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Le roman Librairie Plon

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Le roman

d ' A n n e d e B r e t a g n e

© 1965 - Librairie Plon

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Paru sous le même titre à la LIBRAIRIE PLON.

Printed in France

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A mes enfants et petits-enfants.

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« On nous la dépeint fort jolie, le teint frais, le front large, haut et uni, gracieusement auréolé de beaux cheveux châtain foncé. Ses grands yeux bleus, son nez bien fait, sa bouche petite et souriante formaient un gracieux ensemble...

Très femme par ce besoin d'obtenir à tout prix ce qu'elle s'était une fois mis dans la tête, y employant tour à tour le sourire et les larmes, tour à tour câline et trépignante et sachant, sui- vant les circonstances, se faire une arme de sa souplesse diplomatique et de son entêtement de Bretonne... »

DE CALAN, Le XVI siècle.

« Il n'y eut jamais de reine qui ait apporté une si riche dot à nos rois ; il n'y en a point eu qui ait été plus riche en vertus et en belles qua- lités que celle-là. Avec une rare beauté, elle avait un esprit encore plus rare, une âme généreuse et qui n'avait pas de plus grande joie que de bien faire, une conscience droite, un cœur fort et haut... »

F. E. DE MÉZERAY, Abrégé de l'Histoire de France.

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GÉNÉALOGIE D'ANNE DE BRETAGNE

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PRÉSENTATION

Elle était de sang français par son père, héritier des Montfort qui avaient arraché aux Blois le duché de Bretagne, avait une goutte de sang espagnol par sa mère, la très belle Marguerite de Foix, seconde épouse du duc François II; mais on lui donne un prénom qui la pré- destine : ANNE. C'est le nom de la grand-mère de Jésus, la future

— et déjà — patronne de l'Armorique où elle naît. Envers et contre les tiraillements du sang, Anne s'enracine dans la terre bretonne et finalement se fera arracher le cœur de la poitrine pour l'ensevelir au plus profond du pays fidèle.

Dès les premiers temps, le peuple, qui ne demande qu'à être conquis, ne s'y trompe pas : la fille est de chez lui et elle est sienne. Certes, il a connu d'autres princesses admirables, à commencer par les deux Jeanne qui se battirent à mort, Jeanne de Flandre et Jeanne la Boiteuse... Affublées de surnoms, l'une de province étrangère, l'autre d'infirmité. Elle seule se verra honorée d'un titre qui embrasse tout, ne procède ni de la force ni du droit ni de la moquerie, mais tient au consentement unanime ; Anne de Bretagne.

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Voici une souveraine adoptée d'enthousiasme dès l'enfance et dans le plus grand malheur, portée, au-delà de toute prévision, de la situation la moins enviable jusqu'au trône le plus glorieux, par deux fois reine de France, et sans jamais perdre son titre de duchesse. Ni les qualités de l'esprit, qui sont éminentes, ni les passions d'un carac- tère obstiné quoique inattaquable, ni la force de l'âme, ni les erreurs que grossiront les envieux n'y changeront rien. Parce qu'un jour cette précieuse, au meilleur sens du mot, a chaussé des sabots pour franchir un passage boueux, elle demeure pour les siècles la Duchesse en sabots de bois. Les poètes qu'elle a protégés la célébreront ainsi et prouve- ront que les chansons sont bien ce qui reste de l'Histoire quand le temps a presque tout effacé. Il n'est pas jusqu'à sa boiterie qui ne la serve (sa jambe plus courte n'est-elle pas comme un pied levé pour gravir les marches du trône ?). Elle en use comme d'un moyen pour attendrir. En des temps encore impitoyables, elle sut découvrir les faiblesses des cœurs et les dominer par un prestige que lui disputait à peine une autre Anne fameusement appelée « de Beaujeu ». Elle sait, de naissance, tenir rang de princesse, attachée à ses prérogatives et plus peut-être à son héritage, mettant un point d'honneur quasi masculin à le conserver, lui faisant un rempart de sa menue per- sonne, allant jusqu'à se battre — elle qui a la guerre en horreur — contre celui qui cherche à le lui ravir et qui n'est autre que son futur époux, quitte à le mettre à couple avec la France quand il n'y aura plus d'autre solution que de céder ou de mourir, tenant malgré les circonstances à traiter d'égal à égal avec le plus grand monarque d'Europe (ou qui aspire à l'être).

A l'âge où nos fillettes jouent à la poupée, Anne s'applique sérieu- sement à ses devoirs politiques. Elle ne manque pas de conseils, bons et mauvais; mais elle n'en fait qu'à sa tête, qui est bien faite et bien pleine.

Pieuse, avec un soupçon de crainte superstitieuse, elle respecte la hiérarchie ecclésiastique pour autant que, dans les affaires tempo- relles, le clergé n'empiète pas sur ses droits. Elle s'oppose au pape pour nommer qui elle veut au siège de Nantes mais elle s'oppose au roi Louis XII lorsqu'il se met dans le cas d'être excommunié. On dirait qu'elle préfère se séparer de son époux plutôt que de répudier le magistère romain. Ce sera la tragédie de ses dernières années.

