• Aucun résultat trouvé

LA «PREMIÈRE FOIS» : L'INFLUENCE DES PARENTS

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "LA «PREMIÈRE FOIS» : L'INFLUENCE DES PARENTS"

Copied!
10
0
0

Texte intégral

(1)

LA « PREMIÈRE FOIS » : L'INFLUENCE DES PARENTS Charlotte Le Van, Didier Le Gall

Presses Universitaires de France | « Ethnologie française » 2010/1 Vol. 40 | pages 85 à 92

ISSN 0046-2616 ISBN 9782130579342 DOI 10.3917/ethn.101.0085

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2010-1-page-85.htm ---

Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France.

© Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(2)

k\?ȹfi‒¡«ƒ!‒¡?¢›ƒ ¹Ù¹Y?“Fƒ‹¢“·¡‹|¡?~¡ ?fi\‒¡‹

?

??

oMtMeM? ?d ⁄‹›“›£ƒ¡?¢‒\‹ \ƒ ¡?

QOPONP?L?u›“M?SO fi\£¡ ?WT?Ÿ?XQ hrrm?OOSULQUPU

LLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLL

̀‒ ƒ|“¡?~ƒ fi›‹ƒʻ“¡?¡‹?“ƒ£‹¡?Ÿ?“F\~‒¡ ¡Y

⁄ fiYNN•••M|\ƒ‒‹Mƒ‹¢›N‒¡ ·¡L¡ ⁄‹›“›£ƒ¡L¢‒\‹|\ƒ ¡LQOPOLPLfi\£¡LWTM⁄ «

LLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLL LLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLL

o›·‒?|ƒ ¡‒?|¡ ?\‒ ƒ|“¡?Y

??Ak\?ȹfi‒¡«ƒ!‒¡?¢›ƒ ¹Ù¹Y?“Fƒ‹¢“·¡‹|¡?~¡ ?fi\‒¡‹ AK?d ⁄‹›“›£ƒ¡?¢‒\‹ \ƒ ¡K??QOPONP?u›“M?SOK??fiM?WTLXQM

LLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLL

cƒ ‒ƒʻ· ƒ›‹?"“¡| ‒›‹ƒfl·¡?b\ƒ‒‹Mƒ‹¢›?fi›·‒?oMtMeMM Å?oMtMeMM?s›· ?~‒›ƒ ?‒" ¡‒ " ?fi›·‒? ›· ?fi\„ M

k\ ‒¡fi‒›~·| ƒ›‹ ›· ‒¡fi‒" ¡‹ \ ƒ›‹ ~¡ |¡ \‒ ƒ|“¡K ‹› \««¡‹ fi\‒ fi⁄› ›|›fiƒ¡K ‹F¡ \· ›‒ƒ "¡ fl·¡ ~\‹ “¡ “ƒ«ƒ ¡ ~¡

|›‹~ƒ ƒ›‹ £"‹"‒\“¡ ~F· ƒ“ƒ \ ƒ›‹ ~· ƒ ¡ ›·K “¡ |\ "|⁄"\‹ K ~¡ |›‹~ƒ ƒ›‹ £"‹"‒\“¡ ~¡ “\ “ƒ|¡‹|¡ ›· |‒ƒ ¡ fi\‒ › ‒¡

" \ʻ“ƒ ¡«¡‹ M s›· ¡ \· ‒¡ ‒¡fi‒›~·| ƒ›‹ ›· ‒¡fi‒" ¡‹ \ ƒ›‹K ¡‹ ›· ›· fi\‒ ƒ¡K ›· fl·¡“fl·¡ ¢›‒«¡ ¡ ~¡ fl·¡“fl·¡ «\‹ƒ!‒¡ fl·¡

|¡ ›ƒ K ¡ ƒ‹ ¡‒~ƒ ¡ \·¢ \||›‒~ fi‒"\“\ʻ“¡ ¡ "|‒ƒ ~¡ “F"~ƒ ¡·‒K ¡‹ ~¡⁄›‒ ~¡ |\ fi‒" · fi\‒ “\ “"£ƒ “\ ƒ›‹ ¡‹ ƒ£·¡·‒ ¡‹

e‒\‹|¡M h“ ¡ fi‒"|ƒ " fl·¡ ›‹ ›|¤\£¡ ~\‹ ·‹¡ ʻ\ ¡ ~¡ ~›‹‹"¡ ¡ "£\“¡«¡‹ ƒ‹ ¡‒~ƒ M¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(3)

La « première fois » : l’influence des parents

Charlotte Le Van

Université de Caen Basse-Normandie Didier Le Gall

Université de Caen Basse-Normandie

RÉSUMÉ

Pour les garçons et les filles, le premier rapport sexuel demeure un moment émotionnellement important, ce dont témoignent les récits écrits de plusieurs promotions d’étudiants sollicitées à partir d’un texte d’invite dont la consigne était : «Racontez le vécu de votre première relation sexuelle. » Bien que cette consigne ne prédispose guère à « convoquer » les parents, plus de la moitié de ces récits, tout particulièrement ceux des filles, les font intervenir (la mère ou le père, parfois les deux). À partir d’une analyse secondaire des récits dans lesquels les parents sont mentionnés, cet article se propose de mettre au jour les raisons qui motivent leur « venue » dans une narration dans laquelle on aurait pua prioripenser qu’ils n’avaient pas lieu d’être

« conviés ».

Mots-clés: Intimité. Initiation sexuelle. Étudiants. Éducation parentale. Adolescence.

