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Emotions des enseignants et bienveillance dans l acquisition du français à l école primaire au Maroc. -Cas de la direction provinciale de Chefchaouen-

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Emotions des enseignants et bienveillance dans l’acquisition du français à l’école primaire au Maroc

-Cas de la direction provinciale de Chefchaouen-

Khalid Ramni

Laboratoire Langage et société CNRST-URAC56 FLSH-Université Ibn Tofail-Kénitra

Résumé - Cette contribution, qui se trouve au croisement de la didactique de l’intervention, de la psychologie du travail et des sciences de l’éducation, a pour objectif de mettre en exergue, à travers l’analyse d’entretiens d’auto-confrontation réalisés auprès d’enseignants de français, la relation qui existe entre les émotions de ces enseignants à l’école primaire et leur bienveillance vis-à-vis des apprenants dans l’acquisition du français langue additionnelle.

Mots clés - Emotions au travail, acquisition du français, bienveillance.

Title - Teachers emotion and Care in acquisition of French in primary school in Morocco" -case of the provincial directorate of Chefchaouen-

Abstract- This contribution, which is at the crossroads of intervention didactics, work psychology and educational sciences, aims to highlight, through the analysis of self- confrontation interviews carried out with French teachers, the relationship between the emotions of French teachers in primary school and the care towards learners in the acquisition of French as an additional language.

Keywords: Emotions at work, language acquisition, care.

Introduction

L’enseignement d’une langue, additionnelle en l’occurrence, n’est pas une chose aisée. C’est une opération à la fois technique et émotionnelle. L’enseignant est appelé à gérer un capital humain donc émotionnel et en même temps doit être en mesure de gérer ses propres émotions.

Toutefois, peu de travaux s’intéressent à ce pan de la problématique de l’enseignement/apprentissage des langues au Maroc, notamment d’une langue additionnelle, dans notre cas le français. Cet article vise à partager avec les lecteurs les résultats d’un travail de terrain qui a consisté, à travers des entretiens d’auto-confrontation effectués auprès d’enseignants de français à l’école primaire au Maroc, exerçant dans le monde rural, précisément à la direction provinciale de Chefchaouen, à mettre en exergue la relation qui existe entre les émotions des enseignants et la bienveillance vis-à-vis des apprenants dans l’acquisition du français. Nous commencerons par présenter le cadre théorique de cette étude.

Ensuite nous nous attarderons sur la présentation des éléments méthodologiques. Enfin, nous présenterons les résultats de cette étude et leur analyse.

Positionnement épistémologique

Comme dans tout travail de recherche, notamment en sciences humaines, un positionnement épistémologique s’avère indispensable. Nous nous positionnons dans la lignée des travaux de Narcy-Combes (2005) et de Narcy-Combes J-P et Narcy-Combes M.F (2019). Ce positionnement qui se démarque du réductionnisme, qui considère la construction des

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connaissances comme linéaire, et du positivisme dont l’épistémè est la certitude (Narcy- Combes, 2013), et qui va au-delà de la complexité, s’identifie à la déstructuration et à l’incertitude (Morin et Le Moigne, 2000). La connaissance est complexe, et la vérité n’existe pas. Une « incertitude bien gérée » est mieux qu’une « certitude naïve » (Narcy-Combes, 2013). Marie-Françoise Narcy-Combes (2018) souligne que « Nous avançons dans la complexité et l’incertitude (Morin, 2008), dans un monde où nos interlocuteurs attendent souvent des certitudes et des recettes. ». Ainsi, nous nous situons dans la didactique de l’intervention (Narcy-Combes et Narcy-Combes, 2019). Elle représente un « domaine de réflexion scientifique qui cherche à déterminer comment mettre en place, mener et évaluer ces interventions (dispositifs et tâches) dans des contextes spécifiques et avec des acteurs divers.

» (Narcy-Combes et Narcy-Combes, 2018). De ce fait, ce travail qui se situe dans la didactique de l’intervention (Narcy-Combes et Narcy-Combes M-F, 2019) adhère à l’épistémè de la complexité et l’incertitude (Morin, 2008). Notre positionnement ne pourrait être que compréhensif, polythéiste et transdisciplinaire.

