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Les Sept Paroles du Christ de Haydn

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Les Sept Paroles du Christ de Haydn

Souvenirs d’une aventure en Quatuor

Guide d’´ecoute et d’ex´ecution

Laurent MAZLIAK

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Au P.Boris Bobrinskoy

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Les fleurs ressuscit´ ees. . .

C’est d’abord le r´ecit d’une aventure. Depuis dix ans le Quatuor Hypot´enuse a jou´e les Sept Paroles du Christ pendant la Semaine Sainte. Dans des lieux mul- tiples: aussi bien de petites ´eglise romanes dont la pauvret´e ´emouvante rame- nait `a une simplicit´e originelle que des grands temples protestants qui, derri`ere une fa¸cade froide et banale, r´ev´elaient de splendides boiseries qui r´esonnaient des mots de l’Evangile.

Notre ´epoque qui “mendie le tumulte” pour reprendre la formule de Pascal est aussi `a la recherche constante de moments de spiritualit´e intenses o`u l’alliance entre la d´emarche personnelle et une certaine conception humaniste de la vie apparaisse de mani`ere manifeste. Peu d’œuvres comme ces quatuors de Haydn offrent la possibilit´e `a des musiciens de trouver de tels instants `a ce degr´e de perfection . Ce petit ouvrage se veut donc d’abord un t´emoignage de cette exp´erience qui nous a transform´es d’ann´ee en ann´ee. L’homme de l’an 2000, citadin plong´e dans l’urgence, a perdu la notion du temps. La bouff´ee d’oxyg`ene que peut lui apporter la rencontre avec un chef d’œuvre de gravit´e et de m´editation n’a pas de prix. Combien ce prix est encore plus grand si cette rencontre se fait avec une r´egularit´e litt´eralement cosmique, comme les saisons ou les phases de la lune. Or, il y a eu paradoxalement tout cela: jouer cette œuvre si tragique ´etait aussi l’annonce du retour du printemps et des fleurs ressuscit´ees.

Ce t´emoignage prend la forme d’un guide d’´ecoute et d’ex´ecution. J’essaye d’y ˆetre le moins technique possible, et les extraits de la partition sont plus l`a pour fournir une illustration, accessible `a tout lecteur n’ayant mˆeme que des rudiments d’´education musicale, que pour se livrer `a une analyse musicologique pour laquelle je suis d’ailleurs peu qualifi´e. C’est aussi un essai pour mettre en regard les textes ´evang´eliques auxquels se rapportent la musique et l’œuvre de Haydn. Cette vision parall`ele, `a mon sens trop rarement soulign´ee, y compris dans les cours de musique de chambre, aide `a comprendre et appr´ecier ces quatuors.

Quelle que soit la position philosophique qu’on adopte sur le sujet, cette ten- tative originale d’orner la Parole oblige `a voir une trag´edie humaine dont tous les actes hantent notre conscience la plus intime. Notre ensemble a toujours

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et´e loin d’ˆetre homog`ene, alliant des musiciens d’horizons diff´erents qui se sont toujours retrouv´es autour de ce magnifique moment qui met l’homme au centre de son questionnement. Nous esp´erons surtout qu’`a la lecture de cet ouvrage de jeunes quartettistes auront envie de se lancer dans l’aventure et de servir avec ardeur une des plus belles pages ´ecrites pour leur formation. La richesse qu’ils en tireront d´epassera de beaucoup leurs plus grands espoirs.

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L’Autriche en 1785

H´eritier du Saint-Empire Romain Germanique, l’ empire des Habsbourg est la pi`ece centrale de l’ Europe au milieu du XVIII`eme si`ecle. Mosa¨ique de peuples, il est un immense creuset dont les terres irr´edentes sont de perp´etuels foyers d’agitation. Mais dans ce bouillonnement, les id´ees et les modes circulent sans limite, faisant mˆeme de la terre autrichienne proprement dite, et en particulier de Vienne, un carrefour d’influences o`u viennent aboutir les d´ecouvertes et les conquˆetes de ce temps f´econd. Il n’est pas ´etonnant de ce fait que dans un intervalle de temps aussi court que cinquante ans aient pu se trouver r´eunis dans ce lieu b´eni des dieux tant de noms qui furent normatifs de la cr´eation artistique d’une ´epoque.

Joseph II r`egne depuis cinq ans. Aucun monarque peut-ˆetre n’eut plus de malchance que ce dernier, qui selon sa propre expression “´echoua dans tout ce qu’il entreprit”. Aucun peut-ˆetre ne fut plus fortun´e en cela que son nom reste ins´eparable de l’extraordinaire florescence des arts qu’il permit de sa volont´e g´en´ereuse et raffin´ee. Telle est l’ ambiguit´e qui entoure le despotisme ´eclair´e qui domine l’ Autriche en 1785. Comme ce sera de nouveau le cas `a l’aube du vingti`eme si`ecle, Vienne est avec Paris au centre de la fusion dans laquelle s’ouvre un monde nouveau.

L’Autriche est catholique et est mˆeme un bastion avanc´e du catholicisme dont les fronti`eres s’ ouvrent sur les mondes musulmans, protestants et orthodoxes.

La Contre-R´eforme en a fait une vitrine, ´elevant comme `a Melk de gigantesques abbayes, croulantes de dorures et d’angelots grassouillets dont les trompettes

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etincelantes annoncent la victoire de Rome sur les h´er´esies de toute nature. Le sentiment religieux, profond et aussi tr`es raffin´e, apprend `a s’entourer de toutes les pompes de la magnifiscence. Peut ˆetre est-ce en partie en r´eaction `a ce triomphalisme que la Franc-Ma¸connerie s’est d´evelopp´ee `a travers le XVIII`eme si`ecle, touchant les milieux intellectuels “progressistes” par des c´er´emonies plus intimes, plus tourn´ees vers l’introspection int´erieure en mˆeme temps que vers une d´emarche d’entraide et d’amour plus fraternelle que celle que pouvait proposer une institution aussi assise que l’Eglise.

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Haydn en 1785

“Il ´etait un laquais qui s’appelait Haydn”. Ainsi pourrait-on r´esumer la situ- ation sociale que la compositeur occupa la plus grande partie de sa vie, plac´e dans l’ordre de pr´es´eance de la suite des princes Esterhazy `a laquelle il apparte- nait entre les hussards et. . . la meute (sic). Il fut l’homme `a tout faire de deux princes, composant sans relˆache `a la commande pour satisfaire les caprices de roitelets despotiques qui avaient la pr´etention de faire de leur Cour l’une des plus prestigieuses d’Europe. On s’´etonne tout d’abord que ceci n’ait pas suffi

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a faire de Haydn un musicien galant, dou´e certes, mais sans profondeur, con- damn´e `a produire au m`etre de charmantes m´elodies. Mais l’apanage du g´enie quand il habite une ˆame g´en´ereuse est de faire fi des conditions qui l’entourent, ou, plus exactement, `a travers la grandeur de son abandon de transformer ces conditions en une chance unique. Ainsi, la situation de Haydn, pour situation de servitude qu’elle fˆut, n’en avait pas moins le m´erite d’ˆetre une situation sta- ble et paisible sur le plan domestique. Les ann´ees ne firent que l’am´eliorer car le prince Nicolas, conscient de la renomm´ee qu’il en tirait (la commande des

“Sept Paroles” par un Chanoine de Cadix en Espagne en porte t´emoignage) , laissait son Maˆıtre de Chapelle travailler assez librement. La cour des Es- terhazy fut ´erig´ee par le compositeur en un laboratoire o`u il exp´erimentait les id´ees fulgurantes qui devaient bouleverser l’univers musical de son temps.

