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A la recherche des poètes disparus

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Academic year: 2022

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A la recherche des poètes disparus

SCHUBERT, Paul

Abstract

L'objet de cette brève étude sera d'examiner divers témoignages relatifs à la sépulture des poètes de la Grèce archaïque et classique, afin de déterminer comment s'articule cette partie spécifique du récit sur la vie et la mort des poètes : avons-nous affaire à des données factuelles ? L'hypothèse présentée ici consistera au contraire à envisager le récit sur la sépulture des poètes comme le produit de l'absence de traces matérielles : divers récits sur les circonstances mêmes de la mort des poètes auraient comblé ce manque de vestiges tangibles, et auraient – au moins dans certains cas – servi les revendications de cités qui se targuaient d'abriter une sépulture. Cette hypothèse sera rendue vraisemblable par l'accumulation de cas concordants.

SCHUBERT, Paul. A la recherche des poètes disparus. In: Prescendi, F. & Volokhine, Y. Dans le laboratoire de l'historien des religions. Mélanges offerts à Philippe Borgeaud. Genève : Labor & Fides, 2011. p. 430-448

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:36877

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RELIGIONS EN PERSPECTIVE No24

Clifford ANDO, Daniel BARBU, Nicole BELAYCHE, Corinne BONNET, David BOUVIER, Maya BURGER, Claude CALAME, Valentina CALZOLARI, Antoine CAVIGNEAUX, Philippe COLLOMBERT, Nicole DURISCHGAUTHIER, Doralice FABIANO, David FRANKFURTER, Fritz GRAF, Christian GROSSE, Dominique JAILLARD, Margaret JAQUES, Sarah Iles JOHNSTON, Antje KOLDE, Bruce LINCOLN, Mélanie LOZAT, Alessandra LUKINOVICH, Philippe MATTHEY, Silvia NAEF, Agnes A. NAGY, Maurice OLENDER, Delphine PANISSODEGGEL, Svetlana PETKOVA, Vincianne PIRENNE-DELFORGE, Olivier POT, Francesca PRESCENDI, James M. REDFIELD, Anne-Caroline RENDULOISEL, André-Louis REY, Thomas RÖMER, François RUEGG, Jörg RÜPKE, John SCHEID, Renate SCHLESIER, Paul SCHUBERT, Aurore SCHWAB, Guy G. STROUMSA, Youri VOLOKHINE, Froma I. ZEITLIN

Dans le laboratoire de l historien des religions

Mélanges offerts à Philippe Borgeaud

Edités par Francesca PRESCENDIet Youri VOLOKHINE

Avec la collaboration de Daniel BARBUet Philippe MATTHEY

LABOR ET FIDES

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Cet ouvrage est publié avec les soutiens de la Faculté des Lettres de l'Université de Genève, de

la Maison de l'Histoire, Genève,

de M. et Mme Matthey, de la fondation Patek Philippe et de la République et canton de Genève

Avec le soutien de la Ville de Genève

ISBN 978-2-8309-1428-3

© 2011 by Editions Labor et Fides 1, rue Beauregard, CH1204 Genève

Tél. + 41 (0)22 311 32 69 Fax + 41 (0)22 781 30 51 E-mail : contact@laboretfides.com Site Internet : www.laboretfides.com

Diffusion en Suisse : OLF, Fribourg

Diffusion en France et en Belgique : Editions du Cerf, Paris Diffusion au Canada : FIDES, Montréal

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Gravure de Eisen, illustrant l’Emilede Jean-Jacques Rousseau, édition de La Haye, Néaulme, Paris, Duchesne, 1762.

En-tête du livre second (Tome I, p. 140), avec la légende :

« Chiron exerçant le petit Achille à la course ».

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A la recherche des poètes disparus

Paul SCHUBERT(Université de Genève)

Introduction

L’objet de cette brève étude sera d’examiner divers témoignages relatifs à la sépulture des poètes de la Grèce archaïque et classique, afin de détermi- ner comment s’articule cette partie spécifique du récit sur la vie et la mort des poètes : avons-nous affaire à des données factuelles ? L’hypothèse pré- sentée ici consistera au contraire à envisager le récit sur la sépulture des poètes comme le produit de l’absence de traces matérielles : divers récits sur les circonstances mêmes de la mort des poètes auraient comblé ce manque de vestiges tangibles, et auraient – au moins dans certains cas– servi les revendications de cités qui se targuaient d’abriter une sépulture.

Cette hypothèse sera rendue vraisemblable par l’accumulation de cas concordants.

Les sources qui seront évoquées ont des provenances diverses. Il s’agit notamment desViesdes poètes telles qu’on les trouve en tête des manuscrits byzantins. D’autres ouvrages d’érudition antique, comme la Souda, nous fournissent également des données importantes ; Pausanias le Périégète apporte aussi une contribution non négligeable. Ce qu’il importe de retenir, c’est que les récits sur la sépulture des poètes ne sont jamais contemporains de ces mêmes poètes : ils résultent pour la plupart des travaux des cher- cheurs de la période hellénistique et romaine, qui ont essayé de stabiliser l’héritage laissé par leurs prédécesseurs.

Dans la recherche moderne, la vie–et la mort –des poètes grecs a fait l’objet d’une étude importante par Mary Lefkowitz1. Toutefois, si cette savante s’est intéressée à de nombreux aspects de la mort des poètes, en revanche elle a exploré de manière moins approfondie la question plus précise des vestiges matériels en relation avec le récit. Les considérations qui suivent offrent donc un modeste prolongement aux réflexions que nous livre son ouvrage fondamental.

1. Cf. Mary LEFKOWITZ,The Lives of the Greek Poets, London, Duckworth, 1981.

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Les sépultures des poètes grecs

Le touriste moderne qui se rendrait en Grèce pour se recueillir sur la tombe d’un des grands poètes de l’Antiquité serait rapidement déçu : nous ne possédons en effet aucune trace matérielle ni d’Homère, ni d’Hésiode, ni d’aucun autre des anciens poètes. Or ce vide était déjà ressenti à la période classique, et les érudits qui, dès la période hellénistique, on cherché à situer le lieu de sépulture de divers poètes, nous ont rapporté des récits souvent divergents.

Il paraît difficile de simplement imputer ce vide aux pratiques funéraires de la période archaïque : en effet, on recense les premières inscriptions funéraires dès le VIIe siècle av. J.-C., donc presque immédiatement après nos premiers témoignages relatifs à l’écriture alphabétique grecque. Ainsi, Jesper Svenbro fait état d’environ 17 inscriptions funéraires antérieures à 600 av. J.-C.2 Les premiers poètes grecs étant situés soit vers la fin du

VIIIesiècle, soit peut-être au début du VIIe siècle, rien n’empêchea priori que l’on ait pu localiser précisément la tombe d’un poète archaïque par un monument pourvu d’une inscription indiquant explicitement l’identité du mort. Il convient cependant de signaler qu’il est très rare que les archéo- logues trouvent un monumentet sa dédicace dans le même contexte de fouille. Le cas de l’Athénienne Phrasikleia semble exceptionnel à cet égard3. On peut signaler aussi le monument (μνῆμα) érigé par les habitants de Thasos en l’honneur de Glaucos fils de Leptine, un personnage connu par le poète Archiloque4. Si l’édifice ne comporte pas de sépulture, en revanche l’inscription dédicatoire appartenait bel et bien au monument.

Aux aspects archéologiques viennent s’ajouter les difficultés résultant de la transmission orale des données. A maints égards, on peut en effet consi- dérer que le passage de la culture orale à une culture écrite se fait vers la fin du Ve siècle, du moins dans le cadre relativement bien documenté de l’Athènes classique. Cet état de fait a dû contribuer à entretenir un certain flou sur le lieu de sépulture des poètes, tandis que dans un contexte dominé par l’oralité, au contraire, le terrain était propice au développement de

2. Cf. Jesper SVENBRO, Phrasikleia. Anthropologie de la lecture en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1988, p. 38. Voir aussi Barry B. POWELL,Homer and the Origin of the Greek Alphabet, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, pp. 142-144, qui décrit quatre inscriptions funéraires duVIIesiècle.

3. Cf. Jesper SVENBRO,op. cit., pp. 16-17.

4. Cf. Jean POUILLOUX, « Glaucos, fils de Leptine, Parien »,BCH79, 1955, pp. 75-86 ; dans le même volume, Georges ROUX, « Chronique des fouilles », pp. 348-351. Le texte de lépitaphe est repris dansSEGXIV 565, ainsi que chez Douglas E. GERBER,Greek Iambic Poetry, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1999, pp. 14-15 (Archiloque, T1).