1. Partie théorique

1.1 Emotions, cognition et acquisition du français langue additionnelle

Les béhavioristes considèrent que l’émotion est due à la non-adaptation de l’individu avec son environnement. Hapel (2012 :48) estime que ce regard négatif est réducteur et ne prend pas en considération la complexité de la situation d’apprentissage. Grâce à Damasio ce regard a été dépassé, car il a montré qu’il n’existe pas de dissociation entre le corps et le cerveau.

Nombreuses sont les recherches qui confirment le lien entre émotions et cognition (Hapel, 2012 : 50). Les émotions ont une « fonction énergisante » dans le système cognitif (Syssau, 2006:53). Channouf (2006 : 152) corrobore ce résultat et considère que les émotions font partie intégrante de la cognition et interviennent à différents niveaux dans le traitement de l’information. Rusinek (2004 : 29) rappelle que « L’effet de l’émotion serait celui d’un filtre sélectif à l’apprentissage », car il existe une dépendance entre humeur positive et bons résultats lors d’un apprentissage. Narcy-Combes J.P et Narcy-Combes M.F (2019 : 197) soulignent que « Les émotions jouent ainsi un rôle clé dans le déclenchement et le suivi des apprentissages. ».

Or, découvrir une langue additionnelle à l’école pourrait créer un sentiment d’inconfort (Narcy-Combes, 2019 : 193). A la suite de Horwitz (1999 : 12), Narcy-Combes (2019 : 196) souligne qu’ « à tout âge l’apprenant d’une langue additionnelle est en position de vulnérabilité psychologique ». Cette apprentissage est « de nature émotionnel et déstabilisant » (Lin Xue,2016 :107).

Hapel (2012, 63) souligne que les émotions et motivation sont indissociables. Elles sont source de motivation pour les apprenants, et particulièrement dans l’apprentissage d’une langue additionnelle. Ainsi, les émotions ont une place essentielle dans le processus d’apprentissage d’une langue, notamment une langue additionnelle, dans notre cas le français, d’où la nécessité d’« une médiation et une redéfinition du rôle de l’enseignant à côté de l’apprenant et non pas entre l’apprenant et les données à partir desquelles il sera amené à construire ses propres savoirs » (Narcy- Combes, J.-P., 2005). Toutefois, Ria et Chaliès (2003 : 9), soulignent que le métier d'enseignant est « un travail émotionnel occasionnant des sentiments de satisfaction mais aussi de tension voire de souffrance ». Certains auteurs pensent que l’analyse émotionnelle de l’activité enseignante est inhérente à la compréhension de celle-ci (Cicurel, 2011).

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De cette manière, les émotions des enseignants représentent une composante essentielle de l’activité d’enseignement, et il serait d’un grand apport d’explorer cette dimension du travail de l’enseignant de langue.

1.2 Emotions des enseignants : apports de la psychologie du travail

La psychologie du travail est « d’abord une psychologie » (Le Moine, 2012 : 1). Elle s’intéresse en premier lieu aux activités, aux conduites et aux représentations des individus.

Ce sont les travaux de W.M. Wundt, à la fin du 19ème siècle, dans un contexte d’accélération industrielle, sur la monotonie et la fatigue au travail qui donneront naissance à la psychologie du travail en tant que discipline. Son domaine s’est progressivement élargi en se structurant en psychologie du travail et des organisations (PTO) (Bobillier-Chaumon et al., 2016 : 5). Ce champs est caractérisé par la diversité des approches ce qui témoigne d’une part de la richesse et la dynamique de la discipline, et d’autre part de sa fragilité scientifique et identitaire (Ibid, 5). Cette diversité se manifeste dans la pluralité des dénominations pour désigner la psychologie du travail. Ainsi, des champs de recherche et d’intervention comme la

« psychologie industrielle », la « psychotechnique », la « psychologie des entreprises », la

« psychologie cognitive du travail », la « psychologie ergonomique », la « psychologie du travail et des organisations » relèvent de la « psychologie du travail » (Karnas, 2018 :7).

Celle-ci s’intéresse aux conditions du travail, aux contextes socio-organisationnels dans lesquels s’inscrit le travail, aux conduites humaines, et enfin aux possibles incidences sur la santé des individus et leur trajectoire professionnelle.