Moins partisane que certains de ses contempteurs, elle n'a pas,

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pour sa part, fait grief au roi de France d'avoir voulu abaisser les feudataires et agrandir son État par la réunion de quelque grande province; en revanche, elle s'est sans cesse dressée contre les ingérences qui lui parurent une atteinte aux privilèges de son duché. A chacun son ambition, son droit, sa liberté. Jamais Anne ne s'est départie de cette ligne de crête. Si, parfois, elle a paru donner le pas aux intérêts bretons sur ceux de la France, c'est qu'elle était seule à défendre les premiers, tandis qu'un plus grand seigneur s'occupait fort bien des seconds.

En avance sur son époque, douée d'un goût exquis, introductrice des femmes à la cour, providence des filles avec ou sans dot qui lui faisaient confiance, mère des pauvres et des déshérités, protectrice des arts et des lettres, plus occupée du mérite des gens que de leur naissance, volontiers rancunière quoique incapable de haine, elle a contribué à la mue du Moyen Age en cette société policée qui annonce l'époque moderne.

Sans vouloir revenir sur ce qui a été écrit pertinemment sur Anne de Bretagne par Émile Gabory, Auguste Bailly, Antoine Dupuis ou Georges-Gustave Toudouze, nous avons tenté, dans les pages qui vont suivre, de rapprocher de nous le très noble cœur de la duchesse- reine pour en ausculter les battements. Voilà ce qu'un romancier pouvait oser, en respectant le cadre historique et la succession des événements.

Y.-M. R.

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I

DEUX ORPHELINES (1488)

A meneaux du Vieux Logis, dans le château de Nantes. Elles 1488. Deux fillettes sont accoudées à une fenêtre à regardent courir le fleuve paresseux que l'été a pompé. Un pêcheur en sarrau rapiécé se tient debout dans sa plate, presque à l'aplomb des murailles. Le ciel est lourd. Un orage se prépare derrière Saint-Sébastien.

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L'aînée des sœurs n'a pas douze ans. Son bras entoure mater- nellement les épaules de la plus jeune, qui tient contre sa poi- trine une poupée de bois, articulée et vêtue de brocart. Ses yeux sont gonflés, son visage humide de larmes. — Allons, Isabelle, du courage! Isabelle lève le front vers sa sœur. Anne a souri avec indul- gence. Un béguin de deuil couvre ses cheveux nattés. Le duc est mort. Son corps repose désormais dans la chapelle des Carmes, auprès de celui de Marguerite de Foix. C'étaient leur père et leur mère.

Les filles de Bretagne devront se tenir serrées dans leur ten- dresse, car elles seront seules et exposées. L'aînée s'en rend compte.

Elle est très avancée pour son âge. Un mauvais rêve a passé dans son sommeil enfantin et les génies du mal ont cerné sa chambre. Elle y vivait heureuse et sans souci, auprès d'un père qui ne devenait ennuyeux que lorsqu'il parlait de mariage mais qui ne savait pas résister à un plissement du petit front bombé de sa préférée. Il n'y avait jamais eu entre eux que de vagues bouderies terminées par des baisers et par un cadeau.

En ces jours-là, le château des ducs, en pleine restauration, résonnait du bruit des joutes et du son des luths. Jean Meschinot y débitait ses galanteries, à la veillée, et les enfants, légitimes et bâtards mêlés, riaient aux farces du fou Denis d'Espinel ou de la folle dite « Madame de toutes-couleurs ». Avant de s'endormir dans son lit garni de fourrures, Anne réclamait l'histoire d'Arthur ou les prouesses des chevaliers du Saint-Graal que contait mer- veilleusement Gilles Meschinot, presque aussi spirituel que son père.

Certes, la petite duchesse se souvenait des tiraillements dont elle avait été le témoin entre François II et Marguerite de Foix, dans le temps où sa mère vivait encore. L'intrigante Antoinette de Maignelais, poussée par le roi-aragne dans le lit du duc de Bretagne, en était la cause. Aujourd'hui, les enfants de l'espionne étaient encore là pour lui rappeler les faiblesses paternelles : François d'Avaugour, l'aîné, de quinze années plus âgé qu'elle- même ; Françoise la « petite dame » et Antoine, appelé « messire dolus »... Un souvenir couvrait les ombres du passé : celui de ces Pâques de 1484 qui avaient vu Nantes pavoiser pour la visite

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de son troisième prétendant et crier son nom à tous les carrefours.

Elle avait été la reine de la fête. Précédemment, elle avait été demandée en mariage par le prince de Galles, fils d'Édouard IV, depuis assassiné par son oncle, l'actuel roi d'Angleterre ; puis par Henri Tudor, réfugié à la cour de Bretagne et qu'elle revoyait en pensée, timide et rougissant dans sa grande cape blanche.

