L’amour ou la thématique de tous les temps dans le répertoire de la chanson professionnelle rifaine des années 1960 et 1970.
L’amour est le thème majeur de la poésie des imedyazen qui sont des chanteurs professionnels au Rif en opposition, par exemple, à ceux du moyen Atlas qui ne font pas de chant et de la poésie leur principale source de revenue. La professionnalité des imdyazen et des chikhat rifains se caractérise par leur activité artistique en tant leur principale, plutôt, leur unique activité rémunérée avant qu’ils deviennent des ouvriers, des émigrés etc… à cause des profonds changements qu’a connus la région du Rif depuis la première vague d’émigration vers l’Europe à la fin des années cinquante. Comme l’émigration rifaine en Europe était équivalente à l’amélioration des conditions socioéconomiques de tous le Rif, elle était aussi à l’origine de l’évolution de l’industrie du disque et la prolifération de la chanson rifaine. Aussi peut-on noter la prédominance de la thématique de l’émigration, notamment de l’émigré, dans les izlan des poètes chanteurs et chanteurs professionnelle, et le distique célèbre de n’en est pas l’exception.
A sidi AËebbi, ançaË war illi mayemmi ! Neccin rowelt nnev d tbuyut uËumi.1 Oh mon Dieu, à quoi la pluie va-t-elle servir ? Le pain des chrétiens est notre fourniture.
D’autres distiques beaucoup plus « profanateurs » pour ne pas plus osés commémorent cette nouvelle aisance économique liée à l’immigration. Mais l’émigration est aussi la source du malheur de l’amoureux lorsqu’elle la sépare de son partenaire.
Wi vares va weÃÃiv vil ayi Aliman aqa yudes.
Telt yyam n webrid d uvarrabu yevÄeÃ.
Qui lui portera mon message, je croyais que l’Allemagne est approximait.
Trois jours de trajet que le bateau est en mer.
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L’amour est la thématique incontournable du répertoire du poète chanteur professionnel rifain du faite que l’amour est un sentiment de joie, de tristesse, de douleur, de plainte et de la quête de la compassion. Néanmoins, l’expression du sentiment de l’amour n’est pas souvent apparente, il s’exprime par la personnification
Min ruv ay itran tnayen i d ayi ifehmen.
Nnan ayi : ddat nnem d lpub itt va yeven.
J’ai tant pleuré aux étoiles, seules deux m’ont compris.
Elles m’ont dit : « ta vie, c’est l’amour qui l’achèverais ».
Ci paja n waman di tisi n lkas.
Ini ayi a mami zzin ma turid as.
Un peu d’eau dans le bas du verre,
Mon amour : « la beauté l’as-tu fais scapulaire ? » Ssariv timura, Temsaman war tiwiÄev.
Nnan ayi di zzin, man nec oad war tiqev.
Tettarev sidi rabbi deg ussan a ad din rapev.
Cpar çriv d tiÏÏawin aram id va xaÄrev ! Cpar zriv d tisecrin rix ten tt uca farpev !
Le pays, le Rif et ses contrées, en l’occurrence Temsaman, composé alchimique du feu et de l’eau, est une allégorie de la beauté féminine qui suscite émotion et admiration dès que cette région, à multiples connotations, est évoquée :
J’ai voyagé partout, Temsaman, je n’y suis parvenu.
On m’a beau dire: « de la beauté y est, je n’ai pas cru.
Je rêve d’y aller l’opportunité convenue.
J’y ai vu tant de biches, que j’en suis devenu féru
Mais les arbres ne sont pas semblables, certains sont fragiles tel le pin, à force de l’effleurer, il finit, par se démolir peu à peu.
Ssefsaf n ubrid maca itareçça dvya ! Mami tevdard ayi mara mmutev abeoda.
Le saule du sentier est fragile hélas Tu
Ainsi les distiques se transforment du type déclaratif à l’exclamatif (mecpal d awaren d lmoani xaf !), à l’interrogatif, et auxquels succède une fréquence remarquable du signifié du feu (timessi, lkiya, yarva, idoeq…) alterné d’une thématique du suicide (ad wÄiv di rebpar…, ad wÄiv deg anu…) ou de l’exil (Aya ralla ad xriv Nadur). L’amour ne serait en fait qu’une illusion devant les contraintes sociales qui l’assimilent à une simple désillusion car la musique populaire a cette capacité de passer du sens au sensible et d’amplifier la charge émotionnelle du langage de tous les jours et ainsi de vaciller en deux vers d’une extrémité sémantique à une autre, de passer de la tension à la réconciliation bien que les distiques soient catégorisés par les études coloniales « comme un art inférieur à la poésie écrite ou la poésie de groupes modernes urbains vers lesquels [ils] se devraient d’évoluer 2» . En effet, l’apparition des de la musique rifaine engagée, « urbaine », et notamment celle des groupes, que nous verrons dans le 2ème volet de ce répertoire, a été l’une des causes essentielles de la régression, voire de la décadence de ce style musical des imedyazen.
Par ailleurs, nous n’avons pas en revanche pour ambition de présenter une analyse exhaustive du répertoire musical rifain mais l’objectif est de parcourir les thématiques des titres et leurs références dans l’imaginaire des figures musicales fondatrices de la poésie chantée du Rif de la seconde moitié du vingtième siècle
2 ROVSING OLSEN, Miriam, Op.cit., ibid.