En 1785, il a cinquante-trois ans et derri`ere lui une œuvre d´ej`a immense. Au sommet de celle-ci planent six recueils de Quatuor `a cordes o`u sa pens´ee s’est faite la plus exigente et la plus inventive et au contact desquels Mozart est subjugu´e. Il dira de Haydn, qui bien que de vingt ans son aˆın´e fut son ami intime: “Quel autre que lui sait de pareille fa¸con faire passer des larmes au rire, de la joie au profond bouleversement?. . . ”

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Les Circonstances de la Cr´ eation

Il y a environ quinze ans, un chanoine de Cadix m’a demand´e de composer une musique instrumentale sur les Sept Derni`eres Paroles du Christ en Croix.

On avait alors l’habitude `a la cath´edrale de Cadix d’ex´ecuter tous les ans, durant le Carˆeme, un oratorio dont l’effet se trouvait singuli`erement renforc´e par les circonstances que voici. Les murs, fenˆetres et piliers de l’´eglise ´etaient tendus de noir; seule une grande lampe suspendue au centre rompait cette sainte obscurit´e. A midi, on fermait toutes les portes, et alors commen¸cait la musique. Apr`es un pr´elude appropri´e, l’´evˆeque montait en chaire, pronon¸cait une des sept Paroles et la commentait. Apr`es quoi, il descendait de la chaire et se prosternait devant l’autel. Cet intervalle de temps ´etait rempli par la musique. L’´evˆeque remontait en chaire et en descendait une deuxi`eme, une troisi`eme fois, etc. . . , et chaque fois, l’orchestre intervenait `a la fin du sermon.

J’ai dˆu dans mon œuvre tenir compte de cette situation. La tˆache consistant `a faire se succ´eder sans lasser l’auditeur sept adagios devant durer environ dix minutes n’´etait pas des plus faciles, et je r´ealisai bientˆot qu’il m’´etait impossible de respecter les limites de dur´ee qui m’avaient ´et´e fix´ees.” Aussi, afin que l’auditeur soit plus profond´ement touch´e par l’esprit du drame de la Passion, Haydn compl`ete le cycle avec une introduction solennelle, et le conclut par un sombre Presto dont la violence traduit le tremblement de terre qui suit la mort du Christ.

La musique fut ´ecrite dans sa premi`ere version pour orchestre, et le succ`es qui suivit la premi`ere ex´ecution dans l’´eglise Santa Cueva de Cadix durant la Semaine Sainte de 1787, assura la propagation de l’œuvre dans toute l’Europe.

Quelques ann´ees plus tard, avec l’intention d´eclar´ee de mettre cette m´editation sur la mort de Dieu `a la port´ee de tous les foyers, le compositeur entreprend la r´edaction d’une version pour Quatuor `a cordes. Elle sera un des sommets de toute la litt´erature pour cette formation.

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Jouer l’œuvre

Avant de parler plus en d´etails de chacune des pi`eces composant le cycle, quelques commentaires g´en´eraux sont n´ecessaires. La principale difficult´e de l’ex´ecution ou de l’audition vient du fait qu’il est enti`erement compos´e de mouvements tr`es lents, hormis le bref Tremblement de Terre qui le conclut.

Au cours de notre exp´erience, nous avons constat´e que d’ann´ee en ann´ee les mouvements se ralentissaient de plus en plus: c’est logique et l´egitime. Il ne fait aucun doute que plus les mouvements sont lents et plus l’effet est at- teint. Peut ˆetre est-il cependant n´ecessaire de passer par une phase o`u l’on joue plus rapidement pour int´egrer les longues phrases qui paraissent `a tort r´ep´etitives et un peu ennuyeuses. Une deuxi`eme difficult´e provient de la struc- ture monoth´ematique des Paroles , imitant les premiers mots de celles-ci, les th`emes de chacune d’entre elle ´etant souvent tr`es voisins (pour les Paroles I,III,V par exemple, ils sont uniquement constitu´es de tout ou partie des trois notes de l’accord parfait!). De ce fait, il est en quelque sorte vital de per- sonnaliser `a l’extrˆeme chacun des mouvements et de trouver une atmosph`ere sp´ecifique pour son ex´ecution.

Lors d’une ex´ecution publique, la pr´esence d’un lecteur qui d´eclame le texte des Evangiles est tr`es souhaitable; l’id´eal, rarement r´ealisable, serait de ne jamais s’accorder entre les mouvements. Nous avions en g´en´eral pr´evu un accord de secours `a la fin de la Quatri`eme Parole. Si un lecteur est pr´esent, il est naturellement indispensable que la musique s’enchaˆıne directement sur la lecture. Aussi, toute v´erification d’accord doit se faire avant qu’il ne commence

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a lire le texte. L’un des instrumentistes doit garder un contact visuel avec le lecteur pour lui donner le d´epart de la lecture apr`es s’ˆetre assur´e que ses coll`egues sont prˆets.

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Introduzione

Le spectacle auquel nous sommes convi´es - on devrait plutˆot dire, vu sa vio- lence, auquel on nous force `a assister- est un drame humain. Haydn affiche tr`es clairement cette affirmation dans la magistrale introduction qu’il place en tˆete de cycle. Plus loin viendront m´editation et ressassement de la Pa- role de Dieu mais pour l’instant l’image qui occupe tout le devant de la sc`ene est la d´ecouverte bouleversante de la souffrance nue. Celle d’un homme hu- mili´e, m´epris´e, qui se tord dans la plus horrible ´epreuve qu’on puisse imaginer.

Il est bon `a cette occasion de se rem´emorer, habitu´es que nous sommes `a la repr´esentation du Crucifi´e `a travers tant d’œuvres d’art, tant de calvaires

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eparpill´es jusqu’au plus petit village, qu’il a fallu attendre plusieurs si`ecles pour que les artistes osent commencer `a peindre J´esus en croix tant ce supplice ´etait monstrueux. Ce qui est donc clair ici, c’est que le tableau repr´esente un homme mis au supplice par d’autres hommes. Dans cette Introduction, aucun indice de r´edemption et aucune allusion `a un sacrifice consenti. C’est la brutalit´e crue et la douleur sans fard qui percent de partout. Avant toute m´editation, avant toute recherche de rachat, le compositeur a voulu imposer l’image de terreur, l’effroi du chaos que constitue le Juste livr´e `a la folie meurtri`ere des hommes.

L’´enonc´e initial de la tonalit´e de r´e mineur ne doit laisser aucun doute d`es la premi`ere fraction de seconde. Apre, avec une octave en arrachement qui fait pendant au voile du Temple qui s d´echirera bientˆot. Ces quelques notes doivent avoir sur l’auditeur le mˆeme effet que le d´ebut du Don Giovanni de Mozart.

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Entre les deux pics que forment les deux ´enonc´es du th`eme, lepianodouloureux doit souligner nettement la voix grave de l’alto et du violoncelle, tr`es li´ee et en mˆeme temps o`u chaque note est quitt´ee avec difficult´e, presque avec crainte.

