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PIERRE BOREL MEDECIN ET SAVANT CASTRAIS DU XVII e SIECLE

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Submitted on 6 Mar 2018

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DU XVII e SIECLE

Didier Foucault

To cite this version:

Didier Foucault. PIERRE BOREL MEDECIN ET SAVANT CASTRAIS DU XVII e SIECLE. Cahiers d’histoire du Centre d’étude d’histoire de la médecine, 1999, Pierre-C. Lile. �halshs-01717004�

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PIERRE BOREL

MEDECIN ET SAVANT CASTRAIS DU XVII e SIECLE

________________________

Textes choisis et présentés par

Didier Foucault

Traductions réalisées par Jean Golfin et Didier Foucault

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CENTRE D’ETUDE D’HISTOIRE DE LA MEDECINE

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SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE :

Didier Foucault, Pierre Borel, un médecin provincial dans la révolution scientifique du Grand

Siècle...3

DEUXIEME PARTIE : Pierre Borel, Centurie d’observations microscopiques - Observationum microscopicarum centuria, texte de l’édition originale (1656), traduit pour la première fois en français par Jean Golfin et Didier Foucault...17

TROISIEME PARTIE : Pierre Borel, Centurie seconde d’observations chirurgiques, traduite du latin en français par Théophile Bonnet (1708)...43

QUATRIEME PARTIE Pierre Borel, Morceaux choisis extraits de diverses œuvres...61

Travaux pharmaceutiques de Borel...63

Ni empirique, ni Diafoirus, l’idéal du médecin selon Borel...69

Hésitations envers les superstitions populaires et crédulité à l’égard des sciences occultes...71

Manifeste d’un savant copernicien vingt-quatre ans après la condamnation de Galilée.73 TABLE DES ILLUSTRATIONS Gravures originales extraites des Observations microscopiques (1656) Page de titre de l’ouvrage...16

Les huit yeux de l’araignée...23

L’insecte talqueux...30

Une écaille de poisson...30

L’insecte aux cornes recourbées...30

Un insecte sans nom...32

Un papillon...34

Un petit insecte vert...36

Portrait de P. Borel conservé au Musée Goya de Castres...62

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PREMIERE PARTIE

DIDIER FOUCAULT

PIERRE BOREL (1620 ? - 1671)

UN MEDECIN PROVINCIAL

DANS LA REVOLUTION SCIENTIFIQUE

DU GRAND SIECLE

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Pour avoir publié à Castres, en 1649, Les antiquitez, raretez, plantes, mineraux et autres choses considerables de la ville et comté de Castres d’Albigeois, l’une des toutes premières études consacrées à cette cité, Pierre Borel a conservé dans sa ville natale une certaine notoriété1. Mais, cette réputation locale, que recouvre-t-elle ? Avant tout un nom, dont l’évocation reste bien nébuleuse. Qui lit, en effet, encore ses livres ? Les nombreux manuscrits dont il fait état ont bel et bien disparu, en dépit des pressantes recommandations adressées à ses héritiers avant de mourir. Nul, depuis le XVIIe siècle, n’en a retrouvé la trace. Seule leur liste nous est connue grâce aux livres qu’au cours de sa carrière le savant a pu faire imprimer ou qui révèlent, disséminées au fil des pages, quelques indications sur le contenu des papiers perdus2. Cette liste témoigne d’un grand éclectisme, que confirme celle des ouvrages qui ont trouvé un éditeur, à défaut de trouver le succès. Leurs tirages sont restés bien faibles. Peu prisés, les volumes ont connu le sort obscur qui attend pareille production. Au bout du chemin — disons : à la fin du siècle dernier, lorsque bibliothécaires, archivistes et érudits s’attachèrent à préserver de la disparition le patrimoine menacé des anciens écrits —, si la plupart des titres ont pu être sauvés, on n’en déplore pas moins d’irrémédiables pertes et quelques œuvres ne sont aujourd’hui repérées qu’en un tout petit nombre d’exemplaires : à la Bibliothèque nationale de France, aux Archives départementales du Tarn ou dans certains fonds anciens des bibliothèques du Sud-Ouest.

UN SAVANT TEMOIN ET ACTEUR

DE LA GESTATION DE LA SCIENCE MODERNE

Inutile de gloser sur le bien fondé ou l’injustice de l’oubli dans lequel Borel est tombé.

Ce ne sont donc pas un quelconque devoir de mémoire, une volonté de réhabilitation ou une entreprise commémorative qui sont à l’origine de cette étude. Le personnage, en revanche, peut trouver un certain relief si l’on cherche à le situer à l’intérieur d’un des mouvements intellectuels fondateurs de notre modernité occidentale : la révolution scientifique du XVIIe siècle.

LA SURPRENANTE VICTOIRE DES TENANTS DE LA SCIENCE NOUVELLE - En l’espace de deux ou trois générations — entre les années 1630 et 1680 environ — se sont effondrées certaines conceptions philosophiques et scientifiques qui avaient dominé la pensée européenne pendant des siècles et qui remontaient à l’Antiquité. La rupture qui s’est

1 Cette étude reprend et complète le texte de la conférence organisée par le CHG de Castres et le CEHM et prononcée le 17 octobre 1998 à la villégiale Saint-Jacques de Castres.

2 La liste des manuscrits figure dans le "Catalogue des œuvres de Maistre Pierre Borel, Medecin" qui fait suite à l’épître liminaire du Tresor de recherches et antiquitez gauloises et françoises, réduites en ordre alphabetique, Paris, 1655.

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alors produite frappe par sa radicalité. On n’aura guère de mal à s’en convaincre en lisant les grands textes scientifiques de la fin de la Renaissance : ceux de Corneille Agrippa, de François Fernel, de Jérôme Cardan, de Paracelse, de Giovan Battista Della Porta et de nombre de leurs contemporains. Leurs œuvres baignent dans un univers mental profondément imprégné de magie naturelle, d’alchimie, d’astrologie, de numérologie, voire de démonologie, avec toutes les dérives occultistes et ésotériques qu’autorisent pareilles approches. Or, au XVIIIe siècle, ce vaste pan de la culture savante, d’un passé encore récent, est désormais considéré avec mépris, comme spéculations fumeuses de déséquilibrés mentaux ou comme superstitions de tenants de l’obscurantisme. Entre temps, soit entre Renaissance et Lumières, de nouveaux paradigmes se sont imposés au monde savant, pour reprendre une notion forgée par Thomas Kuhn. La science a alors commencé à se définir autrement que comme une accumulation de connaissances d’origines diverses, accréditées par des autorités indiscutées puisque réputées indiscutables : les sources scripturaires et patristiques — car tout savoir doit être conforme aux grands enseignements de l’Eglise —, les maîtres de l’Antiquité adoptés par la scolastique — Aristote, Ptolémée, Hippocrate, Galien, Dioscoride, Pline...— et une foule d’anecdotes prétendument attestées par des récits invérifiés. Non, dès la fin du XVIIe siècle, ne sont plus frappées du sceau de la science que les découvertes qui satisfont à des exigences expérimentales nouvelles. Chaque hypothèse est soumise à une procédure rigoureuse de mise à l’épreuve qui peut être reprise, répétée, vérifiée par toute la communauté scientifique. Ce n’est qu’à ce titre qu’elle prend rang dans les connaissances acquises. La manière de raisonner a également beaucoup changé. Finies les vagues chaînes analogiques, fondées sur de mystérieuses similitudes, sur les sympathies, les antipathies, les facultés ou propriétés occultes qui uniraient macrocosme et microcosme, êtres vivants et inanimés, mots, nombres et choses. Définie par Descartes et par ses successeurs, une nouvelle « méthode » de raisonner est adoptée qui permet d’asseoir sur des bases solides toute connaissance nouvelle. Au temps où vivait et travaillait Borel, dans les milieux qu’il a fréquentés, s’est donc produite une mutation considérable dans la manière de penser le monde et d’appréhender les phénomènes naturels.