Charlotte Le Van

Centre de Recherche sur les Risques et les Vulnérabilités BureauSH108

MRSH– Université de Caen Basse-Normandie 14032 Caen cedex

levan.charlotte@wanadoo.fr

Didier Le Gall

Centre de Recherche sur les Risques et les Vulnérabilités BureauSH110

MRSH– Université de Caen Basse-Normandie 14032 Caen cedex

didier.le-gall4@wanadoo.fr

Selon la toute dernière enquête quantitative sur la sexualité en France [Bajos et Bozon, 2008], l’âge médian au premier rapport sexuel, c’est-à-dire l’âge auquel la moitié des garçons et des filles ont vécu cet événement, s’établit à 17,2 ans pour les premiers et à 17,6 ans pour les secondes [Bozon, 2008]. Au-delà de ces données de cadrage, les jeunes d’aujourd’hui s’ini- tient à la sexualité adulte dans un contexte de sexua- lité sous contraception, qui a minoré la valeur de la virginité féminine [Andro, 2008] dont le mariage bourgeois du XIXe avait fait un « véritable capital » [Segalen, 1981 : 135], mais aussi dans un contexte à risque, du fait du sida. Par ailleurs, bien qu’ils bénéfi- cient assez tôt d’une relative autonomie et acquièrent précocement une maturité biologique, affective et sociale, la période de dépendance aux parents s’est allongée. Le sexuel apparaît dès lors comme un registre d’affirmation identitaire au sein duquel le groupe de pairs tient, comme dans d’autres (culture, loisirs, codes vestimentaires) [Galland, 2007], un rôle important, que les nouvelles technologies de la communication ont contribué, en dehors de tout contrôle parental, à

renforcer. Si le dialogue parents-enfants demeure néan- moins, « il se restreint », comme le relève Gérard Ney- rand, «se tenant le plus souvent à distance d’une sexualité adolescente constituée en enjeu d’autonomie» [2009 : 98].

Il n’en reste pas moins que, dans le cadre d’une recherche sur la « première fois » auprès d’étudiants [Le Gall et Le Van, 2007], dont le matériau était consti- tué de récits écrits1, plus de la moitié des garçons et des filles évoquent leurs parents, alors que la consigne principale – «Racontez le vécu de votre première relation sexuelle» – ne les prédisposait pas d’emblée, si l’on peut dire, à les « convoquer ». Aussi, si le sexuel est bel et bien un registre d’affirmation identitaire, les parents en sont-ils autant tenus à distance qu’on pourrait le pen- ser ? Par ailleurs, ces derniers pouvant tout autant

« accompagner » ce processus d’autonomisation que l’entraver, pour quels motifs et selon quels registres sont-ils mis en scène ? En bref, quelle est l’influence des parents sur le vécu du premier rapport sexuel ? Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à cette question, nous nous proposons ici, en effectuant une analyse secondaire des 113 récits dans lesquels les

Ethnologie française, XL, 2010, 1, p. 85-92

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(4)

parents sont mentionnés, de mettre au jour les raisons qui motivent leur « venue » dans ces narrations, alors que nous aurions pua prioripenser qu’ils n’avaient pas à y être « conviés ».

Résider au foyer parental : une dépendance objective

La très grande majorité des récits, même les plus longs, ne s’attardent guère sur l’acte lui-même, cette euphémisation des techniques sexuelles concernant aussi bien les filles que les garçons. Les circonstances de la rencontre, l’évolution des sentiments, les possi- bilités de se retrouver, d’avoir des moments d’intimité, de planifier ou non ce premier rapport plus ou moins clandestin et de convenir d’un lieu, sont en revanche longuement décrites. Y apparaissent alors les parents, en raison de la dépendance objective dans laquelle gar- çons et filles se trouvent vis-à-vis d’eux lorsqu’ils rési- dent encore au domicile parental.

Seules les filles précisent néanmoins qu’elles font l’objet d’une surveillance parentale rapprochée : «Nous avons fait de plus en plus de sorties, sous contrôle, bien sûr, car je n’avais que 16 ans, donc mineure ; et vivant seule avec ma mère, les sorties devaient se négocier. » Les garçons ne font, eux, jamais allusion à un strict contrôle de leurs faits et gestes, même si certains reconnaissent qu’ils s’arrangent pour ne pas avoir à dire qu’ils vont retrou- ver leur petite amie ; fait qui semble surtout refléter leur faible prédisposition à évoquer leur vie amoureuse avec leurs parents. «Le plus difficile, c’est d’inventer une soirée chez des amis à dire à ses parents. Doit-on tout dire à ses parents ?» S’ils préfèrent rester discrets sur leur vie sentimentale, ils n’ont cependant d’autre choix que de

« passer aux aveux » lorsqu’ils doivent solliciter l’aide parentale pour rejoindre leur partenaire. «Elle m’a invité à passer un week-end chez ses parents. C’était la première fois que je disais à mes parents que j’avais une petite amie. Il fallait bien qu’ils m’emmènent [elle réside à 80 km], je n’avais pas d’autre moyen de transport. » Et si d’aventure les parents n’apprécient guère d’assumer le rôle de chauffeur ou, comme pour les filles, se mon- trent réticents, voire finissent par interdire tout dépla- cement, certaines relations prometteuses sont amenées à s’achever, comme en témoigne l’histoire d’une étu- diante : «La distance ne nous permettait pas de nous voir beaucoup. Mes parents, méfiants, ne m’ont autorisée, avec beaucoup de compromis, à aller à Paris que deux fois. Et cela

s’est terminé comme cela. » Si les contraintes parentales relèvent très certainement d’une intention louable au regard des valeurs qui les motivent, leurs effets peuvent être parfois douloureusement vécus, voire destructeurs quand elles contraignent garçons et filles à faire le deuil d’une relation amoureuse dans laquelle ils étaient for- tement investis. «L’adolescent ne dispose pas d’une expé- rience de vie suffisante pour relativiser ses épreuves personnelles, ses déceptions. Il est livré sans recul à la violence de l’événement» [Le Breton, 2008 : 171].

