, cette concep- tion de la réception suppose une soumission dommageable aux lois du placere.

Coppée menace de perdre son talent en se pliant aux attentes du plus grand nombre. C’est sur un mode ironique que Verlaine évoque la capacité de cet auteur à « se faire tout à tous », à séduire dans les « salon[s] » et « les société[s]

de camarades ». Son « don d’assimilation 46 » est présenté comme un « vernis », un « poli 47 » qui ternit sa singularité créatrice. Verlaine suggère que l’écrivain ne doit pas tant satisfaire que surprendre, voire déconcerter son public.

Comme Baudelaire, il considère que l’« étonnement [est] une des grandes jouissances causées par l’art et la littérature 48 ». Marqué par la lecture de l’Exposition universelle (1855), il met en cause l’idée d’un Beau unique, absolu et éternel, pour mieux défendre l’historicité et la relativité de l’art. on sait comment Baudelaire propose de définir la Beauté sous l’angle du « bizarre », en louant les choix d’écriture inattendus, les effets artistiques surprenants.

Ce faisant, il provoque les commentateurs académiques, pour qui l’étrangeté constitue un écueil esthétique. Sainte-Beuve condamne tout particulièrement les « bizarres entrelacements » littéraires et les « formes obscures 49 » des écrivains. De même, Jules Lemaître sait gré aux auteurs qui évitent toute forme de « bizarreri[e] 50 ». Lorsqu’il évoque la mission des académiciens, Brunetière souligne en définitive leur devoir de protester « contre les caprices » des artistes contemporains 51. Si le « bizarre » constitue une dérive de l’art aux yeux de ces critiques, il représente inversement pour Baudelaire l’essence même de la beauté, « son immatriculation, sa caractéristique ». en rompant avec le « beau banal », l’écrivain montre ce qui « définit [son] individualité ».

L’étrangeté joue finalement « le rôle du goût ou de l’assaisonnement dans les mets 52 », conférant aux œuvres toute leur intensité et toute leur saveur.

43. OPr, p. 638.

44. ibid.

45. LeMaître (Jules), « Coppée », Les Contemporains, série 6, [1886-1899].

46. OPr, p. 762.

47. ibid., p. 764.

48. BauDeLaire (Charles), Exposition universelle (1855), op. cit., p. 578.

49. Sainte-BeuVe (Charles), « À propos des Fleurs du Mal », cité par PraSSoLoFF (annie) et Diaz (José- Luis), Pour la critique, op. cit., p. 351

50. LeMaître (Jules), « Coppée », art. cité, p. 328.

51. Brunetière (Ferdinand), « Le Dictionnaire historique de l’académie et de l’Histoire littéraire de la France », Revue des deux mondes, série n° 3, 1887.

52. BauDeLaire (Charles), Exposition universelle (1855), op. cit., p. 578-579.

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C’est dans cette perspective que Verlaine aborde les textes de ses contem- porains dans Les Hommes d’aujourd’hui et Les Poètes maudits. il évoque par exemple la « grâce particulière » de rimbaud, « où le bizarre et l’étrange salent et poivrent l’extrême douceur, la simplicité divine de la pensée et du style 53 ».

Dans « Les Chercheuses de poux », les discordances contribuent notamment au renouvellement du lyrisme intimiste. Ce poème évoque les sensations d’un enfant dont la trouble mélancolie culmine dans le dernier quatrain :

Voilà que monte en lui le vin de la Paresse, Soupirs d’harmonica qui pourrait délirer ; L’enfant se sent, selon la lenteur des caresses, Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.

La rime « Paresse/caresses », qui apparie de manière irrégulière un singu- lier et un pluriel, crée pour Verlaine une facture « en tremblé ». À cette audace métrique s’ajoute une recherche syntaxique. La dernière phrase, « entre son manque de conjonction et le point final », paraît à la fois « surplombante » et

« comme suspendue 54 ». L’étrangeté du langage permet ainsi d’exprimer la confusion des émotions dans le poème de rimbaud. Loin de se restreindre à l’analyse des œuvres poétiques, Verlaine aborde également les autres genres littéraires dans ses portraits. il évoque par exemple le théâtre de Villiers de L’isle-adam, pour montrer comment cet auteur détourne les conventions du langage dramatique à des fins expressives. La « scène muette » de La Révolte se trouve par exemple réduite à une simple didascalie :

La pendule au dessus de la porte sonne une heure du matin, […] puis, entre d’assez longs silences, deux heures, puis deux heures et demie […] ; entre Mme elisabeth tremblante, affreusement pâle. […] elle va lentement vers le grand fauteuil, près de la cheminée. elle jette son chapeau, et, le front dans ses mains, les yeux fixes, elle tombe assise et se met à rêver à voix basse 55. Verlaine suggère qu’en privant l’héroïne de la parole, Villiers la fait parado- xalement exister par son silence, pour souligner l’intensité de son inquiétude.