Le travail a « le bras long ». Il touche la vie personnelle de l’individu bien au-delà de l’activité professionnelle. Par conséquent il peut bien causer des séquelles physiques et psychologiques aussi (Clot, 2016 : 2). De ce fait, l’insuffisance de la prise en compte « des caractéristiques psychologiques du travailleur conduit à une insatisfaction au travail, à la dépression et au découragement » (Bobillier-Chaumon et al., 2016 :6), d’autant plus que le management moderne passe de la déshumanisation taylorienne à un travail désormais

«surhumanisé» (Linhart, 2015). Ainsi, pour améliorer les situations de travail et d’usage, il faudrait cerner les sources d’« inconfort émotionnel » (Cahour, 2016 : 167), pour travailler ensuite à améliorer ces situations. Cahour (2010) propose une typologie des sources d’inconfort émotionnel :

La perte de contrôle d’une partie de l’activité qui peut entraîner une incertitude sur l’évolution de la situation et l’on sait que l’incertitude est génératrice de stress.

La surcharge attentionnelle et cognitive dans les cas où le travailleur est sollicité de manières multiples, en activité de travail ou dans d’autres situations d’activité, ce qui va générer des émotions négatives ;

Les relations tendues et l’image de soi menacée par le manque de reconnaissance ou l’excès de contrôle par la hiérarchie, les tensions relationnelles, le manque de soutien par les collègues et le sentiment d’isolement peuvent être source d’inconfort

émotionnel ;

Les conflits éthiques quand on réalise une activité qui entre en contradiction avec les convictions personnelles.

Le métier d’enseignant, notamment de langue, est un travail parmi d’autres. Plusieurs éléments peuvent être source d’inconfort émotionnel. Or, l’enseignant de langue, « gère un capital humain, donc émotionnel » (Aguillar et al., 2017).Les émotions occupent une place essentielle dans la pratique enseignante. Elle représente, quand elle est positive, une source de créativité dans l’intervention donc source de bienveillance vis-à-vis des apprenants. Dans le cas inverse, elle peut être inhibitrice de toute forme de bienveillance.

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Par conséquent, l’amélioration des situations de travail de l’enseignant est d’une grande importance, car l’apprenant d’une langue additionnelle a besoin d’un environnement propice à l’apprentissage et plus de bienveillance.

1.3 Bienveillance et pratique enseignante

La notion de bienveillance inspirée de la culture du « care » (Tronto, 2009) représente, du point de vue de la philosophie politique, « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre « monde », de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible » (Tronto, 2009 :143). Elle représente une « disposition favorable envers quelqu’un » (Godin, 2004, p. 149), autrement dit la bienveillance consiste à veiller au bien-être de l’autre. L’engouement récent pour cette notion est dû principalement à l’influence des éthiques du care issues du monde anglo- saxon (Terraz, 2018). Elle s’inscrit dans le paradigme de l’éducation bienveillante qui s’est socialement imposé depuis quelques années (Roux-Lafay, 2016). Les tenants de ce paradigme stipulent que « si l’école a besoin de rationalité elle a aussi besoin d’affectivité, d’attachement, conditions permettant les liens nécessaires à l’incorporation des apprentissages» (Réto, 2017). Il s’agit d’une approche empathique fondée sur la reconnaissance des besoins et émotions de l’enfant, dans la lignée de la psychologie humaniste de Maslow et Rogers, et des principes de la communication et résolution non violente des conflits, formalisés par Rosenberg (Roux-Lafay, 2016). Ainsi, la bienveillance, c’est surtout donner le plaisir d’apprendre (Saillot, 2018). Pour ce faire l’éducateur est appelé à tout mettre en œuvre pour accompagner l’autre dans son épanouissement, à approfondir son potentiel au sein d’un espace relationnel sécurisé (Chalmel, 2018 :51). Un enseignant bienveillant est un enseignant qui manifeste de l’intérêt pour ses apprenants, développe des dispositifs prenant en compte leurs besoins, propose des adaptations diverses, encourage l’autonomie, ajuste la charge de travail et prend en considération la progression de ses apprenants au lieu de s’appuyer seulement sur des évaluations normées (Réto, 2017). Piot (2018) propose de formaliser un lien entre la bienveillance éducative et les pédagogies actives en s’appuyant sur deux vecteurs permettant de lui donner de la consistance pédagogique et didactique et l’opérationnaliser : le respect des rythmes d’apprentissage et l’importance des espaces dialogiques. Il évoque l’importance de la prise en compte du rythme des apprentissages ainsi qu’une médiation ciblée sous forme, à la suite de Bruner (1983), d’un étayage individualisé. Cette médiation respecte la démarche de l’apprenant et représente un soutien psychologique permettant ainsi de maintenir son engagement dans la résolution des problèmes et prenant en considération ses besoins spécifiques. Il souligne l’importance des espaces dialogiques dans la pratique enseignante. Pour lui, l’enseignant devrait, à la suite d’Olivier Maulini (2005), s’efforcer de questionner l’élève plutôt que de l’interroger car « si le maître interroge l’élève et attend une réponse précise, il exerce une activité de contrôle et cela est utile mais insuffisant pour identifier la démarche de l’élève

