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Maladies chroniques et inégalités sociales de santé en soins premiers – Partie 2

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Maladies chroniques et inégalités sociales de santé en soins

premiers – Partie 2

Rappels

Les inégalités sociales de santé (ISS) sont définies comme un gradient de morbi-mortalité distribué le long de l’échelle sociale. L’objectif principal de cette étude était de décrire la relation entre des maladies chroniques prévalentes en soins premiers (addiction au tabac ou à l’alcool, maladies cardiovasculaires, hypertension artérielle (HTA), asthme, autres maladies respiratoires) et des indicateurs socioéconomiques, au sein d’une popula- tion adulte consultant en médecine générale en Aquitaine en 2015.

L’objectif secondaire était de décrire les prévalences de ces maladies chroniques dans la même population. Les hypothèses étaient que certains indicateurs socioéconomiques étaient associés à la présence de maladies chroniques en région Aquitaine. Les prévalences de troubles d’usage d’alcool et de tabac seraient plus importantes en médecine générale que celles d’autres maladies chroniques plus facilement identifiées comme telles. Le contexte et la méthode ont été présentés dans un précédent article [1]. Celui-ci présente les résultats.

Résultats

Description de l ’ échantillon

Au total, 473 questionnaires ont été analysés sur les 510 remplis par des patients volontaires. Trente-sept sujets ont été exclus parce qu’ils ne répondaient pas aux critères d’inclusion. L’échantillon comportait 67,4 % de femmes. Les participants étaient âgés de 18 à 90 ans, avec un âge médian de 42 ans et un écart interquartile (ITQ) de 33 à 55 ans. La description de l’échantillon est présentée dans le tableau 1. Deux tiers de l’échantillon (65 %) avaient un emploi. Quarante-huit pour-cent des participants avaient un niveau d’étude supérieur au baccalauréat. Soixante et un pour-cent des participants étaient propriétaires de leur logement et 74 % vivaient en couple.

Prévalences des maladies chroniques

Les troubles liés à l’usage d’alcool ou de tabac étaient plus fréquemment rapportés que d’autres maladies chroniques comme l’HTA, l’asthme ou le diabète(tableau 2).

Concepts

CONCEPTS ET OUTILS

ÉDECINE

Katia Malazovic1, Charlotte Rychen2, Géraldine Vandersnickt2, Yves Montariol2, Shérazade Kinouani2,3

1Departement de medecine generale, Universite de Bourgogne, Dijon

2Departement de medecine generale, Universite de Bordeaux

sherazade.kinouani@u-bordeaux.fr

3Centre INSERM U1219, Population Health, Case 11, 146 rue Leo Saignat, CS61292, 33076 Bordeaux Cedex

Tires à part : S. Kinouani

Résumé

Notre objectif était de décrire la rela- tion entre des maladies chroniques (dépendance au tabac, mésusage d’al- cool, maladies cardiovasculaires, HTA, maladies respiratoires, asthme) et des indicateurs socioéconomiques, en médecine générale. Nous avons réalisé en 2015 une étude observationnelle transversale descriptive en Aquitaine, avec analyse par régression logistique multivariable. 473 patients ont été inclus. 46,8 % avait un probable mésusage d’alcool ; 41,9 % une pro- bable dépendance au tabac ; 13,8 % étaient hypertendus ; 13,6 % décla- raient un asthme. En analyse multi- variable, il existait une association entre la dépendance probable au tabac et certains indicateurs socioéconomi- ques.

La dépendance probable au tabac paraît suivre un gradient social chez les patients de médecine générale, en devenant plus fréquente à mesure que la position sociale baisse.

Mots clés

inégalités devant les soins ; maladie chronique ; tabagisme.

Abstract. Chronic diseases and health social inequalities in primary

healthcare–Part 2

We aimed to describe the relationship between some chronic diseases (tobacco addiction, alcohol abuse, car- diovascular diseases, hypertension, respiratory diseases, and asthma) and some socioeconomic indicators in general practice. We realised a des- criptive cross-sectional observational study conducted in Aquitaine, with logistic multiple regression analysis.