Cette révolution scientifique, nous la connaissons surtout à partir de ses principaux promoteurs : des philosophes, comme Francis Bacon ou René Descartes ; des astronomes comme Nicolas Copernic, Johannes Kepler, Galileo Galilée ou Isaac Newton ; des médecins, comme William Harvey. Nous savons aussi qu’elle ne s’imposa pas d’elle-même. Les idées de Copernic furent condamnées par les protestants et par les catholiques. Galilée fut contraint au silence après un retentissant procès. Descartes préféra s’exiler en Hollande, terre réputée tolérante dans une Europe qui ne l’était guère. En dépit de sa prudence, il dut faire face à de violentes attaques de la part des autorités universitaires réformées, tandis que les catholiques français tentaient de faire barrage à la propagation de ses idées. Les thèses de Harvey sur la circulation du sang soulevèrent pendant des décennies d’homériques polémiques parmi les Diafoirus qui régnaient en maîtres dans les facultés.

Au premier abord, si l’on regarde la victoire des nouvelles conceptions scientifiques, non depuis le poste d’observation trompeur de notre XXe siècle, mais en s’immergeant dans le temps qui les a produites et en faisant le constat, sans parti pris, du rapport des forces en présence, cette victoire ne laisse pas de surprendre. Il y a là, en effet, une contradiction qui mérite d’être analysée, un paradoxe qui doit être élucidé. Comment cette poignée d’hommes, souvent isolés dans un contexte largement hostile, ont-ils pu renverser en si peu d’années des siècles de tradition ? Comment leurs idées se sont-elles diffusées, ont-elles pénétré les milieux savants et les institutions culturelles ? Comment ont-ils fait front, alors que se dressaient devant eux les citadelles de l’Eglise ou de l’Université ? Comment ont-ils pu inverser les rôles ? Les philosophes aristotéliciens, les astronomes ptoléméens, les médecins galéniques, dominent les chaires devant des amphithéâtres respectueux au début du XVIIe siècle. Ils ne

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sont plus que des pédants ridicules lorsque se clôt le long règne du Roi Soleil et que commence le siècle qui adoptera les principes de leurs adversaires — la raison, la science et le progrès — en se baptisant Siècle des Lumières.

Réfléchir sur cet aspect paradoxal de la révolution scientifique implique de quitter, à un certain stade de la recherche, les chefs de file du mouvement pour s’intéresser à ceux qui ont fait office de relais, d’intermédiaires entre les grands novateurs et la masse des savants de leur temps. En quoi à consisté leur rôle ? Par quel biais se sont-ils familiarisés avec les idées nouvelles ? Qu’en ont-ils retenu ? Par quels canaux les ont-ils diffusées ? Les ont-ils véritablement assimilées ? Ne leur ont-ils pas fait subir des transformations, des inflexions ? Pour apporter des réponses éclairantes à ces questions, il faut se pencher sur les hommes qui ont assumé cette charge aussi obscure qu’essentielle, étudier les lieux où ils ont vécu, suivre leurs itinéraires géographiques comme intellectuels, reconstituer les réseaux auxquels ils ont appartenu et qu’ils ont parfois constitué autour d’eux... Il peut être ainsi envisageable de comprendre comment la production individuelle de quelques penseurs de génie a pu pénétrer les profondeurs de la formation sociale pour en bouleverser les repères idéologiques majeurs.

SAVANTS NOVATEURS DU MIDI TOULOUSAIN - Disons-le tout net : ces savants furent peu nombreux au XVIIe siècle dans la région de Toulouse. L’on pense, certes, à Pierre de Fermat, mais son œuvre, essentiellement mathématique, n’a pas eu d’impact important dans les autres domaines du savoir, comme les sciences physique, la médecine ou la philosophie3.

A Toulouse même, la liste est assez rapide à établir et les noms que l’on trouve ne sont pas de première grandeur. Au début du siècle, s’illustre le médecin Francisco Sanchez.

D’origine judéo-ibérique et auteur du traité Qu’il n’est science de rien, il est l’un des principaux propagateurs du scepticisme philosophique4. Quelques décennies plus tard, les travées de la faculté de médecine résonnent des propos iconoclastes d’un Irlandais, Daniel Riordan5. Partisan du copernicianisme, il n’hésite pas à encourager ses étudiants à mettre en cause les principes d’Aristote, de Galien ou d’Hippocrate, au grand scandale des autorités universitaires et religieuses. Non moins audacieux, le cartésien agenais Pierre-Sylvain Régis enseigne la philosophie de son maître dans des leçons publiques avec — fait remarquable par son caractère exceptionnel — une bourse allouée par les capitouls6. Souvent conservateur, le clergé compte cependant dans ses rangs un incontestable novateur en la personne d’Emmanuel Maignan7. Mathématicien et philosophe, il a installé un laboratoire de physique dans son couvent des Minimes qui suscita l’admiration de Louis XIV lors de son passage dans la capitale du Languedoc. A la fin du siècle, dans les Conférences académiques, où se retrouvent les principaux beaux esprits de la cité, se distingue un médecin philosophe, François Bayle, l’un des tous premiers théoriciens de la méthode expérimentale8.

3 Voir : P. de Fermat, Œuvres, Paris, 1891-1896, 3 t.

4 Voir : F. Sanchez, Il n’est science de rien, éd. A. Comparot et A. Mandouze, Paris, 1984 et J. Cobos, Francisco Sanchez et le « Quod nihil scitur », thèse de philosophie, Université de Toulouse-Le-Mirail, 1976.

5 Quelques rares anecdotes sur Riordan (ou Ryordan), tirées du Tractatus de apoplexia de F. Bayle (Toulouse, 1677), citées par le Dr Gaussail, Fragment d’une étude sur François Bayle, Toulouse, 1863, p. 5 et s.

6 Voir : P.-S. Régis, Système de la philosophie, Paris, 1690.

7 Emmanuel Maignan (1601-1676) était né à Toulouse, ville où il revint terminer ses jours après avoir enseigné les mathématiques à Rome. Ses travaux lui ont valu une réputation internationale tant en mathématiques qu’en physique ou philosophie.

8 Sur François Bayle (qu'il ne faut pas confondre avec son contemporain homonyme, Pierre Bayle), voir : Didier Foucault, « Médecine et philosophie au XVIIe siècle , François Bayle », Cahiers du CEHM, n°4, septembre 1997.

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Hors de Toulouse, les foyers culturels témoignant d’une certaine vivacité sur le front de la science et de la philosophie nouvelles sont rares. Une seule ville se détache nettement, Castres.

