M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
J EAN -P IERRE G INISTI
The problems of definition
Mathématiques et sciences humaines, tome 116 (1991), p. 5-22
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LES
PROBLÈMES
DE LADÉFINITION
Jean-Pierre
GINISTI1
RÉSUMÉ - L’objectif
de cet article est deprésenter
lesgrands
types dedéfinitions
connus enlogique mathématique,
leurs buts et leurs moyens, à partir de leurarrière-plan historique
etphilosophique
(notammentgrâce
à la preuve de deux théorèmes), etafin
de situer, à l’intérieur de ce domaine, les autres contributionsqui
composent ce numéro.
SUMMARY - The
problems
of definitionThe aim
of
this paper is to present the great kindsof definitions
known inmathematical logic,
theirgoals
andtheir
means, from
their historical andphilosophical background (notably
thanks to theproof of
two theorems),and in order to situate, within
this field,
the others contributions which make up this number.Avant de constituer un terme de
logique (de logique
commune ou delogique mathématique),
lemot "définition" s’est
rapporté historiquement
à une activitéagraire d’arpentage : définir,
c’estd’abord marquer les limites d’une
propriété
foncière. C’est parrapport
à un tel sensqu’on
aillustré la
présentation
de ce numéro par laphotographie
aérienne d’un paysage où leschamps
sedisposent
en damier et se dessinent comme sur unplan
cadastral. Il n’est pasétonnant,
dèslors,
que la théorie de la définition se soit
longtemps
trouvée solidaire de lagéométrie
euclidienne.A ce sens
archaïque (mais
dont on verra enquoi
ilimporte
encoreaujourd’hui
et donnematière à
reprise mathématique)
sesurajoute
le senslogique qui
est directement notreobjçt.
Nous n’avons pas l’intention de
présenter
ici l’histoire de la théorie de la définition. Nous introduirons seulement à laproblématique contemporaine
de lalogique mathématique
envoyant
d’abord comment elle estappelée
par les besoinsauxquels répondent
la définition commune et la théorie de lalogique classique,
ainsi que par les insuffisances de celles-ci. C’estpourquoi
aussile
premier
articlequi
suit cetteprésentation,
celui de JanGregorowicz,
fournit certains élémentsd’analyse conceptuelle.
Il le fait ens’inspirant
de "la théorie des définitions dans la littératurelogique polonaise",
etplus précisément
des idéesd’Ajdukiewicz.
Précisons
qu’on
entendra"définition",
dans l’ensemble durecueil,
au sensgénéralement
tenu pour le sens
"propre",
celui de "définitionexplicite
ou directe". Il ne sera donc pasquestion,
saufincidemment,
des formes dites "indirectes" dedéfinition,
notammentimplicite, récursive, ostensive2.
Il est vraiqu’assigrier
à un mot un sens propre pose desproblèmes
1 Professe,ur à l’Université Lyon III et
responsable
du numéro "Théorie de la définition".2 On trouvera un traitement
plus général,
avecbibliographie,
dans notre article "Définition (-explicite
VS -implicite)", Encyclopédie Philosophique
Universelle, II, Paris, PUF, 1990.Rappelons
en outre que le mot "définition"s’emploie
encore couramment au sens(vieilli
parailleurs)
de"définissant", dans certaines
expressions
comme "la définition de A est B". En toute exactitude, la définition est"A est B", A est le défini, B est le définissant.
complexes
etqui
sontdéjà
desproblèmes
"de définition". Nous nous autorisons au moins del’usage
et del’histoire, puisque
le sensqu’on
dit"propre" aujourd’hui transpose
d’une manière évidente le sensarchaïque
en délimitant despropriétés (ou
au moins dessingularités)
dans toutdomaine
d’investigation rationnelle,
comme l’activitépratique
délimite despropriétés
dans toutdomaine
géographique.
A la définition
explicite
on attribueplusieurs objectifs,
souventrappelés,
etqu’on peut
échelonner entre deux extrêmes :(1)
les définitions servent àabréger
lediscours,
(2)
les définitions servent àexprimer
l’essence d’unobjet.