Une autre contrainte d’ordre « matériel » consiste à trouver un lieu susceptible d’accueillir ces « amours clandestines ». Certains, faute d’opportunités, ont renoncé au confort et à la quiétude d’un endroit appro- prié : «Comme tout le monde le sait, il n’y a pas besoin qu’il fasse nuit et de disposer d’un lit pour s’adonner pour la première fois aux plaisirs de la chair. » Dans ce cas, les plages, forêts ou chemins de campagne sont le théâtre de leur première fois, certains étudiants plus urbanisés ayant même connu leurs premiers ébats sous un porche, dans un stade désert ou encore, bien que moins roman- tique, dans des toilettes publiques.

D’autres, plus nombreux, ne sont guère disposés à passer à l’acte dans un endroit qui ne leur paraît pas approprié pour partager ce moment fort et intime :

«Nous n’avions pas d’endroit tranquille, et il était hors de question de faire ça à la va-vite dans les “buissons”. » L’option du « confort » suppose alors que les partenai- res « squattent » momentanément un espace privé, ce qui, selon la dernière enquête sur la sexualité, se fait le plus souvent désormais : «Les premiers rapports des générations les plus jeunes se déroulent massivement dans des lieux strictement privés, très majoritairement le domicile des parents de l’un des deux partenaires (dans plus de 70 % des cas) ou dans d’autres espaces privés, prêtés ou empruntés» [Bozon, 2008 : 132]. Nombre de récits confirment cette tendance majoritaire, tout en précisant que, pour déjouer la surveillance parentale, il a fallu «monter un stratagème», «mentir», «trouver un alibi», «planifier sa première fois». Ce qui contraint souvent, alors que la décision de passer à l’acte est prise, à différer quelque peu ce rapport, et parfois pendant de longs mois quand les domiciles parentaux sont totalement inenvisagea- bles. «Nous avions mis un point d’honneur à ne pas avoir de relations sexuelles “complètes” avant de trouver l’endroit et le moment propice. En effet, il était hors de question de le faire chez moi, chez lui, et pire dans une voiture […].

L’occasion s’est donc présentée un an après. Son frère partait en vacances et il nous laissait son appartement.»

86 Charlotte Le Van, Didier Le Gall

Ethnologie française, XL, 2010, 1

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(5)

L’option du domicile parental au risque de l’imprévu

et du manque de spontanéité

Si la grande majorité des passages à l’acte se sont déroulés au domicile des parents de l’un des partenai- res, les récits recueillis décrivent toutefois des situations fort différenciées selon que les parents sont ou non présents, et que les étreintes du jeune couple se font ou non à leur insu. Le domicile parental s’impose en toute logique lorsqu’il s’avère ponctuellement dispo- nible en raison du départ des parents pour un week- end ou de l’activité des deux parents : «Le mercredi après-midi nous n’avions cours ni l’un ni l’autre. Alors nous avons décidé d’aller chez moi car mes parents travaillant, nous serions tranquilles. » Nombre de « premières fois » ne connaissent pas en effet de Premier matin [Kaufmann, 2002], contrairement aux rencontres à l’âge adulte qui s’amorcent fréquemment par une nuit d’amour.

L’absence momentanée des parents est certes perçue comme une opportunité qu’il faut savoir saisir, mais certains étudiants reconnaissent aussi que ce créneau de liberté, objectivement limité, tend à « tuer » le romantisme de la relation, car la spontanéité n’a plus droit de cité. «Une impression bizarre me rendait mal à l’aise, surtout parce que c’était prévu. L’imaginaire qui tourne autour de la première relation s’envolait. Cela me paraissait comme un acte obligatoire. » Et c’est sans compter sur le fait que la situation peut notablement se compliquer lorsque certains imprévus sont susceptibles de trahir leurs ébats (traces de sang dans le lit par exemple) et plongent les « amants » dans l’angoisse de la précipita- tion. Ce qui est tout particulièrement le cas lorsque, n’ayant qu’un lit d’une place, on s’autorise à emprunter celui de son père, comme nous le raconte cette étu- diante : «Seulement après, quand il s’est retiré, eh bien le préservatif aussi, ce qui fait que tout a coulé dans les draps de mon père. Et là, on a beaucoup ri, mais pas très longtemps car il fallait que je les lave avant le retour de mon père. »

Quand les parents acceptent que le/la partenaire de leur fils ou fille dorme une ou plusieurs nuits à la maison, c’est presque toujours en faisant chambres séparées. Aussi la plupart des premières fois qui ont lieu au domicile en « présence » des parents n’ont-elles été possibles que parce que l’un des deux partenaires – bien souvent avec l’accord de l’autre – n’a pas res- pecté ce à quoi il s’était engagé. «Un jour, il a demandé à mes parents si je pouvais dormir chez lui. Mes parents ont accepté, et ses parents aussi, à condition que l’on ne dorme

pas ensemble dans la même chambre, dans le même lit. Le pacte a été signé et j’ai passé une nuit chez ses parents dans sa chambre, seule. Enfin, pas tout à fait. Au cours de la nuit, il est venu me rejoindre dans mon lit.» Situation qui certes n’est pas sans risque et place presque toujours l’invité(e) dans une situation peu confortable, quand ce n’est pas le cas du partenaire invitant : «Il y avait la proximité de mes parents qui me gênait. » Avoir son premier rapport au domicile des parents alors qu’ils sont présents n’est donc possible qu’en trahissant la parole donnée, sauf dans le cas, plus rare, de parents « très tolérants » ou de l’un des deux seulement. Ce qu’a connu une des étu- diantes de notre corpus. Après qu’elle eut rencontré son « petit copain », ses parents, et plus particulière- ment sa mère, ont accepté qu’ils dorment à la maison, mais en faisant chambre à part. Puis un mois plus tard, à l’évidence de connivence avec sa fille, la mère donne son aval pour qu’ils partagent le même lit. «Ma mère était au courant. Le soir venu, le samedi soir donc, elle proposa à mon père une sortie au restaurant afin de me laisser l’appar- tement. » Reste que, dans le cas présent, on peut se demander si la complicité bienveillante de la mère n’est pas aussi une forme de contrôle parental du bon

« déroulement » de l’entrée de sa fille dans la sexualité adulte.