Pendant vingt-deux ans, Castres fut le siège d’une académie qui se piquait certes de belles-lettres et de poésie, comme il était d’usage, mais qui ne dédaignait pas de se pencher sur des questions scientifiques ou philosophiques en faisant preuve d’une incontestable ouverture d’esprit en direction des courants novateurs9. Cette académie fut fondée par Paul Pélisson. Issu d’une famille protestante, il fit une brillante carrière parisienne, depuis le salon de Madeleine de Scudéry jusqu’à l’Académie française. Appartenant aux cercles de Fouquet, il subit un temps les contrecoups de la disgrâce du surintendant. Il retrouva ensuite la faveur de Louis XIV, au prix, il est vrai, de la trahison de ses coreligionnaires, puisqu’il administra la Caisse de conversion destinée à acheter l’abjuration des réformés pendant la sinistre période qui précéda la révocation de l’Edit de Nantes. Le départ de Pélisson pour la capitale, en 1650, n’interrompit pas pour autant les activités de l’Académie de Castres qui n’existait que depuis deux ans. Parmi ses membres, la figure de Pierre Borel se détache nettement, tant par sa large curiosité que par sa capacité à se montrer réceptif aux idées non conformistes. La biographie du savant, longtemps incertaine, est mieux connue depuis les travaux de Pierre Chabbert, qui restent sur le sujet une référence à ce jour inégalée. Il faut la compléter par les études plus récentes de Bertrand de Vivies, Jean-Pierre Cavaillé, d’Antonella Del Prete et d'Alexandre Charalambidès10. Tout en essayant de poursuivre ces recherches dans les directions de ma problématique propre, je m’appuierai dans un premier temps sur eux pour présenter les grandes étapes de la vie du savant castrais.

LES DEBUTS DE LA CARRIERE DE BOREL (CASTRES, 1643-1653) - Né probablement en 1620 et mort en 1671, Borel a presque exactement couvert, au long de son existence, la période pendant laquelle s’opèrent les principales ruptures de la révolution scientifique du siècle.

De sa jeunesse, l’on ne connaît que des bribes. Pierre Borel a vu le jour dans une famille protestante. Son père appartenait à la petite bourgeoisie cultivée. Il était géomètre et versifiait à ses heures. Le jeune Pierre est envoyé au Collège de Castres, d’abord aux mains exclusives des protestants, puis, après 1633, partagé avec des régents catholiques. Il s’y lie d’amitié avec Pélisson. Il part ensuite à Montpellier pour y faire des études de médecine.

Mais pour une raison inconnue — financière ? — il prend ses grades à l’université moins prestigieuse de Cahors (1643).

Il s’établit alors à Castres où il exerce son art. La cité avait été, jusqu’aux années 1630, une grande citadelle réformée au cœur d’une région où les clivages religieux s’étaient traduits par une géographie très contrastée. « Huguenots » et « papistes » ayant leurs propres places fortes jalousement gardées : Montauban et Castres se dressant face à Toulouse ou Albi, bastions farouches des catholiques. Mais les guerres des années 1620 ont considérablement affaibli les positions calvinistes. Après la mise au pas par Richelieu des révoltes protestantes du début du règne de Louis XIII, la puissance politique et militaire des partisans de la

9 Sur l'Académie de Castres, voir : Alain Niderst, Madeleine de Scudéry, Paul Pélisson et leur monde, Paris, 1976 ; Pierre Chabbert, "Problèmes scientifiques évoqués à l'Académie de Castres, 100e Congrès national des sociétés savantes, Paris, 1975, Histoire moderne et histoire des sciences, p. 21-29.

10 Voir : Pierre Chabbert, "Pierre Borel (1620 ?- 1671), Revue d'histoire des sciences et de leur application, Centre international de synthèse, oct.-déc. 1968, p. 303-343 ; Bertrand de Vivies, « Au XVIIe siècle à Castres, Pierre Borel, savant et ethnologue », Dossier de l’Ecomusée de la Montagne Noire et de la vallée du Thoré, n°3, 1986 ; Jean-Pierre Cavaillé, « Pierre Borel (1620 ?-1671), médecin et polygraphe castrais. Un curieux en ses mondes », Revue du Tarn, été 1992, p. 243-281 ; Antonella Del Prete, Universo infinito e pluralità dei mondi. Teorie cosmologiche in età moderna, Naples, 1998 et Bruno, l'infini et les mondes, Paris, 1999 ; Alexandre Charalambidès, Pierre Borel, un savant copernicien au milieu du XVIIe siècle, Mémoire de Maîtrise d'histoire, Université de Toulouse-le-Mirail, 1999.

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« Religion prétendue réformée » se trouve démantelée. Commence alors un inexorable déclin, qui aboutira à la révocation de 1685. Sans en connaître les ultimes épisodes, Pierre Borel a été le témoin de cette lente agonie et en a subi, en tant que religionnaire, les avanies et humiliations.

Mais n’anticipons pas. Jusqu’en 1653 — soit pendant une dizaine d’années — Pierre Borel pratique sa profession et surtout commence ses investigations dans un large spectre de disciplines. Depuis 1649, par ailleurs, il participe aux débats de l’Académie et prend une part active à ses séances. L’on conserve sur cette période quelques traces de son activité intellectuelle. Son intérêt pour le passé de sa ville se traduit par la publication, en 1649, des Antiquitez de Castres, déjà mentionnées. Mais ce sont les sciences physiques et naturelles, qui polarisent une grande partie de son attention. A la fin des Antiquitez, il reprend un petit texte, déjà publié en 1645 et intitulé : Catalogue des choses rares qui sont dans le cabinet de Maître Pierre Borel11. Cet écrit nous révèle un collectionneur avide d’amasser une foule de productions d’origine tant naturelle qu’humaine et de les présenter selon une « logique tortueuse » dans laquelle « la recherche systématique du curieux et du rare, toujours préférée à l’enquête critique, récuse par avance toute possibilité d’analyse véritablement discriminante et de synthèse globale des champs du savoir »12.

Autre ouvrage datant de ces années, ses premières Centuries d’histoire et d’observations médicinales, publiées en 1653 et qui seront suivies plus tard de compléments13. Au total, quatre cents notices en latin rapportant des cas pathologiques, des expériences thérapeutiques, des observations biologiques et des médications. Le tout glané auprès de ses propres patients ou emprunté à des collègues de sa région - médecins comme chirurgiens - avec qui il semble avoir entretenu de cordiales relations. Grâce à ces textes, l’on peut se faire une idée de ce qu’a été la pratique du jeune Borel confronté aux maladies de son temps. Nulle méthode apparente dans cette compilation qui ne semble répondre à aucune autre exigence que l’accumulation de faits présentés de manière brute, sans grand recul critique de surcroît.

Contentons-nous, à ce stade, de deux constats : d'une part, il se dégage de ces textes le même désordre que dans son cabinet de curiosité ; de l'autre, le plus novateur y fait bon ménage avec le plus déconcertant. Un bel exemple de baroque scientifique, en tout cas.

Mais ces publications ne sont que la part émergée d’une production littéraire abondante et variée. Si l’on se réfère à la liste que contiennent les Antiquitez gauloises et françoises, l’on peut conjecturer qu’une large part des manuscrits énumérés étaient en chantier ou achevés avant même le départ de son pays natal. Sans être exhaustifs, disons que l’on retrouve cette même tendance à l’éclectisme, puisque semblent se mêler le meilleur et le pire.

Un ensemble de pas moins de quarante-cinq titres. Une tragédie y côtoie des notices sur des philosophes — l’atomiste grec Démocrite et une vie de Descartes qui sera publiée plus tard

—, des catalogues bibliographiques, des travaux de sciences naturelles, médicales ou chimiques, des études sur les monstres ou les pierres zoomorphes (les fossiles), etc. Il n’y a pas lieu de douter de l’existence de ces textes, car plusieurs seront édités en d’autres occasions.

Tel est le cas du Discours nouveau prouvant la pluralité des mondes. Un des premiers traités coperniciens, édité à Genève en 1657, mais rédigé dès 1648 : soit avant la traduction française du Monde dans la Lune de l’anglais Wilkins et avant l’Histoire comique des empires de la Lune et du Soleil de Cyrano de Bergerac ; quant aux célèbres Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle, ils datent de 1686, près de trente ans après la rédaction de l’essai de Borel et seize ans après sa mort ! Sans m’attarder sur ce Discours — j’y reviendrai — signalons

11 La première édition (Castres, 1645) est aujourd'hui perdue.

12 J.-P. Cavaillé, op. cit., p. 253.

13 P. Borel , Historiarum et observationum medico-physicarum centuria prima et secunda, Castres, 1653 ; suivi de : Historiarum et observationum medico-physicarum centuria IV, Paris, 1656. La troisième partie de la présente étude reproduit la traduction d’une partie de ces textes.