». D’où la nécessité d’un climat de classe favorable considérant « l’erreur » comme chose ordinaire dans l’apprentissage. Doré-Côté (2007) dépeint une vision très large du concept de bienveillance. Il peut évoquer la compassion, les sentiments, les émotions, la sollicitude, l’intérêt ou encore la reconnaissance des autres. Elle ajoute que les élèves considèrent un enseignant comme bienveillant, lorsqu’illes aide dans leurs devoirs et les valorise en démontrant du respect. Celui-ci écoute et reconnaît les élèves, les encourage et les motive tout en planifiant des activités amusantes. On constate dès lors que la planification d’activités amusantes, adaptées aux attentes et besoins des apprenants est une forme de bienveillance. Cette posture bienveillante pourrait, selon les travaux de Noddings (1984, 1988, 1996, 2015), maximiser la réussite des élèves. Cette dernière

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considère le caring comme une position d’écoute face aux besoins des apprenants qui fait fi des à priori théoriques au profit des approches idiosyncrasiques (Noddings, 2002).

Toutefois, ceci parait contraignant pour un enseignant de langue additionnelle, novice et travaillant en milieu rural avec des classes pléthoriques ou avec des classes à niveaux multiples ayant bénéficié d’une formation initiale de courte durée ne lui permettant pas d’intervenir. Piot (2018) souligne la nécessité de la prise en charge de la notion de bienveillance éducative par les équipes éducatives et la formation des enseignants pour éviter « de tomber dans une simple mode pédagogique qui ne serait que de passage », et dépasser la vision genrée qui considère l’activité du « caring » comme une disposition maternelle « attachée à des dispositions ou aptitudes intrinsèques à la nature supposée des femmes ». Roux-Lafay (2016), souligne qu’il faut prendre en considération les besoins effectifs des professionnels du care, notamment de formation et de leurs conditions de travail car la bienveillance exigée des enseignants est subordonnée à celle de l’institution.

La bienveillance, notamment la bienveillance linguistique (Beacco, 2017, 299), puisque nous parlons d’une classe de langue additionnelle est désormais une compétence professionnelle à valoriser. La prise en charge des émotions des apprenants dans une classe de langue additionnelle passe essentiellement par la prise en charge des émotions des enseignants et de leurs conditions de travail.

2. Partie pratique

2.1 Méthodologie de recherche

Afin d’analyser les émotions des enseignants de français langue additionnelle, nous avons adopté la typologie des sources d’inconfort émotionnel proposée par Cahour (2010). Notre réflexion s’appuie sur un corpus constitué de dix entretiens d’auto-confrontation réalisés auprès d’enseignants (E dorénavant) de français à l’école primaire :

Enquêtés Sexe Niveau enseigné

Nombre d’entretiens

Durée Quand Contexte Ensignant1 M 3+4+5+6

bilingue (arabe +français)

1 10

min25 s

La salle de réunion

Après le cours

Rural

E2 F 1+2+3

Bilingue

1 17min

28s

La salle de réunion

Après le cours

Rural

E3 F 5+6

Bilingue

1 10 min

58s

La salle de réunion

Après le cours

Rural

E4 F 4+5+6

Bilingue

1 19 min

11s

La salle de réunion

Après le cours

Rural

E5 F 3+4+5+6

Bilingue

1 9 min

30s

La salle de réunion

Après le cours

Rural

E6 F 5ème 1 26 min

8s

La salle de réunion

Après le cours

Rural

E7 F 6ème 1 7 min

22s

La salle de réunion

Après le cours

Rural

E8 F 3+4+5+6

Bilingue

1 12 min

40s

La salle de

Après le cours

Rural

(6)

