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Contributions de médiations (inter)culturelles pour créer des innovations artistiques et managériales

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Academic year: 2022

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Contributions de médiations (inter)culturelles pour créer des innovations artistiques et

managériales

Pailler Danielle

Docteur en Sciences de Gestion Maître de conférences, Habilitée à diriger des recherches

Université de Nantes Bâtiment Petit Port Chemin de la sensive du tertre

BP 62232

44322 Nantes cedex 3, France La syonnière, 44 800 Saint-Herblain

LEMNA (Laboratoire d’Economie et de Management de Nantes Atlantique) Campus Tertre - Bâtiment Erdre

Chemin de la Censive du Tertre - BP 52231 44322 NANTES Cedex 3, France danielle.pailler@univ-nantes.fr

Rahmani Moustapha

Directeur de la maison de quartier des Dervallières, Nantes (France)

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2 Contributions de médiations (inter)culturelles pour créer des innovations artistiques et managériales

Résumé

L’objectif de cet article est de montrer en quoi la mise en œuvre de médiations interculturelles a des effets tant sur le management tant externe qu’interne de l’organisation pivot du projet – une maison de quartier populaire (France) accueillant un artiste marocain en résidence participative. L’analyse de cette expérimentation en tant que recherche-action, permet (1) de comprendre les effets générés sur l’écosystème investi et, (2) de confronter le schéma théorique des innovations artistiques, culturelles et sociales – considérées comme des innovations ouvertes - à la réalité de leurs mises en œuvre.

Abstract

The aim of this article is to show how the implementation of intercultural mediations has an effect on both the external and internal management of the project's pivotal organization - a popular neighborhood house (France) hosting a Moroccan artist in participative residence. The analysis of this experimentation as action research allows (1) to understand the effects generated on the eco-system invested and (2) to compare the theoretical scheme of artistic, cultural and social innovations - considered as open innovations - with the reality of their implementation.

Mots clefs

Management culturel, médiations interculturelles, innovations ouvertes, innovations artistiques, culturelles et sociales, recherche-action

Keywords

Cultural management, intercultural mediations, open innovation, artistic, cultural and social innovations, action research

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3 Introduction

Les limites de la démocratisation culturelle nécessitent aujourd’hui de réinventer de nouvelles modalités tant de pensées que d’action afin de densifier des liens de valeurs entre différentes formes de culture et les individus. Il s’agit notamment comprendre les causes des difficultés structurelles et conjoncturelles que ces acteurs rencontrent, notamment dans leur faible capacité à élargir la demande, à créer « un désir de culture » auprès d’un nombre élargi d’individus, potentiellement consommateurs de culture (Glevarec, 2013). Il s’agit également de montrer en quoi le type d’expérimentation mené ici – une résidence participative – permet de générer des effets larges lorsqu’il y a mise en situation de proximité avec la culture en tant que processus de co-création (versus une œuvre finalisée et instituée).

L’enjeu est de fonder la citoyenneté culturelle et d’ainsi permettre aux droits culturels des personnes de s’exercer. Dans ce contexte, il apparait nécessaire d’expérimenter de nouvelles pratiques afin notamment d’en observer les effets sur les différentes parties prenantes de l’écosystème, qu’ils soient alors publics, participants, partenaires, salariés de la structure pivot organisatrice de l’expérimentation. L’enjeu présente un double défi : celui de renforcer les contributions (artistiques, culturelles, sociales, citoyennes,…) des actions menées par les professionnels et de nourrir les cadres conceptuels des chercheurs en Sciences Humaines et Sociales engagés sur ces thématiques. Des enjeux fondamentaux du management culturel s’y expriment.

L’objectif de l’article est ainsi (1) de présenter l’expérimentation menée et les résultats produits, (2) de montrer quels types de médiation ont été mises en œuvre en tant que levier essentiel d’une approche systémique du management culturel, (3) en quoi ces médiations fondent des innovations managériales, en tant qu’elles sont d’une part des innovations ouvertes et d’autre part des innovations artistiques, culturelles et sociales (concepts très peu mobilisés dans le contexte ici investi).