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qu’après la condamnation de Galilée (1633), il était très courageux pour un réformé de publier sous son vrai nom un tel ouvrage. Cyrano avait laissé son texte à l’état de manuscrit.

Il ne fut porté au public qu’après sa mort et après avoir été soigneusement expurgé de ses passages les plus dangereux avant son impression.

UNE EXPERIENCE PARISIENNE EN DEMI-TEINTE (1653-1557)- En 1653 — il a alors trente-trois ans — Pierre Borel décide de gagner Paris. Savant déjà accompli, avide de tout connaître, il trouve pendant les quatre années de son séjour, un cadre à la hauteur des ambitions qu’il se sent certainement en droit d’avoir. Dans l’ombre de Pélisson, il pénètre les cercles les plus en vue, fréquente les bibliothèques privées les plus riches, se lie avec de nombreux penseurs et scientifiques de toute l’Europe.

Feuilletons quelques-uns des titres de sa bibliographie pour mesurer la diversité de ses recherches parisiennes.

En 1655, paraît le Trésor de recherches et antiquités gauloises et françaises réduites en ordre alphabétique. Il s’agit d’un lexique d’ancien français qui demeure un travail linguistique et philologique estimé, même si les étymologies proposées sont parfois discutables ou fantaisistes. Borel y révèle une belle connaissance de la littérature médiévale en faisant usage de nombreuses citations pour illustrer ses notices lexicographiques. Il accorde une attention toute particulière aux termes issus des parlers régionaux. Bien évidemment, les références à l’occitan sont fréquentes. Borel se montre un amateur de la poésie de langue d’oc en pleine

« renaissance » au temps de sa jeunesse14. Godolin est ainsi plusieurs fois mentionné et le savant castrais ne tarit pas d’éloges pour l’auteur du Ramelet Moundi qui ne le cède « à aucun autre ni en mignardise, ni en expressions fortes »15. Le « charron de Rabastens », Auger Gaillard, est également très apprécié16.

A côté de ses recherches d’érudition linguistique, Borel ne dédaigne pas les disciplines scientifiques. Il faudra revenir sur les études qu’il publie sur le télescope et le microscope ainsi que sur ses travaux de chimie. Mentionnons simplement sa Bibliotheca chimica qui est une somme bibliographique faisant encore autorité en matière de chimie, ou plutôt – dans le contexte du XVIIe siècle – d’alchimie17.

Malgré cette activité débordante, et en dépit d’entrées prometteuses dans les milieux mondains et savants parisiens, Borel ne put atteindre la notoriété que, secrètement, il avait sans doute espérée en arrivant dans la capitale. Son érudition lourde ne dénotait-elle pas le pédant, alors que le bon ton recommandait à l’honnête homme de n’avoir que des « clartés de tout » ? Ses origines modestes et provinciales ne signalait-elle pas « le Gascon », fâcheux parmi les fâcheux, en ces temps où la préciosité portait la « civilisation des mœurs » au comble du raffinement ? Que dire enfin de son protestantisme ? Sinon qu’il était moins que jamais de saison pour qui aspirait à une reconnaissance dans un monde intellectuel étroit et de plus en plus polarisé par la cour. Aussi, y a-t-il tout lieu de penser, comme l’a fait Pierre Chabbert, que le retour à Castres, en 1657, signe pour Borel un constat d’échec.

ENTRE COLLEGE ET ACADEMIE : LES DERNIERES ANNEES A CASTRES (1657- 1671)- Installé dans sa ville, Borel va désormais partager son temps entre l’exercice de son métier de médecin, son activité scientifique et l’enseignement au collège de Castres.

Il a en effet reçu, en 1657, une proposition des consuls de la ville pour occuper une chaire en classe de seconde. Le détail de son travail n’est pas connu. Utilise-t-il cette position

14 L'emploi de l’expression de "renaissance", à propos de la littérature d'Oc au début du XVIIe siècle est empruntée à Robert Lafont. Voir : La renaissance toulousaine de 1610, Avignon, 1960 et Renaissance du Sud, Paris, 1970.

15 Tresor..., op. cit., f° Fij.

16 Ibid., f° Kiij.

17 P. Borel, Bibliotheca chimica, seu catalogus librorum philosophicorum hermeticorum, Paris, 1654.

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pour présenter à ses élèves quelques-uns des résultats de ses recherches ou pour exposer les idées des philosophes et savants novateurs ? On ne sait. En revanche, le climat de plus en plus lourd et hostile qui entoure les « huguenots » tend à écarter les élèves de cet établissement au statut hybride (mi-catholique, mi-réformé). Les familles les orientent plus volontiers soit vers les collèges des Jésuites de Toulouse ou d’Albi, soit vers l’académie protestante de Puylaurens. Pour les régents religionnaires, le statut devient par ailleurs très précaire. Au point qu’en 1664, Borel se trouve écarté de sa charge sans ménagement. Peu de temps après, c’est tout le collège qui, par ordre du roi, passe sous la coupe de la Compagnie de Jésus.

Toutefois, il jouit d’une notoriété scientifique locale suffisamment établie pour trouver une place éminente dans l’académie de sa localité. Borel, qui, à partir de 1649, avait suivi ses travaux sans être académicien en titre, y est élu en 1658 à son retour de Paris. C’est là, par exemple, qu’il présente des observations à caractère médical ainsi que ses recherches sur la pluralité des mondes.

L’isolement intellectuel auquel le condamne son confinement dans le haut Languedoc n’est, fort heureusement, pas complet. Borel a réussi à conserver quelques contacts avec des personnalités de grand renom, comme Oldenbourg, qui sera secrétaire de la Royal Society de Londres. Ses derniers ouvrages sont publiés entre 1659 et 1666. Il s’agit d’un Avis sur la navigation de la rivière d’Agout et de deux traités à caractère médical et pharmaceutique18.

Pendant les cinq dernières années de sa vie, sur lesquelles nous n’avons guère de détails, il cesse toute publication. Cette période, au cours de laquelle les brimades contre les protestants se multiplient, n’ébranle pourtant pas sa foi en la religion de ses pères. C’est en effet au temple protestant de Castres qu’est enregistrée son inhumation à la date du 15 octobre 1671.

UN PARADOXAL NOVATEUR

Une analyse exhaustive de l’ensemble des travaux de Borel serait une œuvre de longue haleine, excédant de beaucoup les limites modestes de cette étude. A défaut d’un panorama complet qui permettrait de répondre de manière totalement satisfaisante à la question de la place de ce savant dans les progrès et la diffusion de la science nouvelle, contentons-nous de poser quelques jalons, en soulignant les difficultés auxquelles s'exposerait celui qui aborderait ce genre de problème sans un minimum de précautions méthodologiques. Il faut avant tout se départir de la détermination de son jugement à partir de présupposés fondés sur l’idée que l’on a aujourd’hui – donc a posteriori – de la science moderne. On pourrait se trouver conduit à faire de Borel, hâtivement et sur la foi de textes soigneusement sélectionnés, un précurseur et un héraut de la science nouvelle ou, a contrario, un pseudo-savant prisonnier des préjugés et des superstitions du passé. A vouloir trop prouver de manière unilatérale, on risquerait ainsi de s’exposer à de telles contradictions qu’on verserait vite d’un excès dans l’autre. Le seul moyen d’appréhender ces paradoxes, qui ne laissent pas de surprendre lorsqu’on examine les textes de penseurs comme Borel, est de postuler que chaque œuvre forme un tout qui possède une relative cohérence interne. Une cohérence en tout cas suffisamment forte pour que, dans le contexte idéologique de son temps, Borel se soit considéré comme un savant et ait été reconnu comme tel par ses pairs.