473 patients were included in the study. 46.8% had a probable alcohol

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misuse, 41.9% a probable tobacco addiction. 13.8% suffered from high blood pressure; 13.6% declared asthma. In multivariate analysis there was an association between probable dependence on tobacco and some socioeconomic indicators.

Probable tobacco addiction seems to be following a social gradient in general practice patients, becoming more frequent when social status decreases.

Key words

health social inequalities; chronic disease; smoking.

DOI: 10.1684/med.2018.332

Relation entre les indicateurs socioéconomiques et les maladies chroniques

* L’HTA et les maladies cardiovasculaires

En analyse bivariable, il y avait une association significative entre la présence déclarée d’HTA et certains indicateurs socioéconomiques. Avant ajustement, la probabilité de déclarer une HTA était statistiquement plus significative chez les inactifs (p = 0,036) et chez les propriétaires de leur logement (p = 0,023). Après ajustement sur l’âge et le sexe, il n’y avait plus aucun indicateur statistiquement associé à la présence déclarée d’une HTA. Les autres maladies cardiovasculaires et le diabète n’ont pu être étudiés par manque de puissance.

Tableau 1.Description des patients inclus dans létude e-TAC, n = 473 [1, 2].

Caractéristiques Effectif %

Sexe

Homme 152 32,6

Femme 314 67,4

Âge (en classes)

[18-25 ans] 50 10,8

[25-34 ans] 85 18,3

[35-44 ans] 123 26,5

[45-54 ans] 86 18,5

55 ans 120 25,9

Zone de vie

Rurale 132 28,1

Urbaine 338 71,9

Situation vis-à-vis de l’emploi

Actif 295 64,8

Apprenti ou étudiant 18 3,9

Chômeur 33 7,3

Retraité 69 15,2

Parents au foyer ou en congé parental 19 4,2

Autre 21 4,6

Profession et catégorie sociale

Agriculteur exploitant, artisan, commerçant, chef d’entreprise 29 6,9

Cadre, profession intellectuelle supérieure 74 17,6

Profession intermédiaire 51 12,1

Employé 228 54,3

Ouvrier 30 7,2

Sujet n’ayant jamais travaillé 8 1,9

Niveau d’études

Primaire 11 2,5

Secondaire 1ercycle 83 18,5

Secondaire 2ecycle 134 29,8

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* Les maladies respiratoires

Dans notre analyse bivariable, il y avait une association statistiquement significative entre la présence déclarée d’un asthme et le statut face au logement (p = 0,011).

Cette association disparaissait après ajustement sur l’âge et le sexe. Il n’existait aucun lien statistique entre le fait de déclarer une maladie respiratoire autre que l’asthme et les indicateurs socioéconomiques en analyses bivariable et multivariable.

* La dépendance probable au tabac

Il existait une association statistiquement significative entre la dépendance probable au tabac (CDS-5 16) et certains indicateurs socioéconomiques en analyse

bivariable (tableau 3). Comparativement aux actifs, les chômeurs avaient une probabilité plus importante de présenter une dépendance au tabac. Ceux qui n’avaient jamais travaillé avaient une probabilité plus importante que les agriculteurs, les artisans, commerçants, chefs d’entreprise ou les professions intermédiaires d’avoir une dépendance au tabac. Enfin, comparativement à ceux étant propriétaires de leur logement, la probabilité d’avoir une dépendance au tabac était plus importante chez les locataires ou chez ceux qui vivaient chez quelqu’un, en squat, dans un foyer, dans la rue, etc. Après ajustement sur l’âge et le sexe, l’association entre la dépendance probable au tabac et ces variables restait statistiquement significa- tive (tableau 3). Il n’y avait pas d’autre association statistiquement significative en analyse multivariable.