1. Quelle méthodologie d’action ? Mise en œuvre d’une expérimentation en tant que recherche action

La méthodologie adoptée est celle de la recherche-action qui en passera par une recherche- création (mise en dialogue des composantes esthétiques, expérientielles et cognitives du processus de création).

Si, à la suite de Lewin (1947), différents courants nourrissent les fondements et les méthodes de recherche-action, ils s’accordent au moins sur quatre principes qui fondent son originalité : la rencontre entre une intention de recherche (chercheurs) et une volonté de changement (acteurs/usagers), un objectif dual - résoudre le problème des commanditaires / usagers et faire avancer des connaissances fondamentales, un travail conjoint entre chercheurs et usagers, un cadre éthique négocié et accepté par tous (Liu, 1992). Tumbat & Belk (2013) valorisent globalement les démarches de co-construction qui donnent une part active aux participants au sein des expériences : "We further maintain that the performative competencies of participants can be as significant as that of product or service providers".

En questionnant la notion de projets culturels, Bazin (2005) montre les axes sur lesquels s’appuyer pour les construire. Il invite notamment à constituer un espace référentiel en créant des situations et des dynamiques de groupe, en travaillant les articulations entre processus et projet par la sensibilisation, la transmission, la création et la diffusion, en restaurant le sens des outils pour aller de l’expérimentation vers le développement, en intégrant la complexité avec

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4 l’émergence d’espaces intermédiaires et en pensant l’évaluation en termes de processus (Caldwell, 2001).

C’est dans cette perspective qu’a été co-conçue l’expérimentation de résidence participative.

Elle s’est déroulée du 22 novembre au 4 décembre 2016 à Nantes (France). Le projet a consisté en l’accueil en résidence participative de l’artiste Said Bouftass (diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et Docteur en Esthétique), créateur de l’école de pensée de

« la phénomorphologie ». Il a vu la conception et la mise en œuvre d’un parcours « art contemporain et corps » sur l’ensemble du territoire nantais afin de permettre la circulation des publics.

1.1.Quel management de projet de médiations interculturelles ? Ce management culturel innovant a reposé sur cinq principes.

- Faire coopérer différents partenaires de l’écosystème pour générer des synergies

En effet, un des enjeux du renouveau des politiques culturelles – dans un temps où les contraintes budgétaires sont de plus en plus intenses (ici secteur public subventionné) –, est de permettre la co-construction de projets afin de mettre au cœur du processus le sens et les objectifs partagés (diffusion de la culture au sens large). Il s’agira alors en termes opérationnels de partager les charges fixes et variables, et d’ainsi faire naitre de nouveaux modèles économiques à faible portée financière.

Les partenaires ici impliqués ont été la Maison de quartier des Dervallières (Nantes) qui accueillait l’artiste et où se passaient majoritairement les ateliers artistiques, l’Ecole des Beaux- Arts de Nantes, l’Ecole des Beaux-Arts de Tétouan (Maroc), Cosmopolis (le centre des cultures du monde de la ville de Nantes), la Direction de la culture et des initiatives et l’Université Permanente, deux instances de l’Université de Nantes.

- Tester la mise en œuvre multiforme de liens à la culture

L’objectif de l’expérimentation était de combiner différentes formes de liens avec la culture.

Elles sont permis la pratique artistique (le dessin d’observation – approche expérientielle, sensible et corporelle), l’apport cognitif (conférences (1) de l’artiste seul à l’Ecole des Beaux- Arts, (2) de l’artiste et de la chercheure conceptrice du projet – Danielle Pailler, pour la mise en perspective scientifique et sociétale de l’expérimentation (Université Permanente), (3) de ces deux mêmes intervenants avec dans un troisième temps, une autre artiste ayant participé à un projet de médiation interculturelle avec le Maroc, Louise Hochet - Cosmopolis).