Dans le pont qui suit, les valeurs piqu´ees, en ´echo de la deuxi`eme note du th`eme initial sont mordantes, angoiss´ees. Notez aussi que la nuance `a la mesure 6 n’est queforteet nonfortissimo: il est important de retenir un peu la puissance de sorte que quelques mesures plus loin le fortissimo apparaisse encore plus violent. A la mesure 7, l’accord de septi`eme est lanc´e dans une sorte de rage contenue avant l’ explosion amen´ee par le violoncelle sur un arp`ege de sol mineur lourd et mena¸cant auxquelles r´epondent les doubles croches pesantes du premier violon. Il faut jouer l`a `a pleine puissance, avec duret´e, en concentrant l’archet, en soulignant les valeurs point´ees qui reviennent aux violons et en renfor¸cant encore l’octave descendante du violoncelle. Le passage piano qui suit le point d’orgue est une icˆone de douleur. Le th`eme est plus li´e, avec une valeur point´ee un peu plus molle qu’au d´ebut, et, sur le tapis form´e par le second violon et l’alto, les interventions du violoncelle en forme de plainte.

Apr`es un nouvel ´episode forte le magnifique renversement de la structure point´ee au premier violon `a la mesure 21 transforme la plainte en supplica- tion.

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Plus loin, sous les doubles-croches obstin´ees du second violon et de l’alto, un premier violon h´esitant essaie diff´erents registres, implorant et g´emissant `a tour de rˆole.

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Le dernier ´elan et la rentr´ee de la basse `a la mesure 31, absente depuis plusieurs mesures, paraissent comme un hurlement. Une derni`ere partie, apr`es un deuxi`eme point d’orgue, r´esume en quelque sorte ce qui pr´ec`ede, concentrant l’intensit´e au point de rendre immat´erielles les r´eponses solitaires du premier violon des mesures 41 et 42.

Remarquable est la jonction des deux violons `a la mesure 43, seul moment d’humanit´e solidaire et douloureuse de ce splendide mouvement.

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Pilate leur dit: Que vais-je donc faire de Jesus appel´e le Christ? Ils disent tous:

Qu’il soit crucifi´e! Pilate dit: Quel mal a-t-il donc fait? Mais ils criaient de plus belle: Qu’il soit crucifi´e! Pilate vit que rien ne servait `a rien mais que cela tournait plutˆot au tumulte; il prit de l’eau, se lava les mains devant la foule et dit: Je suis innocent de ce sang Et tout le peuple r´epondit: Sur nous ce sang et sur nos enfants. Alors il relˆacha Barrabas; quant `a Jesus il le fit flageller et livra pour le crucifiement.

Mt XXVII, 22-26

Les soldats l’emm`enent `a l’int´erieur de la cour, c’est `a dire dans le pr´etoire.

Et ils convoquent toute la cohorte, ils le revˆetent de pourpre, lui mettent une couronne d’´epines qu’ils ont tress´ee. Quand ils se furent moqu´es de lui, ils le d´evˆetirent de la pourpre et le revˆetirent de ses vˆetements. Puis ils l’emmen`erent pour le crucifier. Et ils requi`erent pour porter sa croix un passant qui revenait des champs, Simon de Cyr`ene, p`ere d’Alexandre et de Rufus.

Mc XV, 16-17, 20-21

Quand ils arriv`erent au lieu du Golgotha, ce qui signifie lieu du crˆane, ils l’y crucifi`erent avec les malfaiteurs, l’un `a droite et l’autre `a gauche. Et Jesus disait: P`ere, pardonne leur , car ils ne savent pas ce qu’ils font.

Lc XXIII, 33-34

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Premi` ere Parole

La premi`ere des Paroles pronoc´ees par J´esus sur la croix pose d’embl´ee la ques- tion centrale de la responsabilit´e de l’homme face `a son acte d´eicide. L’appel du Christ `a son P`ere pour qu’il pardonne `a ses bourreaux serait `a tort com- pris d’une fa¸con trop optimiste comme une illustration de l’infinie mis´ericorde de Dieu s’exer¸cant au del`a de toutes les transgressions humaines. En fait, si l’on pense que cet appel `a la cl´emence vient de la part de celui-l`a mˆeme qui peut pardonner, on voit que la situtation est beaucoup plus complexe, faisant indirectement allusion au myst`ere de la Trinit´e. S’agit-il d’une v´eritable suppli- cation, comme le sera sans ambiguit´e le cri de la Quatri`eme Parole “Pourquoi m’as tu abandonn´e?”. Ne faut-il pas plutˆot y voir un appel aux hommes pour que prenant conscience des injustices qui se d´eroulent sous leurs yeux, ils im- plorent le pardon pour leur manque de perspicacit´e? Il s’agit l`a des mots les moins sensibles prononc´es par le Christ, on pourrait dire les plus intellectuels de son chemin de souffrance. De ceux qui appellent d’abord `a r´efl´echir avant de s’abˆımer dans la douleur qui va suivre. R´efl´echir au probl`eme g´en´eral et insoluble de l’exercice du libre-arbitre: Dieu accepte donc de se d´etruire pour ne pas entraver la perfection de libert´e dont il a voulu doter l’homme. Cette r´eflexion est moins douloureuse qu’obs´edante et mobilise tout notre esprit. Ja- mais peut ˆetre la verset liturgique : “Ouvre les yeux de notre intelligence pour que nous comprenions ton message ´evang´elique” n’a eu plus de r´esonnance que face `a cette Parole.

Apr`es l’Introduzione si tragique dans son humanit´e, il y a quelque chose de presque rass´er´enant dans cet appel `a l’esprit, laissant pour un temps de cˆot´e l’emprise profond´ement corporelle du drame qui se joue. C’est sans doute le seul mouvement de l’œuvre -avec la Septi`eme Parole mais dans un registre compl`etement diff´erent: l`a, l’immat´erialit´e de l’esprit, ici, la rigueur du raison- nement - qui se place d´elib´er´ement dans un certain calme. Exigeant beaucoup de retenue, il est difficile `a r´eussir tant il compte peu d’effets en relief qui ne semblent r´ep´etitifs. Il faut le jouer tr`es lentement, pensivement. Haydn r´eussit admirablement le maintien d’une atmosph`ere de questionnement dynamique o`u les mouvements de croches incessants sont comme le ressassement m´editatif au dessus duquel plane l’appel insistant du Christ `a son p`ere, un appel plus confiant et sˆur que ne le seront ses supplications de “Eli, Eli. . . ” ou “Sitio”.

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Notez d’ailleurs que l’accord parfait complet qui forme le motif principal le revˆet d’une certaine s´er´enit´e, compar´e `a ce qu’il est par exemple dans la Cin- qui`eme Parole o`u l’absence de la tonique prend une allure d’´epuisement. En- tre ces reprises incessantes du motif th´ematique, le compositeur a parsem´e le mouvement de petits moments de tension comme pour mieux souligner le fait que J´esus appelle les hommes `a se tourner sans cesse vers le P`ere: ‘Si donc, m´echants comme vous l’ˆetes, vous savez donner de bonnes choses `a vos en- fants, `a combien plus forte raison votre P`ere qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses `a ceux qui les lui demandent” (Mt,VII-11). Parmi ces incises, l’une est particuli`erement mordante, dans un chromatisme grin¸cant `a l’alto et au violoncelle: nous avions choisi de caricaturer un peu cet intervalle en faisant un l´eger crescendosur ce groupe qui paraˆıt ne pas pouvoir d´ecoller du sol vers lequel s’incline la r´eponse du premier violon `a la mesure 11.

Mˆeme les chromatismes sur six degr´es n’arrivent pas v´eritablement `a ´etablir le contact avec le premier violon qui continue sa ligne imperturbable.