Pourquoi s'était-on moqué de lui ? S'il montait un jour sur le trône, ce serait un ennemi intraitable, tant il est certain que les blessures d'amour-propre sont les plus longues à se cicatriser.

Lorsqu'il était parti fâché vers le roi de France, il avait été rem- placé par Louis d'Orléans, cousin de Charles VIII, garçon brillant, doué pour les exercices du corps et délié d'esprit comme son père le poète Charles d'Orléans. Il avait été reçu à la cour de Bretagne avec des honneurs presque royaux. Ses vingt ans, sa désinvolture et un cousinage au plus près autorisaient une familiarité qui avait séduit Anne, si jeune qu'elle fût alors. Et Louis, de son côté, avait été conquis par la grâce de l'héritière des Montfort et par ses reparties inattendues. Pour le troubler davantage, on lui avait montré, un jour, la fillette, presque dénudée. Il avait fallu que cette pie-grièche d'Anne de Beaujeu imaginât, sous le coup d'une crainte subite (avec ces Orléans, il fallait évidem- ment s'attendre à tout!), de rappeler Louis en hâte. Qui aurait pu se dérober, puisqu'il s'agissait, pour le premier prince du sang, d'assister au sacre de Charles VIII à Reims!

Oui, tant de souvenirs déjà dans cette petite tête caressée par le destin. Et, brusquement, les deuils, l'abandon, la détresse..., comme si le sort tragique réservé au chancelier Pierre Landais, sacrifié à la noblesse bretonne impatiente de venger le chancelier précédent, Guillaume Chauvin, avait marqué l'entrée en scène d'une mauvaise fée ou que le ciel avait écouté les impréca- tions de la sainte veuve de Pierre II, prédécesseur d'Arthur III, Mme Françoise d'Amboise, contre les scandales de la cour de Nantes.

Il y avait donc eu l'horrible massacre de l'armée bretonne par celle de La Trémoille, à Saint-Aubin-du-Cormier, en cette année de disgrâce 1488, et le traité du Verger remettant à la dis- crétion du roi de France le sort des deux héritières de Bretagne ; puis la mise en gage des joyaux de la couronne ducale, pour

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régler des dettes criardes, la mort enfin du duc François dans sa campagne de Couéron, sur la Loire.

Avant que des nuages ne l'eussent signalé, l'orage avait éclaté, balayant tout sur son passage. Et maintenant les deux orphelines se demandaient anxieusement quand le bleu reviendrait au firmament de leurs vies.

— Qu'allons-nous devenir, Isabelle? — Vous serez duchesse, Anne, et nous vivrons ici, comme nous avons toujours fait.

— Au milieu des intrigues et des divisions, non!

— Qui pourrait vouloir du mal à nos personnes ?

— Qui?... Le maréchal de Rieux, qui cherchera à dominer mon conseil ; le sire d'Albret, qui voudra m'épouser. Notre frère, le bâtard d'Avaugour, et les Rohan peut-être encore. Souviens-toi du sort réservé aux enfants d'Édouard d'Angleterre, Isabelle.

— Nous ne sommes pas à la cour de Londres, Anne, mais à celle de Nantes.

— La cour de Nantes n'est pas meilleure que les autres, Isa- belle, rappelle-toi ce que notre gouvernante Françoise de Dinan nous a maintes fois raconté sur son fiancé, le troisième fils du duc Jean V, Gilles de Bretagne, empoisonné puis étranglé dans les cachots de La Hardouinais, il y a moins de quarante ans de cela. — Mais le peuple est pour nous.

— Et demain il sera pour qui nous aura fait disparaître.

— Alors... que ferons-nous, Anne?

— Nous partirons... Nous nous éloignerons de cette fosse aux serpents. — Où irons-nous?

Oui, où iraient-elles, les filles dépouillées, appauvries d'un prince défait et mort? Tombées de si haut, qui prendrait soin de leurs intérêts? Quelles épreuves subiraient-elles avant que la couronne fermée ne se pose sur la tête de l'aînée, si jamais elle doit y être mise? Depuis deux ans, le duc François la fait signer : Anne, duchesse de Bretagne. Mais est-ce que cela compte ? Le roi de France lui nie le droit à l'héritage des Montfort, il invoque à l'appui de sa thèse le traité de Guérande qui a mis fin à la guerre de succession de Bretagne et qui stipule que les mâles seuls peuvent hériter, contrairement à la coutume bretonne. Et

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pourquoi a-t-il racheté les titres de la maison de Blois -Penthièvre, sinon pour l'évincer?

Isabelle a raison de dire que le peuple est pour elle. A l'annonce de la mort du duc, il l'a plébiscitée en criant : « Vive la duchesse Anne ! » Mais, depuis, il se tait, craintif, attendant que les lions se soient dévorés entre eux pour acclamer le vainqueur. La peur tient les campagnes, comme au temps où le paysan refusait de se prononcer pour Blois ou pour Montfort, n'ayant de vœu que pour la paix. Elles ont tant souffert depuis cent ans, recevant des coups de toutes parts, coup de l'Anglais, coup de l'Espagnol, coup du Français, qu'il faudrait pour les faire sortir de leur tor- peur le poing d'un Mauclerc ou la douceur d'un Charles de Blois.