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récits concurrents. D’un point de vue narratif, les récits ont ainsi suivi des transformations et des dédoublements qui ne vont pas sans rappeler ce que, à date plus ancienne, on observe à propos des personnages de l’épo- pée. Un examen de la manière dont les héros épiques sont traités par la tradition nous permettra de mieux saisir le contexte narratif dans lequel les poètes ont eux aussi été compris ; c’est la raison pour laquelle il convient de commencer par l’évocation de quelques exemples significatifs.

Quelques sépultures de héros de l’épopée

On connaît bien le récit que nous fait Hérodote à propos des ossements d’Oreste, qui auraient été repérés de manière presque fortuite par un Spar- tiate (Hdt 1, 67-68).

ἐπειδὴαἰεὶτῷπολέμῳ ἑσσοῦντοὑπὸΤεγεητέων,πέμψαντες θεοπρόπους ἐς Δελφοὺς ἐπειρώτων τίνα ἂν θεῶν ἱλασάμενοι κατύπερθε τῷ πολέμῳ Τεγεητέων γενοίατο.ἡδὲΠυθίη σφιἔχρησε τὰ Ὀρέστεω τοῦ Ἀγαμέμνονος ὀστέαἐπαγαγομένους. (…)τούτωνὦν τῶνἀνδρῶν Λίχηςἀνεῦρεἐν Τεγέῃ καὶσυντυχίῃχρησάμενος καὶσοφίῃ.ἐούσης γὰρ τοῦτον τὸν χρόνονἐπιμι- ξίης πρὸς τοὺς Τεγεήταςἐλθὼνἐς χαλκήιονἐθηεῖτο σίδηρονἐξελαυνόμενον καὶ ἐν θώματι ἦν ὁρέων τὸ ποιεύμενον. μαθὼν δέ μιν ὁ χαλκεὺς ἀπο- θωμάζοντα εἶπε παυσάμενος τοῦ ἔργου·ἦ κου ἄν,ὦ ξεῖνε Λάκων,εἴ περ εἶδες τό περἐγώ,κάρταἂνἐθώμαζες,ὅκου νῦν οὕτω τυγχάνεις θῶμα ποιεύ- μενος τὴνἐργασίην τοῦσιδήρου.ἐγὼγὰρἐν τῇδε θέλων[ἐν]τῇαὐλῇφρέαρ ποιήσασθαι,ὀρύσσωνἐπέτυχον σορῷ ἑπταπήχεϊ· ὑπὸ δὲ ἀπιστίης μὴ μὲν γενέσθαι μηδαμὰμέζοναςἀνθρώπους τῶν νῦνἄνοιξα αὐτὴν καὶεἶδον τὸν νεκρὸν μήκεϊἴσονἐόντα τῇσορῷ.Μετρήσας δὲσυνέχωσαὀπίσω.ὁμὲν δή οἱ ἔλεγε τά περὀπώπεε,ὁδὲ ἐννώσας τὰλεγόμενα συνεβάλλετο τὸνὈρέσ- την κατὰτὸθεοπρόπιον τοῦτον εἶναι.

« Comme (les Lacédémoniens) étaient toujours vaincus par les Tégéates, ils envoyèrent demander à Delphes quel dieu ils devaient se concilier pour triompher des Tégéates. La Pythie leur déclara qu’il leur fallait transporter chez eux les ossements d’Oreste, le fils d’Agamemnon. (…) Donc l’un d’eux, Lichas, découvrit le tombeau d’Oreste à Tégée grâce au hasard et grâce à sa propre perspicacité. Les relations avaient alors repris entre Sparte et Tégée, et Lichas, entré chez un forgeron, regardait en s’émer- veillant le travail du fer. Le forgeron, qui le vit surpris, interrompit son ouvrage et lui dit :“Ah ! Lacédémonien ! Si tu avais vu ce que j’ai vu, tu aurais été bien étonné, toi qui es tellement surpris de me voir travailler le fer : quand j’ai voulu me faire un puits dans cette cour, j’ai trouvé en creusant le sol un cercueil long de sept coudées. Je ne pouvais croire qu’il eût jamais existé des hommes plus grands que ceux d’aujourd’hui ; alors

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je l’ai ouvert, et j’ai vu que le corps était aussi long que le cercueil. Je l’ai mesuré, puis j’ai remis la terre en place.” L’homme lui raconta ce qu’il avait vu et Lichas, à la réflexion, conclut de cette histoire que c’était là le corps d’Oreste, ainsi que l’oracle l’avait indiqué. »5

Au moment où débute le récit d’Hérodote, l’emplacement de la sépulture d’Oreste est inconnu de tous. C’est un oracle qui fournit à Lichas les indices qui lui permettent d’identifier une tombe comme celle du héros ; en outre, les dimensions extraordinaires des ossements indiquent qu’il doit s’agir d’un homme d’une époque révolue. Cette découverte n’est cependant pas sans conséquence, puisque les Spartiates parviennent ainsi à reprendre le dessus sur leurs voisins tégéates. La possession des os du héros leur garantit une forme de protection militaire. L’enjeu symbolique doit être considé- rable : en effet, Pausanias au IIes. apr. J.-C. décrit encore brièvement le lieu où les Spartiates conservent ces ossements6.

Le Périégète (3,3,7) rapporte d’ailleurs dans les grandes lignes le récit hérodotéen, non sans rappeler un cas analogue, celui de Thésée, que les Athéniens auraient cherché à ramener de l’île de Scyros. Miltiade parvient à s’emparer des ossements par une ruse (σοφίᾳ χρησάμενος καὶοὗτος), et la possession des os de Thésée garantit aux Athéniens la victoire sur Scyros. Nous sommes ici en présence d’un motif plus étendu, celui du héros dont une cité revendique la possession au-delà de la mort : les osse- ments servent alors de « talisman », pour utiliser un mot d’origine grecque dans sa forme arabe7.

Dans un contexte narratif très différent, le motif est repris par Sophocle dans sonŒdipe à Colone: le héros thébain est accueilli par les Athéniens, avant de disparaître dans des circonstances mystérieuses connues du seul Thésée. Ce dernier offre une forme d’asile àŒdipe, en dépit des revendi- cations et des menaces du voisin thébain, et obtient en contrepartie la présence du héros dans la terre athénienne pour l’éternité, en un lieu tenu secret.Œdipe est en quelque sorte intégré au sol de la cité, laquelle peut revendiquer à son avantage la protection du héros. Cette version des faits, telle qu’elle est mise en scène par le dramaturge, diverge notamment de la tradition homérique, oùŒdipe a vraisemblablement reçu une sépulture à Thèbes ; des jeux funèbres sont organisés à sa mémoire dans cette cité8. A

5. Hérodote. L’enquête : livres I à IV(Andrée BARGUETéd.), Paris, Gallimard, 2002.

6. PAUS. 3,11,10 : κομισθέντα γὰρ ἐκ Τεγέας τοῦ Ὀρέστου τὰ ὀστᾶ κατὰ μαντείαν θάπτουσινἐνταῦθα« Ils conservent là les os dOreste, apportés de Tégée conformément à un oracle. »

7. Cf. Christopher A. FARAONE, Talismans and Trojan Horses. Guardian Statues in Ancient Greek Myth and Ritual, New York-Oxford, Oxford University Press, 1992, p. 3.

8. Cf.Il.23,677680 :Εὐρύαλος δέοἱοἶοςἀνίστατο,ἰσόθεος φώς, |Μηκιστέως υἱὸς Ταλαϊονίδαοἄνακτος, |ὅς ποτε Θήβασδ᾿ ἦλθε δεδουπότος Οἰδιπόδαο|ἐς τάφον·ἔνθα δὲ

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Athènes même, il n’y a pas de consensus sur le lieu de la sépulture du héros thébain. Pausanias (1,28,7) signale une tombe d’Œdipe en ville d’Athènes, au pied du flanc nord de l’Aréopage et non dans les faubourgs de Colone9:

ἔστι δὲ καὶ ἐντὸς τοῦ περιβόλου μνῆμα Οἰδίποδος, πολυπραγμονῶν δὲ εὕρισκον τὰ ὀστᾶ ἐκ Θηβῶν κομισθέντα· τὰγὰρἐς τὸν θάνατον Σοφοκλεῖ πεποιημένα τὸν Οἰδίποδος Ὅμηρος οὐκ εἴα μοι δόξαι πιστά,ὃςἔφη Μηκισ- τέα τελευτήσαντος Οἰδίποδοςἐπιτάφιονἐλθόνταἐς Θήβαςἀγωνίσασθαι.