L’importance de la « bénédiction » parentale

Comme dans ce dernier exemple, nombre d’étu- diants précisent qu’ils bénéficiaient plus ou moins de l’accord d’un de leurs parents, voire des deux, pour passer le cap de leur première fois. Pour que celle-ci advienne dans des conditions optimales, la « bénédic- tion » parentale apparaît en effet, pour certains, comme un ingrédient nécessaire, voire primordial. Particuliè- rement recherchée par les filles, elle peut concerner la relation entretenue avec le/la partenaire et/ou la sur- venue du premier rapport sexuel.

Nombre de récits évoquent ainsi comme un moment fort le rituel de la présentation du partenaire aux parents. Il fait, comme l’écrit une étudiante, passer la relation à un « degré supérieur » qui autorise alors à entrevoir la suite : «On s’est présenté nos parents et, une fois cet acte réalisé, qui fait évoluer la relation car elle la fait passer à un degré supérieur, on a discuté de sa première fois [à lui] et de sexe en général, et on a décidé qu’on était prêts à franchir l’étape. »

La « première fois » : l’influence des parents 87

Ethnologie française, XL, 2010, 1

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(6)

La présentation aux parents conforte la relation et confère une autre dimension au couple. D’abord, parce qu’elle est perçue comme le signe d’un engagement relationnel de la part de celui qui présente, et laisse ainsi augurer une certaine pérennité de la relation.

Ensuite, parce qu’elle donne une certaine légitimité au couple, certaines filles sacrifiant à ce rituel afin que leurs parents ratifient leur choix. Le fait que le parte- naire soit apprécié par les parents, qu’il soit intégré à la famille, revêt alors une grande importance. Il est présenté comme un élément, parmi d’autres, qui vient légitimer la survenue du premier rapport sexuel et constitue un ingrédient nécessaire pour que « tout aille bien ». «Ma mère l’aimait bien car il était très doux, réservé et gentil, tout allait bien» ; «il faut dire que X ne vivait pas avec moi chez moi mais avait été très bien intégré dans ma famille. Tout le monde s’est très vite intéressé à lui et l’a accepté».

Quand elle concerne plus directement le passage à l’acte, la « bénédiction parentale » n’est, au regard de notre corpus, recherchée que par les filles. Certaines tiennent en effet à discuter de ce rapport inaugural avec leurs parents, voire à prendre conseil auprès d’eux, sachant que la mère est presque toujours l’interlocuteur privilégié. Nombre d’étudiantes soulignent ainsi que, pour passer le cap de leur première fois, elles bénéfi- ciaient de leur accord, plus ou moins explicite, voire même de leur soutien : «Je peux dire que c’est grâce au soutien de ma mère que j’ai pu bien gérer et aborder cette relation. » Pour certaines, cet accord constitue un pré- requis nécessaire pour passer à l’acte. Aussi, bien que se sentant « prêtes », elles diffèrent parfois ce moment inaugural dans l’attente de l’approbation maternelle :

«Pour ma mère, il était encore trop tôt»… Approbation qui, du reste, n’est pas toujours donnée sans contre- partie, comme le précise une étudiante dont la mère satisfait à sa demande de pilule, sous réserve que sa fille ne laisse pas sa relation amoureuse entraver sa réussite scolaire : «Pour ma part j’étais vraiment certaine d’être très amoureuse. J’estimais que c’était réciproque et je décidai donc de demander la pilule à ma mère. Ma mère avait énormément confiance en moi, en mon jugement. J’étais une bonne élève en cours, elle accepta donc facilement de m’accompagner chez le gynécologue, mais me mit en garde par rapport à mes études.

Cette relation devenait sérieuse mais elle ne devait pas me rendre moins studieuse. »

À l’instar de ce dernier exemple, l’approbation

« parentale », notamment maternelle, s’obtient fré- quemment à travers l’aval donné pour se procurer une pilule contraceptive. Nombre de récits précisent en

effet que la prise d’une contraception orale s’est faite avec l’accord, voire l’aide et l’accompagnement chez le médecin ou le gynécologue, de la mère en premier lieu, et à défaut – si celle-ci est décédée par exemple – du père. Au-delà de la dépendance affective dans laquelle les filles peuvent être à l’égard de leurs parents, la nécessité pour certaines de prendre la pilule avant d’avoir leur premier rapport sexuel peut expliquer en partie la plus grande prédisposition féminine à infor- mer ses parents de son entrée dans la sexualité adulte.

Malgré l’existence de centres de planification qui déli- vrent gratuitement une contraception orale, il n’est en effet pas toujours aisé, notamment lorsqu’on réside en zone rurale, de se la procurer [Le Van, 1998]. Par ailleurs, l’information des filles sur la contraception transite aujourd’hui plus qu’hier par la mère [Bozon, 2008].