Caractéristiques Effectif %

Supérieur 217 48,3

Autre 4 0,9

Situationfinancière ressentie

Vous êtes à l’aise 57 12,6

Ça va 186 41,1

C’est juste il faut faire attention 163 36,1

Vous y arrivez difficilement 46 10,1

Statut face au logement

Propriétaire 275 60,8

Locataire 142 31,4

Autres : être hébergé, vivre en foyer,etc. 35 7,7

Situation familiale

Célibataire sans enfant 61 13,4

Célibataire avec enfants 26 5,7

En couple 334 73,6

Veuf(ve) ou divorcé(e) 33 7,3

Tableau 2.Prévalence des maladies chroniques dans l’étude e-TAC ; n = 473.

Maladies chroniques Effectif % IC 95 %*

Probable mésusage de l’alcool (AUDIT-C anormalb) 218 46,8 43,3-51,4

Probable dépendance au tabac (CDS-5y16) 92 41,9 35,4-48,4

Hypertension artérielle 63 13,8 10,6-17,0

Asthme 62 13,6 10,4-16,7

Autres maladies respiratoires 30 6,6 4,3-8,8

Autres maladies cardiovasculaires 23 5,0 3,0-7,0

Cancers 16 3,5 1,8-5,2

Diabète 16 3,3 1,6-4,9

bUn usage problématique dalcool au score de lAUDIT-C lorsquil est4 chez lhomme età 3 chez la femme.yCDS-5 : Cigarette Dependance Scale 5-item.

Tableau 1.(Suite)

Concepts|Maladies chroniques et inégalités sociales de santé en soins premiers2epartie

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* Le mésusage probable d’alcool

En analyse bivariable, aucun facteur socioéconomique n’était associé au mésusage probable d’alcool, sauf le sexe (p = 0,025). Il n’y avait aucune variable associée au mésusage d’alcool après ajustement.

Discussion

Après ajustement, une association statistiquement signi- ficative a été retrouvée entre la dépendance probable au tabac et certains indicateurs socioéconomiques : la pro-

fession et la catégorie socioprofessionnelle (PCS), le statut face à l’emploi et celui face au logement. Aucune association n’a été retrouvée en analyse multivariable entre les indicateurs socioéconomiques et les maladies respiratoires ou le mésusage d’alcool. Les troubles liés à l’usage d’alcool et de tabac étaient plus fréquemment déclarés que d’autres maladies chroniques cardiovasculai- res, respiratoires ou cancéreuses dans notre échantillon.

Limites et forces

Notre étude comportait des biais qui nécessitent d’être exposés. En premier lieu, un choix dans les indicateurs de Tableau 3.Relation entre la présence dune dépendance probable au tabac et la situation sociale dans létude e-TAC avant et après ajustement, n = 473.

Caractéristiques OR brut (IC 95 %) OR ajusté (IC 95 %)

Âge (en classe)a

26-34 ans 0,54 (0,21-1,41) -

35-44 ans 1,19 (0,47-2,99) -

45-54 ans 1,08 (0,40-2,94) -

55 ans 0,29 (0,09-0,92) -

Sexeb

Femmes 0,93 (0,52-1,67) -

Zone de viec0,86 (0,55-1,66)

Rurale 0,94 (0,53-1,66)

Situation vis-à-vis de l’emploid

Apprenti ou étudiant 1,39 (0,36-5,41) 1,21 (0,26-5,66)

Chômeur 2,61 (1,00-6,79) 2,30 (0,85-6,27)

Inactif (retraité, parent foyer, congé parental) 1,09 (0,46-2,57) 2,12 (0,75-5,99)

Autres 8,7 (1,84-41,19) 11,26 (2,08-60,94)

Profession et catégorie socialee

Agriculteurs exploitants, artisans, commerçants, chef d’entreprise 0,08 (0,01-0,92) 0,12 (0,009-1,47) Cadres ou professions intellectuelles supérieures 0,03 (0,002-0,34) 0,03 (0,002-0,39)

Professions intermédiaires 0,06 (0,005-0,64) 0,06 (0,005-0,78)

Employés 0,19 (0,02-1,65) 0,22 (0,02-2,08)

Ouvriers 0,18 (0,02-1,86) 0,15 (0,01-1,70)

Situation familialef

Célibataire sans enfant 1,51 (0,72-3,17) 1,46 (0,63-3,40)