« Il y a à l’intérieur de l’enceinte un tombeau d’Œdipe, et après beaucoup de recherches j’ai trouvé que les ossements avaient été apportés de Thèbes ; car le récit que Sophocle a composé sur la mort d’Œdipe, Homère ne me permettait pas d’y croire, lui qui a dit que Mécistée, à la mort d’Œdipe, est venu à Thèbes pour concourir lors de jeux funèbres. » (trad. J. Jouanna)

Evoquons un dernier cas, moins connu, celui de la tombe de Pénélope, située par Pausanias (8,12,5–6) à la sortie de Mantinée, sur la route menant à Orchomène d’Arcadie :

ἐπὶδὲ ὁδοῖς ταῖς κατειλεγμέναις δύοἐςὈρχομενόν εἰσινἄλλαι,καὶτῇμέν ἐστι καλούμενον Λάδα στάδιον,ἐςὃ ἐποιεῖτο Λάδας μελέτην δρόμου,καὶ παρ᾿ αὐτὸ ἱερὸν Ἀρτέμιδος καὶ ἐν δεξιᾷ τῆς ὁδοῦ γῆς χῶμα ὑψηλόν·

Πηνελόπης δὲ εἶναι τάφον φασίν, οὐχ ὁμολογοῦντες τὰ ἐς αὐτὴν ποιήσει

<τῇ>Θεσπρωτίδιὀνομαζομένῃ.ἐν ταύτῃμέν γέἐστι τῇποιήσειἐπανήκοντι ἐκ ΤροίαςὈδυσσεῖτεκεῖν τὴν Πηνελόπην Πτολιπόρθην παῖδα· Μαντινέων δὲ ὁ ἐς αὐτὴν λόγος Πηνελόπην φησὶνὑπ᾿ Ὀδυσσέως καταγνωσθεῖσανὡς ἐπισπαστοὺςἐσαγάγοιτοἐς τὸν οἶκον,καὶ ἀποπεμφθεῖσανὑπ᾿αὐτοῦ,τὸμὲν παραυτίκαἐς Λακεδαίμοναἀπελθεῖν,χρόνῳδὲ ὕστερονἐκ τῆς Σπάρτηςἐς Μαντίνειαν μετοικῆσαι,καί οἱτοῦβίου τὴν τελευτὴνἐνταῦθα συμβῆναι.

« Outre les routes mentionnées, il y en a deux autres menant (de Mantinée) à Orchomène (d’Arcadie)10. Sur l’une se trouve le stade dit de Ladas, où Ladas s’entraînait à la course ; près de là, il y a un sanctuaire d’Artémis, et sur le côté droit de la route, un tumulus élevé en terre. On dit que c’est la tombe de Pénélope, ce qui ne concorde pas avec ce qui est dit à son propos dans le poème intituléThesprotide.11En tout cas, dans ce

πάνταςἐννίκα Καδμείωνας. « Seul Euryale se leva contre lui, homme semblable à un dieu, le fils du seigneur Mécistée, descendant de Talaos, qui autrefois se rendit à Thèbes au tombeau d’Œdipe, après que ce dernier fut tombé ; là, Euryale l’emporta sur tous les Cadméens. »

9. Cf. Jacques JOUANNA,Sophocle, Paris, Fayard, 2007, pp. 143-144.

10. Pour une représentation cartographique du trajet décrit par Pausanias, cf.Pausania.

Guida della Grecia, libro VIII. LArcadia(Mauro MOGGI, Massimo OSANNAéd.), Milano, Mondadori, 2003, pp. LXXXVIII-LXXXIX.

11. Cf. Greek Epic Fragments (Martin L. WEST éd.), Cambridge (MA), Harvard University Press, 2003, « Telegony » fr. 3 (p. 168-171).

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poème, (on dit qu’) elle donna le petit Ptoliporthès à Ulysse à son retour de Troie. Or le récit des Mantinéens relatif à Pénélope affirme qu’elle fut accusée par Ulysse d’avoir introduit des prétendants dans leur maison, et qu’il la chassa. Elle se serait tout d’abord rendue à Lacédémone, et plus tard aurait quitté Sparte pour s’établir à Mantinée, où elle aurait terminé son existence. »

Si Pénélope est censée s’être rendue à Sparte, c’est parce qu’elle en est originaire, par son père Icarios, frère de Tyndare ; autrement dit, c’est une cousine germaine d’Hélène et de Clytemnestre. Dans le récit de Pausanias, on peut relever que les diverses traditions ne concordent pas, puisque la Thesprotide – un poème épique aujourd’hui perdu – semble suggérer qu’elle aurait fini ses jours à Ithaque, en compagnie d’Ulysse, alors que les Mantinéens affirment au contraire qu’Ulysse l’aurait chassée et qu’elle aurait été ensevelie à la sortie de leur cité.

Ces quelques exemples suffisent pour constater que des cités pouvaient chercher à s’approprier les restes de personnages de l’âge héroïque, qu’il s’agisse d’Oreste, de Thésée, d’Œdipe ou encore de Pénélope. La présence d’une sépulture dans un lieu particulier lui conférait une forme de protec- tion. Or ce qui frappe dans tous les cas mentionnés jusqu’ici, c’est que la possession des ossements d’un héros ne va pas de soi : la localisation des restes fait problème ; les protagonistes ne savent pas où se trouvent les vestiges ; dès lors, des récits se constituent pour justifier la présence d’une sépulture dans un endroit donné. D’ailleurs, l’authenticité d’une tombe n’est jamais prouvée, puisqu’il n’existe aucun cas où elle serait confirmée par la présence d’un élément de preuve, comme par exemple une dédicace épigraphique. Ces considérations préliminaires trouvent encore confirma- tion dans un cas particulièrement complexe, sur lequel nous ne nous attar- derons pas ici, celui des sépultures de divers héros dans la plaine de Troie12.

Retour sur les sépultures des poètes

Nous venons de voir quelques cas significatifs illustrant la manière dont les sépultures des héros de l’épopée sont revendiquées par des cités.

Comme on pourra le constater sous peu, les récits relatifs aux sépultures des poètes présentent de fortes analogies avec les cas précédents. Sans être assimilables à des héros de l’épopée, les poètes entretiennent un rapport privilégié avec les dieux, alors que les héros appartenaient quant à eux à un âge où les mortels pouvaient encore maintenir le contact avec les

12. Cf. Alexandra TRACHSEL,La Troade : un paysage et son héritage littéraire, Basel, Schwabe (Bibliotheca Helvetica Romana28), 2007,passim, en particulier pp. 418-426.

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immortels. En ce sens, les poètes jouissent d’une considération particulière qui leur confère un statut presque héroïque. Il convient maintenant de nous pencher sur quelques exemples de récits relatifs à la sépulture de poètes.

Homère

Nous disposons de plusieurs variantes d’un récit relatant les circons- tances de la mort d’Homère13. Dans les grandes lignes, retenons que le poète débarque sur l’île d’Ios, dans les Cyclades, où il rencontre un groupe d’enfants qui reviennent de la pêche. Ceux-ci soumettent à Homère une énigme : « Ce que nous avons pris, nous l’avons laissé, et ce que nous n’avons pas pris, nous le portons. » La solution de cette énigme paradoxale est que les enfants n’ont rien pu attraper à la pêche, mais qu’ils se sont assis sur la terre ferme et se sont épouillés : les poux qu’ils ont attrapés, ils les ont laissés, tandis que ceux qu’ils n’ont pas pu attraper, ils les ramènent à la maison ! N’étant pas parvenu à résoudre l’énigme par ses propres moyens, le poète en meurt, soit de dépit, soit par accident. Parmi les diverses variantes du récit, celle que nous rapporte le pseudo-Plutarque14contient un élément remarquable, à savoir l’érection d’une stèle funéraire. On retrouve cet élément dans plusieurs versions parallèles.

θάψαντες δὲ αὐτὸν οἱ Ἰῆται μεγαλοπρεπῶς, τοιόνδε ἐπέγραψαν αὐτοῦ τῷ τάφῳ·

ἐνθάδε τὴνἱερὴν κεφαλὴν κατὰγαῖα καλύπτει, ἀνδρῶνἡρώων κοσμήτορα θεῖονὍμηρον.

« Les habitants d’Ios l’ensevelirent en grande pompe et inscrivirent sur sa tombe le texte suivant :“Ici la terre recouvre la tête sainte, celle du divin Homère, qui a placé les héros en ordre de bataille.”»

Pour honorer le poète, les habitants d’Ios ont donc érigé une sépulture avec une épitaphe. Ces épitaphes constituent un élément parmi d’autres liés à la mise en place d’une vénération confinant au culte héroïque ; dans l’épitaphe, Homère est qualifié explicitement de θεῖος. Si le motif de l’épitaphe d’Homère ne remonte ni à l’Iliade ni à l’Odyssée, en revanche le texte de l’inscription est bel et bien formé à partir du support homérique. La mention même d’une sépulture pourvue d’une épitaphe donne du poids aux alléga- tions des habitants d’Ios qui affirment que le poète est mort chez eux.

Qu’importe que l’inscription soit perdue : citer le texte rend la chose crédible.

