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De la fin du livre et de l’ordonnance

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Academic year: 2022

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2004 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 12 octobre 2011

actualité, info

53.

De la fin du livre et de l’ordonnance

Attention à ce livre ! C’est avant toute chose une mise en abyme, avec tous les vertiges que provoque généralement ce procédé. Plus vertigineux encore, c’est une mise en abyme au carré puisque ce livre ne parle que du livre ; de son long passé et de sa mue pré­

sente. De l’avenir, surtout, que lui réserve le foisonnement des techniques actuelles d’écri­

ture et d’impression, de transmission et de stockage des multiples formes d’expressions individuelles ; à commencer par l’écrite.

Octobre 2012. En cette lumineuse aube automnale ligérienne, nous nous exprimons grâce à un écran qui

agrandit confortable­

ment celui d’un ordi­

nateur de marque ja­

ponaise ; écran lié à un clavier qui répond fidè­

lement à quelques ex­

trémités plus ou moins habiles de nos deux membres supérieurs.

Ecran et clavier trônent sur une antique table de ferme en chêne. Nous serions­nous jadis ex­

primés différemment avec un stylo tenu d’une seule main courant sur une feuille de papier ? Avec une plume d’oie dans une calèche ? L’or­

dre des mots et de phra­

ses, la transcription des rythmes internes en partitions pour d’autres yeux, d’autres hémi­

sphè res, sont­ils sous la dépendance des outils et des machines ? Et si oui à quel degré ?

C’est l’objet de ce livre.1 Combien som mes­

nous à ruminer de telles questions jusqu’ici rarement formulées à l’échelon collectif ? Ces questionnements sont­ils d’actualité au sein des cénacles habités par les innombrables férus de ces nouvelles techniques ? Des fé­

rus qui prennent parfois encore le nom de geek. Geek qu’il ne faut pas confondre avec nerd. Le premier (rarement francisé en guik) est un anglicisme désignant un crack pas­

sionné notamment d’informatique et/ou de science­fiction. Anglicisme dont on trouve­

rait, dit­on, les racines dans une forme de la langue allemande (geck, fou, espiègle) et/ou dans le néerlandais gek qui désigne quelque chose de fou.

Le nerd, lui, serait une personne à la fois solitaire et passionnée par certaines disci­

plines scientifiques, certaines techniques. «En français, le mot qui s’en rapproche le plus est polard ou polar, nous explique la plus célèbre (la seule ?) des "encyclopédies libres". Issu de polarisation, ce terme désigne un étudiant qui concentre toute son activité sur ses seules études sans manifester aucune curiosité par ailleurs. Apparu à la fin des années 1950 aux Etats­Unis, le terme est devenu plutôt péjo­

ratif, à la différence de geek. En effet, compa­

ré à un geek, un nerd est plus asocial, et plus

polarisé sur ses centres d’intérêts, auxquels il consacre plus de temps.»

Attention à ce livre ! Il est signé François Bon, un homme multiple. Un geek ou un nerd ? En toute hypothèse «impliqué très tôt dans l’exploration des technologies numériques, dont témoignent son blog et son site d’au­

teur, www.tierslivre.net», «il a fondé la co­

opérative d’édition numérique www.publie.

net» nous annonce la quatrième de couver­

ture ; du moins pour ce qui est de la version qui comporte une couverture. Le dernier des livres, en somme ? Le dernier ou presque à avoir été élaboré à partir d’arbres transfor­

més en papier, papier imprimé (par Corlet Imprimeur à Condé­sur­Noireau) ?

Attention. Après le livre est dangereux ! Du moins comme souvent les ouvrages et les sons, les images et les substances hypnoti ques.

On ne compte plus, ici, les petits plaisirs de lecture nés des récurrentes mises en abyme.

en marge

CC BY Josiah Mackenzie CC BY Jteclasorg

58_61.indd 3 07.10.11 11:18

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 12 octobre 2011 2005 Après l’accord personnalisé de son traitement

de texte, l’affaire commence avec la question souvent oubliée du remplacement de l’épais­

seur du livre ; le corollaire de celle – standar­

disée – des formidables tablettes émergentes.

«Définitivement, le livre numérique n’a pas d’épaisseur et cela nous gêne, écrit cet amant confus du numérique.