Anne n'a que ses onze ans, son inexpérience et sa boiterie. Lors- que sa mère a rendu le dernier soupir, elle a cru que le monde allait basculer ; aujourd'hui, tout chavire vraiment autour d'elle, les ruines s'amoncellent et le feu, si elle n'y prend garde, est près d'enflammer sa robe de velours grenat. Qui fera confiance à ses mains si petites, si fines, si bleues de veines apparentes pour reprendre une à une des pierres de l'édifice et le reconstruire ? Si encore elle avait été un garçon, elle aurait pu espérer porter bientôt l'épée de Noménoë et de Richemont ; mais elle n'est qu'une fille à héritage, impuissante et convoitée, plus menacée chez elle que n'importe où ailleurs.

— Madame, qu'allons-nous décider?

C'est Françoise de Dinan qui est entrée dans la chambre, sans frapper, provoquant la fuite d'Isabelle.

— Je vous ai fait peur, Isabeau?

Il a fallu aller chercher la petite derrière la tapisserie où elle s'est dissimulée.

— Je vous ai déjà posé la question hier et vous ne m'avez pas répondu ? Anne regarde la femme qui lui a tout appris de ce qu'elle sait et qui, depuis deux jours, a perdu sa confiance. Pourquoi ? Elle connaît chaque ride de ce visage, chaque expression de ces yeux verts. Précisément, elle voit l'astuce et la fausseté introduites dans l'âme de sa gouvernante. Entre elles, les rapports ont changé.

Françoise de Dinan n'est plus celle qui lui enseignait les belles- lettres et l'histoire, avec un désintéressement louable. Elle res-

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semble à un intendant prêt à réclamer le bénéfice de son admi- nistration. Mais Anne n'entend plus rester l'élève soumise et respectueuse qu'elle était il y a seulement huit jours. De l'ordre de l'obéissance elle est passée à celui du commandement. Alors, que Françoise ne se fasse plus d'illusion, elle n'épousera jamais son demi-frère Alain d'Albret, ce bouc puant qui commence à lui faire la cour, ce veuf de quarante ans pourvu de sept enfants, ce prétendu foudre de guerre dont les troupes stationnent autour de Nantes. Elle préférerait mourir. — Ne m'avez-vous si bien servie, madame, lui a-t-elle dit la veille, que pour me jeter dans les bras de ce soudard ?

Françoise de Dinan a pincé du bec. Elle n'aime pas les rebuf- fades. Anne sait ce qu'elle pense : « Nous viendrons à bout de cette gamine ! »

Heureusement, dans sa solitude, la petite duchesse possède un appui : Montauban. Faute de pouvoir compter sur Jean de Rieux, son tuteur, ou sur son parrain de Lescun, il lui faut donner sa confiance à un homme qui n'a jamais trahi son suze- rain ni la Bretagne.

Quarante ans d'âge, un passé militaire glorieux, un esprit clair et une droiture éprouvée, Montauban sera cet homme-là, pour la vie. Tout à l'heure, la prenant à part, à la sortie d'une séance du conseil ducal, il lui a murmuré à l'oreille :

— Madame... Madame, croyez-moi : vous n'avez plus rien à faire ici. Il faut quitter Nantes et au plus vite, si nous ne voulons pas être enfumés comme des renards au terrier. Rieux, d'Albret et Françoise de Dinan se sont mis d'accord sur votre dos. — Et vous allez m'offrir sans doute d'aller me jeter au cou du roi Charles et de sa sœur Mme de Beaujeu qui ont fait tant de mal à mon père? A moins que vous ne m'engagiez à m'en remettre à Jean de Rohan, ce qui serait pire.

— Nous avons encore quelques places où nous pouvons nous réfugier pour attendre que la situation s'éclaircisse. Ce qui est important aujourd'hui, c'est de prendre ses distances, de ne pas s'engager...

— Allons à Rennes. Nous y avons un logis acceptable.

— J'y ai pensé ; mais, outre que nous nous éloignerions trop de Nantes, nous nous jetterions dans les jambes de La Trémoille.

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L'armée qui a vaincu à Saint-Aubin-du-Cormier est toujours dans les parages. Elle tient Fougères...

— Levons des troupes et desserrons l'étau.

— Avec quoi paierez-vous les soldats? Il n'y a plus un réal dans les caisses. Les obsèques ont coûté cher et vous avez tenu à payer le deuil de la cour. Je ne vous en fais pas un reproche, n'y ayant aucun droit, mais le fait est là...

Montauban joue gros jeu avec cette enfant. S'il perd, il risque sa tête ; mais, au fond, il aime les gageures et les causes perdues ne sont pas pour le rebuter.

— Une chose est actuellement certaine, dit-il en hochant sa bonne grosse tête, si vous restez à Nantes, on vous fera épouser d'Albret.