On remarquera par ailleurs que, dans la description même du personnage du poète dans l’épitaphe, il y a une confusion entre le poète et les person-

13. Cf.Homeric Hymns, Homeric Apocrypha, Lives of Homer(Martin L. WESTéd.), Cambridge (MA), Harvard University Press, 2003, pp. 296-457.

14. Martin L. WEST(éd.),op. cit. (Vit. Hom.4).

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nages qu’il décrit lui-même dans l’Iliade. En effet, leἀνδρῶνἡρώων κοσ- μήτωρn’est au départ pas le poète, mais un chef de guerre qui dispose ses troupes sur le champ de bataille15. Cette remarque a son importance si l’on revient à l’énigme en se demandant quel sens elle prend dans la vie d’Homère : pour quelle raison Homère trébuche-t-il sur cette énigme, et non sur une autre ?

La raison se trouve vraisemblablement dans la prophétie que l’âme de Tirésias fait à Ulysse au chant 11 de l’Odyssée. Tirésias explique à Ulysse comment il retournera chez lui, châtiera les prétendants, puis repartira. La prophétie se termine avec l’annonce selon laquelle une mort douce viendra à Ulysse de la mer16. Cette constatation permet de rappeler une règle connue depuis longtemps, et mise en évidence par Lefkowitz : les éléments biographiques relatifs aux poètes trouvent le plus souvent leur origine dans les écrits du poète lui-même. A ce principe s’ajoute un autre, presque consubstantiel du premier : les poètes connaissent presque toujours une fin extraordinaire ; en règle générale, ils ne meurent pas tranquillement dans leur lit. Si tel avait été le cas, d’une part leur mort n’aurait pas mérité d’être racontée, et d’autre part la localisation de leur sépulture aurait été possible.

Or ces récits vont précisément servir à expliquer indirectement pourquoi les poètes n’ont pas laissé de traces pour les générations suivantes.

Hésiode

Le récit relatif à la mort d’Hésiode contient un élément central : Hésiode est accusé injustement d’avoir violé la fille de son hôte, et il est tué en représailles. A ce noyau viennent se rattacher des points supplémentaires, notamment le fait que le corps d’Hésiode aurait été jeté à la mer, et que les assassins d’Hésiode auraient été punis. Le corps d’Hésiode est ramené à terre par des dauphins.

Hes., T2 (Most) (= Tzetzes,ΣHes. Op.pp. 87-92 [Colonna])17:

μετὰ δὲ τρίτην ἡμέραν ὑπὸ δελφίνων πρὸς αἰγιαλὸν ἐξήχθη τὸ σῶμα μεταξὺ Λοκρίδος καὶ Εὐβοίας, καὶ ἔθαψαν αὐτὸν Λοκροὶ ἐν Νεμέᾳ τῆς Οἰνόης. οἱδε φονεῖς τούτου νηὸς ἐπιβάντες ἐπειρῶντο φυγεῖν, χειμῶνι δὲ διεφθάρησαν. Ὀρχομένιοι δὲ ὕστερον κατὰχρησμὸν ἐνεγκόντες τὰ Ἡσιό- δουὀστᾶθάπτουσινἐν μέσῃτῇ ἀγορᾷκαὶ ἐπέγραψαν τάδε·

15. Cf.Il. 1,375 :Ἀτρεΐδα δὲ μάλιστα δύω κοσμήτορε λαῶν« en particulier les deux Atrides (Agamemnon et Ménélas), habiles à disposer les troupes en ordre de bataille ».

16. Od.11,134-135 :θάνατος δέτοιἐξἁλὸς αὐτῷ|ἀβληχρὸς μάλα τοῖοςἐλεύσεται. 17. Hesiod. Theogony, Works and Days, Testimonia (Glenn MOST éd.), Cambridge (MA), Harvard Univ. Press, 2006 ; Hesiodi Opera et dies (Aristides COLONNA éd.), Milano-Varese, Istituto Editoriale Cisalpino, 1959.

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Ἄσκρα μὲν πατρὶς πολυλάϊος,ἀλλὰθανόντος ὀστέα πληξίππου γῆ Μινύης κατέχει

Ἡσιόδου,τοῦ πλεῖστονἐνἀνθρώποις κλέοςἐστίν, ἀνδρῶν κρινομένωνἐν βασάνοις σοφίης.

ἐπέγραψε δὲ καὶΠίνδαρος·

χαῖρε δὶςἡβήσας καὶ δὶς τάφουἀντιβόλησας, Ἡσίοδ᾿,ἀνθρώποις μέτρονἔχων σοφίης.

« Au bout de trois jours, le corps d’Hésiode fut ramené à la rive par des dauphins, entre la Locride et l’Eubée, et les Locriens l’ensevelirent à Némée d’Oinoé. Ses assassins montèrent dans un bateau et tentèrent de fuir, mais périrent dans une tempête. Plus tard, les Orchoméniens suivirent un oracle et emportèrent les os d’Hésiode, qu’ils ensevelirent au milieu de l’agora, et ils inscrivirent le texte suivant :“Ascra et ses nombreux champs furent ma patrie, mais maintenant que je suis mort, la terre de Minyé qui fouette les chevaux retient Hésiode, dont la gloire est la plus grande parmi les hommes lorsque les hommes sont jugés pour leur habileté.”Pindare inscrivit aussi le texte suivant :“Salut, toi qui as été deux fois jeune et as reçu deux fois une sépulture, Hésiode, qui détiens la mesure de l’habileté parmi les hommes.”»

Ce récit appelle deux remarques :

a. Nous sommes en présence d’un motif que l’on retrouve–sans qu’il y ait mort d’homme–avec le récit du poète Arion, jeté à la mer par des marins, et sauvé par des dauphins (Hdt. 1,23). Les marins sont eux aussi confondus et punis. Il s’agit d’un motif fréquent où un poète est injustement tué – ou alors on essaie de le tuer – et où sa valeur est implicitement reconnue par le fait que les assassins sont punis. On retrouvera le thème avec la figure d’Ibycos.

b. Dans le cas d’Hésiode, ce motif semble particulièrement pertinent, puisque lesTravaux et les Joursont pour objet central la question de la justice. De même qu’Homère reçoit une mort venue de la mer (comme Ulysse), de même Hésiode reçoit une mort injuste (alors qu’il a réfléchi précisément sur la question de la justice).

Dans ce texte, on voit aussi reparaître le motif de l’épitaphe par laquelle ceux qui ensevelissent le poète reconnaissent son mérite pour l’éternité. Il y a donc une opposition entre la mort du poète, qui peut être triviale (Homère : énigme non résolue) ou injuste (Hésiode : accusé à tort), et la postérité du poète, lequel est reconnu par son entourage par le biais d’une inscription destinée à perpétuer son souvenir.

Ce témoignage introduit un autre motif que nous connaissons déjà par le biais des héros de l’épopée, celui de la possession des os du poète. Les habitants d’Orchomène ont pris les os d’Hésiode, pour les placer dans

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l’agora. Or c’est notamment sur ce point que les récits divergent, comment on peut le constater à travers un passage tiré de Plutarque.

Hes. T32 (Most) (= Plut.Sept. sap. conv.19, 162c-e)18:

ἀπέκτειναν γὰρ αὐτὸν οἱ τῆς παιδίσκης ἀδελφοὶ περὶ τὸ Λοκρικὸν Νέμειον ἐνεδρεύσαντες, καὶ μετ’ αὐτοῦ τὸν ἀκόλουθον, ᾧ Τρωίλος ἦν ὄνομα.τῶν δὲ σωμάτων εἰς τὴν θάλαττανὠσθέντων τὸμὲν τοῦΤρωίλου, εἰς τὸν Δάφνον ποταμὸν ἔξω φορούμενον, ἐπεσχέθη περικλύστῳ χοιράδι μικρὸνὑπὲρ τὴν θάλαττανἀνεχούσῃ· καὶμέχρι νῦν Τρωίλοςἡχοιρὰς καλεῖ- ται· τοῦδ’Ἡσιόδου τὸν νεκρὸν εὐθὺςἀπὸγῆςὑπολαβοῦσα δελφίνωνἀγέλη πρὸς τὸ Ῥίον κατὰτὴν Μολύκρειαν ἐκόμιζε. ἐτύγχανε δὲ Λοκροῖς ἡ τῶν Ῥίων καθεστῶσα θυσία καὶπανήγυρις,ἣνἄγουσινἔτι νῦνἐπιφανῶς περὶτὸν τόπονἐκεῖνον.ὡς δ’ὤφθη προσφερόμενον τὸσῶμα,θαυμάσαντεςὡς εἰκὸς ἐπὶ τὴν ἀκτὴν κατέδραμον, καὶ γνωρίσαντες ἔτι πρόσφατον τὸν νεκρὸν ἅπαντα δεύτερα τοῦζητεῖν τὸν φόνονἐποιοῦντο διὰτὴν δόξαν τοῦ Ἡσιό- δου.καὶτοῦτο μὲν ταχέως ἔπραξαν, εὑρόντες τοὺς φονεῖς· αὐτούς τε γὰρ κατεπόντισαν ζῶντας καὶτὴν οἰκίαν κατέσκαψαν.ἐτάφη δ’ὁ Ἡσίοδος πρὸς τῷΝεμείῳ· τὸν δὲτάφον οἱπολλοὶτῶν ξένων οὐκἴσασιν,ἀλλ’ἀποκέκρυπ- ται ζητούμενοςὑπ’Ὀρχομενίων,ὥς φασι,βουλομένων κατὰχρησμὸνἀνε- λέσθαι τὰλείψανα καὶθάψαι παρ’αὑτοῖς.