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Dans la deuxi`eme partie du mouvement, introduite par une s´erie de croches du violoncelle, la pri`ere se fait plus insistante et la modulation mineure autant que la tension rythmique qui se trouve dans la partie sup´erieure font un peu vaciller la calme assurance qui dominait jusqu’`a pr´esent le mouvement.

Les magnifiques mesures 50 et 51 o`u l’harmonie s’´ecarte puis se rapproche entre le premier violon et le violoncelle ´evoquent avec d´echirement une lutte intime qui tire l’homme vers le ciel ou la terre.

L’h´esitation tonale des mesures qui suivent renforce cette sensation d’opposition que le compositeur ne r´esout pas vraiment par le retour presque furtif, rien moins que victorieux, de la tonalit´e initiale `a la mesure 60.

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Cette irr´esolution va d`es lors pr´edominer jusqu’`a la fin du mouvement en resserrant les ´el´ements de l’exposition: le chromatisme sur trois croches qui s’exasp`ere l´eg`erement en passant `a l’alto seul (mesure 68 ),

les doubles-croches en sextolet du premier violon (mesure 77) qui augmentent l’atmosph`ere d’urgence, pr´elude au drame proprement dit qui pointe dans les chromatismes inquiets du second violon dans les derni`eres mesures (100 et 101).

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Et les passants le blasph´emaient, hochaient la tˆete, ils disaient: Toi qui d´efais le sanctuaire et le rebˆatis en trois jours, sauve toi toi-mˆeme, si tu es le fils de Dieu, et descends de la croix. Pareillement, les grands prˆetres se moquaient, avec les scribes et les anciens, ils disaient: Il a sauv´e les autres, il ne peut pas se sauver lui-mˆeme! Il est roi d’Isra¨el! Qu’il descende de la croix maintenant et nous nous fierons `a lui. Il s’est confi´e `a Dieu; qu’il le d´elivre, maintenant, s’il veut de lui; car il a dit: Je suis le fils de Dieu. De mˆeme l’un des bandits crucifi´es avec lui l’injuriait.

Mt XXVII, 39-44.

N’es-tu pas le Christ? sauve-toi toi-mˆeme et nous avec! L’autre le tan¸ca et lui r´epondit: Ne crains-tu pas Dieu toi qui es sous la mˆeme condamnation? Pour nous c’est justice et nous recevons ce que nous avons m´erit´e, mais lui n’a rien fait de criminel! Et il disait: Jesus, souviens-toi de moi quand tu viendras en ton royaume. Et Jesus lui dit: En v´erit´e je te le dis: aujourd’hui tu seras avec moi en Paradis.

Lc XXIII, 39-43.

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Deuxi` eme Parole

La seconde parole prononc´ee sur la Croix pourrait paraˆıtre douce et apaisante mais cette vision trop optimiste ne tient pas compte de l’exp´erience du mal r´epandu sur la terre, qui justifie et rend n´ecessaire l’œuvre de rachat op´er´ee par J´esus. Aussi, Haydn se place-t-il volontairement sous ce point de vue et refuse de voir une promesse trop concr`ete, c’est `a dire trop actuelle, comme certaines images sulpiciennes en montrent, qui transforment l’acte tragique de la r´edemption en une inclination mi`evre et apitoy´ee. Le paradis promis est une promesse d’avenir, mˆeme si l’avenir se situe aujourd’hui, au del`a d’un d´elire de douleur qui est quant `a lui parfaitement pr´esent. Cette douleur est accentu´ee dans le dialogue des deux larrons. L’un d’eux a certes encore conserv´e l’esp´erance et la foi de se tourner vers le Christ pour l’implorer, mais le deuxi`eme, fou de souffrance, se r´epand en insultes: il y a l`a comme un ´echo du meurtre d’Abel par Ca¨ın et en tous cas des cris les plus d´echirants du Psalmiste accablant de reproches le Ciel: “Tu as ´eloign´e de moi amis et compagnons, mes intimes ont disparu”. Comment entendre alors dans le calme le bon larron qui proclame que la sentence des deux brigands (et donc en particulier la sienne) est m´erit´ee? A l’autre extr´emit´e d’un long chemin de larmes, si loin `a l’horizon, point, pˆale et vacillante, la lueur d’une aube meilleure.

L’atmosph`ere de ce magnifique mouvement est imm´ediatement install´ee `a travers le long ´etirement de la sombre tonalit´e d’ut mineur. Dans un pi- ano recueilli, les noires r´ep´et´ees aux trois instruments inf´erieurs, au dessus desquelles les points sont plus un pouls que de v´eritable raccourcissements des notes, posent une sorte de solennit´e triste domin´ee par la plainte du premier violon.

Les deux croches (mesure 2) sont particuli`erement expressives et semblent ramener vers la terre sa voix en l’empˆechant de prendre un v´eritable envol.

A la septi`eme mesure, c’est mˆeme sur toute l’´etendue d’une octave et sur un rythme heurt´e que se fait sentir cette pesanteur.

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L’impression de gravit´e atteint son sommet lors de la premi`ere intervention fortequi conclut la premi`ere partie, o`u les heurts syncop´es entre la basse et les trois autres instruments soulignent l’ˆapret´e du dialogue entre les deux larrons (mesure 14).

Le contraste est alors complet avec l’extrˆeme douceur de la r´eponse qui suit dans un mi b´emol majeur lumineux. Une douceur non exempte de tristesse mais emplie d’humanit´e s’installe. Les d´eli- cats pizzicati des voix graves, peu vibr´es, ´evoquent une caresse au mˆeme titre que la tendre couleur dont se pare le th`eme majoris´e au violon.

On ne peut que rester confondu de l’effet magistral que Haydn tire de la transposition majeure de ce th`eme si simple. Et l’extraordinaire voix du second

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lent, la tendance naturelle ´etant de presser, de fa¸con `a laisser le second violon modeler la phrase selon son envie. Nous avons d’ailleurs toujours pens´e que celui-ci ne devait pas jouer trop faiblement mais assurer la conduite de toute la phrase, le premier violon venant se caler sur lui plutˆot que le contraire.

L’ensemble y gagne ainsi en clart´e et en facilit´e d’ex´ecution. Le passage `a l’archet des mouvements de noires de l’alto et du violoncelle reste dans une atmosph`ere h´esitante prolong´ee par la magnifique p´edale d’alto en croches sous la douce descente interrogative de tierces des violons `a laquelle r´epondent de plus en plus assur´ees les doubles-croches du premier violon. Il ne faut cependant pas les sentir d´ej`a trop affirmatives mˆeme dans le forte comme l’illustre par exemple le saut tendu de dixi`eme (du do au la b´ecarre grave) de la partie de violon (mesure 42) qui `a la fin du mouvement (mesure 102) se calmera en une tierce (la-fa di`ese ).

Apr`es la reprise et l’´enonc´e myst´erieux etpianodes trois r´e b´emols mena¸cants, les trois accords forte´eclatent, dramatiques.

Ne pas se pr´ecipiter sur ces accords est de bonne politique, quitte `a rallonger un peu le silence qui suit le piano pour laisser l’auditeur saisi. Observez dans ce qui suit la mani`ere toujours subtile dont Haydn ´evoque la tension croissante:

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la deuxi`eme partie du motif th´ematique devenues deux noires interrogatives (mesure 60), le tout menant `a l’exclamation forte de la mesure 63 o`u l’entr´ee du violoncelle est d´echirante.