L’article évoque ensuite une scène du Nouveau monde qui cultive inversement la cacophonie. Dans ce passage où « tout le monde parle ensemble », les indica- tions scéniques mettent en avant l’abondance et l’incohérence des discours :

Cet ensemble ne doit pas durer une demi-minute à la scène. C’est l’un de ces moments de confusion où la foule prend elle-même la parole. C’est une explosion soudaine de tumulte où l’on ne distingue que les mots « dollars »,

« psaumes », « en retard ! », « Babylonies », « Laissez-le parler », « Boston ! »,

« Méridienne », etc., mêlés à des aboiements, à des cris d’enfants, des piaulements de perroquets 56.

53. OPr, p. 648.

54. ibid., p. 650.

55. ibid., p. 680.

56. ibid., p. 681.

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Pour l’auteur des Poètes maudits, cet échange désordonné donne tout son relief à la satire des tenanciers cupides que Villiers déploie dans le passage 57. Verlaine rappelle comment les critiques académiques ont « bafoué » ces diffé- rentes œuvres avant de conclure : « Villiers a eu non seulement le droit, mais cent fois raison 58 » d’écrire ces pièces. De son point de vue, elles rendent compte d’une appropriation singulière des conventions théâtrales et d’une volonté salutaire de renouveler les horizons d’attente du public. Ces analyses montrent qu’il y a bien une cohérence esthétique à l’œuvre dans les portraits de Verlaine. L’écriture des Poètes maudits et des Hommes d’aujourd’hui illustre d’ailleurs les ressorts et les enjeux de cette réflexion.

Une autorité critique problématique : vers une éthique de la lecture

Le portrait littéraire fait souvent office de miroir, comme le note justement Sainte-Beuve : « Sous prétexte de peindre quelqu’un, c’est toujours un profil de lui-même que [le portraitiste] nous décrit 59. » Cette dimension spéculaire est particulièrement manifeste chez Verlaine, puisqu’il se consacre plusieurs articles et commente en permanence sa démarche critique. Pour souligner ce qui le distingue des commentateurs « incompétents 60 », il se présente en exégète

« maudit, ô gloire 61 », à l’instar des écrivains « absolus ». non content de pro- poser une représentation marginale de l’écrivain et une conception moderne de l’art, il entend étonner les lecteurs par les audaces de son écriture.

Conventionnellement, les portraitistes cherchent à faire honneur aux Belles Lettres en déployant dans leurs études des propos élégants et harmo- nieux. Jules Lemaître souhaite ainsi répondre à l’« incurable besoin de clarté » qu’il perçoit chez son public, en le faisant profiter de son sens de la « bien- séance » et du « pli de vingt années d’habitudes classiques 62 ». au contraire, Verlaine met en cause le souci de l’harmonie et de l’unité qui domine dans les

« revues graves 63 ». il détourne les conventions du portrait en cultivant les discordances et les ruptures de ton. en témoignent les jeux de mots qu’il distille au sein de ses articles. au moment de décrire les réactions que rimbaud a suscitées lors de son arrivée à Paris, il indique par exemple que le jeune poète a violemment contristé des familles « rassises depuis 64 ». Comme rimbaud l’avait déjà fait dans « Les assis 65 », Verlaine joue avec ce participe passé équivoque,

57. ibid., p. 680.

58. ibid., p. 682.

59. Sainte-BeuVe (Charles), Mes poisons, Paris, José Corti, 1988, p. 129.

60. ibid., p. 663.

61. OPr, p. 657.

62. LeMaître (Jules), « M. Paul Verlaine et les poètes “symbolistes” et “décadents” », Les Contemporains, série 4, [1886-1899].

63. OPr, p. 657.

64. ibid., p. 800.

65. Verlaine publie ce poème dans Les Poètes maudits.

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qui renvoie à la fois aux verbes « rasseoir » et « rassir ». Sur un mode ludique, il suggère le dessèchement qui guette les ennemis de ce poète « absolu ». Pour conforter ces tensions entre le sérieux et la plaisanterie, Verlaine use éga- lement de néologismes cocasses. Lorsqu’il loue la versification audacieuse des poètes contemporains, il évoque ainsi leur approche « tourdeforcesque 66 » de la versification, au sein d’un commentaire par ailleurs des plus conventionnels.