- Permettre les rencontres croisées de publics

Ces différentes propositions avaient notamment pour objectif de faire se croiser différents types de publics : les habitants du quartier des Dervallières (l’un des plus populaires de la ville de Nantes, notamment en termes de ressources économiques per capita), des « non-publics » de la maison de quartier (i.e. des habitants de la zone géographique concernée qui n’étaient jamais rentré dans la maison de quartier), des étudiants des Beaux-Arts (pour la majorité issus de classes sociales plus favorisées), la société civile (par le biais de la conférence grand public au sein de l’université permanente), des artistes du territoire…

- Concevoir l’expérimentation comme un processus

Afin que l’expérimentation soit « efficace », il fallait qu’elle soit définie dans une logique inclusive. Les conditions en étaient : un temps long pour que le bouche à oreille (physique et virtuel) se mette en place, une pratique artistique sans prérequis clivant (tout le monde peut a

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5 priori dessiner), un thème universel (ici le corps), un système de médiation opérationnel et vivant (les différents salariés de la maison de quartier qui ont déjà des relations de confiance avec les habitants et qui peuvent donc être des prescripteurs efficaces, tous les « passeurs » associés), un support numérique de diffusion de l’information pour permettre une viralité de l’évènement,…

- Transformer les représentations en présence

Un des défis fondamentaux de la mise en œuvre de cette résidence participative était de transformer les représentations en présence. C’est un des plus grands défis de la mise en œuvre des droits culturels et du possible élargissement à la société de l’influence de la culture. L’enjeu initial se situait à plusieurs niveaux : transformer, pour les participants :

 la représentation du corps (fondement de la création artistique proposé par l’artiste invité en tant qu’il est le support d’enjeux esthétiques, ontologiques, politiques, religieux, sociaux…),

 la représentation de l’artiste et de son travail (souvent mis sur un piédestal, l’objectif étant ici de créer de la proximité – affective, symbolique, de processus, territorial,…),

 la représentation de l’institution acteur pivot du projet (« je n’imaginais pas qu’une maison de quartier pouvait faire une telle proposition »),

 la représentation du quartier (« je ne suis jamais allé dans ce quartier, moi étudiant des Beaux-Arts, je n’imaginais pas qu’il était aussi intéressant et vivant»).

Cette recherche-action a été mise en œuvre par un système managérial de coopération. Ses principales dimensions en ont été les suivantes :

- un système d’offre centrale : la proposition de l’artiste (ateliers de pratique, créations pendant la résidence, conférences),

- un système de médiations ascendantes, descendantes et horizontales (cf. ci-dessous), - un système de distribution multi-lieux,

- une approche multicanale de la communication (papier/print, web, réseaux sociaux, prescription humaine,…)

1.2. Quels résultats ?

Il est nécessaire d’observer les résultats tant en externe qu’en interne.

Impacts sur les acteurs externes

Cette recherche-action a en effet généré des effets sur l’écosystème investi. Ils ont permis la mise en œuvre de partenariats inédits fondés sur des objectifs partagés (faire vivre les effets larges de la culture) générant ainsi des synergies territoriales durables. De nouveaux projets sont déjà nés à la suite de cette nouvelle coopération entre les acteurs territoriaux (exemple : un projet pluridisciplinaire sur la littérature liée au développement durable avec l’université permanente, la maison de quartier et Cosmopolis notamment avec différentes formes : ateliers d’écriture, conférences, performances,…). Des nouvelles formes de médiations interculturelles ont été impulsées (cf. ci-dessous). Ont également été observé la mixité sociale des publics impactés et participants à la résidence, leur circulation sur le territoire, la transformation des représentations en présence,…

Impacts sur les acteurs internes

Des effets internes sont également nés de cette expérimentation : cohésion d’équipe renforcée, sens de l’engagement professionnel ré-impulsé, revitalisation du projet social de l’organisation du fait de la contribution rendue explicite de l’art et de la culture à sa réalisation, rôle

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6 structurant de la confiance comme dynamique de soutien au rayonnement de l’action artistique,…

L’enjeu a bien été de faire culture en faisant circuler le sens sur le territoire.