Dans l’un de ses Exercices de
style,
celuiqu’il
intitule"Définitionnel", Raymond Queneau
nous montre
plaisamment
ce que seraient les moyensd’expression
s’ils étaientprivés
du recoursà certains définis. Nous ne dirions pas : dans un autobus de la
ligne S,
un zazou aulong
cou etportant
sur la tête unchapeau
mou, etc.,mais,
comme le ditQueneau :
"dans ungrand
véhiculeautomobile
public
detransport
urbaindésigné
par la dix-neuvième lettre del’alphabet,
unjeune excentrique portant
un surnom donné à Paris en1942, ayant
lapartie
du corpsqui joint
la têteaux
épaules
s’étendant sur une certaine distance etportant
sur l’extrémitésupérieure
du corpsune coiffure de forme
variable",
etc. A cetitre,
la définitionapparaîtra
dotée d’un intérêtpratique
certain mais dénuée de
portée théorique.
C’est d’autre
part l’approche platonicienne
de la définitionqui représente
au mieux sansdoute le deuxième
objectif
à son niveau leplus exigeant.
L’activité de Socrate est décrite dans de nombreuxdialogues
comme la recherche de définitions : celle dubeau,
dujuste,
dupieux,
maisaussi des
sciences,
etc. Elle s’efforce d’obtenir un définissantqui puisse exprimer
le modèleparfait
del’objet défini, supposé
réalisé dans un autremonde, plus
réel que ceux atteints par nossens ou par notre
intelligence,
en tantqu’il
est destinéjustement
àexpliquer qu’on
décèle desimperfections
dans ces derniers. La définition est alors uneentreprise
bien incertainepuisqu’elle
semble avoir
partie
liée avec la doctrinemétaphysique
du réalisme des essences. Oncomprend déjà pourquoi
une certaine désaffectionpeut
se manifester àl’égard
des définitions : elles intéressent médiocrement dans lepremier
cas, elles semblentchimériques
dans le second.Certes,
il y a aussi desphilosophes
pour considérer que Socrate cherche seulement àrépondre
àla
question :
dequelle
manière"beau","juste",
etc. sont-ilsemployés
dans lalangue (ou qu’il faudrait,
dumoins,
ne poser que de tellesquestions),
que toute définition porte sur un faitlinguistique
et sur aucun autre. Laquestion
se pose donc de savoir comment coordonner cesaspects
oujuger
cesconceptions.
Il a parunécessaire,
dèslors,
de consacrer une étude à la théorieplatonicienne
de la définition. On la trouvera dans l’article de DanielParrochia, "Trames, classifications,
définitions" et en confrontation avec d’autresperspectives. L’auteur, toutefois,
ne travaille pas seulement en historien des idées. En
formalisant,
comme on le verra, des doctrines dupassé grâce
aux moyensmathématiques d’aujourd’hui,
il rationalise leurs apports,corrige
ouprolonge
leurs intuitions. C’est ainsiqu’il
est amené àrevenir,
en somme, sur le sensarchaïque
du mot "définition" comme morcellement del’espace géographique
et pour contester larigidité
du modèlequ’il
donne aux définitions del’espace
deconcepts.
Il montre comment "le discoursqui
"délimite"peut assouplir
sa trame de bien des manières"mathématiquement.
Entre les deux
objectifs apparemment
extrêmes que nous venons dedistinguer,
la définition a aussi pour but :(3)
de codifier etenseigner
levocabulaire,
comme le font lesdi.ctionnaires3,
3 Pour cet
objectif
lui-même, à vrai dire, l’intérêt des définitionsexplicites
a été étroitement limité et on a fait valoir quel’apprentissage
dulangage
se fait davantage par l’imitation, par desexemples généralisés,
par des définitions ostensives (i.e.désignant
leur objet par le moyen d’un geste, éventuellement assisté ouremplacé
parun démonstratif) ou
implicites
(voir22),
etc. On remarquera tout de mêmequ’il
semble d’autant plus naturel (facile etrapide) d’apprendre
un vocabulairegrâce
à des définitionsexplicites
qu’il estplus
fin,plus
abstrait,plus
technique.
(4)
d’éliminer lesambiguïtés (c’est-à-dire
lapluralité
des sens attribués à un mêmevocable),
souvent
responsables
dedisputes verbales4,
(5)
de réduire le vague(c’est-à-dire
l’indétermination de certains cas d’attribution d’un vocabledonné)5.