Ces tensions menacent parfois d’ouvrir des espaces de doute, d’hésitation dans ses portraits. Lorsqu’il prétend soutenir la candidature de Villiers à l’académie française, Verlaine déploie un argumentaire apparemment sérieux. Mais il le clôt de manière inattendue, en louant le « bafuleux génie 67 » de cet auteur.

La présence de cette bizarrerie lexicale dans un contexte appelant théori- quement une écriture conformiste, paraît modaliser la portée des considéra- tions institutionnelles qui la précèdent. Ce type d’ambiguïté est récurrent dans les articles de Verlaine. Pour prendre le contre-pied des accusations d’obscu- rité adressées à Mallarmé, il déploie une phrase particulièrement contournée.

Le commentaire consacré à « Don du poème » mime notamment les méandres de la parole mallarméenne, au risque de l’obscurité :

[ce texte] accusé d’excentricité alambiquée, se trouve être la sublime dédicace par un poète précellent à la moitié de son âme, de quelqu’un de ces horribles efforts qu’on aime pourtant tout en essayant de ne les pas aimer pour qui l’on rêve toute protection, fût-ce contre soi-même 68 !

La démarche se rapproche du pastiche, sans que le lecteur sache clairement si le commentaire est sous-tendu par une logique d’hommage ou de raillerie.

Verlaine rejoint alors la « blague supérieure 69 » que Flaubert évoque dans sa correspondance, pour désigner les formulations qui installent un doute irré- ductible entre le sérieux et la dérision.

Dans Les Hommes d’aujourd’hui et Les Poètes maudits, ces indéterminations se trouvent accentuées par de nombreux brouillages argumentatifs. La réflexion que Verlaine déploie à propos des « Premières communions » de rimbaud s’avère par exemple déroutante. Le critique commence en effet par dire sa

« détest[ation] » pour ce poème. endossant le rôle de l’exégète fraîchement converti au catholicisme, Verlaine reproche à rimbaud de dénoncer radica- lement la religion. Mais ce grief est suivi d’un éloge inconditionnel. Dans la même phrase, Verlaine passe de la désapprobation à l’apologie, en louant « tous [l]es vers sans exception » de ce « morceau colossal 70 ». Plus loin, il évoque encore « Les Corbeaux » de manière contradictoire. après avoir formulé des réserves générales à l’égard de cette satire rimbaldienne, il prétend la « goûter

66. ibid., p. 798.

67. ibid., p. 680.

68. ibid., p. 663.

69. FLauBert (Gustave), Correspondance, t. ii, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, p. 168.

70. OPr, p. 654.

Revue ATALA

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fort quant à [lui] 71 ». Les analyses consacrées au roman de xavier de ricard Thélaire Pradon sont tout aussi déconcertantes. Verlaine commence par

« s’élever de toutes ses forces » contre cette œuvre violemment anticléricale.

Mais c’est pour mieux admirer aussitôt sa « sincérité », sa « généreuse témé- rité 72 ». en définitive, le critique recommande chaudement ce texte. Devant ces contradictions, il est tentant d’en conclure à l’inconstance ou à l’instabilité du jugement de Verlaine. D’autant que ce dernier se vante de « chanter la palino- die 73 », présentant ses articles comme des « nécessairement » « bafouilleuse[s]

analyse[s] 74 ». Mais ces discordances sont loin d’être gratuites. elles participent d’une démarche concertée, qui vise à mettre en cause la rigueur démonstra- tive attendue de la part des critiques conventionnels.

Dans ses Derniers portraits, Sainte-Beuve présente son projet en ces termes :

« en critique, j’ai assez fait l’avocat, faisons maintenant le juge 75 ». Ce vocabu- laire juridique illustre la mission traditionnellement assignée aux critiques lit- téraires, qui sont chargés de formuler des avis clairs et définitifs. Lorsqu’il loue le critique Gustave Planche pour la qualité de ses analyses, Pierre Larousse évoque ainsi ses « arrêts profonds et sûrs qui ont contribué, dans un temps de confusion littéraire, à éclairer le goût du public et à le ramener quand il s’égarait 76 ». or Verlaine se défie de cette approche normative. Ce n’est pas un hasard s’il raille plus particulièrement La Revue des deux mondes, qui ouvre volontiers ses colonnes aux académiciens. Comme le rappelle Brunetière, l’une des fonctions essentielles du « docte corps » est de donner un « jugement sur [les] “meilleurs auteurs” 77 ». il s’agit « de juger, de classer » les œuvres litté- raires en distinguant clairement « un bon et un mauvais goût 78 ». en cultivant sciemment les brouillages énonciatifs et argumentatifs, en indiquant que son