144

réunion

E9 F 4+5+6

(bilingue)

1 22min

57s

La salle de réunion

Après le cours

Rural

E10 F 6ème 1 11min

17s

La salle de réunion

Après le cours

Rural

Tableau 1 : Tableau récapitulatif des conditions de réalisation des entretiens d’auto - confrontation.

Ce type d’entretiens relève d’une méthode de travail privilégiée en psychologie clinique (Xue, 2016 :188) et vise à co-analyser l’activité de travail d’un acteur social par lui-même et le chercheur en vue, à la suite de Clot (2000) du « développement aussi bien des sujets, du collectif que de la situation ». Les entretiens ont été effectués en langue première des enseignants pour une expression fluide et libre de leurs éprouvés émotionnels (Cahour, 2010).

Et aussi pour éviter que ces entretiens ne se transforment en sorte d’évaluation de leur niveau de langue. Pour inciter les enseignants à verbaliser leurs éprouvés émotionnels, nous nous sommes appuyés sur des enregistrements-vidéo de séances de l’oral réalisés par les enseignants interviewés en s’inspirant des méthodes d’entretien qui visent à remettre le sujet en évocation de la situation. Nous avons conçu, à la lumière de la typologie de Cahour (2010) concernant les sources de l’inconfort émotionnel, une grille d’analyse de contenu afin de déceler ses marques dans le discours des enseignants. Cette grille comporte essentiellement les items suivants : la perte de contrôle d’une partie de l’activité, la surcharge attentionnelle et cognitive, les relations tendues et l’image de soi, les conflits éthiques.

2.2 Résultats et analyse

La perte de contrôle d’une partie de l’activité

En ce qui concerne la perte de contrôle d’une partie de l’activité, tous les enquêtés ont évoqué des composantes de cette source d’inconfort émotionnel, soit « l’impuissance », « la perte de maîtrise » et « l’incertitude » vis-à-vis des situations didactiques. Ces enseignants qui sont formés à l’usage mécanique du manuel scolaire ne possèdent pas les clés de l’intervention pédagogique.

E2 : « La formation initiale ne nous prépare pas à confronter le terrain.Ma seule référence est le manuel scolaire. »

Ils se sentent dépassés par la complexité des situations didactiques. Car, selon les déclarations des enseignants, il existe un écart flagrant entre le profil d’entrée des apprenants à un niveau donné et leur niveau réel.

E1 : « J’exécute le programme en proposant des activités qui ne conviennent pas au niveau des apprenants, c’est stressant. »

E2 : « Les apprenants ne connaissent ni A ni B et je suis obligée de travailler sur des textes. » E4 : « Les activités sont très difficiles et ne correspondent pas au niveau des apprenants. » Les séances sont monotones et les activités ne répondent pas aux besoins des apprenants.

D’où une absence de prise en charge didactique et émotionnelle des apprenants et par conséquent d’une absence de bienveillance.

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E2 : « Quand je constate que les activités du manuel sont très difficiles pour mes apprenants, je m’énerve » et « cette situation rend le climat de la classe tendu et cela pourrait dégénérer ». « C’est l’enfer »

La surcharge attentionnelle et cognitive

La surcharge attentionnelle et cognitive est une source d’inconfort émotionnel pour huit enseignants qui travaillent avec des classes à niveaux multiples (voir tableau supra).

E4 : « je ne sais pas comment m’y prendre pour enseigner plusieurs niveaux en même temps, je me sens perdue »

E1 : « C’est très difficile de travailler avec plusieurs niveaux et d’enseigner deux langues différentes. »

Ces enseignants se voient obligés d’enseigner deux, trois ou quatre niveaux à la fois, en même temps, dans une même salle en respectant les orientations pédagogiques de chaque niveau et en travaillant avec plusieurs manuels sans avoir bénéficié d’aucune formation dans ce sens.