Au-delà de ce qui s’est vécu et partagé en termes humains, cette résidence d’un nouveau genre a produit différents résultats que chaque partenaire, par sa contribution spécifique, a rendu possible.

Résumons. Les effets ont été :

- la diversité des publics impactés (des habitués de la maison de quartier à la société civile - dont un groupe d'artistes)

- une vraie circulation des publics sur le territoire

- des liens partenariaux entre institutions qui vont permettre de nouvelles synergies pour faire vivre des valeurs partagées (sont ici illustrées les nouvelles formes de médiation territoriales) - le rôle de la confiance en tant que condition de déploiement de la résidence (la confiance que la maison de quartier des Dervallières tisse pas à pas chaque jour avec les habitants du quartier a rendu possible leur large participation)

- l’expérimentation d’un nouveau modèle économique,…

Nous pouvons reprendre les mots de la responsable de Cosmopolis qui indique qu’a ici été réalisé « un véritable travail de fond qui a permis de faire tomber des barrières ». Le projet a été désigné comme le plus innovant de l’année 2016.

2. Quels types de médiation mises en œuvre ?

2.1. Trois éléments pour justifier ces nouvelles formes de médiation

D’ores et déjà, il est nécessaire de poser la nécessaire complémentarité des enjeux de réception (des œuvres) et de participation (des citoyens). Si dans l’histoire des politiques culturelles, c’est le premier qui a fondé la démocratisation culturelle, il apparaît nécessaire pour consolider le lien « culture(s)/individu » de poser ces deux enjeux de manière concomitante, en tous cas non opposés. Varient en effet d’une part, la nature de son émetteur (l’institution/la société civile), d'autre part le degré d’implication de « passif » (pas totalement) dans la réception, à plus actif dans la participation, et enfin la nature du lien à la proposition culturelle (implication / appropriation). Accepter, voire revendiquer, cette complémentarité fonde en effet le dialogue entre démocratisation (permettre l’accès aux œuvres de l’humanité légitimée par des experts) et démocratie culturelle (favoriser l’expression pour la construction de soi et du lien à l’altérité). Une dynamique artistique et culturelle pourra ainsi naître d’une demande de citoyens (logique ascendante). Ceux-ci, par exemple, se regroupent car ils partagent (juste) le souhait d’écrire. Le maillage d’initiatives pour accompagner ce désir fera que ces citoyens seront in fine des participants à un projet de territoire impulsé par une institution, sans pour autant que cela ait été posé comme un objectif au départ. A l’inverse, dans une logique complémentaire, l’institution pourra déclencher une mise en relation / en réseau d’acteurs du territoire pour favoriser une participation citoyenne au projet artistique exigeant qu’elle porte.

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7 Dans ce sillon, questionner les liens « culture(s)/individus », c’est également reconnaître la diversité des sources des contributions artistiques et des statuts du citoyen. En effet, ses rôles (réels ou potentiels) de récepteur et de participant s’élargissent : du fait notamment des possibles offerts par le numérique, l’individu est tour à tour récepteur, effectivement, mais aussi producteur (de contenu, de flux, de prescription – positive ou négative), diffuseur (sur les web et les réseaux sociaux), devenant ainsi passeur, influenceur.

Un troisième élément, toujours dans ce questionnement, porte sur le nécessaire élargissement du cercle des acteurs concernés par la conception et la mise en œuvre des propositions. Le territoire est alors considéré comme un écosystème au sein duquel les interdépendances, mais aussi les ressources (par exemple les associations de citoyens, mais aussi des présences individuelles singulières) doivent être considérées comme autant de leviers d’action pour faire vivre les liens que nous étudions. Cela demande une ouverture aux citoyens ainsi qu'en termes professionnels, aux acteurs de l’action sociale : « sans les acteurs sociaux, nous ne pouvons rien faire. » (parole d’un professionnel de la direction de la culture d’une grande ville).