Le livre imprimé appelle une manipulation qui le constitue com me mémoire. On en me­

sure d’instinct l’épais seur dès

qu’on s’en saisit, et c’est un paramètre que d’emblée on attache au titre, bien plus que le nombre abstrait de pages, qui figure pour­

tant à la fin, entre le prix et le code­barres.

Qu’on rachète dans une édition neuve un livre usé (chacun a sa liste de livres usés et rachetés), on aura perdu ses repères : je pré­

fère mon vieil Espèces d’es- paces aux pages qui tom­

bent, parce que je sais y retrouver mes passa ges.»

Composé sur la surface de la page le livre est (était ?) donc bien aussi une composition vertica­

le : empilement des feuil­

les donnant naissance à l’épaisseur des cahiers (re)liés. Puis vinrent les liens hypertextes et le dé­

gon flement des volumes, la mort programmée du relief au profit de la plati­

tude en deux dimen sions des tablettes et des liseuses (les deux termes sont­ils synonymes ?).

Il y a le clavier. Il y avait les plumes ; plu mes d’oie avant qu’elles ne se métallisent. Bon rapporte de quelle ma­

nière Maupassant décrit Flaubert écrivant, et jetant quelquefois la plume qu’il tient à la main dans un grand plat de cuivre oriental présent à cette fin. Flaubert taille lui­même ses plumes ; il s’emporte contre ceux qui trahis­

sent pour les plu mes industrielles. D’Egypte, le 15 janvier 1850, il écrit à Luis Bouilhet :

«N’ai­je pas tout ce qu’il y a de plus enviable au monde ? L’indépendance, la liberté de ma fantaisie, mes deux cents plumes taillées et l’art de s’en ser vir.» Imagine­t­on Flaubert, lui qui se nommera homme-plume, écrivain­

clavier ?

Ce livre est définitivement dangereux que l’on ne parvient pas à refermer. Sa lecture poursuit bien vite le lecteur. Médecin, il ne pourra manquer de prolonger ses réflexions.

Sans revenir sur les multiples et séculaires liens noués entre la médecine et l’écriture, il

impose de se pencher sur une évolution fu­

rieusement contemporaine, celle de la rédac­

tion de l’ordonnance. La plume, et le stylo­

graphe portant son nom, ne sont plus guère usités. Le clavier, l’écran et son hypermné­

sique ordinateur sont là, qui font souvent écran entre le praticien et le patient.

L’un attend son ordonnance qui sortira, bien tôt, de l’imprimante. Le rituel d’hier n’est plus qui voyait les doigts passer de l’examen clinique à la rédaction manuscrite (et bien évidemment indéchiffrable) de la prescrip­

tion. Que doit­on en conclure ? Que nous dit, sur un tel sujet, la nouvelle médecine basée sur les preuves ? Rien, du moins à notre con­

naissance. On peut ici faire appel au docteur François Rabelais 2 et à son Pantagruel, Ra­

belais pour qui : «il n’est tel que de faucher en esté en cave bien garnie de papier & d’en­

cre & de plumes & de ganyvet de Lyon sur le Rhone tarabin tarabas». Rabelais qui, nous dit François Bon, représente pour la première fois dans son livre celui qui l’écrit dans la

ville même où, alors, il vit ; après avoir défi­

nitivement quitté son Chinon.

C’est l’été lyonnais ; dans la cave il fait bon et frais ; les supports (d’écriture) sont à vo­

lonté avec les plumes et le canivet, diminu­

tif de canif issu du vieux scandinave knifr transformé en knife par les Anglais. De la contagiosité de l’onomatopée ? «L’écriture a toujours été une technologie, assure Bon. On a simplement changé d’appareil.» Le propos vaut­il pour la médecine ?

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

: quels effets sur le cerveau ?

1 Bon F. Après le livre. Paris : Editions du Seuil, 2011.

ISBN : 978­2­02105534­4. Le contenu de ce livre est aussi – en toute logique – accessible sur www.publie.

net

2 Sur cet homme inépuisable, nous nous devons de con­

seiller une toute récente et remarquable biographie si­

gnée de celle qui édita (en 1994) ses Œuvres complètes dans la collection de La Pléiade : Huchon M. Rabelais.

Paris : Gallimard, 2011. ISBN : 978­2­07­073544­0.

… «Définitivement, le livre numérique n’a pas d’épaisseur et cela nous gêne …

© 2003 Nicolas P. Rougier

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