— Je n'en veux pas : il est vieux et il pue l'ail.

— Sauvons-nous donc tant qu'il en est encore temps.

— Où sont nos affidés? Où est mon maître d'hôtel?

— Meschinot? Dans une taverne, à boire du clairet, sans doute. Si vous m'en croyez, partons de bon matin et en petit équipage, sans nous embarrasser de poètes bavards et sans faire de bruit.

Anne a souri. Elle a tendu sa main à Philippe de Montauban qui a baissé la tête pour lui baiser le bout des doigts. Puis elle a ramassé les plis de sa robe et s'est retirée dans la chambre qu'elle partage avec sa cadette. Sans doute tremblera-t-elle dans son sommeil peuplé de cauchemars. Elle pensera aux princes anglais égorgés dans leur lit par leur oncle et à l'ange des ténèbres dont lui parlait sa nourrice, malgré la défense expresse de la duchesse Marguerite. Lorsque la nuit se fait, qu'elle n'a plus à se soucier de sa dignité, elle redevient une petite fille serrant entre ses bras la poupée de bois lâchée par Isabelle tout de suite endormie.

C'est le moment des terreurs et des larmes dans le noir miséri- cordieux et formidable, le moment des appels de détresse lancés vers Dieu.

A la séance du conseil, Anne a donné sa première signature sur le relevé des comptes présenté par le trésorier. Elle a exigé de contrôler tous les chiffres. Elle a été très fière de voir qu'on l'a prise au sérieux. Seul Rieux a fait la grimace ; mais il suffit de tenir ferme pour venir à bout de ce bouledogue dont la grosse

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voix n'intimide plus personne. L'impression de puissance, Anne l'a ressentie de la plante des pieds au sommet de la tête. C'est comme un vin capiteux qui vous pétille dans tout le corps et calme les maux de l'âme.

Partira-t-elle aussi vite que le demande Philippe de Montau- ban ou bien tentera-t-elle de mater ses conseillers? Il serait excitant d'observer si la poigne velue de Ri eux, soutenue par les d'Albret, les Dunois, les Lescun, les Dinan-Laval, parviendrait à broyer les phalanges d'une fillette de sang royal. Le risque n'est-il pas trop grand? Anne revoit devant ses yeux le visage du sire d'Albret et c'est assez pour lui faire abandonner l'épreuve de force dont elle rêve par instants. Eh quoi! Ne peut-on vraiment pas la laisser poursuivre seule son expérience durant quelques années avant de soumettre son corps et son cœur aux grossièretés du mariage ?

Avant de s'endormir, la fille des ducs a appelé les saints et la Vierge dans une dernière prière. Demain, elle suivra Philippe de Montauban dans un voyage à l'aventure.

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II

PRINCESSE ERRANTE (1489)

D Après un bref séjour entre les remparts de Guérande, Miz kerzu, disent les Bretons, le mois très noir.

la duchesse Anne est revenue à la vieille abbaye des bords de la Vilaine, Redon. La ville est triste, campée au bord du marais.

Il y fait froid et les brouillards y sont fréquents. Le ciel ici rejoint la terre, avec juste ce qu'il faut d'espace pour laisser siffler les vents d'ouest.

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Trois mois ont passé depuis que le duc François s'est couché dans la mort. La situation d'Anne ne s'est pas améliorée. Alain d'Albret la poursuit toujours, espérant qu'elle viendra à sa merci.

D'accord avec Rieux, il a introduit en cour de Rome une dis- pense de consanguinité — ils sont parents — et, à l'appui de sa démarche, il a produit une demande faussement signée Anne et valant consentement. Aussitôt, la duchesse a protesté et écrit au pape. Le vieux roublard a passé les bornes. Il s'est fait rabrouer vertement.

— Jamais, jamais je ne vous épouserai, messire Alain. Et ne vous mettez pas en peine de mes intérêts, s'il vous plaît. Je saurai les défendre moi-même, comme j'accorderai ma foi à qui me plaira.

— Le roi Charles et sa sœur ne feront qu'une bouchée de ce qui reste du duché de Bretagne. Ce n'est pas quelques bataillons d'Anglais ou d'Espagnols qui arrêteront les Français. Ils vous ont pris Guingamp hier. Demain, ce seront Morlaix, Brest et Vannes.

Anne ne compte pas sur la force pour aboutir. Philippe de Montauban, qui a fini de gagner sa confiance, lui a laissé entrevoir comment, à condition d'agir avec adresse, ses prétendants inté- ressés finiraient par se neutraliser les uns les autres et la laisser maîtresse de ses actes. Conseillée par cet homme loyal dont trente années d'âge la séparent mais qui lui est proche par la lucidité et la fermeté, par l'amour aussi de cette Bretagne qui va devenir leur commune passion, elle a tracé son plan : d'abord tenir les épouseurs à distance respectueuse; se dégager des créanciers en rétablissant les finances du duché par un programme d'austérité et d'exacte rentrée des impôts, surtout en coupant les griffes des grands profiteurs ; ensuite reconstituer une armée et une marine capables d'assurer l'indépendance du pays ; enfin, organiser la police des cités et des campagnes rançonnées par les brigands et les soldats étrangers. Trois jours après que la duchesse Anne a récusé la fausse procuration établie par d'Albret, Charles VIII avance ses pions. Ou bien la Bretagne passera sous l'obédience du roi de France ou bien elle sera traitée en ennemie. A titre de sommation, le vicomte Jean de Rohan, qui a visé trop haut en demandant pour ses fils François et Jean la main des deux héritières et qui, de

