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La Cour internationale de Justice aux prises avec la crise du Kosovo: à propos de la demande en mesures conservatoires de la République fédérale de Yougoslavie

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La Cour internationale de Justice aux prises avec la crise du Kosovo:

à propos de la demande en mesures conservatoires de la République fédérale de Yougoslavie

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence. La Cour internationale de Justice aux prises avec la crise du Kosovo: à propos de la demande en mesures conservatoires de la République fédérale de Yougoslavie. Annuaire français de droit international, 1999, vol. 45, p. 452-471

DOI : 10.3406/afdi.1999.3572

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41981

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL XLV - 1999 - CNRS Editions, Paris

LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE AUX PRISES AVEC LA CRISE DU KOSOVO :

À PROPOS DE LA DEMANDE EN MESURES CONSERVATOIRES DE LA RÉPUBLIQUE

FÉDÉRALE DE YOUGOSLAVIE Laurence BOISSON DE CHAZOURNES

La Cour internationale de Justice (C.I.J.) n'a pas pu rester étrangère aux crises successives ayant secoué les Balkans. Saisie d'une requête en 1993 par la Bosnie-Herzégovine, puis six ans plus tard par la Croatie, à l'encontre de la République fédérale de Yougoslavie (ci-après la Yougoslavie), elle l'a été aussi par cette dernière, le 29 avril 1999. La Yougoslavie portait plainte contre dix pays membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), laquelle avait, à la suite de l'échec du plan de Rambouillet, décrété l'initiation de frappes aériennes sur le territoire yougoslave.

Ces procédures ont en commun d'avoir toutes trois allégué des violations de la Convention pour la répression et la violation du crime de génocide du 9 décembre 1948 (ci-après, la Convention sur le génocide), mettant ce crime honni sur le devant de la scène judiciaire internationale. Tenant compte des circonstances qui étaient propres à chacune des affaires, les trois requêtes ont en outre invoqué diverses violations de droit international portant sur le principe de l'interdiction du recours à la force, le principe de non-inter vention, le droit international humanitaire, la protection internationale des droits de l'homme ou encore le droit international de l'environnement.

Tout comme la requête introductive d'instance déposée par la Bosnie- Herzégovine, celle de la Yougoslavie comportait une demande en indication de mesures conservatoires invoquant le caractère d'urgence de la situation et le risque de la voir s'aggraver. La Yougoslavie demandait ainsi à la Cour d'indiquer que chaque Etat mis en cause par elle devait « cesser immédia tement de recourir à l'emploi de la force et (...) s'abstenir de tout acte constituant une menace de recours ou un recours à l'emploi de la force contre la République fédérale de Yougoslavie » (1).

La C.I.J. se retrouvait ainsi une nouvelle fois prise dans les affres et les déchirements balkaniques. Nombre des questions auxquelles la Cour avait (*) Laurence Boisson de Chazournes, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Genève et professeur invitée à l'Institut universitaire de hautes études internationales.

(1) Affaire relative à la licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), § 15 de l'ordonnance sur la demande en mesures conservatoires (ci-après « l'ordonnance »). Pour faciliter la lecture, les références aux ordonnances de la Cour seront issues de la décision à l'égard de la Belgique, à moins que le problème traité ne soit spécifiquement abordé qu'à l'encontre d'une autre partie. L'ensemble des ordonnances et plaidoiries peut être consulté sur le site électronique de la C.I.J. : www.icj-cij.org

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eu à faire face dans l'affaire de 1993, se retrouvaient portées devant elle. Il s'agissait là encore de questions de maintien de la paix et de la sécurité internationales au sens de la Charte des Nations Unies, faisant une place désormais consacrée au respect des droits de l'homme. L'on faisait appel à la Cour en tant qu'organe judiciaire principal des Nations Unies pour faire appliquer le droit international et faire cesser des violations de celui-ci. Les requêtes étaient bien sûr formulées dans des contextes différents. Toutefois, les violations de jus ad bellum et de jus in bello, au cœur de la première requête, l'étaient à nouveau en 1999.

Les requêtes portent aussi sur la question de la répartition des compé tences entre organes des Nations Unies. Dans la première affaire, la partie plaignante demandait notamment à la Cour de rappeler au Conseil de sécurité que ses décisions doivent être conformes au droit international, en particulier eu égard au droit de légitime défense. Dans la dernière affaire en date, la partie demanderesse souligne que le Conseil de sécurité doit avoir son mot à dire en cas de recours à la force. Ces demandes s'inscrivent dans le contexte plus général du contrôle de légalité des actes des organi sations internationales (2), mettant en exergue différentes facettes de cette question, en sus de celles portées à l'attention de la Cour dans l'affaire de Lockerbie (3).