18 Advis sur la navigation de la rivière d’Agout, adressé à Messieurs les deputez du diocèse de Castres, Castres, 1659 ; De curationibus sympatheticis, in Theatrum sympatheticum auctum, Nuremberg, 1662, p. 526-528 ; Hortus, seu armentarium simplicium, mineralium, plantarum et animalium ad artem medicam utilium, Castres, 1666.

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Illustrons – avant de tenter une synthèse – les deux termes de cette alternative à partir de quelques exemples significatifs tirés, d’une part, des travaux microscopiques et médicaux du Castrais et, de l’autre, de sa crédulité envers l’alchimie et diverses croyances.

BOREL, PIONNIER DE LA RECHERCHE MICROSCOPIQUE - Si Borel mérite d’être considéré comme un novateur et un pionnier, c’est en grande partie à ses observations microscopiques qu’il le doit. Telle est, par exemple, l’opinion de Mirko Grmek :

« La France a un pionnier dans le domaine de la micrographie biologique : Pierre Borel [...]. On doit à ce praticien provincial l’observation microscopique de l’acare de la gale et de l’appareil urticant de l’ortie, le premier essai historique sur l’invention du microscope et des recommandations sur l’usage de cet instrument dans les sciences médicales »19.

Les expressions employées par l’éminent historien de la médecine sont, on le voit, très élogieuses – « pionnier de la micrographie », « recommandations prophétiques » – et apparaissent d’autant plus méritées qu’elles se rapportent à un médecin qui doit surmonter le handicap de vivre dans une petite cité de province.

Les Centuries d’observations microscopiques de Borel furent publiées en 165620. Elles ont été éditées à La Haye. Il s’agit d’une centaine de fiches descriptives se rapportant à des recherches effectuées à l’aide du microscope. Le texte latin – dont nous publions la première traduction française – s’accompagne de petits dessins. Ils représentent, avec la figuration des détails que fait surgir le grossissement optique, ce que le savant avait vu apparaître dans son oculaire.

Pour mesurer l’exacte portée de cette publication, il n’est pas inutile de se souvenir que, vers 1650, le microscope reste, pour beaucoup, une simple curiosité qui n’a pas encore vraiment trouvé un usage scientifique. Le parallèle est évident entre les débuts de l’observation de l’univers infiniment grand à l’aide du télescope et ceux de la découverte de l’infiniment petit grâce au microscope. Dans un cas comme dans l’autre, le nom de Galilée doit être prononcé en premier. C’est lui qui prit l’initiative de pointer vers le firmament une lunette pour en tirer des enseignements astronomiques. Il fut aussi celui qui, en 1624, proposa à ses amis de l’Académie des Lynx (Lincei), de se servir des propriétés des lentilles de verre pour réaliser un « instrument optique servant à voir de près les choses toutes petites »21. Dans les années qui suivirent, plusieurs savants italiens commencèrent à tirer parti de cette innovation. En 1625, Stelutti et le prince Cesi (le fondateur des Lincei) publièrent un livre illustré consacré aux abeilles. Mais ceux qui leur emboîtèrent le pas ne furent pas nombreux.

On n’en compte guère plus d'une poignée : Battista Odierna – observateur de l’œil de la mouche -, Fontana ou Kircher, auteurs que Borel a lus et dont il cite les œuvres avec de louables scrupules scientifiques.

Ces références, mais aussi la date de publication du livre ainsi que son dédicataire, nous permettent de corriger une erreur de jugement de M. Grmek. Le Borel auteur de cet essai n’est pas le provincial isolé qu’il nous décrit. Entre 1653 et 1657, on l’a vu, il séjourne à Paris.

Il est en relation avec de nombreuses personnalités du monde des lettres et de la philosophie.

Il fréquente Pélisson, bien sûr, mais aussi Conrart qui lui ouvre sa bibliothèque22, l'épicurien

19 Mirko Grmek, La première révolution biologique, Paris, 1990, p. 241.

20 P. Borel, De vero telescopi inventore... Accessit etiam centuria observationum microscopicarum, La Haye, 1655.

21 Cité par Ludovico Geymonat, Galilée, Paris, 1992, p. 158.

22 Valentin Conrart (1603-1675) était conseiller secrétaire du roi. Son salon fut, entre 1629 et 1635, le rendez-vous du cercle de beaux esprits d’où est sortie l’Académie française. Ne sachant pas les langues anciennes et n’ayant rien publié, il s’était pourtant acquis une réputation d’expert en matière de grammaire et de vocabulaire français. Le Tresor de recherches et

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Gassendi, qu’il cite dans ses Observations microscopiques et dont il complète la Vie de Peiresc23, ainsi qu'un autre philosophe fort en vue, le sceptique La Mothe Le Vayer24. Les savants ne sont pas moins nombreux : les chimistes Hannibal Barlet et Christophe Hatton, les mathématiciens Claude Hardy ou Samuel Hartlib - qu’il met en relation avec Fermat. Il est aussi du cercle de Pecquet, le grand médecin protégé de Fouquet. Il fait un voyage en Angleterre en 1656 et, grâce à son homonyme, l’ambassadeur des Provinces-Unies à Paris Willem Boreel, il entretient de fructueuses relations avec la Hollande. Il peut ainsi rédiger de savantes études sur l’invention des instruments d’optique - télescope, périscope et microscope - ou publier quelques notes biographiques sur Descartes25.

Les observations microscopiques qu’il nous présente ne sont donc pas le fait d’un savant confiné à l’écart des centres les plus dynamiques de l’élaboration de la science moderne. Borel est alors à Paris, au cœur des réseaux majeurs de cette aventure intellectuelle et est relié par de multiples fils à d’autres milieux savants d’outre-Manche ou des Pays-Bas. Il peut ainsi se procurer aisément les livres les plus novateurs dans tous les domaines de la science, ceux venus d’Italie particulièrement. Cette remarque est importante, car elle éclaire la question des chemins concrets qu’ont empruntés les idées nouvelles pour pénétrer les provinces lointaines comme le Languedoc. Bref, c’est chargé d’une moisson de connaissances de pointe - comme nous dirions aujourd’hui - qu’il est rentré à Castres, pour les diffuser autour de lui, en premier lieu parmi ses collègues de l’Académie de la ville.

OBSTACLES EPISTEMOLOGIQUES A L'USAGE SCIENTIFIQUE DU MICROSCOPE - En matière d'observation microscopique, la démarche de Pierre Borel était donc loin, au milieu du XVIIe siècle, de couler de source. L’instrument était connu comme une curiosité et - hors de quelques cercles isolés en Italie - il n’avait guère soulevé la passion du monde savant. Quant à la France, Jacques Roger a bien montré qu’elle a longtemps manifesté de prudentes réserves à l’égard de cet instrument26. Comme l’avait déjà éprouvé Galilée après ses observations télescopiques, les mentalités scientifiques devaient surmonter un solide obstacle épistémologique pour admettre l'utilité du microscope. Cette expression bachelardienne met en évidence le fait que les savants se trouvent comme aveuglés par les théories qu’ils ont en tête. Aujourd’hui, à partir d’autres paradigmes, il va de soi que nous voyons mieux le monde avec un télescope ou avec un microscope. Nous avons inconsciemment intégré le fait que le monde n’est pas fait à la mesure de l’homme et, qu'en conséquence, une grande partie de la réalité de l’univers échappe à nos sens. Parce que nous acceptons l’idée d’un univers infiniment grand, nous considérons comme légitime le recours à des instruments d’optique - mais aussi électroniques - pour percevoir des étoiles ou des phénomènes cosmiques inaccessibles à nos sens. Parce que nous avons, a priori, la même

antiquitez gauloises et françaises s’ouvre ainsi, tout naturellement, sur une épître à Conrart, dans laquelle Borel déclare que l’érudit parisien est « la cause de la naissance de cet ouvrage ». L’auteur précisant qu’il a reçu de lui des « avis très-salutaires » et qu’il a pu « puiser dans [sa] curieuse bibliothèque, qui est une source feconde de livres rares imprimez et manuscrits ».