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dépit de se voir repoussé, s'est allié au Valois, s'empare de Pon- trieux. Petite revanche, en vérité, mais tout ce qui retranche au patrimoine atteint Anne au coeur. Croyant le moment venu d'agir, Rieux et d'Albret, qui avaient tout d'abord accompagné la duchesse à Redon, se sauvent vers Nantes. Ils vont occuper la ville pour leur compte et, face au roi, se proposer aux yeux des Bretons comme les seuls défenseurs valables du duché menacé.

La manœuvre est habile. S'ils réussissent, Anne sera contrainte de se ranger sous leurs oriflammes, non sans avoir consenti à ce qu'ils veulent tirer d'elle. Devant la révolte ouverte de Rieux et du vicomte de Rohan, provoquée par Charles VIII, que va devenir la princesse fugitive, avec sa poignée d'amis? La force brutale et la déloyauté vont-elles triompher du droit et de l'intelligence? Anne ne le croit pas. — Avec l'aide de Dieu, nous aurons raison de nos ennemis, répète-t-elle à qui veut l'entendre.

Fini le temps des pleurs. Plus l'opposition est rude, plus elle serre les poings et redresse sa petite taille, effaçant sa boiterie par un élégant balancement des hanches. Faute de puissance, elle aura la fierté ; faute d'écus, l'audace.

Le 7 janvier 1489, Charles VIII dénonce la paix, déchirant comme un vulgaire papier le traité du Verger, signé après le désastre de Saint-Aubin-du-Cormier. Ses troupes partent de ce bourg et de la ville de Fougères pour envahir l'Ouest. Contour- nant Rennes, trop bien défendue, et qui tombera quand le reste du duché sera conquis, elles foncent sur Hédé, Montfort, Mon- contour, Morlaix, pour atteindre Brest, la porte océane, avant de redescendre sur les citadelles de Concarneau et de Vannes.

Une promenade militaire sans gloire. Personne n'est là pour s'opposer à l'envahisseur. Si, pourtant, un chef breton se dresse en face des conquérants devant les murs de Vannes : Rieux. Le complice de Françoise de Dinan et d'Alain d'Albret, le cosigna- taire du faux envoyé à Rome, qui vient de se proclamer comman- dant de la place de Nantes, Rieux l'inattendu surgit à point pour arrêter la progression de l'armée royale au cours d'une rencontre sanglante. Montauban se réjouit doublement : du succès des armes bretonnes et de la lutte ouverte entre les adversaires de sa protégée ; mais il s'en est fallu de peu que son astucieuse pru-

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dence ne compromît à jamais l'avenir d'Anne. Il s'en souviendra plus tard, au moment où de nouvelles options lui seront offertes. Heureusement, au moment décisif, Rieux, tout vénal et ver- satile qu'il est, a compris qu'il devait défendre l'intégrité du territoire breton. Il avait admis de remettre le pouvoir entre les mains du sire d'Albret, bouillant Méridional, plein de faconde, qu'il ne doutait pas de dominer en même temps que sa jeune épouse ; mais s'en remettre pieds et poings liés au roi de France, il ne pouvait en être question! A sa manière, il est fidèle, dès l'instant que ses intérêts sont servis.

— Philippe, si nous attendons encore, mon tuteur aura gagné le duché à sa cause.

— Et que voulez-vous faire, Madame?

— Je sais que Rieux tient une véritable cour en mon château de Nantes, avec, à ses côtés, entre autres, Alain d'Albret, Maurice du Mené, Jean de Boisboissel, Bizien de Kérouzy, Lescun... — Eh bien?

— Êtes-vous si peu soucieux de ma gloire que vous admettiez de me voir supplantée par ce soldat orgueilleux? — Bien sûr, vous avez raison ; mais...

— Ses sentiments bretons viennent de paraître, c'est le moment de remuer la braise. J'irai aux portes de Nantes et, s'il refuse de venir me parler, j'en appellerai aux bourgeois et au peuple qui m'ont acclamée, qui m'ont juré fidélité devant mon père, le 19 avril 1485. Pas plus que moi, ils n'ont la mémoire courte. — Rieux ne cédera pas.

— Enverra-t-il aussi ses troupes contre une fille désarmée?

— Je ne crois pas qu'il ait beaucoup de scrupules, Madame.

— Rien ne me fera revenir sur la décision que j'ai prise de mettre ses sentiments et ceux des Nantais à l'épreuve.