On pourra par
exemple dissiper
le vague d’uneexpression
comme"grande
ville" par le choix d’un définissantimposant
àl’objet
un nombre minimald’habitants,
oul’ambiguïté
desexpressions
"définitionsnominales",
"définitionsréelles",
souvent sources deconfusions,
enleur donnant différents définissants.
Soit,
entre autres :Un
exemple
de définitionnominalel
est celui que donne Bacon(cité
par laLogique
de Port-Royal, II, XVI) :
"L’homme est un animalqui
fait des souliers etqui
laboure lesvignes",
paropposition
à la définitionréelle,
"un animal doté de raison". Unexemple
de définitionnominales
serait : "carré"
signifie "quadrilatère
à côtéségaux" ;
la définitionréelles
serait : "le carré est unquadrilatère
à côtéségaux".
Onpeut dire,
notamment, que ces deux dernières définitions sont4 Dans la discussion
scolastique,
la réponse à uneobjection
s’ouvre souvent et à bon droit par"distinguo".
Onnotera cependant que de nouvelles disputes verbales peuvent
surgir
d’unemploi
artificiel de la méthode etqu’en
outre il n’est pas
toujours
aisé d’établirqu’un
vocable estambigu.
Une société dont le système deparenté
ne distingue pas le père et le frère du père, ou les cousins et les frères, parexemple,
n’utilise pas des termes de manière ambiguë. Un telsystème,
dit "classificatoire", n’échoue pas à distinguer,complètement
oupartiellement,
les parents en
ligne
directe et les parents enligne
collatérale, en commettant dès lors des confusions, mais il entendorganiser
différemment les données.5 En éliminant ou en réduisant le vague et
l’ambigu,
etjustement
parce qu’elles sontexplicites,
les définitionspossèdent
d’ailleurs une grandeimportance juridique
etpratique :
unepolice
d’assurances peut comporter une définition de"dégâts
des eaux"qui oblige
à accorder ouqui
permet de refuser, sanslitige,
l’indemnisation d’un sinistre.réelles2, qu’on peut
traiter toutes les définitions données commenominales4,
etc. La définitionposée
par Kleene : "Un ion est uneexpression atomique
deprédicat"
est unexemple
dedéfinition
nominale2.
C’est à propos des définitionsnominales2
etréelles2
queGergonne
a pu écrire que "la distinction[...] paraît pouvoir
être réduite à direqu’une
définition doit être admisesans contestation ou bien
peut
êtrerefusée,
suivantqu’elle
commencé, par ces mots :j’appelle,
ou par ceux-ci : on
appelle"6.
Au caractère libertaire despremières,
onpeut
opposer, àl’égard
des données
sociales, qu’un j’appelle
résulte souvent outoujours
d’unarbitrage
entreplusieurs
on
appelle (ce qui
forme leconcept
de définitionnominale3) -
Kleene motive saterminologie7
par des
analogies chimiques,
tout enrefusant,
à cause de salongueur,
"nucléon"qui
conviendrait sans doute mieux - et à
l’égard
despropriétés logiques,
on le verra, on peut opposerqu’il
esttoujours possible
en effet destipuler librement,
mais non sansconséquences
dont certaines
pourront
êtrejugées
indésirables. Ces différents sens de "nominale" et de"réelle", classiquement
attribués à des définitionsexprimées
enlangue naturelle,
setransposent
auxlangages
formalisés.Au sens
1, qu’elle
soit nominale ouréelle,
la définition énonce unepropriété caractéristique
de
l’objet (nécessaire
etsuffisante)8 puisqu’à
défaut elle serait une définitioninadéquate,
maisquand
on la dit"réelle 1 ",
on se réfère en outre à unebipartition supposée
despropriétés caractéristiques
danslaquelle l’une,
ou au moinscertaines,
despropriétés caractéristiques,
considérées comme formant
"l’essence",
l’une des classes de lapartition,
se subordonnent(en
un sens à
préciser)
la totalité des autres,qui
forment la deuxième classe de lapartition.
Unedéfinition est alors dite
"réelle 1 "
si et seulement si son définissant necomporte
que des éléments de lapremière classe9.
Faut-il récuser toutebipartition
despropriétés caractéristiques
endisant,
comme RichardRobinson,
que si unepropriété caractéristique
d’un certainobjet
estdonnée comme
n’appartenant
pas à l’essence de celui-ci c’est parcequ’une
autrepropriété caractéristique
a été de facto associée au motqui désigne l’objet,
et alorsqu’on
aurait pu toutautant lui associer la
première.