23 Pierre Gassendi (1592- 1656) est l’une des figures majeures de la pensée philosophique française du XVIIe siècle.

Il s’opposa à Descartes qui lui répondit dans ses Méditations et tenta de fonder une physique nouvelle en reprenant les conceptions atomistes des matérialistes de l’Antiquité, Démocrite - à qui Borel a consacré un ouvrage resté manuscrit - et Epicure. Bien que chanoine de Digne et de mœurs irréprochables, sa réputation d’épicurien lui attira la haine de nombreux dévots. Sur la vie de Peiresc, voir : P. Borel, Ad vitam illustrissimi Perskii auctarium, in P. Gassendi, Viri illustris Nicolai Claudii Fabricii de Peiresc... vita, 3eme édition, La Haye, 1655, p. 201-203.

24 François La Mothe Le Vayer (1588-1672) a publié de nombreux dialogues sceptiques sous le pseudonyme d’Horatius Tubero. Il est l’un des représentants - avec Naudé et Gassendi - de ce courant que René Pintard a baptisé le

« libertinage érudit ». Auteur du traité De la vertu des payens, il passait pour un athée dissimulé.

25 P. Borel, Vitæ Renati Cartesii, summi philosophi, compendium, Paris, 1656.

26 J. Roger, Les sciences de la vie dans la pensée française du XVIIIe siècle, Paris, (1963) 1993. Voir sur ce sujet le travail de Philippe Hamou, La mutation du visible. Essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au XVIIe siècle, Presses Universitaires du Septentrion, Lille, vol. I, 1999 (le volume II, en préparation, traitera plus particulièrement du microscope).

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acceptation de l’infiniment petit, il ne fait pas de doute pour nous que l’observation d’une cellule vivante ne peut être réalisée sans le secours d’un microscope, tout comme nous sommes persuadés que des moyens d’observation encore plus sophistiqués sont nécessaires pour étudier les molécules ou les particules atomiques. Cette conviction postule que les facultés naturelles de nos sens sont limitées et qu’elles se trouvent amplifiées et prolongées par les instruments et machines complexes que la science a mis au point pour suppléer à nos défaillances.

Ces évidences - ce qui, pour nous, sont des évidences - constituent précisément certains apports majeurs de la science moderne naissante. Galilée, le premier, les a eues, au milieu du scepticisme goguenard des plus grands esprits de son temps. Par exemple, son ami et collègue à l'université de Padoue, le philosophe aristotélicien et ptoléméen Cesare Cremonini, refusa de jeter un œil dans la lunette astronomique, au prétexte qu'il avait plus confiance dans ce qu'il voyait par lui-même et que lui démontraient ses convictions métaphysiques, que dans un instrument qui ressemblait fort à celui d'un illusionniste de foire.

La réfraction de la lumière - qui nous donne l'illusion qu'un bâton se brise lorsqu'on le trempe dans l'eau - n'est-elle pas la meilleure « preuve » qu'un phénomène optique, loin de révéler ce qu'est en réalité une chose, tend, au contraire, à nous induire en erreur ? Pourquoi n'en irait-il pas de même avec un microscope ou un télescope ?

Or, en 1655, Borel est le premier Français et un des tous premiers Européens27 à avoir surmonté cet obstacle épistémologique. Il reconnaît le caractère borné de nos sens et proclame, avec enthousiasme, la supériorité des appareils d'optique comme le télescope ou le microscope28 :

« Je ne souhaite pas m’occuper ici du télescope, grâce auquel nous voyons les taches du Soleil, de la Lune, etc., ni des gardes du corps de Saturne, ni des Astres Bourboniens ou Médicéens, etc., découverts au moyen de celui-ci, ni des autres genres de lunettes. J’en ai déjà traité. Ici, Je n’ai à l’esprit que de m’occuper du microscopique, par lequel les atomes sont presque visibles et les plus petits insectes transmués en une masse Colossale. Au moyen de celles-ci, on surprend d’innombrables parties à l’intérieur de ces atomes animés et, de jour en jour, s’ouvrent les portes d’une nouvelle physique ».

Cette acceptation des découvertes qui bouleversent au XVIIe siècle la connaissance de la nature est, chez Borel, très large. N'admet-il pas, outre les théories coperniciennes,

« l'admirable circulation du sang, le transport du chyle au cœur [...], les valvules des vaisseaux [...], les veines lymphatique »29, autant de nouveautés, encore bien controversées, dues à Harvey, Paolo Sarpi, Fabrici d'Acquapendente ou Pecquet ? Pierre Chabbert a, par ailleurs, montré, que ses qualités d'observation ont permis au médecin castrais d'apporter sa modeste contribution à l'enrichissement des connaissances médicales. Il fait ainsi de pertinentes remarques sur l'acidité du suc gastrique ou sur la cataracte. A propos de la transmission du charbon à partir « du venin caché dans la laine des moutons morts par contagion », il se montre un partisan des thèses de Fracastor, selon lesquelles un venin (« virus ») formé de germes de matière vivante contaminée (« seminaria ») serait à l'origine des contagions.

UN CURIEUX PLUS QU'UN SAVANT ?- Les limites de Borel apparaissent cependant rapidement, lorsqu'on examine avec un peu d'attention ses textes. Ses ouvrages sont en général dénués de méthode. La « centurie » - genre qu'il adopte pour ses publications médicales, pharmaceutiques ou d'observations microscopiques - n'est qu'un recueil de

27 Pour mémoire, rappelons les dates de quelques observations microscopiques considérées comme pionnières : 1665, Micrographia de l'Anglais Hooke ; 1668, publication de l'Italien Redi sur les insectes ; 1668, travaux de Malpighi ; quant à ceux de Leeuwenhoek, ils furent révélés au public dans les années 1670.

28 Observationum microscopicarum centuria, La Haye, 1666, p. 3-4. Voir page 18 et note 36 de notre présente traduction.

29 Cité par P. Chabbert, « Pierre Borel... », op. cit., p. 229-230.

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courtes remarques ou recettes qui ne suivent aucun ordre logique. Borel, qui passe pour le premier biographe de Descartes - mais ses brèves notices sur la vie du philosophe méritent- elles d'être qualifiées de biographie ? -, se montre à cet égard un bien mauvais élève du grand maître30 !

Certes, il sent bien les potentialités scientifiques du microscope, mais est-il vraiment capable de les exploiter ? Il observe avec une frénésie presque infantile insectes, papillons, sang, pierres, animalcules ou échantillons de tissus vivants. Mais, en quelques lignes laconiques, parfois agrémentées d'un croquis sommaire, la question est bouclée. Sans que rien ne soit dit sur ses hypothèses, sa problématique, ses techniques d'observation ou ses procédures de vérification. Il demeure un curieux, qui ajouterait à son cabinet plein d'objets macroscopiques étonnants, d'autres merveilles, qui, elles, seraient invisibles à l'œil nu.