Autant de raisons qui expliquent que, dans notre corpus, nous ne disposions pas de récit masculin faisant état d’une connivence et d’un suivi maternels aussi poussés que chez certaines filles. Quelques garçons évoquent néanmoins le soutien de leur mère, mais celui-ci est plutôt recherché en aval qu’en amont du premier rapport sexuel, notamment lorsque le fait de ne pas s’être protégé génère certaines angoisses a pos- teriori. Ainsi est-ce le cas de cet étudiant qui, du reste, centre tout son récit sur ce point, et relate les affres de la peur qu’il a connues jusqu’à ce que sa mère par- vienne à le rassurer : «C’est après l’acte que j’ai commencé à mesurer un peu les conséquences des risques que j’ai pu prendre. […] Après j’en ai parlé à ma mère, avec qui j’en ai beaucoup discuté.[…] Je suis resté à peu près deux mois dans cette peur, et à chaque fois que la fille venait me voir, je m’attendais à ce qu’elle m’annonce quelque chose qui est en rapport avec notre première relation. Après, ma mère nous a réunis tous les deux pour nous rassurer, afin qu’on ne continue pas dans cette peur. Et après le reste est devenu banal. »

Les premières fois

gâchées par les parents : un phénomène féminin

Si nombre d’étudiants, en particulier des filles, men- tionnent leurs parents pour préciser qu’elles bénéfi- ciaient de leur aval, voire de leur soutien, pour passer le cap de leur première fois, d’autres, à l’inverse, les convoquent dans leur récit pour souligner que, faute 88 Charlotte Le Van, Didier Le Gall

Ethnologie française, XL, 2010, 1

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(7)

d’une possible « bénédiction » de leur part, leur entrée dans la sexualité adulte s’est déroulée à leur insu, et donc contre leur gré. «Ma famille n’en a jamais rien su car ma mère ne l’aurait jamais accepté. Elle est très tradition- nelle.» La grande majorité des étudiantes le regrettent néanmoins ou en sont affectées : «Je pense que ce qui m’a beaucoup marquée concernant mon premier rapport sexuel, c’est le caractère clandestin et inavouable par rapport à mes parents. » Affleurent alors dans leurs récits des sentiments tels que la peur, la honte ou la culpabilité, qui viennent ternir le vécu de ce moment inaugural de l’entrée dans la sexualité adulte. Même celles qui reconnaissent avoir connu des conditions optimales pour franchir ce cap déclarent que leur première fois a été «gâchée» ou «loupée» à cause de leurs parents.

Reste que les dommages occasionnés par l’attitude parentale relèvent de diverses causes et peuvent se faire ressentir aussi bien en amont qu’en aval, voire durant l’acte lui-même. Ainsi est-il déjà d’emblée difficile pour certaines d’imaginer la simple éventualité de tisser une relation, leurs parents ne leur accordant pas la moindre autonomie : «Je sortais d’une famille très sévère, donc une relation avec lui m’a effrayée. J’avais peur de la réaction de mes parents. » Mais c’est presque toujours avant de passer à l’acte que resurgit la peur de déroger aux prescriptions des parents, et ce à un point tel que celle-ci en arrive parfois à supplanter l’angoisse liée à ce premier rapport. «J’avais peur de “passer à l’acte”. Je crois que ce dont j’avais le plus peur, c’était que mon père apprenne l’existence de cette relation.»

Cependant, si le fait de devoir dissimuler sa relation et passer outre à l’interdit parental s’avère pesant et interfère sur ce premier rapport : «Je savais pertinemment qu’ils ne devaient en aucun cas être au courant de cela et cela a un peu gâché cette première fois car je n’arrivais pas à occulter ça de mon esprit», c’est sans commune mesure avec l’éducation parentale reçue en matière de sexua- lité. En contribuant à modeler le rapport que ces filles entretiennent à la sexualité, elle influe indubitablement sur la façon dont le premier rapport sexuel est vécu et sur le souvenir qu’elles en gardent rétrospectivement.

Ce dont certaines ont pleinement conscience : «Je suis convaincue que l’éducation des parents à ce niveau précis fonde ton comportement et ta vision du sexe pour plus tard» ; «il faut pouvoir en parler ouvertement avec ses parents pour le vivre le mieux possible». Aussi, pour expliquer qu’elles ont mal vécu leur première fois, nombre d’entre elles commencent par rappeler qu’elles ont reçu une édu- cation «sévère», «rigide», «moraliste», «traditionnelle» ou encore «vieux jeu», où la sexualité était un sujet

«tabou», voire «honteux». «Ce qu’il faut tout de même préciser, c’est que j’ai toujours été baignée dans la religion catholique, très pratiquante et toutes les clauses que propose la Bible. Le tabou de la sexualité était omniprésent : ne pas en parler, ne pas regarder cela à la télévision. C’était sale et honteux selon mes parents.»

Les filles déplorent alors que la sexualité n’ait pas eu droit de cité au sein de leur famille ou incriminent la pseudo-éducation sexuelle reçue, conscientes que celle-ci les a quand même marquées, et qu’elles ne peuvent s’en détacher aussi aisément : «Ma mère étant de la “vieille école” et m’ayant donné une éducation sexuelle plus ou moins vieux jeu, […] je crois que tous ces “stéréo- types”, ces modes de représentations se sont inscrits quelque part dans mon subconscient et m’empêchaient d’avoir une activité sexuelle dite normale. » En transmettant une image de la sexualité teintée de honte et de culpabilité, ces parents contribuent inéluctablement à rendre le pre- mier rapport sexuel de leur fille problématique. «Sur le coup, je ne comprenais pas que l’on puisse éprouver du plaisir à faire l’amour. En fait, j’étais préoccupée par bien d’autres soucis que celui de mon propre plaisir. Ma culpabi- lité : j’avais l’impression de trahir la confiance de mes parents, de salir ma famille, j’avais l’impression que ça se verrait le lendemain sur mon visage. J’avais honte.» Et la déception éprouvée lors du premier rapport est presque toujours reliée à l’éducation reçue : «Ce ne fut pas la magie à laquelle je pouvais m’attendre de par le discours des autres.