2.2.Des médiations circulaires à concevoir

De ces constats apparaît la nécessité de développer des médiations aux enjeux et formes complémentaires impliquant des acteurs issus de différents univers. Les unes auront comme principal objectif celui de la transmission (d’une œuvre constituée en en permettant un meilleur accès, plus nourri de connaissances), d’où une démarche descendante : c’est la fonction historique de la médiation. Les autres, complémentaires, contribueront à accompagner un processus ascendant d’émergence citoyenne sur un territoire, reposant sur la diversité des cultures et chemins de vie en présence en tant qu’il est porteur des initiatives qui s’y manifestent. Le point critique étant leur articulation : chacune des approches doit avoir conscience des problématiques de l’autre, s’en saisir et participer d’une dynamique collective de conception et de mise en œuvre. On glisse alors de la médiation en tant que fonction dans une organisation culturelle à l’écosystème de la médiation sur le territoire (cf. figure 1).

Cette dynamique circulaire fait écho à la définition de la culture en tant qu’elle est « la circulation du sens » (Meyer-Bisch, 2014), superposée à celle de la médiation culturelle définie comme « processus de transmission et d’appropriation du sens. » (Lafortune, 2012). Ces deux définitions, en tant qu’elles s’inscrivent dans une logique dynamique (et non figée), donnent une acception large des contributions de la culture et de la médiation : depuis une fonction opérationnelle dans les institutions (remplissage, atteinte d’objectifs quantitatifs), trop souvent considérée comme fonction secondaire, voire périphérique jusqu’à une approche systémique ouverte, créant des synergies, « tricotant » avec les ressources du territoire (y compris celles hors champ artistique, mais en lien avec une vitalité citoyenne qui se relie au projet artistique par les valeurs portées).

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8 Figure 1 : De la médiation (fonction) à l’écosystème de la médiation

… pour faire circuler le sens

Traçons à grand trait la dynamique à l’œuvre. En France, les politiques culturelles se sont construites à partir de l’idéal de démocratisation (Urfalino, 2011) : permettre l’accès aux œuvres de l’humanité au plus grand nombre. L’engagement politique porte alors sur le soutien à la création et à la diffusion, notamment en maillant le territoire d’équipements structurants. Le mythe de la révélation est alors présent, le choc esthétique attendu puisque l’on donne accès au peuple aux plus grandes œuvres de l’humanité, légitimées par des experts. La logique alors présente est celle d’une offre descendante.

La médiation depuis les institutions est alors sollicitée pour donner aux publics des moyens de compréhension des œuvres, privilégiant une approche par une clef d’entrée cognitive, même si elle s’inscrit au service d’une expérience esthétique. L’enjeu est centré alors sur celui de la réception de l’œuvre par les publics.

Or, le constat des effets limités de ces processus liés à la démocratisation appelle la contribution de médiations complémentaires, élargissant le champ des acteurs concernés aux professionnels de l’action sociale. Car l’enjeu reste entier : comment permettre à ceux qui restent éloignés des dynamiques artistiques et culturelles d’un territoire (et pas strictement de l’accès à l’offre) d’y participer ? Ce constat désigne les limites de la médiation descendante, qui, certes indispensable, doit être complétée et enrichie par une logique d’accompagnement ascendant.

Ainsi, la résidence participative a de fait générer différents types de médiation. Elles sont de trois ordres :

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9 - Des médiations horizontales : elle a permis la collaboration de différents types de professionnels (artiste, directeur et salariés de la maison de quartier, directeur de la culture au sein de l’Université de Nantes, directrice de l’université permanente, des assistantes sociales comme médiatrices, des chargés de mission sur le quartier, des enseignantes chercheures de l’université de Nantes et de l’Ecole des Beaux-Arts,…

- Des médiations ascendantes : des amies habitantes du quartier qui se parlent, prescrivent, des nouveaux arrivants dans le quartier d’origine étrangères, des artistes du territoire qui se sentent concernés et deviennent prescripteurs, des chercheurs, des étudiants, des citoyens ayant entendu parler du projet par les medias,…

- Des médiations descendantes : depuis l’école des Beaux Arts, de l’université,…

3. Une double mise en perspective théorique

La mise en œuvre de l’expérimentation nourrit deux axes théoriques répondant à deux défis afin de soutenir l’action des professionnels du champ culturel et les recherches en sciences humaines et sociales.