Doit-on admettre que "l’essence estjustement
le choix humain dece
qu’il
fautsignifier
par un nom, malinterprétée
comme étant une réalitémétaphysique" ?1°
Dans cette
conception,
c’est par décisionqu’une
définition estréelle, qu’une propriété caractéristique
est essentielle(on
est même tenté de dire que c’est"par
définition" tantl’assimilation entre les deux
concepts
de décision et de définition s’effectue couramment, que le décideur soit donné pour une personne morale ouphysique).
On examinera les thèses enprésence
sur unexemple généralisable.
On
peut
définir le cercle comme étant la section d’uncylindre
ou d’un cône par unplan perpendiculaire
àl’axe,
ou comme étant le lieu despoints
d’où l’on voit unsegment
donné sousun
angle droit,
ou comme étant le lieu despoints
situés à une distance donnée d’unpoint donné,
etc., tout lieu
géométrique qui
est un cercle étantsusceptible
de définir le cercle. Pourtant aucungéomètre
ne considèrera indifférent le choix de l’une de ces définitions. Laproximité plus
oumoins
grande
avec la manière dontl’objet
est intuitionné dansl’approche
usuelle(et
son intérêtdidactique),
la manière dont l’ensemble despropriétés
se subordonne à(dans l’idéal,
se déduit formellementde)
la définition retenue(et
du reste de lathéorie),
les normes choisies6 GERGONNE, J., "Essai sur la théorie des définitions", Annales de
mathématiques
pures etappliquées,
IX, 1818,p.27.
7 KLEENE, S.C., Logique
mathématique,
trad.franç.
J.Large.ault,
Paris, A. Colin,1971,p.84
et note 54.8
"Propriété"
devrait suffirepuisque
"lepropre"
ne convientqu’à
unobjet,
mais l’habitude estprise
de dire"propriétés générales" (malgré
une contradictio inadjecto), "propriétés particulières" (malgré
unpléonasme).
Voirl’article de C. Gaudin dans ce numéro au
sujet
du propre. Sur "nominal" et "réel", voir aussi l’article de J.Gregorowicz.
9 Si on refuse avec certains auteurs, dont il sera
question,
dedistinguer
entre deux sortes depropriétés
caractéristiques, les définitionsnominales,
et les définitionsréelles,
se confondent, mais la distinction entre"nominale" et "réelle" n’est pas affectée aux autres sens de ces adjectifs.
10 Robinson R.,
Definition,
Oxford, Clarendon Press, 1950,p.155.
d’intelligibilité,
etc. permettent dedépartager
lespropriétés caractéristiquesll.
Pour êtrejugée
essentielle,
l’une d’entre elles n’a pas nécessairement à être conçue comme une "réalitémétaphysique"
au delà de nosprises.
Si d’ailleurs on lacomprend
de cettemanière, néanmoins, l’objet
devraéchapper
à touteexpression,
donc à toutedéfinition, plutôt qu’être exprimé
par despropriétés caractéristiques
d’une certaine classe. La moins"métaphysique"
desthéories,
autrement
dit, bipartitionne toujours
lespropriétés caractéristiques puisqu’elle
ne les utilise pasindifféremment dans la définition
qu’elle
donne d’unobjet.
On doit sans doute admettre
qu’une
théorie nepeut
être la seule restitution de données defait,
quelles qu’elles soient,
maisqu’elle exige
l’intervention de choix et deprojets humains, qu’il n’y
a donc pas sans doute une seule
bipartition
admissible et à touségards
despropriétés caractéristiques
d’unobjet. Mais,
d’unepart,
la notion d’essenceimpose
la nécessité d’unebipartition
et non sonunicité,
d’autre part les choix humains nepeuvent
pas nonplus
fournir letout de
l’explication :
c’est un choix humainqui
définit le cerclepréférentiellement
par une certainepropriété A,
et ils’explique
lui même par un choix humainqui
valorise parexemple
lafacilité résultante de telles ou telles preuves, mais c’est un fait
logique
et non un choix humain sicette norme se voit satisfaite par A.