« goût » est susceptible de « se tromp[er] 79 », Verlaine s’oppose aux concep- tions directives de la critique. il refuse de sacrifier la relativité du jugement au profit d’une approche dogmatique de l’exégèse. Ce faisant, il prend le risque de mettre en cause son autorité de critique. « Quiconque s’érige en censeur doit commencer par acquérir des lumières pour se concilier dans l’esprit des autres le crédit [auquel] il prétend 80 », affirme Pierre Larousse dans le Grand Dictionnaire universel. À l’inverse, Verlaine adopte souvent une posture critique des plus humbles. Son « avertissement » de 1884 prie ainsi le lecteur de bien

71. ibid., p. 655.

72. ibid., p. 837.

73. ibid., p. 784.

74. ibid., p. 874.

75. Sainte-BeuVe (Charles), Derniers Portraits littéraires, Paris, Didier, 1852, p. 534.

76. LarouSSe (Pierre), article « Critique », Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, t. 5, Paris, adminis- tration du Grand Dictionnaire universel, 1865-1875, p. 552.

77. Brunetière (Ferdinand), « revue littéraire », Revue des deux mondes, n° 3, 1887.

78. Brunetière (Ferdinand), article « Critique », La Grande Encyclopédie, op. cit., p. 417.

79. OPr, p. 635.

80. LarouSSe (Pierre), art. cit., p. 551

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vouloir excuser « les fautes du commentateur 81 ». Lorsqu’il évoque Marceline Desbordes-Valmore, il présente encore son portrait comme un « pauvre exa- men 82 », composé de « pattes de mouche 83 ». Ces concessions lui permettent de rompre avec la posture pédagogique des critiques traditionnels, qui reprennent à leur compte la définition de Sainte-Beuve : « Le critique n’est qu’un homme qui sait lire et qui apprend à lire aux autres 84. » Dans Les Poètes maudits ou Les Hommes d’aujourd’hui, le lecteur n’est pas tant considéré comme un élève que comme un amateur, au sens premier de ce terme. en rela- tivisant son autorité de critique, Verlaine invite son destinataire à affirmer ses propres goûts, à forger ses propres jugements. il reflète ainsi l’émergence d’une nouvelle approche de la réception littéraire. À l’indépendance du créa- teur, doit répondre l’autonomie du lecteur, qui est amené à penser par lui- même, en se défiant des conclusions définitives et pontifiantes.

Illustration 3 : Léon Vanier (Gravure de Luque,  Les Hommes d’aujourd’hui, n° 320.)

81. OPr, p. 636.

82. ibid., p. 673.

83. ibid., p. 678.

84. Sainte-BeuVe (Charles), Derniers portraits littéraires, op. cit., p. 530.

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en jouant avec les imaginaires de l’écrivain et en promouvant une concep- tion moderne de l’art à travers une écriture singulière, Verlaine témoigne des évolutions de la critique à la fin du xixe siècle. reste à s’interroger sur le reten- tissement effectif de ses articles, dont le tirage est resté très inférieur à celui des grands journaux. S’ils n’ont pas touché le grand public contemporain, en revanche leur écho au sein des milieux littéraires s’est avéré considérable.

Verlaine a en effet usé des ressorts de la publicité pour faire entendre sa voix.

Dans Les Hommes d’aujourd’hui, son éditeur Léon Vanier est d’ailleurs représenté en homme-sandwich, en chantre de la réclame (illustration 3). Pour Verlaine, cette démarche a porté ses fruits. il se vantera ainsi d’avoir permis à Mallarmé de « taquine[r] les oreilles de la grande Presse 85 ». Plus largement, il se félici- tera de ce que Les Poètes maudits auront provoqué « quelque tapage » et béné- ficié de « tout le succès souhaité 86 » dans le monde des Lettres. Ces portraits confirment donc que la figure de l’écrivain moderne ne s’élabore pas à travers une simple dichotomie entre la reconnaissance et l’excommunication. Pour faire évoluer les pratiques créatrices et les habitudes des lecteurs, les auteurs s’approprient les règles du jeu promotionnel et tissent des relations complexes entre le centre et les marges du champ littéraire. Soucieux de faire primer l’aventure créatrice sur la consécration académique, ils affirment à travers ces tensions leur attachement à la « liberté (la bonne, qui est l’indépendance 87) ».

85. OPr, p. 801.

86. ibid., p. 810.

87. ibid., p. 327.

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