Sans doute y a-t-il eu aussi, ici, l’expression d’une censure due à l’apprentissage et à l’éducation. »

Pour d’autres enfin, bien que leur première fois ait été satisfaisante et conforme à leurs attentes, le souvenir qu’elles en conservent est mitigé en raison de la réac- tion des parents qui, après coup, ont fortuitement découvert que leur fille n’était plus vierge : «C’est ensuite que les problèmes ont commencé. Ma mère a fouillé dans mon courrier et l’a découvert. […] Elle m’a reproché d’avoir profité de la situation (elle n’était pas là) et aussi le fait que je profite de sa situation. […]L’année d’avant, elle venait de divorcer de mon père et assumait donc seule mon éducation (mon père n’ayant jamais fait valoir son droit de garde à mon égard).[…]J’en ai longtemps voulu à ma mère de m’avoir gâché un moment qui aurait dû être un bon souvenir en un énorme reproche, voire de dégoût. » L’in- fluence négative des parents intervient donc aussi par- fois en aval de la première fois, comme dans le cas présent où la réprobation maternelle, à l’évidence étroitement liée à d’autres problèmes familiaux récents, vient en ternir le souvenir.

La « première fois » : l’influence des parents 89

Ethnologie française, XL, 2010, 1

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(8)

Les « problèmes familiaux » :

une incidence diversement déclinée

Un peu à l’image du précédent exemple, pour cer- tain(e)s ce n’est pas tant la rigueur de l’éducation parentale ou les interdits liés à la sexualité qui interfè- rent sur le premier rapport que, plus globalement, l’ambiance au sein du milieu familial. Nombre d’étu- diants, des garçons comme des filles, font référence, de façon générique, à l’existence de « problèmes fami- liaux », qu’ils ne détaillent d’ailleurs que rarement, pour expliquer le processus qui les a menés à leur première fois. Si donc les parents sont là encore en cause, ce n’est toutefois que de manière indirecte. Ainsi un étudiant reconnaît-il que les problèmes rencontrés par sa partenaire au sein de son milieu familial ont largement contribué à les rapprocher : «Son contexte familial était tellement mauvais et le mien très bon, pour ne pas dire excellent, que c’est ce qui a sans doute contribué à la rapprocher de moi, et comme pour signer ce rapprochement, nous avons eu des rapports sexuels. »

Reste que, lorsque les problèmes familiaux sont évo- qués par ceux-là mêmes qui les subissent, c’est plutôt pour souligner les conséquences néfastes qu’ils ont pu avoir, ceux-ci prédisposant parfois davantage au rap- prochement des corps que des cœurs : «Je ne l’aimais pas. On a rompu plusieurs fois. Je sortais avec lui plus parce qu’à cette époque, ça n’allait pas du tout avec mes parents ; et comme il avait le permis, ça me permettait de passer moins de temps chez moi…» Pour échapper à une ambiance familiale délétère, ils instrumentalisent volontiers un partenaire que, par ailleurs, ils n’aiment guère ou dont ils se sont pris d’affection car il offrait justement cette opportunité, comme le reconnaît ce garçon : «Comme elle avait une voiture, cela facilitait les choses. C’était à une période où j’avais besoin de sortir de chez moi, et c’est pour ça je pense que je me suis senti amoureux d’elle. »

Si les conflits familiaux sont à l’origine de premières fois sans amour véritable, ils peuvent aussi conduire, quand le malaise vécu est profond, à se fourvoyer sur ses propres sentiments, ou à manquer de discernement, ce qui est particulièrement le cas lorsque le besoin d’avoir un soutien affectif, de trouver du réconfort, devient prégnant. «Et, c’est là que mon premier flirt a commencé : quand il a vu dans quel état j’étais, L. est venu me voir et m’a emmenée boire un café, il a essayé de me changer les idées. On a parlé de beaucoup de choses, et quand il a vu que ça allait mieux, il m’a demandé si je voulais sortir avec lui. J’étais complètement “paumée”, j’ai pensé à

un tas de choses en même temps et j’ai dit oui sans vraiment m’en rendre compte ; c’est comme si on m’avait secouée et que tout s’était mélangé dans ma tête. » Au malaise familial éprouvé s’en ajoute alors un autre : «Il a commencé à me faire des petits bisous, et ça me déplaisait, je n’aimais pas son contact sur mon visage ; c’était un mélange de peur, d’angoisse, de détresse par rapport à tout ce qui se passait et que je ne contrôlais pas. […] En réalité, je crois que j’avais eu besoin de lui à un certain moment, mais que je ne l’aimais pas. Quand je me suis sentie mieux, je me suis rendu compte que je ne l’aimais que comme un copain, mais sans plus. » Ainsi les problèmes familiaux sont-ils susceptibles de précipiter certain(e)s, presque à leur insu, dans une relation qu’ils n’auraient pas amorcée, ou à laquelle ils auraient eu tôt fait de mettre un terme, dans d’autres circonstances.

À l’inverse, d’autres récits en marge de notre corpus, puisqu’il s’agit de récits de flirts, montrent que, loin d’inciter au passage à l’acte, ils rendent aussi parfois impossible tout rapprochement des corps ou des cœurs.

Quelques étudiants soulignent en effet que les échecs ou les déboires du couple parental ont généré chez eux la peur de s’engager. Aussi, malgré les sentiments éprouvés pour leur partenaire, certains mettent-ils par- fois, pour cette simple raison, précocement un terme à une relation pourtant prometteuse : «Nos sentiments sont devenus très forts et quelque peu angoissants pour moi.