3.1. Les apports du concept innovation ouverte

L’un des résultats de la recherches-action présentée ici est de montrer que les enjeux d’innovation sont peu abordés de manière explicite et construite alors que – facteurs internes - la nature intrinsèque de l’offre repose sur la capacité à innover et que – facteurs externes - les limites des politiques publiques – notamment dans la perspective de la démocratisation culturelle (permettre l’accès des œuvres de l’humanité au plus grand nombre) – imposent un renouveau des cadres paradigmatiques tant de pensée que d’action (Blondiaux, 2004 ; Urfalino, 2011). Dans ce contexte, les enjeux pour les chercheurs en sciences de gestion et pour les professionnels des champs artistiques et sociaux sont ici essentiels pour préserver leur légitimité, celle-ci étant corrélée aux flux de financements accordés. Il s’agit en effet de répondre à la problématique suivante : comment s’adapter à un environnement en très forte mutation ? Et plus spécifiquement, comment recruter des non-consommateurs relatifs (i.e.

comment établir des liens entre différentes formes de culture présentes (avec le postulat que chacun(e) en est porteur et que les institutions en délivre) et les individus ?

Or, le concept d’innovation ouverte répond à de nombreux enjeux du secteur culturel du spectacle vivant. C’est ce que nous tentons de montrer, ici en termes théoriques.

Cadre conceptuel

Depuis le modèle impulsé par Chesbrough (2003), il a été mis en évidence les limites des démarches d'innovation « intra », individuelles i.e. isolées. Une invitation récurrente est ainsi formulée à s'inscrire dans une logique collective, en interaction avec les parties prenantes de l’écosystème (concurrents, laboratoires de recherche publics, fournisseurs, clients,...) : celle de l’innovation ouverte (IO). Ces nouvelles formes d’interactions conduisent à collaborer avec des questionnements tant sur la préservation du contrôle des connaissances et des technologies et que sur la structuration et la formalisation de la démarche.

Ces évolutions génèrent de nouvelles offres, qui correspondent à une combinaison de briques technologiques, organisationnelles, financières… qui dans leur assemblage, doivent être optimisées. Elles s’appuient sur trois caractéristiques des IO : le rôle joué par le développement des TIC avec les impacts qu’elles génèrent sur la conception et l'organisation des projets collaboratifs, les modes de veille stratégique, l’encapsulation de connaissances issues de

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10 champs différents. Ces évolutions conduisent au développement de sources hybrides de financement. Elles interrogent également l’importance de la contractualisation et de la propriété intellectuelle.

Appliquer le concept de l’IO au champ artistique et culturel

Si ces questionnements doublés de nouvelles pratiques se développent dans le champ technologique, le concept de l’IO est peu – voire pas – mobilisé dans le domaine des arts et de la culture. Emparons nous ici du cas du spectacle vivant (émanant d’organisations publiques orientée non profit en tant qu’acteur pivot, si l’on recourt à la terminologie générée par les chercheurs en IO). Il constitue en effet un système d’offre particulièrement complexe à aborder dans le champ du marketing culturel. Or, si l’objet central de l’offre n’est pas strictement technologique, il comprend de plus en plus des dimensions et des impacts technologiques (mobilisation des TIC dans les processus de création au sein des institutions, utilisation croissante par les citoyens des moyens numériques pour créer, impacts des réseaux sociaux dans les rôles de prescription, de diffusion virale, …). Or, le spectacle vivant est un objet central intrinsèquement innovant : une création s’inscrit en effet souvent dans un processus de rupture par rapport aux normes établies, soit au niveau des choix de mise en scène, d’esthétique mobilisée,…. Nous sommes ici de plus en présence d’une structure de marché historiquement fondée sur l'offre, et donc liée à sa capacité d’innover pour créer, stimuler la demande (particulièrement difficile à générer dans le champ du spectacle vivant tant les freins, notamment psychologiques, sont denses) (Lahire, 2008 ; Gallen & Bouder-Pailler, 2011). Or, la question de l'innovation est peu - ou pas traitée en tant que telle dans les processus managériaux des organisations en responsabilité de l’offre, notamment les institutions culturelles.