Les bombardements effectués par les forces de l'OTAN avaient débuté le 24 mars 1999, et ne devaient s'achever qu'au début du mois de juin. La Cour a été saisie le 29 avril 1999, alors que les opérations aériennes battaient leur plein, et juste après que le cinquantième anniversaire du Traité de l'Alliance de l'Atlantique Nord eut été célébré en grande pompe à Washingt on. L'organe judiciaire principal des Nations Unies fut saisi de dix requêtes introductives d'instance présentées simultanément contre l'Allemagne, la Belgique, le Canada, l'Espagne, les Etats-Unis, la France, l'Italie, les Pays- Bas, le Portugal et le Royaume-Uni. Rédigées en des termes similaires, les requêtes, accompagnées de dix demandes en mesures conservatoires identi

ques, ne différaient que par les titres de compétence invoqués par la Youg oslavie. Les procédures furent jointes mais la Cour rendit le 2 juin 1999 dix ordonnances séparées, assorties de nombreuses opinions individuelles et

dissidentes ainsi que par des déclarations.

Des six Etats - incluant la Yougoslavie - qui n'avaient pas de juges de leur nationalité sur le banc de la Cour, cinq ont désigné un juge ad hoc.

Seul le Portugal n'a pas usé de cette prérogative. La composition de la Cour dans ces affaires a fait l'objet de contestation de la part de la Yougoslavie, eu égard au principe de l'égalité des parties (4). Mais la Cour a considéré que la nomination de juges ad hoc par les cinq membres de l'OTAN se justifiait dans toutes les instances.

(2) Sur cette question, de manière générale, voir Bedjaoui, Mohammed (préf. de S.E. Boutros Boutros-Ghali), Nouvel ordre mondial et contrôle de la légalité des actes du Conseil de sécurité, Bruylant, Bruxelles, 1994, 634 p.

(3) Voir les décisions parallèles - ordonnances en mesures conservatoires (14 avril 1992) et arrêt relatif aux exceptions préliminaires (27 février 1998) — dans l'affaire des Questions d'inter prétation et d'application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni et Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis).

(4) La Yougoslavie s'est appuyée sur les paragraphes 2 et 5 de l'article 31 du Statut de la Cour pour étayer son argumentation.

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454 LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES DE LA RFY À PROPOS DU KOSOVO I. - LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

DANS LA TOURMENTE DU MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES :

LES LIMITES À LA COMPÉTENCE

DE L'ORGANE JUDICIAIRE PRINCIPAL DES NATIONS UNIES Rivée au principe du consentement des parties pour établir sa juridic tion (5), la Cour a apprécié la portée de ce principe en l'espèce pour décider qu'elle n'avait compétence prima facie dans aucune des dix instances. Elle ne pouvait donc rendre des ordonnances en mesures conservatoires. L'argu ment a été celui de son incompétence (6) et la justiciabilité des différends n'a en rien été mise en cause : les différends étaient politiques, ils étaient aussi juridiques et étaient susceptibles d'être soumis à un contrôle judiciaire.

A. Les limites à l'intervention de la Cour internationale de Justice : le principe du consentement des parties

Les demandes en mesures conservatoires prenaient appui sur différents titres de compétence. Si chacune des dix requêtes prétendait fonder la compétence de la Cour sur l'article IX de la Convention sur le génocide (7), la Yougoslavie, ayant déposé une déclaration de reconnaissance de la com pétence sur la base de l'article 36, paragraphe 2 du Statut de la Cour le 25 avril 1999, a aussi tenté de tirer parti des déclarations faites en application de cet article par la Belgique, le Canada, l'Espagne, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni. Elle a aussi invoqué l'article 38, paragraphe 5 du Règlement (8) à l'égard de l'Allemagne, des Etats-Unis, de la France et de l'Italie. En outre, la Yougoslavie a invoqué la Convention de conciliation, de règlement judiciaire et d'arbitrage du 25 mars 1930, conclue entre la Belgique et le Royaume de Yougoslavie, ainsi que le Traité de règlement judiciaire, d'arbitrage et de conciliation, du 11 mars 1931, entre les Pays-Bas et le Royaume de Yougoslavie. Au stade des mesures conservatoires, la Cour n'a (5) Principe réaffirmé dans l'arrêt du 30 juin 1995 relatif au Timor Oriental (Portugal c.

Australie), C.I.J. Rec. 1995, p. 101, § 26 : « La Cour rappellera à cet égard que l'un des principes fondamentaux de son Statut est qu'elle ne peut trancher un différend entre des Etats sans que ceux ci aient consenti à sa juridiction (...) »

(6) Considérer les paragraphes 45 et 46 de l'ordonnance : « 45 Considérant que la Cour a conclu ci-dessus qu'elle n'avait compétence prima facie pour connaître de la requête de la Yougoslavie ni sur la base du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut ni sur celle de l'article IX de la convention sur le génocide ; et qu'elle a estimé ne pas pouvoir, à ce stade de la procédure, prendre en considération la base de juridiction additionnelle invoquée par la Yougoslavie; (...) 46 Considérant toutefois que les conclusions auxquelles la Cour est parvenue en la présente procédure ne préjugent en rien la compétence de la Cour pour connaître du fond de l'affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même, et qu'elles laissent intact le droit du Gouvernement yougoslave et du Gouvernement belge de faire valoir leurs moyens en la matière.