Montauban a cédé. Un matin gris de février, ils sont partis en maigre équipage : Anne, Isabelle, Philippe et aussi un trans- fuge, un homme — il s'en est trouvé un — qui ne désespère plus de la cause des deux orphelines, séduit qu'il a été par leur crâ- nerie devant le danger. C'est une fine épée et son nom est un dra- peau : Dunois, fils du bâtard d'Orléans, compagnon de Jeanne la Lorraine. Il a levé des partisans sur ses propres ressources et c'est lui qui prend la tête de l'expédition sur Nantes. En mili-

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taire expérimenté, il a renoncé à se poster devant la tanière des fauves. Son camp, il l'établit près d'un simple village au nom gallo-romain, la Pâquelais. L'arrivée de la troupe suscite à peine la curiosité des paysans.

— Pourquoi ne crie-t-on pas Noël? a demandé Isabelle. Et pourquoi les portes des maisons sont-elles fermées?

— Parce que les braves gens hésitent à se compromettre. C'est ainsi dans toutes les bourgades du duché. Les Bretons crèvent de peur.

— Moi aussi, j'ai peur.

— Et moi... Mais je ne dois pas le montrer, parce que je suis la duchesse et que je ferai en sorte de leur rendre bientôt la joie.

J'enrage de voir perdre tout ce temps à des querelles quand mes sujets demandent la paix et le pain ! Il faut que Rieux comprenne cela, et ma gouvernante Françoise qui me tenait naguère de si beaux discours sur les devoirs des princes. Que l'on mette tout de suite une selle à mon cheval...

— Vous ne voulez pas dire que vous allez vous rendre sur- le-champ devant les murs de Nantes? Ce serait de la folie.

C'est Dunois qui a parlé. Anne se tait et le regarde. Le vieux chevalier paraît tellement ahuri qu'elle éclate de rire.

— Bon, dit-elle. Alors choisissez un gentilhomme de votre compagnie pour aller porter un message aux portes : ordre de reddition pure et simple fait par la duchesse de Bretagne. Il y aura également une proclamation pour les bourgeois de ma ville et un commandement pour les clercs.

— Que leur direz-vous?

— D'accourir au-devant de leur duchesse, qui daigne leur revenir, afin de lui faire escorte d'entrée.

Philippe de Montauban est opposé à cette façon de brusquer les choses.

— Permettez-moi de vous dire : vous ne connaissez pas Rieux.

Il n'obéira pas.

— Et pourquoi, s'il vous plaît, mon Philippe?

— Parce qu'il a la force pour lui. Quant au clergé et aux bour- geois, ils n'auront garde de se compromettre.

— Vous êtes belliqueux et prudent, messire de Montauban, et moi, je suis pacifique et audacieuse. C'est moi qui gagnerai.

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— Avez-vous de quoi payer la reddition des rebelles? Non, n'est-ce pas? Alors, laissez à la diplomatie le temps de vous ouvrir les portes de votre capitale. — Nous n'avons que trop tardé et le peuple a faim. Allons, cessez de soupirer, tous les deux. Moins on a de moyens pour réussir, plus on doit croire à ce qu'on entreprend. L'Évangile ne dit-il pas qu'avec la foi on peut transporter les montagnes?

Étonnante fille ! Elle vient d'accomplir une longue chevauchée et elle réclame d'autres travaux. La voici qui se porte, contre tous les avis, et avant même le retour du messager envoyé par Dunois, presque sous les remparts de Nantes. Comme elle l'a prévu, la population curieuse est apparue au chemin de ronde. Un miracle va-t-il se produire ? Les femmes sont prêtes à courir au-devant d'une orpheline jetée à la rue par une indigne parentèle. Le cœur populaire bat pour Anne. Et la rue commence à s'indigner de l'attitude de Rieux et de son Gascon : des voleurs l'un et l'autre,

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des pilleurs d'héritage, de maudits païens! Quant à la duchesse, on colporte qu'elle a tout pour elle : la piété, le courage, la science, qu'elle est économe des deniers communs et qu'elle est capable d'en remontrer à son conseil sur le terrain de la politique. Cependant, le miracle reste dans l'air. Rieux s'est ressaisi. Il a lu avec un haut-le-corps l'ultimatum de sa pupille. Elle est proprement inimaginable, cette prétention d'une fille à peine nubile à vouloir régenter des hommes d'expérience! — Que les badauds soient écartés immédiatement du rem- part! Que les bombardes soient traînées jusqu'aux portes et les troupes postées en avant des murs, côté ouest!

Le messager, lui, repart avec un billet laconique, fielleux : Si Madame Anne de Montfort tient tant à rencontrer le maréchal de Bretagne, qu'elle se présente à pied, avec dix compagnons seule- ment, sans armes, à la poterne basse.

