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Un jumeau virtuel vers l’avenir et retour

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Academic year: 2022

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Avec les progrès de l’hybridation de l’humain et de la technologie apparaît quelque chose d’iné- dit mais plus encore de paradoxal. Prenez le projet de jumeau virtuel qu’évoque un récent New Scientist.1 Un pareil jumeau nous permet- trait d’explorer des modalités de notre propre avenir. Mais en même temps, pour le créer, nous devons nous lier à des technologies qui nous transforment et, partiellement au moins, tendent à nous réduire.

Car les technologies nous attirent dans leur monde artificiel. En créant un avatar de nous- mêmes, nous sommes tout autant modifiés par lui que nous nous servons de lui comme pro- thèse de compréhension. Impossible de savoir qui a l’initiative, à la fin, entre lui et nous. Rien n’est plus caractéristique des nouvelles hybri- dations que les humains nouent avec les ma- chines que cette difficulté de distinguer qui ou quoi, de l’humain ou de la machine, a l’initiative dans la transformation de l’autre.

A l’origine du projet de jumeau virtuel se trouve le Virtual Physiological Human, une vaste orga- nisation européenne impliquant plus de 2000 chercheurs. La première partie du projet fait penser à la démarche du Quantified self. Il s’agit d’enregistrer toutes les données disponibles sur un individu, son génome, ses paramètres cliniques, ses habitudes, ses caractéristiques morphologiques. Puis, grâce à ce savoir, de per- sonnaliser les traitements, en particulier médi- camenteux. Mais la perspective porte au-delà.

Elle vise la complexité des processus patholo- giques. Elle cherche à placer la recherche mé- dicale dans un nouveau type d’intégration. Le risque de développer des maladies complexes ne peut se déterminer qu’en modélisant l’orga- nisme «aux niveaux organisationnels les plus hauts», comme le rappelle Peter Coveney. Alors que les patients sont de plus en plus polymor- bides, on ignore dans la plupart des cas com- ment les maladies interagissent entre elles.

Même chose pour les traitements. Le temps est donc venu de s’intéresser à la complexité d’un individu considéré comme un tout.

D’où l’idée de simuler cette complexité. C’est- à-dire de combiner les données issues des processus biologiques à petites échelles – concernant les gènes, protéines ou cellules – avec celles venant des systèmes du corps en- tier. La partie cruciale de l’opération étant d’in- tégrer cette masse de savoir en un modèle dynamique et prédictif.

On en est loin. Même si certains se montrent optimistes. D’ici 10 ans, affirme le New Scientist,

«des simulations détaillées du fonctionnement de nos organes, depuis les interactions des gènes et protéines des cellules individuel les

aux systèmes du corps entier, seront combi- nées avec des données concernant nos his- toires médicales et le type de vie que nous me- nons», si bien que chacun de nous pourra s’observer dans le miroir de son alter ego.

L’intérêt d’élaborer un double digital du corps, c’est de pouvoir s’en servir pour tester, sur la singularité de chaque individu, l’effet des médi- caments ou de n’importe quel traitement, y com- pris préventif. Plutôt que de faire des essais – et des erreurs – sur les personnes réelles, un jumeau permettrait d’essayer toutes les options pour choisir d’appliquer la meilleure dans le monde réel.

Si la création d’un jumeau biologique virtuel reste à une distance impossible à déterminer de nos capacités, certains se disent qu’on en sait assez pour commencer à décrire (et ven dre) du futur. Une équipe de l’Université du Missis- sippi, par exemple, a développé un algorithme du corps entier appelé HumMod, incluant plus de 5000 variables telles que les mesures de l’activité du cerveau, du cœur, les données san- guines, les scanners des os, des muscles, des organes. Elle en tire des scénarios probabi- listes personnalisés. Scénarios qu’elle projette d’enrichir continuellement par la surveillance des paramètres et de tous les éléments de vie des personnes.