Je le savais amoureux, et moi, à cette époque, l’engagement me faisait très peur. J’avais peur de souffrir, et vu le modèle familial dans lequel j’avais grandi et je grandissais encore, j’ai pris peur et aussi la fuite. » Un exemple, parmi d’autres, qui ne manque pas de faire écho à ce que Hugues Lagrange relevait concernant l’incidence de la sépara- tion des parents sur les enfants : elle peut avoir «des conséquences en termes de socialisation – vivre sans son père à la maison – et en termes de valeurs et d’orientations morales – la possibilité du divorce implique pour tel adolescent une charge émotionnelle qui n’existe pas pour tel autre vivant dans un foyer uni» [1997 : 164]. Enfin, toujours dans le registre de la catégorie « flirt », citons le cas d’une étu- diante dont la situation peut paraître, comme elle l’écrit, « atypique », puisqu’elle entretient une « vie de couple » depuis plusieurs années, mais souligne bien qu’elle n’a, en raison de « problèmes familiaux et psy- chologiques » dont elle ne précise pas la nature, tou- jours pas passé le cap de sa première fois : «Cela dure depuis presque six ans maintenant. Nous avons une maison ensemble, un chien… une vie de couple ! Mais des problèmes familiaux et psychologiques m’ont empêchée de passer à l’acte (je suis suivie par un psychologue pour ça). »

90 Charlotte Le Van, Didier Le Gall

Ethnologie française, XL, 2010, 1

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(9)

Une expérience personnelle, entre consentement

et influence parentale

S’opérant moins en référence à des normes et valeurs clairement établies et s’imposant à tous, l’initiation amoureuse et sexuelle, qui se déroule dans un contexte relationnel plus égalitaire au sein duquel chacun peut faire valoir ses choix, s’appréhende plus comme une expérience personnelle où le plaisir sexuel est décou- verte, voire affirmation de soi. Comme l’écrit Michel Bozon : «Dans les sociétés contemporaines, qui ont élaboré un domaine de l’intimité et des sentiments personnels, la sexualité, dont la procréation n’est plus qu’un aspect, est devenue une des expériences fondamentales de la construction de la subjectivité et du rapport à soi-même» [2001 : 185].

Elle n’est toutefois pas le fait d’individus sans références [Le Gall, 1997], puisqu’il n’est guère possible de se dégager totalement des contraintes sociales qui nous façonnent. Ce ne sont cependant plus tant des normes statutaires qui guident aujourd’hui le rapprochement des cœurs et des corps que «l’adhésion à une procédure de mise en relation» [Neyrand, 2009 : 19] fondée sur le consentement. Pour le dire avec les mots d’Irène Théry, «notre société a progressivement remplacé le régime statutaire des normes sexuelles par un régime procédural : c’est le consentement à l’acte qui est désormais le critère majeur de partition entre le permis et l’interdit» [2006 : 35].

Cependant, outre le consentement entre partenaires, il semble bien qu’il faille aussi prendre en compte l’influence des parents qui se révèle parfois, comme

l’illustrent ces récits, particulièrement patente. Les parents sont de fait convoqués dans deux registres dis- tincts, mais non exclusifs, qui réfèrent, pour l’un, à une dépendance objective, matérielle, et, pour l’autre, à une dépendance affective ou psychologique, cette der- nière apparaissant moins prégnante chez les garçons que chez les filles. La « bénédiction » parentale est en effet fréquemment recherchée et appréciée par elles, la mère constituant presque toujours l’interlocuteur pri- vilégié. De la même façon, l’éducation reçue, libérale ou rigoriste, semble avoir une incidence plus marquée sur le vécu du premier rapport sexuel des filles, ainsi que, mais dans une moindre mesure, les problèmes familiaux. Sur ce point précis, nous confirmons une permanence que Michel Bozon soulignait en ces ter- mes : «La socialisation sexuelle des femmes reste toujours plus contrôlée que celle des hommes, ce qui peut conduire à des premiers rapports mal vécus» [2008 : 141], et, à un niveau plus global, il nous semble que la question du premier rapport sexuel ne peut être traitée indépen- damment du genre, ni du passé familial, des normes sociofamiliales héritées, notamment en matière de sexualité. Bien que bénéficiant d’une plus grande auto- nomie désormais, les garçons et les filles convoquent leurs parents dans leurs récits, certes parce qu’ils sont dans une dépendance matérielle vis-à-vis d’eux, mais aussi parce que ce qu’ils ont vécu avec eux et reçu d’eux a contribué à façonner leur rapport au monde.

Aussi, lors d’un moment qui reste émotionnellement important comme celui de la première fois, cette empreinte n’est-elle pas sans interférer, même si elle semble avoir une moindre emprise chez les garçons.

Note

1. Six promotions d’étudiants de l’univer- sité de Caen Basse-Normandie inscrits en troi- sième année de sociologie ont été sollicitées, une année sur deux, entre 1995 et 2005. Au terme de ce recueil, outre les 19 récits relatant

un flirt, comme le prévoyait la procédure pour ceux qui n’avaient pas encore vécu cette expé- rience, nous disposions de 196 récits exploita- bles. Précisons encore que, la figure de l’Héritier [Bourdieu, Passeron, 1964] ayant vécu avec l’accroissement des jeunes suivant une forma- tion supérieure, l’appartenance sociale des étu- diants s’est diversifiée [Galland et Oberti, 1996], certains provenant fréquemment de milieux

modestes, notamment dans le secteur des lettres et sciences humaines. Si le contexte de leur ini- tiation amoureuse et sexuelle n’est cependant pas comparable à celui des jeunes des cités [Clair, 2008], il n’en reste pas moins que nombre d’entre eux ont un père et/ou une mère employé(e) ou ouvrier(e), ce qui était par exem- ple le cas de 84,5 % de nos enquêtés en 1997.

Références bibliographiques

ANDROArmelle, 2008, « Les jeunes qui n’ont pas encore eu de rapport sexuel, entre normes sociales et manque d’oppor- tunités »,inNathalie Bajos et Michel Bozon (dir.), coordination Nathalie Beltzer,Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte : 149-162.