Or, elle y est omniprésente. En effet, les spectacles vivants sont de fait conçus en tant que créations ouvertes, et cela à deux niveaux : (1) au niveau de l’offre : l’artiste génère des ruptures par rapport à l’existant et de fait innove par sa création en tant qu’elle est singulière et inédite ; (2) au niveau de la demande : il est de plus en plus fréquent de mobiliser des amateurs dans des démarches participatives ; leur créativité sera sollicitée pour contribuer à l’innovation artistique (Bordeaux & Liot. 2012). De plus, les créations de spectacles vivants s’inscrivent de plus en plus dans des dynamiques interdisciplinaires (croisement de plusieurs esthétiques : danse et vidéo, théâtre et arts plastiques,…).

Ainsi, se pose la question de recherche suivante : en quoi l'IO peut-elle répondre à des défis contemporains du champ artistique et culturel ?

Des facteurs externes : des mutations structurelles des environnements

Une crise de légitimité assortie de mutations de l’environnement

Le secteur dans lequel se déploie la recherche-action ici restituée s’inscrit dans un temps d'indispensable renouveau pour (r)établir une légitimité à la culture (notamment celle des politiques publiques du fait des limites de la démocratisation culturelle). Ce domaine s’inscrit également dans des logiques d’économie collaborative (notamment avec de nouvelles sources de financement telles que le « crowd-funding »). Le champ s’ouvre ainsi à de nouveaux acteurs (sociaux, économiques, citoyens, politiques). On observe par ailleurs une intensification des dynamiques et enjeux concurrentiels directs (offre croissante) et indirects (large substitution avec comme besoin commun à satisfaire, le divertissement). L’ensemble de ces facteurs impose des réponses innovantes de la part des acteurs pivots que sont les organisations culturelles du

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11 spectacle vivant, d’autant qu’elles vivent une mutation organisationnelle essentielle, en passant d’une orientation introvertie de leur activité à une orientation extravertie. Les nouvelles approches systémiques de la médiation mobilisent également les processus de l’innovation ouverte (Pailler & Urbain, 2016).

Les impacts du numérique sur la chaîne de valeur

Le développement du numérique modifie profondément l’organisation de la chaîne de valeur issue de l’activité du spectacle vivant. Ainsi, on observe un double mouvement : on passe d’une part d’une logique d’acteur à une logique de fonction, et d’autre part d’une logique descendante [artiste -> diffuseur qui joue le rôle d’intermédiaire/de distributeur -> spectateur]

à une logique circulaire [création – qui émane des professionnels et des amateurs / diffusion / prescription/consommation].

Figure 2. La logique circulaire de la création de valeur culturelle

Des facteurs internes : les processus de l'innovation (ouverte) – de fait – omniprésents Ils le sont du fait des caractéristiques intrinsèques de l'offre centrale : au niveau de sa production i.e. un produit unique non testable (vs production standardisée) ; au niveau de sa consommation i.e. une offre à la réception subjective avec une forte importance des dimensions expérientielles et émotionnelles dans la transaction. Apparait donc la nécessité de co-construire et d'innover avec les parties prenantes pour « maximiser » ou « optimiser » la réception (en termes quantitatif et qualitatif).

Ainsi, l’ensemble des fonctions de la chaine de valeur est lié à un processus d’innovation ouverte (cf. tableau 1).