Dans tous ces passages, on peut sentir l’ambiance d’attente angoiss´ee d’une paix qui se cherche. Le do majeur final s’en trouve d’autant plus confort´e dans la d´etente v´eritable qu’il apporte. Le forte de 91 est cette fois triomphant

et les noires des deux basses ont des accents de victoire au mˆeme titre que les splendides mouvements de doubles-croches qui concluent cette Parole. Les deux croches piqu´ees (mesures 103 et suivantes), si on y met suffisamment de

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Quand les soldats eurent crucifi´e Jesus, ils prirent ses vˆetements dont ils firent quatre parts, une pour chaque soldat, et la tunique. mais la tunique ´etait sans couture, tiss´ee d’une pi`ece depuis le haut. Ils se dirent entre eux: Ne la d´echirons pas, mais tirons la au sort. C’est pour accomplir cette ´ecriture: Ils se sont partag´es mes habits, ils ont tir´e au sort mon vˆetement. C’est ce que firent les soldats. Pr`es de la croix de Jesus, se tenaient sa m`ere la soeur de sa m`ere, Marie de Clopas et Marie-Madeleine, et son disciple Jean.

Jn, XIX,23-25.

Jesus voyant sa m`ere et, pr`es d’elle, le disciple qu’il aimait, dit `a sa m`ere:

Femme, voici ton fils. Puis il dit au disciple: Et toi, voici ta m`ere.

Jn XIX, 26-27.

(24)

Troisi` eme Parole

Les paroles prononc´ees par J´esus sur la Croix sont d’une tr`es grande simplicit´e.

Par le choix des mots. Parce qu’elles se rattachent `a ce qui est au plus profond de nous, `a ce qui constitue la fibre la plus primaire et la plus originelle de notre ˆetre. Rien d’un programme grandiose ou d’une liste de slogans. Il y a ind´eniablement quelque chose de l’enfant qui souffre dans le Christ supplici´e.

L’Enfant-J´esus est de tous temps apparu comme la forme la plus poignante de la repr´e-

sentation divine dans l’art du christianisme et la souffrance d’un enfant est le plus terrible des spectacles qu’il soit donn´e de voir. Les grands r´evolt´es de la litt´erature, aussi bien Rieux qu’Ivan Karamazoff se sont oppos´es au Ciel en lan¸cant `a sa face la douleur d’un enfant comme un soufflet rageur. Face `a cette souffrance, il y a la torture d’une m`ere. Dans l’infinie douceur de son ˆame, le Christ prend sur lui la peine de sa m`ere en lui confiant le disciple aim´e. Cette derni`ere appelation est elle-mˆeme magnifique de tendresse: il fut possible au Christ de ch´erir tout sp´ecialement l’un des disciples (Jean dans l’interpr´etation traditionnelle) au point de l’avoir pour fr`ere. Ici, plus que jamais, J´esus se conduit en enfant et on pourrait dire qu’il a la na¨ıvet´e conqu´erante que donne la puret´e. Pour un enfant en effet, sa m`ere est la r´ef´erence absolue en mati`ere d’amour. Son d´esir naturel est de mettre dans la sph`ere et sous la protection maternelles toutes les inclinations qui naissent dans son cœur. Se fondent en elle dans une inexprimable douceur tous les heurts de la passion, toute la m´elancolie de la d´esillusion, toute la joie de la lumi`ere.

On s’en doutera rapidement, ce mouvement est le plus d´elicat techniquement de tout le cycle. La sensation physique de douceur est tr`es difficile `a faire ressortir et la terrible tonalit´e de mi majeur, tellement fragile dans sa lumi`ere diffuse, n’est gu`ere propice aux istruments `a cordes! L`a est donc le d´efi: arriver

`

a jouer ce mouvement avec une gravit´e l´eg`ere.

Apr`es les trois accords initiaux, l’´enonc´e du th`eme r´epartissant les trois notes de l’accord parfait sur les deux groupes d’instruments installe le balancement caressant prolong´e par les deux noiressolodu violoncelle `a la quatri`eme mesure.

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Comme un serrement de cœur, le forte de la mesure 11 est retenu et relˆach´e tr`es vite comme celui qui pr´ec`ede le point d’orgue.

Dans le superbe dialogue qui suit, o`u les syncopes du premier violon surench´erissent de tendresse exalt´ee au dessus du pouls r´egulier du second violon et de l’alto,

la tension ne s’accroit que par la ligne m´elodique et jamais par la nuance qui reste confin´ee dans unpianofr´emissant mˆeme si une l´eg`ere inflexion vers le haut suit la phrase pour redescendre `a partir du fa de la mesure 25. Magnifiques de suavit´e sont aussi les trois appels de deux noires ´emis par le violoncelle.

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La justesse de tous les mouvements de croches qui suivent est d´elicate `a r´ealiser d’autant que Haydn joue sur le contraste entre ligne descendante et ascendante.

Cependant, malgr´e cet ´ecart`element qui atteint deux octaves `a la mesure 31

`

a l’alto et au violoncelle, le mˆeme calme et la mˆeme couleur se perp´etuent.

Ceci est encore plus difficile `a faire dans l’alternance rythmique entre les deux groupes d’instruments:

(27)

Il faut jouer tr`es en mesure et en mˆeme temps ˆetre absolument immobile pour que sorte une sensation d’apesanteur. C’est une aide pr´ecieuse que de prolonger g´en´ereusement le soupir qui pr´ec`ede ce passage (au deuxi`eme temps de la mesure 40). D’une mani`ere g´en´erale, toutes les valeurs br`eves (croches) ou les points sur les notes gagnent `a ˆetre pens´es tr`es larges, comme les points du premier violon `a la mesure 46 ou ses doubles-croches en 49.

Les derni`eres mesures avant la reprise flottent entre ciel et terre sous les arp`eges du violoncelle et les syncopes des violons.

Le beau rythme de la partie d’alto (mesures 53 `a 56) ajoute encore `a cette suspension.

La seconde partie du mouvement s’ouvre alors dans une atmosph`ere plus ten- due o`u les arp`eges du violoncelle sous-tendent les appels angoiss´es de l’alto.

Le compositeur joue alors avec une bouleversante simplicit´e des ambiguit´es de tonalit´e, pour mieux mettre en relief la douleur sourde ´etreignant le cœur de

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en un sombre fa di`ese mineur.

C’est l`a le paroxysme du mouvement qui va impr´egner de tension pendant de longues mesures le climat. La longue transition syncop´ee, prend cette fois une plus grande ampleur et ne semble se r´esoudre qu’apr`es un combat serr´e o`u la victoire du mi majeur (`a la mesure 99) reste modeste.

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le d´ebut de cette Parole ne reviendra plus, marqu´ee par l’exp´erience de la douleur exprim´ee dans la splendide inclinaison des mesures 119-120 (admirez le path´etique do b´ecarre `a la mesure 120).

Les deux accordsfortequi ponctuent le mouvement affirment le triomphe final de l’amour.

(30)

A la neuvi`eme heure Jesus clama `a pleine voix: Eli, Eli, lama sabactani ce qui veut dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonn´e?

Mc XV, 34.