« Les frères de la jeune fille l’assassinèrent dans une embuscade près du sanctuaire de Zeus Néméen en Locride, et avec lui son compagnon, qui avait pour nom Troïlos. Leurs corps furent jetés à la mer ; celui de Troïlos, déporté jusqu’à l’embouchure du Daphnos, s’arrêta sur un écueil battu des flots qui dépassait légèrement de la surface de la mer ; et aujourd’hui encore cet écueil porte le nom de Troïlos. Quant au cadavre d’Hésiode, à peine eut-il quitté la terre, qu’une troupe de dauphins le recueillit et le transporta vers le Rhion de Molycria. Or les Locriens célébraient justement la fête des Rhia et la panégyrie, comme ils le font encore aujourd’hui avec éclat au même endroit. Lorsqu’ils virent le corps ainsi transporté, pleins de curio- sité, comme il est normal, ils se précipitèrent sur le rivage. Ayant reconnu le cadavre–car la mort était toute récente–, leur premier soin fut d’enquê- ter sur l’assassinat, tant la renommée d’Hésiode était grande. Ils le firent rapidement et trouvèrent les assassins ; ils les jetèrent vivants à la mer et rasèrent leur maison. Hésiode fut enseveli près du Nemeion ; mais les étrangers ignorent généralement son tombeau. Son emplacement est tenu secret parce que les Orchoméniens, dit-on, le recherchaient : ils voulaient, à la suite d’un oracle, enlever les restes d’Hésiode et les ensevelir chez eux. » Le cadavre de Troïlos, compagnon d’Hésiode, fournit l’élément central d’un récit étiologique expliquant la présence d’un écueil dans la mer. Quant à Hésiode, les Locriens l’enterrent, mais en cachette, pour éviter que les

18. Glenn MOST(éd.),op. cit.

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gens d’Orchomène ne puissent s’approprier ses os. Ce récit se construit vraisemblablement autour du fait que l’on n’a plus la moindre trace maté- rielle de l’existence d’Hésiode ou de son éventuelle sépulture. On peut donc mettre en place une forme de culte héroïque, où l’absence de lieu précis pour la sépulture devient non pas un fait incident, mais un élément fonction- nel du récit. Autrement dit, si Hésiode était mort simplement dans son lit, il n’y aurait pas eu de doute quant à la localisation de sa tombe. Comme il a connu cette fin extraordinaire par laquelle son cadavre est ramené à terre par des dauphins–un comble pour un poète qui détestait les voyages en mer !–, les traditions peuvent broder sur ce premier motif pour nourrir les revendications des Orchoméniens et des Locriens.

La question de l’aspect fonctionnel du récit appelle un parallèle supplé- mentaire, celui de la mort du Spartiate Lycurgue telle que nous la présente Plutarque à la fin de la Vie de Lycurgue (31,3–10). On y apprend tout d’abord que ce législateur n’a laissé ni écrits ni discours. A cette première absence de témoignages concrets s’ajoute une totale incertitude autour de sa sépulture. Plutarque (31,7) évoque plusieurs endroits, tous hors de Sparte, et parle notamment de la Crète. Cette île passe pour le berceau des systèmes législatifs. Or la tradition veut que Lycurgue, après avoir donné des lois à ses concitoyens, leur aurait fait jurer d’attendre son retour de Delphes avant de modifier quoi que ce soit aux lois qu’il leur avait fait accepter (29,1–11). Puis il se serait laissé mourir de faim sans revenir chez lui. En Crète, son corps aurait été brûlé et ses cendres dispersées dans la mer. Ainsi, il devenait impossible pour les Spartiates de ramener Lycurgue –même mort–dans sa patrie, et les lois qu’il leur avait données restaient fixées à tout jamais. L’absence de témoignage matériel relatif à la sépulture du législateur devient l’élément central du récit : comme dans le cas d’Hésiode, la lacune prend un tour fonctionnel.

Archiloque

Il a déjà été question plus haut du monument consacré par les Thasiens à Glaucos, un Parien figurant dans les poèmes d’Archiloque. Ce dernier quant à lui a joui d’un culte héroïque à Paros, où l’on a retrouvé les restes d’un monument, avec une inscription du IIIe s. av. J.-C.19On peut signa- ler également une épitaphe trouvée à Paros et gravée au IVe s. av. J.-C.

(CEGI 674 [Hansen] = Archiloque, T2 [Gerber])20.

19. Cf. T3 (Greek Iambic Poetry[Douglas E. GERBERéd.], Cambridge (MA), Harvard Univ. Press, 1999) (=SEGXV 517).

20. Carmina epigraphica Graeca (CEG ;Peter A. HANSENéd.), BerlinNew York, De Gruyter, 1983-1989 ; Douglas E. GERBER(éd.),op. cit.

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Ἀρχίλοχος Πάριος Τελεσικλέοςἐνθάδε κεῖται, τῷΔόκιμος μνημήιονὁΝεοκρέωντος τόδ᾿ ἔθηκεν.

« Ci-gît Archiloque de Paros, fils de Telesiclès ; c’est Dokimos, fils de Néocréon, qui lui a érigé ce monument. »

Ces vestiges, relativement tardifs, n’ont évidemment aucune valeur de preuve quant à la présence effective des restes du poète à Paros : ils témoignent surtout du fait que les Pariens revendiquaient la présence d’une tombe d’Archiloque sur leur île. Or, de même que les Locriens et les Orchoméniens se disputaient la possession des restes d’Hésiode, de même la tradition archilochéenne ne fait pas l’unanimité ; c’est du moins ce que suggère l’article de la Souda (s.v. Ἀρχίλοχος, α 4112) relatif au poète.

ὅτι τῶν σπουδαίων οὐδὲ θανόντων οἱ θεοὶ λήθην τίθενται. Ἀρχίλοχον γοῦν ποιητὴν γενναῖον τἄλλα,εἴτις αὐτοῦτὸαἰσχροεπὲς καὶτὸκακορρῆ- μον ἀφέλοι, καὶ οἱονεὶ κηλίδα ἀπορρύψαι, ὁ Πύθιος ἠλέει τεθνεῶτα καὶ ταῦτα ἐν τῷ πολέμῳ, ἔνθα δήπου ξυνὸς Ἐνυάλιος. καὶ ὅτε ἧκεν ὁ ἀπο- κτείνας αὐτὸν,Καλώνδας μὲν ὄνομα, Κόραξ δὲ ἐπώνυμον, τοῦ θεοῦ δεό- μενοςὑπὲρὧνἐδεῖτο,οὐπροσήκατο αὐτὸνἡΠυθίαὡςἐναγῆ,ἀλλὰταῦτα δήπου τὰ θρυλούμενα ἀνεῖπεν. ὁ δὲ ἄρα προεβάλλετο τὰς τοῦ πολέμου τύχας καὶ ἔλεγεν,ὡςἧκενἐςἀμφίβολονἢδρᾶσαιἢπαθεῖν,ὅσαἔπραξε,καὶ ἠξίου μὴ ἀπεχθάνεσθαι τῷθεῷ εἰ τῷ ἑαυτοῦδαίμονι ζῇ, καὶ ἐπηρᾶτο, ὅτι μὴ τέθνηκε μᾶλλον ἢ ἀπέκτεινε. καὶ ταῦτα ὁ θεὸς οἰκτείρει καὶ αὐτὸν κελεύειἐλθεῖν εἰς Ταίναρον,ἔνθα Τέττιξ τέθαπται,καὶμειλίξασθαι τὴν τοῦ Τελεσικλείου παιδὸς ψυχὴν καὶπραΰναι χοαῖς.οἷςἐπείσθη,καὶτῆς μήνιδος τῆςἐκ τοῦθεοῦ ἐξάντηςἐγένετο.

« Les dieux n’oublient pas les poètes compétents, même dans la mort.