On reste encore dans une conception du monde physique teinté de magie et d'ésotérisme, qui fait du savant un découvreur d'arcanes mystérieux, que la nature ne révèle qu'après une longue initiation. L'émerveillement, plus que la constitution d'un savoir structuré à l'intérieur d'une théorie explicative, semble être le ressort principal de son activité d'homme de science.

DES TEMOIGNAGES DE CREDULITE A L'EGARD DES SUPERSTITIONS POPULAIRES - Ces remarques permettent de commencer à comprendre pourquoi, à côté d'incontestables anticipations qui orientent Borel avec une certaine sûreté - et contre le sentiment dominant de ses pairs et de ses maîtres - vers les théories les plus prometteuses pour la science moderne, un autre Borel se dévoile. Un Borel prêt à colporter des récits de guérisons miraculeuses ou de douteuses superstitions. Un Borel d'une déconcertante crédulité :

« Pour les raretez des plantes - écrit-il, par exemple, dans les Antiquitez de Castres -, c'est en ce pays que se trouve cette herbe magique, qui coupée excite les tempêtes, la faim et sincope à ceux qui luy passent dessus, ce que je puis asseurer estre arrivé fort souvent à des paisans de ma cognoissance, qui ne m'en ont seu dire autre chose sinon que de tous temps ils ont observé que cela leur arrive lors qu'ils fauchent un certain pré qui dépend du lieu de Peiregoux prez de Lautrec, et asseurent que depuis 50. ou 60. ans ils ne l'ont jamais peu faucher pour si beau jour qu'ils ayent choisi que le temps ne se soit changé en pluye et orage (ainsi on raconte que si on touche les pierres d'un Autel qui est aux Pyrénées, ou qu'on agite l'eau du lac de S.

Barthelemy, qui est au mesme lieu, les tonerres ne manquent pas à s'en-suivre bien-tost) ils disent que cette plante reluit la nuict »31.

Des considérations similaires se trouvent dans presque tous les ouvrages de Borel.

Ainsi, pour étayer les thèses éminemment révolutionnaires de Copernic et Galilée, il fait appel, dans son Discours nouveau prouvant la pluralité des mondes aux arguments les plus divers.

Par exemple, le « chapitre XXXV. prouvant la pluralité des Mondes, par une raison prise du lieu des Enfers » est - comme on peut s'y attendre - suivi du « chapitre XXXVI. prouvant la mesme pluralité des mondes par une raison prise du Paradis celeste et terrestre » !

Mais c'est probablement dans le domaine de l'alchimie que la crédulité de Borel semble la plus complète. Là encore, il faut se garder de mépriser trop hâtivement cette discipline qui ne résistera pas, au siècle suivant, aux théories de Lavoisier. A l'époque de Borel, rien n'est encore joué sur ce terrain et, dans le contexte de la crise ouverte de la médecine humorale galénique, les iatrochimistes - dans la lignée de Paracelse et de Van Helmont - avaient tenté de proposer de nouveaux cadres d'interprétation des mécanismes de régulation ou de

30 A cet égard, le médecin toulousain F. Bayle, auteur d'un Système général de la philosophie cartésienne (1669) et dont il a été question plus haut (p. 7, note 8) se montre bien supérieur à P. Borel. Non seulement il témoigne d'une rigoureuse assimilation de la méthode de Descartes, mais encore il est capable d'en critiquer les limites et d'esquisser une démarche expérimentale que ne récuseraient pas les savants actuels.

31 P. Borel, Les antiquitez..., op. cit., l. 2, p. 73.

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perturbation de la santé. A côté de courants versant dans l'ésotérisme le plus abscons, bien des chimistes se consacraient surtout, dans leurs laboratoires encombrés de cornues et d'alambics, à la recherche tâtonnante de produits nouveaux aux propriétés inconnues. De la distillation de l'alcool à la fin du Moyen Age à l'expérimentation thérapeutique du mercure ou de l'antimoine, la pharmacopée s'était notablement enrichie grâce aux alchimistes. Et cela, en dépit des sarcasmes des galénistes traditionalistes contre leur entreprise et leurs découvertes.

L'intérêt de Borel pour la chimie se serait arrêté sur ce seuil - celui de l'expérimentation hésitante et aveugle -, son image de novateur n'en serait pas ressortie bien ternie.

Malheureusement, il fait preuve, sur le sujet, d'une absence presque totale de discernement et d'une crédulité complète. On ne peut que regretter, à ce propos, la perte de plusieurs manuscrits qui auraient certainement contribué à éclairer ce paradoxe. Par chance, il semble que l'érudit castrais, en ait utilisé quelques passages pour confectionner plusieurs notices de son dictionnaire d'ancien français, le Trésor de recherches et antiquitez gauloises. A diverses reprises, en effet, il fait de longues digressions, sans grand rapport avec le mot qu'il étudie. A chaque fois, c'est pour évoquer des personnages comme Nicolas Flamel, Jacques Cœur, le mystérieux Cosmopolite, Sendivogius ou Raymond Lulle. Qu'ont ces hommes en commun ? Tous ont été soupçonnés d'avoir atteint le but suprême des alchimistes, le Grand Œuvre, autrement dit, d'avoir trouvé la fabuleuse pierre philosophale : la poudre qui permet l'ultime transmutation des métaux en or. Sur des dizaines de pages de son dictionnaire, Borel accumule les racontars et les « preuves » les plus délirantes pour attester le bien fondé de telles réputations.

LE REFUGE DANS LE SCEPTICISME - Comment - à l'issue de cette étude - ne pas balancer entre les deux jugements antagoniques que suggèrent l'un ou l'autre des aspects de la personnalité du savant Pierre Borel ? Borel, un novateur ? C'est incontestable si l'on considère son aptitude - remarquable et rare en son temps - à s'emparer des idées qui se sont avérées les plus porteuses d'avenir pour la pensée humaine et la science. Borel, esprits crédule ? C'est non moins indiscutable, aux témoignages nombreux de sa difficulté à établir une claire discrimination entre les composantes les plus disparates et opposées d'une culture qu'il a déployée dans presque tous les domaines de la connaissance.

A-t-il eu conscience de cela ?

Certainement pas suffisamment pour en tirer la seule conséquence qui semble s'imposer à nous (nous qui l'avons belle, du haut de notre observatoire bien dégagé par trois siècles de rationalisme, de positivisme ou de scientisme) : évacuer toutes les encombrantes scories des théories dépassées, des superstitions ou des fables sans consistance.

En fait, il semble que Borel en soit resté à une attitude qu'on pourrait qualifier d'intermédiaire, entre adhésion franche et nette aux courants novateurs et rejet de ceux-ci. Il ressent le trouble que les générations de la fin de la Renaissance et de l'âge baroque ont exprimé en se tournant vers le scepticisme philosophique. Corneille Agrippa, Sanchez, Montaigne, Charron, La Mothe Le Vayer en sont les principaux représentants, qui annoncent Pierre Bayle et cette « crise de la conscience européenne » du temps de Louis XIV, si magistralement analysée par Paul Hazard32.

Un monde s'écroule, longtemps resté figé dans ses certitudes séculaires. Comme l'univers, la connaissance humaine semble s'ouvrir sur des infinis insondables. Au bord du précipice qui vient de se découvrir, des savants comme Borel, qui n'avaient pas le génie des grands novateurs, mais qui avaient suffisamment d'intelligence et d'intuition pour comprendre qu'ils devaient, vaille que vaille, se placer dans leur sillage, sont comme étourdis.