Les relations tendues et l’image de soi

Pour les relations tendues et l’image de soi, tous les enquêtés ont exprimé qu’ils ressentent un excès de contrôle de la hiérarchie représentée soit par le directeur de l’établissement, soit principalement par l’inspecteur pédagogique :

E1 : « J’ai peur d’être sanctionné à cause de l’intervention car « l’autre » n’est pas compréhensif »

E3 : « Le directeur scolaire m’a dit que c’est strictement interdit d’intervenir, il faut se soumettre aux orientations du manuel scolaire ». « Je me sens prise en otage » « Je me sens capable de proposer des alternatives mais le contexte n’est pas favorable ».

Cet excès de contrôle inhibe toute créativité et possibilité d’intervention afin de pallier les dysfonctionnements des situations didactiques.

Les conflits éthiques

Les conflits éthiques sont causés essentiellement par l’excès de contrôle hiérarchique qui oblige les enseignants soit à faire usage de violence verbale ou physique envers leurs apprenants, soit à contourner le système en faisant semblant d’enseigner, en étant d’une assiduité irréprochable et en prenant soin de leurs documents pédagogiques. Car selon eux la hiérarchie ne se soucie guère de leurs efforts d’intervention, au contraire, elle les sanctionne.

Les enquêtés ont exprimé un sentiment de manque de reconnaissance par l’institution :

E1 : « Je travaille dur, je suis assidu, je fais beaucoup d’efforts dans des conditions déplorables mais « l’autre » m’évalue d’une façon injuste ». « Alors pour me protéger je ne dois pas intervenir ».

Vu ces sources d’inconfort émotionnel chez l’enseignant du français à l’école primaire, la situation de travail de cet enseignant est loin d’être favorable à une pratique enseignante bienveillante. Cette situation ne lui permet pas de manifester de l’intérêt pour ces apprenants, de développer des dispositifs prenant en compte leurs besoins, de proposer des adaptations

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diverses, d’encourager l’autonomie, d’ajuster la charge de travail et de prendre en considération leur progression au lieu de s’appuyer seulement sur des évaluations normées et au seul usage mécanique du manuel scolaire.

Conclusion

Cette étude a permis d’explorer une face ignorée du travail de l’enseignant, les émotions. Elle vise à montrer la relation entre les émotions et la bienveillance. Les sources d’inconfort émotionnel pour l’enseignant de français à l’école primaire au Maroc sont multiples et diverses. Elles se focalisent essentiellement sur la perte de contrôle d’une partie ou toute l’activité et l’excès de contrôle de la hiérarchie. Cela veut dire que les enseignants ne possèdent pas les outils de l’intervention pédagogique et de la médiation, et par conséquent leur pratique est loin d’être bienveillante. Nous avons vu que la bienveillance est une compétence professionnelle qui consiste à mettre en œuvre des conditions favorables à la réussite des apprenants.A la suite de Luby et al. 2013 , Narcy-Combes J.P et Narcy-Combes M.F (2019) postulent que « des études ont mis en avant les effets positifs de la bienveillance sur le développement cognitif ». Il s’ensuivra qu’une pratique enseignante bienveillante a un rôle clé. Cependant, l’enseignant est en étau entre les contraintes institutionnelles et contextuelles, ses propres représentations et la réalité du terrain. Le profil d’entrée des apprenants à un niveau n’est pas compatible avec le niveau réel des apprenants. L’enseignant ignore sa marge de manœuvre pour intervenir afin d’adapter le contenu des curriculums avec le niveau réel des apprenants, faute de formation et de ses représentations sur l’excès du contrôle de la hiérarchie. Cette difficulté est source d’anxiété et stress pour l’enseignant ce qui rend l’environnement d’apprentissage loin d’être bienveillant. Et cette situation, sans aucun doute, ne sera pas bénéfique à la mise en œuvre de conditions favorables à l’apprentissage.

Ainsi, nous considérons qu’il existe un lien entre formation des enseignants à l’intervention par la prise du recul et la prise d’initiative, la bienveillance, les émotions et l’apprentissage d’une langue additionnelle, dans notre cas le français. D’où la nécessité d’une formation au terrain des enseignants à la bienveillance dans l’enseignement du français à l’école primaire au Maroc et d’une amélioration des conditions de travail de ces enseignants et des relations hiérarchiques au sein de cette institution.

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