C’est ainsi qu’Archiloque– un poète bien sous tous rapports, pour autant que l’on passe sur ses expressions infâmantes et sur sa médisance et que l’on nettoie pour ainsi dire cette tache–Archiloque donc une fois mort fut pris en pitié par le dieu pythien, et cela à la guerre, où l’on peut penser qu’Enyalios est impartial. Or lorsque vint son meurtrier, un certain Calondas surnommé le Corbeau, et qu’il fit part au dieu de sa requête, la Pythie ne l’admit pas, affirmant qu’il était porteur d’une souillure ; il est vraisemblable qu’elle prononça les paroles bien connues21. Calondas fit valoir les vicissitudes de la guerre et déclara que, pour ce qu’il avait fait, il n’avait eu comme alternative que de tuer ou être tué ; il demanda de ne pas être haï du dieu alors que sa vie était déterminée par son propre démon, et se maudit de ne pas être mort plutôt que d’avoir tué (Archiloque). Sur ces mots, le dieu prit pitié de lui et lui ordonna d’aller au (Cap) Ténare, où

21. A savoir que Calondas avait tué un serviteur des Muses ; cf. Galen.Protrept.9,22 (=

T14 Douglas E. GERBERéd.,op. cit.).

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Tettix (la Cigale) avait reçu les honneurs funèbres, puis de se rendre pro- pice l’âme du fils de Télésiclès et de l’apaiser par des libations. Calondas s’exécuta et d’affranchit du ressentiment du dieu. »

Lefkowitz22souligne à juste titre le double jeu sur les noms d’animaux : le corbeau (Calondas) est l’oiseau d’Apollon, tandis que la Cigale (Archi- loque) renvoie aux Muses. Ces surnoms semblent faire référence à l’énon- ciation d’un oracle. Le passage de laSouda suggère ainsi de prime abord qu’il existerait une tradition selon laquelle le poète Archiloque aurait été enseveli au Cap Ténare–et non à Paros. Ce texte n’est toutefois pas aussi univoque qu’on pourrait le croire. En effet, le verbeθάπτωn’implique pas nécessairement une sépulture, mais peut désigner plus généralement les honneurs funèbres23. De plus, le lieu désigné par la Pythie–le Cap Ténare – est bien connu comme étant l’une des entrées vers l’Hadès. Par consé- quent, il paraît vraisemblable que Calondas a reçu l’ordre de faire des sacrifices propiatoires précisément au Cap Ténare parce qu’il pourrait ainsi facilement entrer en contact avec l’âme d’Archiloque, à la manière dont Ulysse (Od. 11) se rend à l’extrémité de l’Océan pour dialoguer avec les âmes des morts ; il tente d’ailleurs – en vain – de se raccommoder avec Ajax après que ce dernier s’est suicidé pour s’être vu refuser les armes d’Achille.

Le cas d’Archiloque reste donc équivoque : si l’île de Paros revendique la présence d’une sépulture du poète, la tradition concurrente selon laquelle il serait enseveli au Cap Ténare n’est pas suffisamment explicite pour que l’on parle d’une réelle alternative. L’oracle donné à Calondas pourrait ne porter que sur une évocation de l’âme du mort, sans pour autant préciser que le poète gît en ce lieu.

Ibycos

Avec Ibycos, on retrouve un motif déjà présent dans la tradition relative à Hésiode : le poète est tué injustement et ses meurtriers sont punis de leur crime. La tradition est d’ailleurs enrichie par le motif des grues qui dénoncent les coupables, alors même que le poète a disparu dans un endroit désert et reculé.

Souda,s.v.Ἴβυκος(ι80) (= Ibyc.Test.1 [Campbell])24:

συλληφθεὶς δὲ ὑπὸλῃστῶνἐπὶ ἐρημίαςἔφη,κἂν τὰς γεράνους,ἃςἔτυχεν ὑπερίπτασθαι, ἐκδίκους γενέσθαι. καὶαὐτὸς μὲν ἀνῃρέθη· μετὰδὲ ταῦτα

22. Mary LEFKOWITZ,op. cit., p. 29.

23. Cf. LSJs.v.θάπτω. Ce verbe peut notamment porter sur la crémation d’un mort.

24. Greek LyricIII (David A. CAMPBELLéd.), Cambridge (MA), Harvard Univ. Press, 1991.

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τῶν λῃστῶν εἷςἐν τῇπόλει θεασάμενος γεράνουςἔφη·ἴδε,αἱ Ἰβύκουἔκδι- κοι. ἀκούσαντος δέ τινος καὶ ἐπεξελθόντος τῷ εἰρημένῳ, τό τε γεγονὸς ὡμολογήθη, καὶ δίκας ἔδωκαν οἱ λῃσταί· ὡς ἐκ τούτου καὶ παροιμίαν γενέσθαι,αἱ Ἰβύκου γέρανοι.

« Capturé par des brigands dans un lieu désert, il dit que les grues qui se trouvaient le survoler seraient ses vengeresses. Lui-même fut tué ; mais après cela, l’un des brigands aperçut en ville des grues et s’exclama :“Voilà les vengeresses d’Ibycos !” Quelqu’un l’entendit et s’enquit de ce qu’il avait dit. Le brigand admit les faits ; lui et ses complices furent condamnés.

C’est de là que vient l’expression“les grues d’Ibycos”. »

Ce témoignage indique qu’Ibycos aurait été tué dans un lieu désert (ἐπὶ ἐρημίας). Dans une épigramme d’Antipater de Sidon (IIe s. av. J.-C.), on retrouve la même insistance sur le lieu désert :ἔκ ποτε νήσου | βάντ᾿ ἐς ἐρημαίην ἄστιβον ἠιόνα « un jour que tu avais débarqué dans une île, sur une grève déserte, que nul n’avait foulée »25. Les grues se substituent en quelque sorte à la voix du poète pour dénoncer les criminels. Ainsi, non seulement personne n’assiste au meurtre, mais il devient également impos- sible de localiser les restes du poète. Le poème d’Antipater se présente certes comme une épitaphe, mais il suit le genre de l’épigramme hellénis- tique, où l’épitaphe est devenue une fiction littéraire, que l’on pourrait éventuellement rattacher à un cénotaphe : le paradoxe réside en effet dans le fait que, alors que le poète est mort loin de tous, on lui accorde néan- moins une stèle funéraire.

Empédocle

Empédocle, poète et philosophe, est aussi connu comme thaumaturge, accomplissant divers miracles. Dans le passage suivant, on le voit guérir une femme et détourner le cours de deux fleuves.

Diog. Laert. 8,67–72 :

περὶδὲ τοῦ θανάτου διάφορός ἐστιν αὐτοῦ λόγος.Ἡρακλείδης μὲν γὰρ τὰ περὶ τῆς ἄπνου διηγησάμενος, ὡς ἐδοξάσθη Ἐμπεδοκλῆς ἀποστείλας τὴν νεκρὰνἄνθρωπον ζῶσαν,φησὶνὅτι θυσίαν συνετέλει πρὸς τῷΠεισιά- νακτος ἀγρῷ. συνεκέκληντο δὲ τῶν φίλων τινές, ἐν οἷς καὶ Παυσανίας. εἶτα μετὰ τὴν εὐωχίαν οἱ μὲν ἄλλοι χωρισθέντεςἀνεπαύοντο, οἱ μὲν ὑπὸ τοῖς δέ νδροις ὡς ἀγροῦ παρακειμένου, οἱ δ᾿ ὅπῃ βούλοιντο, αὐτὸς δ᾿

ἔμεινεν ἐπὶ τοῦ τόπου ἐφ᾿ οὗπερ κατεκέκλιτο. ὡς δ᾿ ἡμέρας γενηθείσης ἐξανέστησαν, οὐχ ηὑρέθη μόνος. ζητουμένου δὲ καὶ τῶν οἰκετῶνἀνακρι- νομένων καὶ φασκόντων μὴ εἰδέναι, εἷς τις ἔφη μέσων νυκτῶν φωνῆς ὑπερμεγέθους ἀκοῦσαι προσκαλουμένης Ἐμπεδοκλέα, εἶτ᾿ ἐξαναστὰς

25. Anth. Pal.7,745,1–2 (= Ibyc. fr. 5 [Campbell]).

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ἑωρακέναι φῶς οὐράνιον καὶ λαμπάδων φέγγος, ἄλλο δὲ μηδέν· τῶν δ᾿