Comme les
problèmes posés
par les définitions nominales et réelles au sens 1. se trouventsoulevés avec acuité dans le cadre de la
logique
d’Aristote(en
connexion avec desproblèmes d’épistémologie
etd’ontologie),
le troisième article de ce numéroportera
sur "unpoint
delogique
aristotélicienne : le ’définitionnel"’.L’auteur,
ClaudeGaudin,
segarde
de deuxécueils,
des anachronismes
qui
ne retrouveraient chez le fondateur de lalogique
que lesproblèmes qui
sont les
nôtres,
dupasséisme qui
nous le rendraitinintelligible.
Pour yparvenir,
il doits’engager plus
avant dansl’exposé
d’une doctrinequ’il
n’est habituel de le faire dans cette revue, mais c’est à ceprix
seulementqu’on
peutcomprendre
cequi
est sans doute dans l’histoire lepremier
essaisystématique
pour articuler notammentdescription, définition,
démonstration.Qu’on
accepte ou non,toutefois,
la distinction entre les définitionsnominales,
etréellesi,
ildemeure le
problème
de coordonner les deuxobjectifs
que nous avonsjusqu’ici opposés : abréger
ou théoriser. Nous verronsqu’un
desproblèmes
de la théorie formelle de le définition consiste à établir comment unlangage
où les définis n’ont en effetqu’un
rôle abréviateur leur permetcependant d’exprimer
cequi
fait(au
sensanalysé)
l’essence d’unobjet. Bref,
la théorieformelle de la définition nous
paraît
effectuer un chiasme dont nous avonsjusqu’ici présenté
l’ébauche : de même que la définition
qui porte
leprojet théorique
leplus ambitieux,
celui de révélerl’essence,
n’entraîne pas nécessairementl’esprit
dans des aventures maispossède
aufond une valeur
pratique,
dans la"pratique"
dessciences,
demême, inversement,
il faudrapercevoir
laportée théorique majeure
de la définition-abréviation.Encore est-il
possible
de se référer à une définitionappréhendée
à différents niveaux de formalisation. Nousrépartirons
en 4acceptions
le conceptqui
nousimporte.
Au sens courant :(1)
énoncéqui explique
uneexpression supposée
inconnue enindiquant quelle
autreexpression déjà
connue en a le même contenu.Par
extension,
"définition"désigne
souvent touteproposition
de forme "A est B"qui
estvraie et dont la
réciproque
est vraie(si
x vérifie "estA",
x vérifie "estB",
etinversement).
Mêmerelativement à la forme la moins élaborée de la définition
(la définition,),
ils’agit
d’un abus deIl Il est facile de faire
apparaître
le rôlethéorique
de la définition en comparant la définition de "oncle paternel",que nous donnons plus loin et qui
incorpore
les idéeslogiques
du calcul des prédicats, avec la définition par FrPe(frère du père) dans la présentation codifiée en
ethnologie
des termes deparenté qui,
malgré l’intérêt de la notation,sténographie
seulement les idées communes. Lorsqu’on écrit FrPe, FeAîFrMe (fille aînée du frère de la mère), etc.on est engagé aussi d’ailleurs dans une certaine théorie.
terme
puisqu’il
n’est pasimposé
au définissant d’être formé d’uneexpression
connue. Lecaractère souvent non effectif de ce
qui peut
être tenu pourtel,
notamment dans undictionnaire, explique l’importance
de fait de cette extension.S’y
trouve affaiblie la distinction entre les thèses proprement dites d’une théorie et ses définitions. Nous verronscependant pourquoi
cetaffaiblissement donne naissance à l’une des
grandes
théories formelles de la définition. Onnotera que la
définition, (et
l’extension dont nous venons deparler)
n’est pasl’apanage
dudiscours ordinaire. On la trouve aussi dans les théories
mathématiques quand
elles sont sous laforme que les
logiciens appellent
"nonformalisée", c’est-à-dire,
enbref, incomplètement symbolisées
et faisant un usagequi
resteimplicite
desrègles
de déduction et de certainesprémissesl2.
Le deuxième sens du mot "définition" que nous retiendrons est celui
qu’on
trouve dans lagéométrie
euclidienne et dans toutsystème (qu’on peut
nommer"euclidien")
construit sur lemodèle de celle-ci. Il
s’agit
de l’un des troistypes
de "véritépremière"
dont les deux autres sontles axiomes
(ou
"notionscommunes")
et lespostulats ("demandes" plus spécifiques
à unethéorie).