Célibataire avec enfants 2,29 (0,83-6,35) 1,69 (0,59-4,83)

Veuf (ve) ou divorcé(e) 1,14 (0,35-3,78) 1,16 (0,30-4,53)

Statut face au logementg

Locataires 2,12 (1,19-3,76) 2,77 (1,42-5,34)

Autres : être hébergé, vivre en foyer, etc. 3,18 (1,05-9,94) 4,50 (1,31-15,48) Situationfinancière ressentieh

Ca va 2,15 (0,77-5,99) 2,09 (0,73-6,02)

C’est juste, il fait faire attention 2,83 (1,03-7,74) 2,78 (0,98-7,89)

J’y arrive difficilement 3,57 (1,11-11,48) 3,06 (0,90-10,42)

OR : odds ratio ; IC 95 % : intervalle de conance à 95 % ;aClasse de référence=18-25 ans ;bClasse de référence : Hommes ;cClasse de référence : urbaine ;dClasse de référence : actif ;eClasse de référence : na jamais travaillé ;fClasse de référence : en couple ;gClasse de référence : propriétaire ;hClasse de référence : je suisnancièrement à laise.

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position sociale a été fait en fonction des données de la littérature, des recommandations de sociétés savantes, des données des cohortes françaises existantes et d’avis d’experts. D’autres indicateurs auraient éventuellement pu enrichir nos données. En particulier, le score EPICES aurait pu être utilisé ici, mais ses 11 questions auraient considérablement augmenté la longueur du question- naire et donc son acceptabilité. De plus, ce score évalue seulement la précarité et ne permet pas d’avoir une vision globale des ISS.

Un biais de sélection est probable dans la mesure où la participation reposait sur le volontariat. La thématique principale du projet e-TAC (l’usage de cigarette électro- nique) a notamment pu engendrer une distorsion de nos estimations par une sur-inclusion des patients concernés par celle-ci. Cela est corroboré par le fait que la prévalence d’une probable dépendance au tabac était de 41,9 % dans notre échantillon. Celle-ci est nettement plus importante que celle retrouvée dans le Baromètre santé 2010, dans lequel 17,7 % des fumeurs réguliers âgés de 15 à 85 ans présentent des signes de dépendance physiologique forte à la nicotine et 34,2 % des signes de dépendance moyenne [3].

Le fait que l’étude des maladies chroniques et des ISS n’étaient pas l’objectif principal du projet de recherche explique le manque de puissance dans certaines sous- analyses. Par ailleurs, l’échantillon n’était probablement pas représentatif de la population rencontrée en médecine générale en Aquitaine. Il comportait en majorité des femmes, des individus jeunes, ayant fait des études supérieures, et dont les indicateurs socioéco- nomiques étaient plutôt bons. Étant donné ces éléments, une auto-sélection était probable à l’inclusion, avec une sous-représentation des patients les plus défavorisés.

De plus, les sujets inclus dans notre analyse devaient aisément comprendre le français écrit, ce qui a limité la participation de certains patients défavorisés (migrants, personnes ne maîtrisant pas le langage écrit).

Ensuite, un biais d’information est probable dans la mesure où certains participants ont pu sous-déclarer des maladies chroniques, notamment lorsqu’elles étaient équilibrées.

Un biais de désirabilité sociale reste probable, malgré l’anonymisation du questionnaire et l’utilisation d’un score validé, notamment en ce qui concerne le mésusage d’alcool. Le mésusage d’alcool peut avoir été en réalité sous-estimé par la combinaison de plusieurs phénomè- nes : une sous-déclaration (par biais de désirabilité sociale, culpabilité ou déni), un biais de recrutement dans l’étude, et/ou un biais de classement inhérent au choix du questionnaire AUDIT-C pour cette question de recherche.