BAJOS Nathalie et Michel BOZON (dir.), 2008, Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte.

BOURDIEUPierre et Jean-Claude PASSERON, 1964,Les Héritiers.

Les étudiants et la culture, Paris, Éditions de Minuit.

BOZONMichel, 2001, « Sexualité et genre »,inJacqueline Lau- fer, Catherine Marry et Margaret Maruani (dir.),Masculin-fémi- nin : questions pour les sciences de l’homme, Paris,PUF: 169-186.

La « première fois » : l’influence des parents 91

Ethnologie française, XL, 2010, 1

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(10)

– 2008, « Premier rapport sexuel, première relation : des pas- sages attendus », in Nathalie Bajos et Michel Bozon (dir.), Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte : 117-147.

CLAIR Isabelle, 2008,Les Jeunes et l’amour dans les cités, Paris, Armand Colin.

GALLANDOlivier, 2007, 4eédition,Sociologie de la jeunesse, Paris, Armand Colin.

GALLANDOlivier et Marco OBERTI, 1996,Les Étudiants, Paris, La Découverte.

KAUFMANNJean-Claude, 2002,Premier matin. Comment naît une histoire d’amour, Paris, Armand Colin.

LAGRANGE Hugues, 1997, « Transition vers la sexualité géni- tale »,inHugues Lagrange et Brigitte Lhomond (dir.),L’Entrée dans la sexualité. Le comportement des jeunes dans le contexte du sida, Paris, La Découverte.

LE BRETON David, 2008, « Le mal de vivre adolescent », in David Le Breton (dir.),Cultures adolescentes. Entre turbulence et construction de soi, Paris, Autrement : 165-174.

LEGALLDidier, 1997, « Sociologie, scopophilie et intimité », Mana, revue de sociologie et d’anthropologie, Caen, Université de Caen Basse-Normandie, 3 : 219-269.

LEGALLDidier et Charlotte LEVAN, 2007,La Première Fois.

Le passage à la sexualité adulte, Paris, Payot.

LE VANCharlotte, 1998,Les Grossesses à l’adolescence. Normes sociales, réalités vécues, Paris, L’Harmattan.

NEYRANDGérard, 2009,Le Dialogue familial. Un idéal précaire, Ramonville-Saint-Agne, Érès.

SEGALENMartine, 1981, « LeXIXesiècle. Le manteau des jeunes filles (la virginité dans la société paysanne) », inLa Première Fois ou le roman de la virginité perdue à travers les siècles et les continents, Paris, Ramsay : 121-138.

THÉRYIrène, 2006, « Changement des normes de la vie privée et de la sexualité. De la question individuelle à la question sociétale », in Gérard Neyrand, Michel Dugnat, Georgette Revest et Jean-Noël Trouvé (dir.), Familles et petite enfance.

Mutations des savoirs et des pratiques, Ramonville-Saint-Agne, Érès : 25-33.

ABSTRACT

Parents’ influence on the first experience of sexual intercourse

For boys and girls alike, first sexual intercourse is a significant emotional experience. This is clearly demonstrated in written accounts collected from college students in response to a narrative inquiry. The instruction : “Please relate the experience of the first time you had sex” made no mention or even suggestion of “parents”, and yet more than half of the narratives, particularly those provided by girls, involved the mother or the father, and sometimes both parents. Based on a secondary analysis of the narratives in which parents were mentioned, this article explores the reasons behind the appearance of these unexpected guests.

Keywords: “The first time”. Sexual initiation. Students. Parental education. Adolescence.

ZUSAMMENFASSUNG

Das „erste Mal“ und der Einfluss der Eltern

Für Jungen und für Mädchen ist die erste sexuelle Erfahrung ein emotional wichtiger Moment. Dies geht aus einer schriftlichen Befragung mehrerer Studienjahrgänge hervor, die gebeten wurden über das Thema „Wie hast Du Deine erste sexuelle Erfahrung erlebt ?“ zu berichten. Selbst wenn in der Fragestellung in keiner Weise auf eine mögliche Rolle der Eltern hingewiesen wird, so werden sowohl Mutter als auch Vater – vor allem von den befragten Mädchen – in über die Hälfte der Berichte miteinbezogen. Im Rahmen einer Meta-Analyse derjenigen Berichte, die die Rolle der Eltern erwähnten, beschäftigt sich dieser Artikel mit den Motiven, die zur Aufnahme der Eltern in die einzelnen Berichte geführt haben könnten.

Stichwörter: Intimität. Sexuelle Aufklärung. Studenten. Elterliche Erziehung. Phase des Erwachsenwerdens.

92 Charlotte Le Van, Didier Le Gall

Ethnologie française, XL, 2010, 1

© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 12/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

Références

Documents relatifs

Même si vous avez été bien formés par l’équipe hospitalière, au retour à domicile, vous pouvez vous retrouver seuls et appré- hender les soins à

Les parents plus sensibles aux aménités historiques que l’ensemble des Lyonnais Quelques différences existent, de manière globale, en matière d’éléments préférés de bien-être

C’est le choix du collège Georges Politzer d’intégrer cette thématique forte et transversale dans notre projet d’établissement qui, nous en sommes tous certains, sera un

La moitié des enfants de parents bipolaires participant à la recherche avaient eux aussi le trouble, l'autre moitié avaient le trouble déficit de l'attention et hyperactivité

Aussi proposons-nous de nous centrer dans cette section sur ce qui pose problème dans l’exercice de ce rôle parental afin d’identifier les questions de recherche

[r]

Tout le monde se plaint : les enseignants, parce qu’ils ne sont plus respectés et que les élèves se croient tout permis ; les parents, parce qu’ils vivent le pouvoir

3 échecs consécutifs entraînent la fin du concours pour l'élève