Ce contexte au moinsdistingue
lesdéfinitions2
desdéfinidonsi :
(2)
énoncéqui explicite
uneexpression
utilisée dans unsystème
euclidien enindiquant quelle
autre
expression
dont on estime le sens connu intuitivementpermet
d’identifier son référent(par exemple,
"laligne
droite est leplus
court chemin entre deuxpoints").
Dans cette
conception,
les définispeuvent figurer
deplein
droit dans toutes lespropositions
du
système, primitives
oudémontrées, puisque
les définitions ont pour mission d’en élucider lateneur.
Les deux
types précédents
de définition ont la même insuffisance : unlangage rigoureux
nepeut
reposer sur desdéfinitions,
il doit reposer sur les éléments dont celles-ci sontcomposées
etqu’il
fautexpressément
donner. Strictementconstituée,
lamorphologie
d’unsystème
déductif(et formel) comporte
donc(a)
une liste(dénommée "alphabet")
de marques, souventgroupées
enplusieurs catégories, qui
constitue l’ensemble des"primitifs", (b)
desprocédures (dites "règles
de
formation") qui
déterminent ceux desassemblages
de marquesqu’on
entend tenir pour des"expressions
bien formées". La mise en formethéorique qu’effectue
une définition se manifestedéjà
par le choix desprimitifs qu’on
estimerequis
pour la donner. C’est ainsi quel’ethnologie contemporaine
rend comptegénéralement
dessystèmes
deparenté
en termes demariage
etd’alliance et non
plus
en termes de filiation commel’ethnologie
du XIXème siècle. Onajoutera, cependant,
que le choix desprimitifs
n’est pas nécessairementl’expression
immédiate desnotions à
partir desquelles
on a d’abordpensé l’objet,
la formalisationpouvant
leur enpréférer
d’autres pour obtenir une réduction du nombre des
primitifs,
une identificationplus simple
desdéfinissants,
une élaboration de la théorie sur le modèle d’une autre, etc. La théorie moderne de la définition trouve là ses bases. Sa forme standard est codifiée dans lesPrincipia
Mathematica de Whitehead et Russell. Nous enrappellerons
lesgrandes lignes (mais
en lacomplétant
etparfois
en la modifiant pour en donner une versionplus actuelle)13 :
12 Précisons, pour éviter une source
fréquente d’incompréhension,
que l’état dit "non formalisé" d’une théoriemathématique
n’est pas à touségards,
aux yeux dulogicien,
une preuve d’insuffisance. Leproblème
n’est pas seulement de savoir comment formaliser (ou formaliser davantage) une théorie donnée ; à vrai dire, on nes’engage
dans cette voie
qu’à
la mesure des doutesqu’on
peut avoir sur la validité d’une preuve informelle (bien que lesnormes intéressent aussi en tant que telles un
logicien).
Leproblème
estégalement
de savoir comment obtenir, àpartir
d’une preuve formellecomplète
(ou facilementcomplétable),
une preuve informelle satisfaisante. Celle-cipossède
en effet une clarté, une brièveté et une élégancequi
sont sans commune mesure avec celles d’une preuve"logique".
Il est révélateur etimportant
que P.Suppes,
et dans un livrequi
s’intitule "Introduction tologic",
consacre un
chapitre
(lechapitre
7) à la "Transition from formal to informalproofs"
(New York, Van Nostrand ReinholdCompany, 1969).
13 Voir
principalement
Introduction (ch. 1, ~ "definitions", etpassim),
Part I, section A * 1. Nous citonsd’après
l’édition Principia Mathematica to *56, Cambridge, University Press, 1967. Dans un
système
formel, disonsSl,
(3)
relativement à unsystème
formel noninterprété
S et à une classe Ed’expressions
bienformées de S
(la
classe des termes ou la classe desformules, généralement),
énoncéqui
introduitpar une
copule spécialisée
comme"=df" qui n’appartient
pas à S :(a)
une marque nefigurant
pas dansl’alphabet
deS,
ou(b)
une suite de marques nefigurant
pas toutes dansl’alphabet
deS,
ou(c),
moinsproprement,
une suite de marquesfigurant
toutes dansl’alphabet
de S mais nerespectant
pas lesrègles
de formation deS,
à titre d’abréviationtypographique
d’un élément deE,
ou, moinsproprement,
à titre de récritureplus
commode d’un élément de E.Par
rapport
à(a)
et(b),
le définipeut être,
soit uneexpression particulière
et d’une marque(d’un symbole) unique,
parexemple 1 =df s(0),
où "s" est la fonction"successeur",
soit uneexpression particulière
et formée d’une suite desymboles (qui comporte
souvent desvariables),
par
exemple (p
vq)
_~(~p ~ q),
n! =df(1
x 2 x ... xn)14.