Malgré ces limites, l’étude a comme principale force d’être conduite uniquement en soins premiers. La population cible, bien que sélectionnée par le volonta- riat, était recrutée dans des cabinets de médecine générale ruraux et urbains. Les efforts pour favoriser l’adhésion des patients à l’étude ont été nombreux : prospectus et affiches explicatives dans les salles d’attente faisant la promotion de l’étude ; présence d’internes

formés au recueil de données pour le faciliter ; travail de l’ergonomie du questionnaire en amont. Ces démarches ont permis d’obtenir une proportion de questionnaires exploitables assez élevée (92,75 %).

Par ailleurs, dans l’étude e-TAC, les mesures de dépen- dance probable au tabac et de la probabilité d’un usage problématique d’alcool ont été évaluées par des scores validés : le CDS-5 et l’AUDIT-C. Le CDS-5 a été choisi pour ses meilleures propriétés psychométriques comparé au test de Fagerström et parce qu’il était court [4, 5]. Le test AUDIT-C semble être un outil qui permettrait de mieux classer les différents types d’usage d’alcool, y compris ceux à risque [6]. Les données de la littérature mettaient déjà en évidence un gradient social dans l’usage du tabac et de l’alcool et un gradient social dans ces comportements individuels [7-9]. L’utilisation de scores de probabilité d’addiction–au sens de complica- tion de ces comportements individuels – complète ces données.

Association entre tabagisme et indicateurs socioéconomiques

Les résultats de notre étude sont concordants avec les données de la littérature montrant une prévalence du tabagisme plus élevée dans les populations les moins éduquées, les plus défavorisées et/ou appartenant à une CSP inférieure [10-16]. Une étude française a mis en évidence une association entre dépendance forte à la nicotine et bas niveau d’éducation, ou le fait d’être ouvrier ou chômeur [3]. Ces études ont été réalisées dans d’autres pays ou dans des populations autres qu’issues des soins premiers. Notre étude, menée sur une popula- tion différente, va dans le même sens, en montrant un gradient social de la dépendance probable au tabac entre différentes professions et catégories sociales.

La littérature internationale permet l’étude de l’histoire de ce gradient social dans l’usage du tabac. En effet, aux États-Unis, ce gradient s’est installé dans les années soixante, après que les dangers du tabac aient été diffusés [17]. Plus récemment, en France, l’intensification de la lutte contre le tabagisme initiée au début des années 2000 a pénétré différemment les couches sociales [18], les sujets les plus défavorisés étant moins sensibles aux mesures préventives. Cela montre combien la prévention primaire – au sens large du terme, c’est-à-dire non adaptée à chaque individu –pénètre différemment les strates sociales, en accroissant la différentiation sociale des comportements individuels à risque [19]. Cette pénétration différentiée de la prévention primaire a fait l’objet d’études en ce qui concerne le tabac. Des études montraient une différenciation sociale des représenta- tions du tabagisme et des campagnes de prévention [19, 20]. Ces constats font relativiser l’importance des facteurs purement individuels dans l’adoption de comportements à risques et dans l’apparition d’une addiction au tabac [21]. L’environnement intervient aussi, au travers des politiques de santé, de l’implication des acteurs médico-sociaux et de la pression sociale norma- tive ambiante.

Concepts|Maladies chroniques et inégalités sociales de santé en soins premiers2epartie

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L ’ insécurité, orientation temporelle et tabagisme

Notre étude mettait en évidence une association entre certains indicateurs socioéconomiques péjoratifs et la dépendance au tabac : situation vis-à-vis de l’emploi indéterminée, CSP basse, logement loué ou personne hébergée. Ces indicateurs ont en commun d’induire une forme d’insécurité pour les individus concernés. Cette insécurité est à l’origine, chez les personnes socialement défavorisées, de la réduction de leur horizon temporel [15, 19]. En effet, une orientation temporelle tournée vers le « futur » favorise la mise en place de comporte- ments individuels préventifs, par opposition au « passé négatif », ou au « présent fataliste » [22, 23]. Dans la littérature, la perspective temporelle modifiée par les conditions de vie influence la décision d’arrêt du tabac et sa réussite [15]. L’absence d’association entre score de dépendance au tabac et situation financière actuelle ressentie confirmait ici l’importance de la perception de l’avenir, au détriment de la situation actuelle (sociale ou financière).