(31)

Quatri` eme Parole

Dieu peut-il s’abandonner lui-mˆeme? Ce paradoxe insupportable nous est jet´e en pleine face par l’immense cri de douleur pouss´e par le Fils de l’Homme sur la Croix. C’est l’instant o`u il revˆet le plus pleinement la condition humaine, acceptant de souffrir au point de renoncer `a sa divinit´e. Ces mots brˆulants sont sur les l`evres de tout homme au plus profond de son d´esespoir. Nulle once de lumi`ere ne p´en`etre ce moment solennel qui cristallise la longue liste des malheurs humains. Le Dieu d’amour y supprime l’amour par amour, parce que la souffrance du Juste est `a ce point insupportable qu’il faut logiquement laisser triompher l’absurde pour que la destin´ee humaine puisse retrouver un sens en s’´eveillant de son horrible torpeur. Aussi ce mouvement est-il le plus terrestre de tous, celui o`u dans un d´epouillement extrˆeme, notre sensibilit´e est mise constamment en ´eveil par Haydn qui ´ecrit la page la plus noire de son œu- vre. Il faut vraiment vivre physiquement ce mouvement, dans un d´echirement permanent sans un instant de r´epit. C’est un moment qui fait ´echo aux terri- bles heures du Jardin des Oliviers o`u le Christ implore Dieu pour que le calice o`u il va ˆetre sacrifi´e s’´eloigne de lui. La musique de Haydn nous ram`ene sans cesse `a son d´echirement: “Vous n’avez pu veiller une heure avec moi”. A son angoisse: “Mon ˆame est triste jusqu’`a la mort”. C’est un mouvement d’un bloc taill´e au couperet dont la structure massive semble `a elle seule ´evoquer le Golgotha. La seule des Paroles qui se termine sans modulation majeure, dans un g´emissement d’agonisant.

Les deux groupes de cinq temps formant le th`eme posent d’embl´ee le fa mineur tragique qu’ accentue l’appogiature des deuxi`eme et quatri`eme mesures.

Nous l’avons toujours faite tr`es br`eve pensant mieux ´evoquer ainsi une douleur vive et brutale, une brˆulure. De mˆeme dans le passage qui suit, l’admirable d´ecalage d’un temps entre le premier violon et les autres instruments (mesures 6 et 7) apparaˆıt comme un rˆale d´esesp´er´e. Dans notre id´ee, la version majeure de la mesure 15 doit garder la mˆeme violence et ne saurait ˆetre con¸cue comme un ´eclairage positif mais au contraire comme un coup de projecteur lanc´e avec

(32)

le Christ est plong´e dans le d´esespoir (magnifique d´enuement de la phrase de violon), la foule, d’apr`es l’Evangile selon Matthieu, se moque de lui.

On peut retrouver ce contraste dans les deux d´eparts `a contre temps de la phrase de violoncelle (mesures 44 et suivantes), sortant de nulle part, soulign´es avec duret´e par l’entr´ee des autres instruments. Pour toutes ces entr´ees, les sforzandi forment une sortent de comp´etition acharn´ee pour les d´eparts de fa¸con `a ce que pendant plusieurs mesures l’auditeur perde compl`etement la notion du temps fort. Apr`es la reprise, le sol b´emol majeur apparaˆıt comme une tentative d’ouverture vers l’apaisement, mais celle-ci ´echoue d`es la cinqui`eme mesure c’est `a dire d`es l’´enonc´e du th`eme o`u reprend plus ˆapre encore cette

´

echelle de douleur qui marche apr`es marche s’´el`eve jusqu’aux deux accords qui la ponctuent. Toujours plus incertaine, la phrase `a contre courant du violon est ´enonc´ee `a deux reprises (mesures 66 et 68), prolong´ee avec encore plus d’h´esitation par les trois instruments. L’entr´ee splendide de l’alto (mesure 73) gagne `a ˆetre soulign´ee, pas troppianode fa¸con `a pouvoir pr´eparer le pont o`u les deux paires d’instruments g´emissent `a tour de rˆole plutˆot qu’ils ne dialoguent.

Les deux instruments graves notemment doivent jouer tr`es doucement, `a la pointe, dans un souffle pour qu’il n’y ait pas de diff´erence sensible quand le premier violon se retrouve seul. Notre choix a ´et´e d’amener le retour du th`eme par un grand crescendo au violoncelle sur une mesure (mesure 78), partant de la nuance du violon et arrivant `a celle du d´ebut du mouvement: l’effet est saisissant et mˆeme effrayant les “bons” jours.

(33)

Le retour du th`eme peut cependant ˆetre senti un peu contenu (seulementforte) de telle sorte que la mont´ee qui le suit et lefortissimofinal (mesure 87) o`u l’alto et le violoncelle donnent toute leur puissance balayent tout sur leur passage:

peu importe ici la beaut´e du son, il faut arracher la corde. Le contraste n’en est que plus impressionnant quand le violon prend seul la parole, ponctu´e d’abord par les interventions de continuo au violoncelle puis au second violon (mesure 100), qui font penser aux basses continues de Vivaldi,

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puis abandonn´e seul dans un tourbillon qui am`ene `a la limite du d´elire. Jusqu’au bout du mouvement, les quatre instruments semblent alors se s´eparer de plus en plus (admirable disjonction des parties de second violon et de violoncelle `a la mesure 120),

marquant dans l’´eclatement de la ligne m´elodique l’humilitation du Dieu fait homme et la plainte du Psalmiste:“Mes familiers sont les t´en`ebres”.

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Apr`es quoi Jesus sachant que tout ´etait fini, dit pour accomplir l’´ecriture: J’ai soif.

Jn XIX, 28.

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Cinqui` eme Parole

Il s’agit l`a du mouvement le plus fascinant du cycle par l’ing´eniosit´e avec laquelle le compositeur va illustrer l’aridit´e d´esol´ee qui entoure le crucifi´e et la cruaut´e de la d´erision dont il est l’objet. Ce besoin que manifeste le Christ,

“J’ai soif”, d’une simplicit´e extrˆeme, ´enonc´e sans autre fioriture comme la plainte paisible d’un enfant qui a mal, est mis en contraste avec la duret´e, arrogante dans sa bonne conscience, qui triomphe `a bon compte du mis´erable.

Cette sc`ene n’est pas sans faire penser `a l’ironie mordante avec laquelle les sculpteurs de la cath´edrale de Strasbourg ont repr´esent´e l’Eglise hautaine et pr´etentieuse, drap´ee dans une suffisance ´etouffante et la Synagogue, belle et fragile, d’une humilit´e compl`ete et soumise. Car l`a est bien le sens profond de cet appel sur la Croix: cette humiliation du Fils de l’Homme qui souffre dans sa chair nous force `a constater au mieux notre incapacit´e et au pire notre refus d’accorder une parcelle d’attention - au sens propre, comme au figur´e, une goutte d’eau - `a son corps meurtri. Cette soif qu’´evoque J´esus est naturellement une soif d’amour, non pas tant envers lui d’ailleurs qu’entre les hommes. Et c’est d’une voix suppliante que cet appel retentit dans le d´esert bruyant d’une humanit´e qui s’agite comme Marthe et perd le contact avec le sens de sa vie dans ce tumulte. Depuis les d´ebuts de l’art occidental chr´etien sur les porches des ´eglises romanes, la vision de l’enfer est bruyante, en opposition avec la qui´etude des cloˆıtres. Cela semble en parfaite conformit´e avec le calme assourdissant et la simplicit´e de la Parole de vie oppos´ee au paroxysme barbare et guerrier de la violence des hommes.

Haydn choisit logiquement de construire le mouvement entier sur la succession des oppositionspianoetfortemarquant le d´enuement du Christ et la brutalit´e des assistants. Deux accords `a l’unisson introduisent la sc`ene, d’une mani`ere th´e-

atrale, annon¸cant d`es le lever de rideau qu’elle sera une confrontation violente.