De ce dédoublement virtuel des existences, que penser ? La communauté médicale va lui opposer une forte résistance, prédit le New Scientist, parce qu’elle craindra de se faire dé- posséder de son rôle. Elle aurait tort, affirme encore la revue, puisqu’avec lui, les soignants disposeront d’un outil efficace permettant de

«sélectionner le meilleur traitement pour ce pa- tient individuel plutôt que d’utiliser un protocole qui est le même pour des centaines de patients».

Un outil de plus : comment s’en plaindre ? En fait, le problème n’est pas là où le New Scientist le place. Regardons la réalité : aussi utile soit-il, cet outil dépendra non pas des soi- gnants, ni même de la communauté scientifique, mais des entreprises qui l’auront breveté. Les- quelles le configureront en fonction de leurs in- térêts économiques et imposeront les choix idéologiques qui les avantagent. Car voici le grave de l’affaire : à partir du moment où des al- gorithmes reconstruisent la réalité, c’est un monde et une vision du monde qu’ils font émer- ger. Et ce travail de création a jusqu’à présent été un processus de civilisation.

Autre difficulté : se trouver, grâce à son jumeau virtuel, confronté à une vision de son propre futur peut contribuer à changer les comportements,

comme le souhaitent les initiateurs du projet.

Mais pas toujours. Le rapport qu’un individu entretient avec son propre futur n’est jamais simple ni clair. Lorsque l’avenir est décrit en termes de risques, les facultés de représenta- tion peuvent être aidées par des moyens didac- tiques. Mais une clarification de la dynamique psychique et de l’irrationnel qui entrent en œuvre reste utopique.

Sans compter que projeter son jumeau virtuel dans le futur consiste à le faire vieillir. Donc à se trouver confronté à son propre vieillissement et à ses conséquences. Et, à la fin, à sa propre mort. Souhaitera-t-on observer l’évolution de son jumeau jusqu’au moment d’être confronté à un futur sans issue ?

Dans un numéro suivant, le New Scientist ana- lyse une autre déclinaison de la simulation de la vie humaine par les machines :2 la reproduc- tion virtuelle de parents potentiels. En brassant leurs génomes in silico, on crée des milliers d’embryons virtuels, ce qui permet de prédire la probabilité de certains traits chez les enfants qui pourraient naître. GenePeeks, une société américaine en pointe dans le domaine, a déve- loppé et breveté de pareils algorithmes de bras- sage reproductif des génomes. Son premier marché, dit-elle, sera de dévoiler les risques qu’a un couple de transmettre 500 maladies génétiques. Mais le brevet de GenePeeks porte aussi sur le dépistage de traits ne relevant pas de la médecine, tels que «la taille, la couleur de peau, le volume des seins ou certaines névro- ses». Il s’agit donc d’une classique recherche de «bébés sur mesure». Sauf que, au lieu de se dérouler par élimination d’embryons réels, elle procède par choix du partenaire (ou du donneur de gamète). Cette pratique pourrait changer les attentes que nous avons concernant les enfants, mais aussi notre ancienne manière de chercher l’autre humain avec lequel en faire un troisième.

Ce qui est typique de la modernité, dans ces deux projets, c’est la volonté de s’affranchir de la lenteur et de l’irréversibilité du temps : aller voir, porté par la modélisation, ce qui pourrait se passer dans le futur, puis revenir dans le pré- sent pour prendre une décision. Ainsi, l’exis- tence s’ouvre sur une multitude grandissante de choix. Mais de petits choix, cependant, face à la responsabilité première, celle d’affronter la vie au-delà de ses modalités biologiques.

Bertrand Kiefer

Bloc-notes

1040 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 7 mai 2014

1 Geddes L. Digital clone. New Scientist, 15 mars 2014;

46-9.

2 De Lange C. Meet your unborn child. New Scientist, 9 avril 2014;22-4.

Un jumeau virtuel vers l’avenir et retour

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