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12 Tableau 1 : Une chaîne circulaire d'innovations ouvertes ?

En somme, le concept d’IO apparait comme l’un des cadres théoriques majeurs devant faciliter la mise en œuvre de la citoyenneté culturelle (modèle de renouveau pour sortir de l'opposition démocratisation/démocratie) (Poirier, 2016). Il apparait également lié aux enjeux de mise en œuvre de la participation et de l'empowerment qui sont les défis du renouveau des politiques publiques (Saez, 2012 ; Anberéée, 2015).

L’expérimentation menée tend donc à incarner l’IO.

3.2. Ce qui fonde les innovations artistiques, culturelles et sociales

Le champ du spectacle vivant doit innover pour accroitre sa légitimité. Les expérimentations menées afin qu’elles aient une certaine efficacité doivent reposer sur le tryptique d’enjeux tant artistiques, culturels que sociaux. Or, le référentiel le plus construit afin de guider cette exploration théorique (là encore au service de l’action) est celui de l’innovation sociale. Ainsi, notre contribution va ici appliquer le paradigme afin de l’élargir au tryptique évoqué ci-dessus.

Mais avant tout, justifions le recours à ce tryptique.

En effet, il repose sur différents défis :

 Comment maintenir exigence artistique et favoriser la participation ?

Pour cela, mise en œuvre de médiations systémiques qui vont créer des synergies entre des projets émanant d’institutions culturelles (logique descendante) et d’initiatives citoyennes, y compris impulsées ou relayées par des associations (logique ascendante).

 Comment faire le lien entre des contributions professionnelles et amateurs ?

 Comment considérer les effets élargis de la culture (lien à soi, lien à l’altérité, capacité à la construction individuelle) ?

L’innovation sociale peut être définie comme « un processus collectif d’apprentissage et de création de connaissances inscrit dans l’action et dans le changement durable avec la participation des usagers à ce processus » (Cloutier, 2003).

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13 La mise en œuvre des droits culturels comme nouveau référentiel de pensée et d’action des politiques culturelles impose la création d’expérimentations. Elles reposent sur différents principes :

- L’innovation prend forme dans un contexte spécifique : quel est l’écosystème ? Quelles sont les parties prenantes - les acteurs culturels, acteurs pivots en présence, les ressources citoyennes ? Quelles sont les dynamiques territoriales en œuvre ?

- L’IACS renvoie à un processus qui se conçoit dans le temps : valorisation du processus artistique et culturel versus œuvres constituées.

Innovation sociale Transposition : IACS

Contexte d’émergence du projet Enjeux complémentaires de démocratisation et de démocratie culturelle, pour aller vers le paradigme de la citoyenneté culturelle

Son processus, ou ses pratiques Implication des publics dans le processus de création

Son résultat Une œuvre collective

Les impacts directs qu’il génère Changement des représentations ?

Développement de la confiance mutuelle ? Sa diffusion et les changements dont elle

témoigne

Pratiques autonomes ?

Evolution des formes de la participation des publics ?

Evolution de son intensité ? Tableau 2. Les dimensions de l’innovation sociale

Conclusion et prolongements

Face aux défis tant théoriques que managériaux que rencontrent aujourd’hui les acteurs (académiques et professionnels) du champ du spectacle vivant, le cadre de l’innovation ouverte semble pouvoir apporter des réponses à la principale problématique à laquelle ils sont confrontés : comment recruter des non-consommateurs relatifs ? Ce qui conduit à plus globalement interroger : en quoi le recours à un modèle d'innovation ouverte et d’innovation artistique, culturelle et sociale permet de répondre aux principaux défis de renouvellement des politiques publiques dans le champ artistique et culturel du spectacle vivant ? L’article a ainsi permis d’identifier les différents leviers de management culturel qui permettent la mise en œuvre de médiations systémiques qui permettent d’opérationnaliser tant des enjeux d’innovation ouverte que d’innovations artistiques culturelles et sociales.

Bibliographie

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Références

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