C’est par une tr`es longue succession de pizzicati qu’est camp´ee l’aridit´e de l’atmosph`ere. A l’ex´ecution, celle-ci doit ˆetre perceptible physiquement ce qui impose de ne pas trop laisser r´esonner les pizzicati (ne pas trop vibrer en particulier). Les interventions du violon r´ealis´ees sans aucun vibrato sont particuli`erement saisissantes et doivent donner `a l’auditeur la sensation du souffle ti`ede d’un rˆale.

(37)

Le point d’orgue tr`es long paraˆıt ´epuiser les derni`eres forces et va jusqu’`a la limite du son. Comme on le voit, ce mouvement joue ´enorm´ement des effets de sonorit´e (jeu sur la touche, ´eventu-

ellementsul ponticello). Lefortequi enchaˆıne `a la mesure 18 gagne `a ˆetre pris l´eg`erement plus vite pour que les croches des violons et les mouvements de noires du violoncelle qui d´emarrent `a contre-temps paraissent plus heurt´ees

et que le contraste avec le retour des pizzicatiqui viendra plus loin `a la mesure 79 soit encore plus net. Les clameurs de l’alto pendant ce passage (mesures 19,21. . . ) doivent cependant faire r´ef´erence explicite au th`eme principal ce qui exige que le mouvement g´en´eral reste tout de mˆeme `a l’int´erieur de limites raisonnables. L’alto peut faciliter la tˆache en jouant tr`es tard le changement de note (entre la blanche et la noire) ce qui maintiendra le caract`ere implorant du th`eme. Il lui revient aussi de faire ressortir avec insistance sa magnifique intervention des mesures 28 et 29,

(38)

subitement interrompue par les croches piano du violon sous lesquelles g´emit le second violon rattrap´e par l’alto puis le violoncelle dans un splendide mou- vement de fusion aux chromatismes path´e- tiques. Observez dans la deuxi`eme exposition de cette phrase le tr`es beau contre-chant du second violon r´epondant

`

a la plainte de l’alto (mesure 44 et suivantes).

L’envol des longues gammes chromatiques vers la lumi`ere d´etend le climat et leforte( mesure 61) qui conclut la premi`ere partie est porteur d’espoir (l’´elan donn´e par les deux groupes croche point´ee-double est presque teint´e de joie).

Les treize mesures qui suivent la barre de reprise sont admirables de densit´e.

La violence atteint imm´ediatement un paroxysme avec les premi`eres croches des violons; elles prennent de l’ampleur en passant pour la premi`ere fois aux basses (mesure 68).

(39)

Encore plus saisissant apparaˆıt le forte subitode la mesure 88 apr`es une nou- velle exposition des s´eries de pizzicati.

Le tempo pose l`a un probl`eme insoluble: faut-il jouer la partie forte sensible- ment plus vite comme dans l’exposition malgr´e l’absence cette fois d’un point d’orgue assurant une rupture? Nous l’avons toujours fait par logique mais aussi parce que le contraste nous semblait renforc´e. D’autres choix sont sˆurement possibles, comme celui consistant `a reprendre plus rapidement les pizzicati `a la mesure 79 que nous avons entendu r´ealiser plusieurs fois. Dans cette haras- sante marche vers la lumi`ere - la sensation d’une travers´ee physique du d´esert est assez juste- il convient de marquer le crescendo orchestral qui am`ene au fortissimo. Il ressort d’autant mieux que l’on insiste sur le changement de liaison indiqu´e `a la mesure 102:

deux mesures immobiles li´ees par quatre croches puis un d´etach´e de plus en

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dans cette s´er´enit´e solennelle.

(41)

Quelqu’un courut remplir une ´eponge de vinaigre, la mit au bout d’un javelot et lui donna `a boire en disant: Laissez, voyons si Elie vient le descendre.

Mc XV, 36.

Quand Jesus prit le vinaigre, il dit: Tout est accompli.

Jn XIX, 30.

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Sixi` eme Parole

Il appartenait `a cette parole d’accomplissement de recevoir de la part de Haydn la musique la plus grandiose du cycle. Ce mouvement atteint en son centre une dimension symphonique v´eritablement stup´efiante.

La liturgie de Saint-Jean Chrysostome proclame au moment de la pr´eparation:

La nuit o`u il fut livr´e, ou plutˆot o`u il se livra lui-mˆeme pour la vie du monde. . . ”. Et c’est de cela qu’il s’agit dans ce cri: un m´elange `a la fois de soumission `a la volont´e aimante du P`ere, aimante jusqu’`a la d´echirure de l’ˆame et d’´ecroulement victorieux dans la mort. Dans la Gen`ese, c’est la lumi`ere que Dieu cr´ee en premier lieu pour annoncer la victoire sur le chaos. On peut dire que l’exclamation du Christ sur la Croix est le pendant de cette cr´eation: il faut que l’homme retrouve un moment le chaos, celui dans lequel le fait entrer la mort de Dieu, pour qu’il prenne conscience de l’amour infini du P`ere. L`a se situe la quintessence de la mission cosmique que le Christ est venu accomplir sur la terre et l`a se trouve la source contradictoire de toutes les tensions dont le compositeur va emplir sa musique. Il faut aborder ce mouvement dans cet esprit; apr`es ˆetre pass´e par tous les stades de l’amour et de la douleur, toutes les passions humaines sont balay´ees et ne reste plus en surface que la lutte pour la lumi`ere. De ce fait, plus que toutes les autres, cette Parole est translucide dans sa violence et sa majestueuse grandeur.

D`es les premiers accords, l’unisson en sol mineur installe le climat. On peut le jouer avec une extrˆeme concentration d’archet en ne craignant pas un son un peu ˆapre: ce n’est pas ici un endroit o`u se pr´eoccuper de la rondeur de la couleur.

Mˆeme dans les ´echanges piano qui suivent, il est bon de garder la tension, sp´ecialement dans les mouvements de croches, comme on exposerait une plaie:

c’est l’amertume du vinaigre pr´esent´e au Christ qui doit ressortir imm´ediatement et le forte du nouvel unisson (mesure 11) n’est qu’une affirmation et non une rupture de ce qui pr´ec`ede. Le contraste avec la partie majeure qui suit, s’il

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comme un signe d’espoir). Le Christ consent certes au sacrifice mais ceci ne suffit pas `a combler la faille ouverte par la brutalit´e de la situation. L’unique moment de vraie d´etente est l’instant o`u les violons se rejoignent `a la tierce (mesure 17).

Les mesures de violon qui suivent (mesures 31) o`u la phrase h´esite au dessus des croches plutˆot ˆapres des autres instrument semblent l`a pour le prouver. C’est un pi`ege tentant que de penser trop d´etendue la fin de la premi`ere partie et en particulier les croches piqu´ees du premier violon (mesures 38 et 39). Mieux vaut les faire pesantes en ´elargissant le fortepiano, peut ˆetre pas lourdes de menace pour qu’elles ne soient pas “cousues de fil blanc” mais en tous cas expectatives, questionnantes.

Apr`es la reprise, la deuxi`eme partie s’ouvre par une sorte de faux ´elan o`u le second violon et l’alto prennent l’initiative de relancer le mouvement, initiative qui n’aboutit pas.

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bataille. La meilleure solution que nous avons trouv´ee est de rester “neutre”, c’est `a dire d’accepter pour quelques mesures de jouer ennuyeux, sans effet.