32 P. Hazard, La crise de la conscience européenne. 1680-1715, Paris, 1935.

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Leur doute n'est pas, à l'instar de Descartes, un puissant levier qui permet de faire émerger une doctrine inédite, embrassant tous les champs du savoir et fondée sur une méthode féconde. Non, il demeure celui d'une hésitation prudente, nourrie de l'illusion naïve qu'on pourrait se lancer dans l'inconnu sans quitter de vue les côtes familières.

Telle est, me semble-t-il, une lecture possible de cet extrait du premier chapitre du Discours nouveau prouvant la pluralité des mondes33:

« L'ignorance humaine est si grande que les sainctes Escritures ont dit que toute la science des hommes estoit vanité, et si nous ne nous voulons flater, nous trouverons que nous ne sçavons rien qui ne soit ou ne puisse estre debatu, la Theologie mesme n'en est pas exempte, et quand aux autres sciences et arts les volumes que nous en avons en font assez foy, c'est ce qui a meu les Pyrrhoniens ou Sceptiques à douter de toutes choses, et à faire naistre divers livres de la vanité des sciences ; l'astrologie, la Medecine, la Jurisprudence, la Phisique, chancellent tous les jours, et voyent crouler leurs fondemens, Ramus a renversé la Philosophie d'Aristote, Copernicus l'Astrologie de Ptolomée, Paracelse la Medecine Galenique, de sorte que chacun ayant ses sectateurs, et tout semblant plausible, nous sommes bien en peine à qui croire, et par ainsi sommes contraints d'advoüer que ce que nous sçavons est beaucoup moindre que ce que nous ignorons ».

Et même si, quelques pages plus loin, Borel nous promet « que le temps fera voir la verité de [son] opinion »34, force est cependant de constater qu'il n'a pas su tirer toutes les conséquences de ses anticipations, notamment en écartant les arguments incompatibles avec les fondements des doctrines nouvelles qu'il cherchait à défendre.

Il n'en reste pas moins, que les grains semés par lui, fussent-ils mêlés à beaucoup d'ivraie, ont très certainement contribué à répandre des idées novatrices parmi ses collègues médecins ou académiciens à Castres et dans les environs et à préparer les générations suivantes à pénétrer de plain-pied dans la science moderne.

33 P. Borel, Discours..., op. cit., p. 3. Voir p. 73 de la présente édition.

34 Ibid., p. 5. Voir p. 74 de la présente édition.

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Page de titre de l’édition originale éditée à La Haye en 1656

(collection des Archives départementales du Tarn, Albi)

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DEUXIEME PARTIE

PIERRE BOREL

CENTURIE

D'OBSERVATIONS MICROSCOPIQUES

(OBSERVATIONUM MICROSCOPICARUM CENTURIA)

(1656)

Traduites pour la première fois du latin en français par Jean GOLFIN et Didier FOUCAULT

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Aux Très Nobles et Très Grands SENAT ET PEUPLE

DE MIDDLEBURG,

Métropole de la Zélande Néerlandaise

Très vigilants et très excellents Messieurs, on découvre toujours des nouveautés dans la nature ; quotidiennement, sous les yeux des hommes, il en sort de nouvelles de son puits et de nouvelles gemmes sont extraites de ses trésors inépuisables. De même, de nos jours, grâce à ce nouvel et étonnant artifice des lunettes

35, la cataracte et les fluxions sont retirées de nos yeux et d’innombrables beautés, que jalousie jusqu’ici nous avait refusé de découvrir, sont exposées au regard de tous dans la nature. Je ne souhaite pas m’occuper ici du télescope, grâce auquel nous voyons les taches du Soleil, de la Lune, etc., ni des gardes du corps de Saturne, ni des Astres Bourboniens ou Médicéens, etc.36, découverts au moyen de celui-ci, ni des autres genres de lunettes.

J’en ai déjà traité37. Ici, Je n’ai à l’esprit que de m’occuper du microscopique, par lequel les atomes sont

35 Dans la suite de son texte, Borel emploie divers termes pour désigner le microscope. « Microscopium » a naturellement été traduit par « microscope ». Comme il était d’usage au XVIIe siècle, « conspicilium » (ou « conspicillum ») ainsi que « specillun » sont rendus par « lunette » et, par analogie, « perspicillum microscopicum », par « lunette microscopique ». Pour l’expression « instrumentum pulicariun », voir p. 26 notre note à la dix-huitième observation.

36 Dans le chapitre XXI de son Discours nouveau prouvant la pluralité des Mondes, publié un an plus tard (1657), Borel abordera de manière plus approfondie ces questions en rendant un bel hommage à Galilée, condamné en 1633 et disparu en 1642 :

« Ce grand Galileus qui ne sembloit estre nay que pour esclaircir les doutes de l’astrologie, a descouvert par sa merveilleuse invention des lunetes qui portent son nom des choses nouvelles dans les astres, il est le premier qui a dressé ses telescopes ou visuels vers les cieux, & a veu par leur moyen que la voye de lait estoient de petites estoiles qui confondent leur lumiere par leur proximité, & grand nombre, il a apperceu aussi la superficie lunaire, non unie mais raboteuse et pleine d’eminences & cavités.

[...] Il a fait honte au Soleil luy descouvrant ces taches que durant tant de siecles il avoit enseveli dans sa lumineuse obscurité, & que ces taches n’estoient pas fixes & eternelles comme celles de la Lune, mais qui disparoissent et renaissent de nouveau, se tournans autour du Soleil. Il a trouvé aussi 4 nouveaux planetes qu’aucun Astrologue ancien n’avoit remarqués, qu’il a nommés Astres de Medicis, en faveur de son Prince, ces planetes se meuvent à l’entour de Jupiter seulement, ce qui a obligé quelques uns à croire que Jupiter estoit un autre Soleil autour duquel rouloient d’autres planetes comme autour de celuy qui nous esclaire.

Il a observé de plus que l’estoile de Saturne avoit trois corps, en ayant deux autres à ses costés.

[...] Ce sont les belles observations de c’est illustre personnage, qui quoy que petit de corps avoit un esprit si grand que tout le monde a compati à sa perte ; il devint aveugle pour avoir trop travaillé à ses observations,

& celuy qui avoit fait bien voir tout le monde, n’a peu jouir de la lumiere ny de son invention.

[...] Selon Gassendus Fontana Neapolitain a à present le plus excellent telescope qui soit au monde, par lequel il a veu les quatre planetes qui sont au tour de Jupiter comme quatre Lunes, deux au tour de Saturne qui forment par fois à ces costés comme deux anses [...] ».

L’expression « gardes du corps de Saturne » (« de Saturnis laterronibus ») rappelle que, des premières observations de Galilée jusqu’aux travaux de Huyghens publiés en 1659, les astronomes (Borel cite le Français Gassendi et l’Italien Fontana) se perdaient en conjectures pour expliquer l’aspect étrange et changeant de Saturne dans leur télescope. Avant que le savant hollandais ne mît en évidence la présence d’un anneau autour de la planète, l’on croyait que celle-ci était composée d’une

« boule centrale » entourée de « deux petites étoiles latérales » (Galilée). L’expression « astres bourboniens » est due à l’atronome Jean Tarde. Il avait pour hypothèse que les taches du Soleil étaient des planètes. Suivant l’exemple de Galilée qui avait dédié les satellites de Jupiter aux Médicis, Tarde avait honoré la dynastie royale française de ses prétendues nouvelles planètes.

37 Borel fait certainement allusion à son étude De vero telescopii inventore (Le véritable inventeur du télescope) imprimée à La Haye en 1655, publiée dans le même volume que ses Observations microscopiques. Il pense aussi au Discours nouveau prouvant la pluralité des mondes, dont le manuscrit aurait été rédigé dès 1648.

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