ἐπὶ τῷ γενομένῳ ἐκπλαγέντων, καταβὰς ὁ Παυσανίας ἔπεμψέτινας ζητή- σοντας. ὕστερον δὲ ἐκώλυε πολυπραγμονεῖν, φάσκων εὐχῆς ἄξια συμβε- βηκέναι καὶ θύειν αὐτῷ δεῖν καθαπερεὶ γεγονότι θεῷ. Ἕρμιππος δέφησι Πάνθειάν τινα Ἀκραγαντίνην ἀπηλπισμένην ὑπὸ τῶν ἰατρῶν θεραπεῦσαι αὐτὸν καὶ διὰ τοῦτο τὴν θυσίαν ἐπιτελεῖν· τοὺς δὲ κληθέντας εἶναι πρὸς τοὺς ὀγδοήκοντα. Ἱππόβοτος δέφησιν ἐξαναστάντα αὐτὸν ὡδευκέναι ὡς ἐπὶ τὴν Αἴτνην, εἶτα παραγενόμενον ἐπὶ τοὺς κρατῆρας τοῦ πυρὸς ἐνα- λέσθαι καὶ ἀφανισθῆναι,βουλόμενον τὴν περὶαὑτοῦφήμην βεβαιῶσαιὅτι γεγόνοι θεός, ὕστερον δὲ γνωσθῆναι, ἀναρριπισθείσης αὐτοῦ μιᾶς τῶν κρηπίδων· χαλκᾶς γὰρ εἴθιστοὑποδεῖσθαι.πρὸς τοῦθ᾿ ὁΠαυσανίαςἀντέ- λεγε.τοῖς Σελινουντίοιςἐμπεσόντος λοιμοῦδιὰτὰςἀπὸτοῦπαρακειμένου ποταμοῦ δυσωδίας,ὥστε καὶ αὐτοὺς φθείρεσθαι καὶτὰς γυναῖκας δυστο- κεῖν, ἐπινοῆσαι τὸν Ἐμπεδοκλέα καὶ δύο τινὰς ποταμοὺς τῶν σύνεγγυς ἐπαγαγεῖν ἰδίαις δαπάναις· καὶ καταμίξαντα γλυκῆναι τὰ ῥεύματα. οὕτω δὴ λήξαντος τοῦ λοιμοῦ καὶ τῶν Σελινουντίων εὐωχουμένων ποτὲ παρὰ τῷ ποταμῷ, ἐπιφανῆναι τὸν Ἐμπεδοκλέα· τοὺς δ᾿ ἐξαναστάντας προσκυ- νεῖν καὶπροσεύχεσθαι καθαπερεὶθεῷ.ταύτην οὖν θέλοντα βεβαιῶσαι τὴν διάληψιν εἰς τὸ πῦρ ἐναλέσθαι. τούτοις δ᾿ ἐναντιοῦται Τίμαιος, ῥητῶς λέγωνὡς ἐξεχώρησεν εἰς Πελοπόννησον καὶτὸ σύνολον οὐκ ἐπανῆλθεν·

ὅθεν αὐτοῦκαὶτὴν τελευτὴνἄδηλον εἶναι.πρὸς δὲτὸνἩρακλείδην καὶ ἐξ ὀνόματος ποιεῖται τὴν ἀντίρρησιν ἐν τῇ τετάρτῃ· Συρακούσιόν τε γὰρ εἶναι τὸν Πεισιάνακτα καὶ ἀγρὸν οὐκ ἔχειν ἐν Ἀκράγαντι· Παυσανίαν τε μνημεῖον <ἂν> πεποιηκέναι τοῦ φίλου, τοιούτου διαδοθέντος λόγου, ἢ ἀγαλμάτιόν τι ἢ σηκὸν οἷα θεοῦ· καὶ γὰρ πλούσιον εἶναι. ‘πῶς οὖν,’ φησίν, ‘εἰς τοὺς κρατῆρας ἥλατο ὧν σύνεγγυς ὄντων οὐδὲ μνείαν ποτὲ ἐπεποίητο; τετελεύτηκεν οὖν ἐν Πελοποννήσῳ. οὐδὲν δὲ παράδοξον τάφον αὐτοῦμὴφαίνεσθαι· μηδὲγὰρἄλλων πολλῶν.’τοιαῦτά τινα εἰπὼν ὁ Τίμαιος ἐπιφέρει· ‘Ἀλλὰ διὰπαντός ἐστιν Ἡρακλείδης τοιοῦτος παρα- δοξολόγος,καὶ ἐκ τῆς σελήνης πεπτωκέναιἄνθρωπον λέγων.’

« Sa mort fait l’objet de versions différentes. Héraclide, qui a raconté l’histoire de la femme en catalepsie et dit comment Empédocle devint célèbre en renvoyant chez les vivants la femme morte, déclare qu’il offrait, près du domaine de Pisianax, un sacrifice auquel assistaient quelques-uns de ses amis, parmi lesquels Pausanias. Après dîner, les invités s’éloignèrent pour dormir, les uns sous les arbres de la prairie d’à côté, les autre un peu n’importe où, tandis que lui demeurait à l’endroit où il s’était couché pour le repas. Au lever du jour, il fut le seul qu’on ne retrouva pas. On le chercha, on interrogea les serviteurs qui déclarèrent ne rien savoir ; enfin, quelqu’un déclara avoir entendu au milieu de la nuit une voix extrêmement puissante qui criait :“Empédocle !” Ensuite, il s’était levé et avait vu une grande lumière dans le ciel, puis une lueur de torches, rien de plus. Cela

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surprit beaucoup et Pausanias envoya plusieurs personnes à sa recherche.

Plus tard, il leur interdit de se montrer davantage curieux, leur disant que des événements au-delà de toute attente s’étaient produits, et qu’il conve- nait de faire en son honneur un sacrifice, comme à quelqu’un qui est devenu dieu. Hermippe déclare qu’une certaine Pantheia, d’Agrigente, condamnée par les médecins, avait été guérie par ses soins et, en cette occasion, offrait un sacrifice : il y avait environ quatre-vingts invités. Selon Hippobote, il se leva et se dirigea vers l’Etna, puis, arrivé près du cratère de feu, plongea et disparut, voulant confirmer sa réputation d’être un dieu ; ce fait fut prouvé plus tard quand le volcan vomit une de ses sandales. En effet, il avait l’habitude de se chausser de bronze. Pausanias s’éleva contre cette version. (…) La peste s’étant abattue sur les habitants de Sélinonte, à cause des émanations du fleuve proche, faisant dépérir les hommes et avorter les femmes, Empédocle conçut l’idée de faire confluer l’eau des deux fleuves des environs, à ses propres frais : ce mélange eut pour effet d’adoucir les flots. Ainsi la peste cessa, et un jour que les Sélinontins festoyaient sur la berge, Empédocle apparut ; ils se levèrent en signe de remerciement, et lui adressèrent une prière, comme l’on ferait à un dieu.

C’est dans l’intention de confirmer cette croyance qu’il se serait jeté dans le feu. Mais Timée contredit ces versions, en affirmant expressément qu’il partit pour le Péloponnèse et ne revint jamais plus ; c’est pourquoi sa fin est obscure. Il réfute point par point Héraclide dans son livre IV : Pisianax, dit- il, était syracusain et n’avait pas de propriété à Agrigente. En outre, si l’histoire était vraie, Pausanias aurait fait ériger en l’honneur de son ami un monument commémoratif, ou bien encore une stèle, ou même une cha- pelle, comme à un dieu ; car il en avait les moyens.“Dites-moi donc pour- quoi, déclare-t-il, il aurait été se jeter dans les cratères dont, quoique proche, il ne fait jamais mention ? Donc il est bien mort dans le Péloponnèse. Et il n’y a rien d’étonnant à ce que sa tombe ne se remarque pas ; c’est le cas de beaucoup d’autres.”Après s’être exprimé en ces termes, Timée ajoute : “Héraclide raconte toujours des histoires tellement invrai- semblables qu’il lui est arrivé de dire qu’un homme était tombé de la Lune !”»

Selon ce témoignage, Empédocle, au lieu de mourir d’une mort ordinaire devant ses proches, aurait simplement disparu. A ce premier élément vient s’ajouter le motif de la voix surnaturelle et de la lumière, ce qui rappelle la disparition d’Œdipe dans l’Œdipe à Colonede Sophocle. On pense aussi à la disparition du prophète Elie, ou à celle d’Enée. Dans tous les cas, le récit a posteriorisouligne le fait que le corps du personnage a disparu de la vue des humains. La disparition d’Empédocle s’est produite alors que tout le monde faisait la sieste. Cela rappelle le récit de l’inspiration poétique de Pindare, où – pendant une sieste en un lieu retiré – un essaim d’abeilles

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construit un rayon dans sa bouche entrouverte26. Dans les deux cas, le personnage se trouve à l’écart, et les dieux interviennent à l’insu de tous ; le processus de transformation ne peut pas être vérifié de manière indépen- dante. Pour revenir à la mort d’Empédocle et à son explication surnaturelle, il faut relever l’explication selon laquelle « il convenait de faire en son honneur un sacrifice, comme à quelqu’un qui est devenu dieu ». Ici, le texte est explicite : nous sommes en présence du processus de divinisation d’un poète. Quant au saut dans le volcan, il permet aussi d’expliquer pourquoi on ne possède aucune trace matérielle du poète. La sandale crachée par le volcan constitue alors une sorte de relique apportant un support matériel au récit extraordinaire.