Le définipeut
êtreaussi,
soitun schéma
d’expressions
et formé d’une suitecomportant
desmétasymboles,
parexemple (P
vQ)
_~(~P ~ Q)
oùP, Q
sont des métavariablesdésignant
des formulesquelconques
etconstituant une définition
qui
vaut en elle-même pour touteexpression comportant "v",
ouAPQ
=dfCNPQ
dans unemorphologie comparable
mais recourant à unsymbolisme
sansparenthèse
et à notationpréfixée
desfoncteurs,
soit un schémad’expressions
mais formé d’unsymbole unique,
parexemple
A =df CN(qui exprime
la même chose queAPQ
=dfCNPQ
maissans usage de
métavafiablesl5.
Quand
le défini n’est pas unsymbole unique,
la définitionporte toujours
sur unobjet unique (dénoté
"v" ou "A" dansplusieurs
de nosexemples)
mais en ledésignant
à l’aide d’un contexted’emploi ;
la définition est alors dite "contextuelle" bienqu’en
touterigueur
le défini soit lemembre
gauche
de la définition et non l’un des ses éléments.Par
rapport
à(c),
on aura parexemple (p ~
q ~m)
_~((p ~ q) ~ (q ~ m)),
relativement à lamorphologie
deS 1.
Dans tous les cas, ledéfini,
soitabrège
une certaineexpression qui
seuleest recevable dans
S,
soit(moins proprement),
bien quecomportant
un même nombre desymboles,
se trouvepréférée
à telle autre seule recevable pour lamorphologie considérée,
parexemple (x
=y)
= df(ixy) 16.
approprié
au langage du calcul despropositions,
on a parexemple
pouralphabet : symboles
depremière catégorie
p, q, m, n,p’,
..., n’,p",
..., n",p"’,
...symboles de deuxième
catégorie -, ::>
symboles de troisième
catégorie
( , )et pour
règles
de formation :RF,
unsymbole
depremière catégorie
est une formuleRF2
si P est une formule, - P est une formuleRF3
si P et Q sont des formules, (P Q) est une formuleRF4
rien d’autre n’est une formule.La notion de formule est ainsi
l’objet
d’une "définition récursive" (et nonexplicite),
c’est-à-dire d’unespécification qui
donne des moyens pour engendrer les membres d’une classe àpartir
de certains membres donnéspuis
des membres déjà obtenus.14 Nos
exemples
de définition supposenttoujours
que le définissant est unexpression
bien formée dans lesystème
considéré (oupourrait
l’être s’il comporte dessymboles
eux-mêmes définis).15 Nous reviendrons sur cet
exemple
en terminant.Ajoutons
qu’en touterigueur l’emploi
dusigne "=d f" impose qu’aucun
des deux membres ne contienne desymboles
d’unelangue-objet,
mais contienne leurs noms. Une telle définition doit êtrenominale5.
Il faudrait écrire parexemple
p*, q*, si on se réfère aux noms propres de p, q, ou P, Q, si on se réfère à leurs noms communs. Il faudrait aussidistinguer
les foncteurs de leurs noms ; "v", "A",etc. sont des abus d’écriture (courants) pour leurs noms propres.
16 Dans un calcul des
prédicats
danslequel
on écrit rxy pour uneexpression
comme "x estplus
grand quey",
ilest naturel
d’exprimer
"x estidentique
ày"
commeixy
(ce n’est pas une"égalité") ;
"i" pourra donc être unprimitif .
Toutefois, l’écriture est incommode quand les deuxobjets
sontdésignés
de manière complexe. Onadmettra donc x = y. Les Principia Mathematica distinguent la forme (c) en ajoutant des remarques comme "cette définition sert