La rupture d’atmosph`ere sera ensuite d’autant plus spectaculaire. C’est au violoncelliste que Haydn a confi´e le d´eclen- chement de la tempˆete. Avec le magnifique r´e b´emol de la mesure 49, on entre de plain pied dans une autre dimension.

Il doit tomber comme un coup de hache, faire voler en ´eclats toute la fausse tranquillit´e qui pr´ec`ede et pr´eparer l’explosion qui suit. Cette partie se joue

`

a plein son, surtout sans presser, en essayant - et c’est difficile - de ne pas ˆ

etre submerg´e par ses ´emotions in´evitables. Il est particuli`erement important d’´enoncer tr`es `a la corde les doubles-croches, les deux points soulignant leur caract`ere incisif. Le plus dur est ensuite de g´erer l’apaisement qui se fait en peu de mesures:

lepiano de la mesure 64 marque plutˆot le d´ebut d’un rapidedecrescendo pour laisser le temps `a l’auditeur d’´evacuer une partie de la tension. Le sol majeur

(45)

l’autre cˆot´e, dans son royaume o`u Dieu essuie toute larme de ses yeux. Et le dernier ´echo pianissimo(mesure 95), jou´e sans vibrato, du th`eme “Consuma- tum est” est une promesse de r´edemption, tonn´ee dans les doubles croches victorieuses qui le suivent `a la mesure 97.

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C’´etait d´ej`a environ la sixi`eme heure et il y eut des t´en`ebres sur toute la terre jusqu’`a la neuvi`eme heure, le soleil se voila et Jesus vocif´era `a grande voix:

P`ere je remets mon esprit entre tes mains. Et ce disant, il expira.

Lc XXIII, 44.

Et voici que le rideau du sanctuaire se fendit en deux par le milieu de haut en bas, la terre s’ouvrit et les rochers se fendirent.

Mt XXVII, 51.

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Septi` eme Parole

Dans tous les textes des Evangiles, le Christ insiste sur le rapport d’amour qui lie les hommes au P`ere. La pri`ere qu’il leur a appris, le “Notre P`ere” est un h´eritage culturel du juda¨ısme auquel la tendresse du Fils de l’Homme ajoute un appel ´emu `a ´elever notre cœur vers Dieu dans une rencontre personnelle.

Cette septi`eme et derni`ere parole est alors la plus intime de toutes comme l’´echo du dialogue entre un fils et son p`ere vers lequel il va s’en retourner, son œuvre accomplie. Loin derri`ere lui sont d´ej`a tous les tourments et toutes les larmes vers´ees, toutes les d´esillusions, toutes les souffrances et toutes les trahisons. Dans ce calme extraordinaire, surnaturel au sens plein du terme, l’esprit de J´esus est parti vers le Royaume aupr`es de sa source vive.

Aucun ´eclat dans ce mouvement jou´e avec sourdines dans un climat en mi- teinte.

Toute la noblesse de la premi`ere phrase est `a la fois tr`es affirmative et d’une douceur sans ´egal et l’instant o`u les deux violons se rejoignent `a la mesure 8 est cristallin.

On ne le joue jamais assez l´eger, a´erien. Il faudrait que tous ces moments aient l’air immat´eriels dans une sonorit´e diaphane. Les ponctuations des basses restent tendres et assur´ees comme le baiser d’un p`ere. Dans la mˆeme veine,

(48)

`

a partir de la mesure 12 am`ene un ´el´ement irr´esolu, ce n’est qu’un vague et lointain ´echo du tumulte des mouvements pr´ec´edents.

Pour cette raison, il nous semble juste de ne pas jouer trop brusquement les sforzandi dont ce mouvement est parsem´e ou, par exemple, trop g´emissant le chromatisme du second violon et de l’alto `a la mesure 22;

il s’agit simplement d’une insistance un peu plus marqu´ee.

A peine le pouls doit il l´eg`erement s’acc´el´erer dans la deuxi`eme partie, l`a o`u un assombrissement en mi b´emol mineur fait passer un fugitif nuage (mesure 45) .

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Il faut dans la suite r´eussir `a ce que le premier violon apparaisse de plus en plus d´econnect´e tel l’esprit de J´esus s’´eloignant de plus en plus de la terre. On doit se laisser porter par l’´ecriture de la phrase, avant tout dans cet instant magique (mesure 56 et suivantes) o`u le premier violon plane litt´eralement au dessus des autres instruments dans un rythme d´ecal´e qui ´evoque des battements d’ailes.

Les croches d’accompagnement gagnent `a ˆetre courtes, avec rebondissement,

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battements et du dernier appel. Amen´es par une magnifique marche de l’alto et du violoncelle (mesures 69 et suivantes), les ´echanges se font pressants et les longues tenues essayent de capturer la ligne du violon

qui s’´echappe d´efinitivement `a la mesure 81. Les quinze derni`eres mesures sont d’une d´elicatesse extrˆeme. Plus rien ne doit bouger, `a peine une ride `a la surface de l’eau.

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un ´echo d’´echo, sans expression. Les croches du violoncelle (mesure 92), puis celles de l’alto, jou´ees `a l’extrˆeme pointe sur la touche, les pizzicatides violons jou´es en posant juste le doigt sur la corde, ach`event d’ˆoter `a l’ambiance toute pesanteur.

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Il Terremoto

Au cours du cycle, la tension s’est accumul´ee. Malgr´e des phases locales d’accalmie, le caract`ere tragique du supplice auquel est soumis le Christ reste au moins pr´esent en filigrane. On aurait pu penser, vu le calme qui habite la fin de la Septi`eme Parole que Haydn choisirait d’achever l’œuvre sur cet espoir de r´edemption tant le pardon paraissait alors accord´e. Mais, on l’a d´ej`a soulign´e

`

a plusieurs reprises, la composition s’inscrit dans une dimension humaine et l’esprit l’ayant quitt´e, le corps de J´esus reste l`a sur la Croix, inanim´e et horri- blement mutil´e, t´emoin de la nuit et de la d´esolation du meurtre. Dieu vient de mourir et avec lui le sens de toute chose dans une cr´eation abandonn´ee `a elle-mˆeme, `a la d´erive vers l’in´evitable pr´ecipice.

Si la version pour quatuor `a cordes peut un peu souffrir de l’absence d’instruments puissants, (comme par exemple les cuivres de la partition orchestr´ee) dans le tableau violent et ravageur du tremblement de terre, l’effet produit peut ˆetre malgr´e tout tr`es impressionnant. Contrairement `a ce qu’on pourrait croire na¨ıvement, ce n’est pas n´ecessairement en le jouant le plus vite possible qu’on atteint un tel but, la vitesse ayant souvent le d´efaut de diminuer la concen- tration d’archet, mais plutˆot en jouant tr`es ensemble, en ajoutant de grands mouvements d’ensemble dans la dynamique et en ne pressant surtout pas.

Chaque note doit ˆetre ´ecrasante: les rythmes point´es haletants, jou´es comme avec rage, en particulier les successions deux triples-croche point´ee (mesure 64);

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Chercher en quoi que ce soit `a avoir un “beau son” dans ce final est un contre sens: il ne s’agit pas de faire n’importe quoi mais d’admettre que les asp´erit´es font partie int´egrantes de l’atmosph`ere cherch´ee. L’arrachement des derni`eres s´eries de triolets (mesure 115) et des quatre derni`eres noires doit accabler l’auditeur comme une pluie d’orage.

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