Prévalence des maladies chroniques en soins premiers

Notre étude montre une prévalence de la dépendance probable à l’alcool selon le test AUDIT-C à 46,8 %. La comparaison à la littérature est limitée d’une part par le peu de données disponibles issues d’études épidémio- logiques rigoureuses, et d’autre part par la complexité de l’analyse des consommations déclarées d’alcool.

Les rares études françaises disponibles permettent d’estimer le mésusage d’alcool à 20 % et la dépendance à l’alcool à 5 % [24]. Ainsi, la prévalence du mésusage pourrait être surestimée dans notre étude. Cependant, l’anonymat du questionnaire et leur ergonomie ont pu réduire un phénomène de sous déclaration. Malgré ces incertitudes, la prévalence de la dépendance probable à l’alcool est importante dans la population étudiée.

L’étude des prévalences des maladies chroniques dans notre étude montrait quelques discordances avec les données de la littérature issues de la population générale.

La faible puissance de notre analyse n’autorise que des comparaisons prudentes. L’HTA était déclarée par 13,8 % des participants à notre étude. La prévalence de l’HTA a

été estimée en 2008 à 27,7 % dans la population adulte française [25]. Elle était même de 31 % dans l’Étude Nationale Nutrition Santé 2006-2007 [26]. Dans cette dernière, l’HTA était d’autant plus fréquente chez les femmes françaises que le niveau d’études était bas. Il n’y avait pas d’association entre le niveau d’étude et la prévalence d’HTA chez les hommes [24]. De même, la prévalence du diabète était de 3,3 % dans notre échantillon quand elle a été estimée à 4,6 % en 2012 après analyse des données du Système national d’infor- mation inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM) [27]. La jeunesse de notre échantillon et une sous- déclaration de ces maladies peuvent être mis en cause pour expliquer les divergences entre nos résultats et la littérature. L’asthme était plus fréquemment déclaré dans notre échantillon, comparativement à la population générale française : 13,6 %vs. 6 à 7 % [28]. Ici encore, la jeunesse relative de nos participants a pu entraîner une surreprésentation de cette maladie.

C onclusion

Cette étude a mis en évidence un gradient social dans la dépendance probable au tabac dans une population de soins premiers, en Aquitaine. Ainsi, la dépendance probable au tabac augmentait avec les facteurs socioé- conomiques défavorables. Les addictions à l’alcool et au tabac représentaient les deux maladies chroniques les plus prévalentes dans notre population d’étude.

La prévalence des maladies chroniques déclarées dans cette population de soins premiers différait des pré- valences habituellement retrouvées dans la littérature pour la population générale. Les limites méthodologi- ques rencontrées rendent nécessaires l’interprétation prudente de ces résultats et la conduite d’autres études, notamment avec des échantillons plus importants.

Néanmoins, en pratique courante de médecine générale, les maladies chroniques que sont l’addiction à l’alcool et au tabac sont très prévalentes. L’addiction au tabac suit un gradient social, en augmentant à mesure que la position sociale baisse. Le généraliste ne peut faire l’économie d’une connaissance du milieu socio-culturel

Pour la pratique

L’addiction au tabac suivait un gradient social dans cette étude en soins premiers, augmentant à mesure que la position sociale baissait.

Prendre en charge l’addiction au tabac requiert de la part des généralistes de tenir compte du niveau socioéconomique des fumeurs pour une communication adaptée et une aide à l’arrêt, psycho- logique et/ou médicamenteuse, plus proactive au côté des patients.

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de ses patients. Il doit s’efforcer de mettre en place des mesures de prévention ciblées et adaptées à leur situation sociale pour lutter contre les troubles liés à l’usage du tabac.

En pratique, la communication avec les patients les plus socialement ou économiquement défavorisés doit être adaptée, notamment en raison de leur représentation

différente du tabagisme. Une intégration des dimensions psychosociologiques de l’addiction au tabac est néces- saire pour rendre les actions de prévention plus efficientes et non productrices d’ISS.

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Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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Concepts|Maladies chroniques et inégalités sociales de santé en soins premiers2epartie

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