Plus qu'à l'outrageuse proposition, Anne est sensible à l'affec- tation de Rieux de ne pas lui servir son titre de duchesse. Elle a serré les poings. Ah! que n'est-elle un chevalier et que n'a-t-elle une troupe résolue sous ses ordres, elle irait d'une haleine châtier ces fanfarons, ces impudents usurpateurs, esclaves de leurs vices et assassins d'une race dont leurs ancêtres avaient juré d'être les protecteurs. Rien dans leurs têtes, tout dans leurs muscles. Ils tranchent les difficultés qui se présentent à coups de glaive.

Engeance d'exécutants, qui se sont provisoirement installés maîtres et qu'elle réduira bientôt sans faiblesse! Meute de chiens faits pour rapporter le gibier et lécher la main de qui les tient en laisse!

Anne voudrait lâcher Dunois. Montauban lui-même, pris au jeu, n'attend qu'un signe. En lui, le pourfendeur a pris le pas sur le diplomate. Mais, pour lors, c'est la fille qui les retient. Elle ne veut pas que le sang coule. « Qui se sert de l'épée périra par l'épée. » Elle connaît ses Écritures. Ainsi donc que chacun rentre à la Pâquelais pour une nuit de réflexion et pour un repos bien gagné. La démonstration se solde par un échec. Tant pis. Demain ne pourra qu'être meilleur.

— Reposez-vous sur ce que je vais vous dire, mon Philippe.

C'est la sagesse des enfants qui parle : à échéance, les affronts sont payés à meilleur prix.

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Françoise de Dinan avait soutenu Anne dans son projet, comme si elle eût renoncé brusquement à favoriser son demi-frère. Phi- lippe de Montauban prétendait qu'elle n'avait pas suivi Rieux à Nantes, parce qu'elle avait reçu mission de surveiller sa pupille et d'être auprès d'elle l'âme du complot ourdi par d'Albret et le maréchal. Un fond de reconnaissance dans l'âme d'Anne l'empêchait de croire à une telle rouerie, de la part de cette femme de quarante-trois ans qui lui avait servi de mère à la mort de la duchesse Marguerite. Mais l'existence avait détruit les sentiments de Françoise — une Rohan par sa mère — et n'avait laissé sub- sister que l'ambition. Fiancée frustrée dans l'âge le plus tendre par l'assassinat de Gilles, épouse de Guy de Laval, châtelaine de Châteaubriant, perle de la noblesse bretonne, elle aspirait à tenir en Bretagne le rang le plus élevé, auquel la distinction de son esprit semblait devoir lui donner droit. Elle n'était pas enne- mie de la duchesse Anne. Bien au contraire. Elle avait contribué à la formation de son caractère, à l'ornement de son esprit, lui enseignant le français et le latin, l'initiant aux arts. L'héritière des ducs était devenue sa fille spirituelle. Parce qu'elle l'aimait et qu'elle possédait aussi le sens de la famille, elle avait pensé qu'une union entre Anne et Alain d'Albret servirait les intérêts de tous, y compris les siens, qu'à trois ils formeraient un pouvoir sans faiblesse. Avec le maréchal de Rieux et Dunois, le duché n'aurait rien à redouter ni de l'Angleterre, ni de l'Espagne, ni même de la France. Programme de choix qui ne rencontrait, pour être réalisé, qu'un obstacle : l'entêtement d'une enfant. Alors, cette nuit-là, à la Pâquelais, Françoise de Dinan-Laval décida de donner le coup de pouce au destin et d'en finir avec une partition qui n'avait que trop duré. Dans l'obscurité, elle s'est levée. Elle est restée habillée, ce qui facilite les choses. Sans bruit, la voilà qui se glisse entre les tentes, entre les maisons, rejoint un serviteur dont elle est sûre, le secoue, lui glisse dans le pourpoint un message griffonné et l'envoie vers Nantes. Treize kilomètres que le coureur avalera au pas de charge.

Et la traîtresse revient à sa couche, auprès des innocentes orphe- lines qu'elle va livrer à ses adversaires. Elle a signalé l'endroit où Anne se repose.

L'enlèvement est à la portée de cinquante hommes agissant

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saisir pour une dernière métamorphose, la crédulité populaire voulut voir dans certains phénomènes météorologiques qui accompagnèrent la disparition d'Anne de Bretagne les signes d'une élection providentielle. L'ambassadeur de France en Savoie lui-même fit connaître à la cour de France ce qu'il avait observé dans le ciel en ce 10 janvier 1514 : le soleil était apparu plus éblouissant que de saison et entouré de trois cercles de feu mêlé de sang, indice évident, selon lui, du malheur qui venait de s'abattre sur le royaume.

Trois cercles de feu comme les trois couronnes qui avaient ceint le front de la duchesse-reine ; trois cercles de sang comme les couronnes d'épines qui avaient blessé son cœur d'épouse et de mère. C'était bien là le symbole d'une existence passionné- ment vécue, durant laquelle Anne de Bretagne, suivant sa propre expression, « s'était hâtée d'accomplir les grandes choses qu'elle avait dans la tête ». Quant au rayonnement, il signifiait peut-être l'amour d'un peuple difficile à conquérir, mais plus difficile encore à détourner de ses héros et de ses mythes.

Rennes, 1964.

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