Diogène Laërce rapporte cependant une seconde tradition, selon laquelle Empédocle se serait retiré incognito dans le Péloponnèse. L’intérêt de ce passage réside dans le fait que, une fois de plus, on observe un désaccord entre diverses autorités à propos du lieu de disparition du poète. L’absence de traces matérielles (stèle, monument) devient un argument, allégué par l’un pour rejeter la tradition péloponnésienne, rejeté par l’autre qui rappelle que l’absence de traces matérielles est un phénomène courant par ailleurs.

Tentative de synthèse

Les quelques exemples présentés ici n’épuisent pas le catalogue : on pourrait aussi rappeler l’épigramme de Callimaque dans laquelle le lecteur apprend que la tombe de Simonide aurait été détruite par un certain Phé- nix, un général en quête de matériel de remploi pour les fortifications de la cité d’Agrigente ; ou encore les témoignages contradictoires relatifs au poète comique Eupolis, dont la sépulture se situerait soit à Egine soit à Sicyone27. A partir duIVe siècle, la localisation de la sépulture des poètes peut se faire plus précise, notamment dans le cas de Ménandre ; mais cela constitue plutôt une exception remarquable qu’un véritable changement de paradigme.

Paus. 1,2,2 (= CPG VI.2, Menander, T 24) :

ἀνιόντων δὲ ἐκ Πειραιῶς ἐρείπια τῶν τειχῶν ἐστιν, ἃ Κόνων ὕστερον τῆς πρὸς Κνίδῳ ναυμαχίας ἀνέστησε· τὰ γὰρ Θεμιστοκλέους μετὰ τὴν ἀναχώρησιν οἰκοδομηθέντα τὴν Μήδωνἐπὶτῆς ἀρχῆς καθῃρέθη τῶν τριά-

26. Cf. Philippe BORGEAUD, « L’enfance au miel », in :Exercices de mythologie, Genève, Labor et Fides, 2004, pp. 65-85, en particulier 68-69 ;ΣPind.,Vit. Ambros.p. 1 (Scholia vetera in Pindari carmina[Anders B. DRACHMANNéd.], Stuttgart, Teubner, 1997).

27. SIMONIDE: cf. CALL. fr. 64, 1-9 Pf. ; Eupolis enseveli à Egine : AEL.Nat. an.10,41 (=PCGV, Eupolis, T 5) ; Eupolis enseveli à Sicyone : PAUS. 2,7,3.

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κονταὀνομαζομένων. εἰσὶδὲ τάφοι κατὰτὴν ὁδὸν γνωριμώτατοι Μενάν- δρου τοῦ Διοπείθους καὶ μνῆμα Εὐριπίδου κενόν· τέθαπται δὲ Εὐριπίδης ἐν Μακεδονίᾳ παρὰ τὸν βασιλέα ἐλθὼν Ἀρχέλαον, ὁ δέοἱ τοῦ θανάτου τρόπος–πολλοῖς γάρἐστιν εἰρημένος–ἐχέτω καθὰλέγουσιν.

« Lorsque l’on remonte depuis le Pirée, il y a les restes des remparts que Conon a dressés après la bataille navale de Cnide ; car la muraille construite par Thémistocle après la retraite des Perses a été détruite sous le régime dit des Trente. Le long de la route, les tombeaux les plus célèbres sont ceux de Ménandre fils de Diopeithès, ainsi que le cénotaphe d’Euripide. Ce dernier a été enseveli en Macédoine puisqu’il s’était rendu auprès du roi Archélaos ; quand aux circonstances de sa mort– nombreux en effet sont ceux qui en ont parlé–qu’il en soit comme ils l’ont dit. »

Les divers cas évoqués plus haut permettent de dégager un certain nombre de points communs à plusieurs des poètes pris en considération :

–Les récits relatifs à la localisation de la tombe des poètes archaïques font écho à la tradition concernant les héros de l’épopée. On peut considérer que les poètes jouissent d’une forme de culte héroïque.

–Comme Lefkowitz l’a déjà relevé, les poètes connaissent pratiquement tous une mort extraordinaire ou paradoxale. Chaque récit devient donc une façon de faire ressortir une caractéristique saillante de la vie du poète.

–Les poètes meurent fréquemment hors de la vue des hommes, comme on le voit avec Hésiode, Ibycos et Empédocle. Cet élément du récit est d’une importance fondamentale pour expliquer l’absence de traces matérielles.

–Les récits fournissent fréquemment le texte d’une épitaphe, par exemple à propos d’Homère, d’Hésiode ou d’Ibycos, sans que cela constitue une vraie preuve matérielle du lieu de sépulture d’un poète.

Le cas d’Homère est particulier puisque le récit, même s’il connaît des variantes, s’accorde toujours sur le lieu de la mort d’Homère : ce serait l’île d’Ios. Cela contraste avec les disputes relatives à son lieu de naissance, qui ont fait couler tellement d’encre dans l’Antiquité que Lucien a parodié la dispute dans sesHistoires vraies28. Pour les récits relatifs aux autres poètes évoqués ici, il semble que c’est précisément l’absence de vestiges matériels qui motive la création du récit. Ainsi, comme les Orchoméniens cherchent à s’emparer des restes d’Hésiode par un procédé analogue à celui qui touche aux os d’Oreste, le tombeau est tenu secret ; seuls les gens de la région sauraient le localiser. Avec Archiloque, l’absence de sépulture assurée à

28. LUC.VH2,20.

(23)

Paros autorise la constitution d’un récit autour du cap Ténare, avec les réserves que nous avons vues. Ibycos, quant à lui, serait assassiné dans un lieu retiré, ce qui expliquerait une fois de plus l’absence d’un monument ou d’un tombeau. Chez Empédocle, le récit du volcan qui recrache une sandale de bronze permet aussi de montrer pourquoi il est impossible de montrer à un visiteur le lieu où repose le poète. Le manque d’éléments matériels motive aussi selon toute vraisemblance la tradition concurrente de la retraite du poète-philosophe dans le Péloponnèse.

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Table des matières

Avant-propos 9

Bibliographie de Philippe Borgeaud 13

Etablie par Mélanie LOZAT, Delphine PANISSODet Aurore SCHWAB

Avertissement 27

Le Miroir de l’Autre

De Jésus à Voltaire. Variations sur les origines du christianisme 31 Daniel BARBU(Université de Genève)

Une page d’histoire religieuse arménienne. L’affrontement entre le roi mazdéen Tiridate et Grégoire l’Illuminateur près du temple de la

déesse Anahit en Akilisène 45

Valentina CALZOLARI

(Centre de recherches arménologiquesUniversité de Genève)

Lautreque nous pourrions être ou lautreque nous sommes aussi :

lhistoire des religions à lécole 62

Nicole DURISCHGAUTHIER(HEP Vaud)

Religion in the Mirror of the Other : A Preliminary Investigation 74 David FRANKFURTER(Boston University)

Mysteries, Baptism, and the History of Religious Studies.

Some Tentative Remarks 91

Fritz GRAF(The Ohio State University)

La « religion populaire ». L’invention d’un nouvel horizon

de l’altérité religieuse à l’époque moderne (XVIeXVIIIesiècle) 104 Christian GROSSE(Université de Lausanne)

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Whose Gods are These ? A Classicist Looks at Neopaganism 123 Sarah Iles JOHNSTON(The Ohio State University)

Lordalie de la philologie classique ou La tentation de lAutre 134 Agnes A. NAGY(Université de Genève)

De l’histoire des religions à l’invention de la sociologie :

autour du néo-fétichisme dAuguste Comte 158

Olivier POT(Université de Genève)

Tsiganes musulmans de la Dobroudja. Entre ethnicité et religion : le

mythe des origines écorné 175

François RUEGG(Université de Fribourg)

On the Roots of Christian Intolerance 193

Guy G. STROUMSA(Oxford University)

En Méditerranée, de Grèce à Rome

Scripture, authority and exegesis, Augustine and Chalcedon 213 Clifford ANDO(University of Chicago)

Le possible « corps » des dieux : retour sur Sarapis 227 Nicole BELAYCHE(EPHE / UMR 8210 « AnHiMA »)

Socrate, Pan et quelques nymphes : à propos de la prière finale

duPhèdre(279b4-c8) 251

David BOUVIER(Université de Lausanne)

Hérodote, précurseur du comparatisme en histoire des religions ? Retour sur la dénomination et lidentification des dieux

en régime polythéiste 263

Claude CALAME(Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, Paris)

I « demoni dei bagni » tra acqua e fuoco 275

Doralice FABIANO(Université de Genève)

Paysages de laltérité. Les espaces grecs de linspiration 289 Dominique JAILLARD(Université de Lausanne)

Lautre Aiétès 301

Antje KOLDE(Université de Genève)

Athéna en compagnon d’Ulysse 313

Alessandra LUKINOVICH(Université de Genève)

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