(7) L'article IX de la convention sur le génocide se lit comme suit : « Les différeras entre les Parties contractantes relatifs à l'interprétation, l'application ou l'exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d'un Etat en matière de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d'une Partie au différend ».

(8) L'article 38, paragraphe 5 du Règlement se lit de la manière suivante : « Lorsque le demandeur entend fonder la compétence de la Cour sur un consentement non encore donné ou manifesté par l'Etat contre lequel la requête est formée, la requête est transmise à cet Etat.

Toutefois elle n'est pas inscrite au rôle général de la Cour et aucun acte de procédure n'est effectué tant que l'Etat contre lequel la requête est formée n'a pas accepté la compétence de la Cour aux fins de l'affaire ».

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pour tâche que d'établir sa compétence sur une base prima fade, celle-ci pouvant être confirmée ou infirmée à un stade ultérieur de la procédure.

Au problème de la recevabilité des différents titres de compétence avanc és, s'ajoutait la question de l'opportunité de rendre des ordonnances en mesures conservatoires. Toutefois, l'organe judiciaire s'est appuyé sur des arguments de compétence pour rejeter les demandes en indication dans les dix instances dont elle était saisie, et n'a pas traité de la raison d'être de telles mesures. Qui plus est, ayant considéré qu'elle n'avait manifestement pas compétence dans le cas des requêtes contre l'Espagne et contre les Etats-Unis, elle a rayé les affaires de son rôle (9). Ces pays avaient tous deux formulé des réserves à l'article IX de la Convention sur le génocide, ce qui impliquait qu'ils ne pouvaient être attraits devant la Cour que s'ils donnaient leur consentement, et aucun autre titre de compétence ne pouvait être invoqué à leur encontre, que ce soit sur la base de l'article 36, para graphe 2 du Statut de la Cour (10) ou sur la base d'un forum prorogatum.

D'aucuns ont observé que la Cour aurait pu examiner ces réserves et les juger incompatibles avec l'objet et le but de la Convention, et par là même invalides, (11) ce qui l'aurait poussée à tenir lesdites réserves inopposables à son égard.

Telle ne fut pas la voie empruntée par la Cour qui confirma son opinion consacrant la validité de telles réserves (12) dans son avis consultatif de 1951 (13). Elle fit remarquer que

« (...) la convention sur le génocide n'interdit pas les réserves ; (...) la Yougoslavie n'a pas présenté d'objection à la réserve faite par l'Espagne à l'article IX; (...) cette réserve a eu pour effet d'exclure cet article des dispositions de la convention en vigueur entre les Parties » (14).

On a pu aussi observer que s'il y avait incompétence manifeste de l'organe judiciaire, ces deux affaires n'auraient pas dû selon la lettre de l'article 38, paragraphe 5 du Règlement, être inscrites au rôle de la Cour (15), alors qu'elles le furent pour ensuite être rayées.

Dans les huit autres cas, la Cour a réservé la suite de la procédure, avançant que ses conclusions au stade des demandes en mesures conservat oires ne préjugeaient pas sa compétence pour connaître du fond de l'affaire.

Certains Etats défendeurs, comme la France (16), avaient pourtant plaidé (9) Dans les deux cas, la Cour a fait mention de sa décision de rayer les affaires du rôle dans le cadre des ordonnances où elle constatait qu'elle n'avait pas compétence pour indiquer des mesures conservatoires.

(10) L'Espagne avait assorti sa déclaration faite en application de l'article 36, paragraphe 2, d'une réserve qui exclut les différends dans lesquels l'autre partie a accepté la juridiction obligatoire de la Cour moins de douze mois avant la date de présentation de la requête introductive d'instance.

(11) Voir par ex. Duursma, Jorri, « Justifying NATO's Use of Force in Kosovo ? », Leiden Journal of International Law, vol. 12 (1999), pp. 287-295, notamment p. 294. Le juge ad hoc Kreca, nommé par la Yougoslavie, estimait pour sa part la réserve américaine partiellement nulle.

(12) Voir Condorelli, Luigi, « Des lendemains qui chantent pour la justice internationale ? », Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement : Mélanges Michel Virally, Paris, Editions A. Pedone, 1991, pp. 205-214, à la p. 210.

(13) Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif du 28 mai 1951, C.I.J. Rec. 1951, p. 496 ss.

(14) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Espagne), ordonnance en mesures conser vatoires du 2 juin 1999, § 32.

(15) Rosenne, Shabtai, « Controlling Interlocutory Aspects of Proceedings in the International Court of Justice », American Journal of International Law, vol. 94 (2000), n° 2, p. 312.

(16) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. France), procédure orale (France), séance du 10 mai 1999, CR 99/17.

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456 LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES DE LA RFY À PROPOS DU KOSOVO l'incompétence manifeste de la Cour, même prima facie, emportant la nécess ité pour la Cour de rayer les affaires de son rôle. La décision d'en poursuivre l'examen, malgré que la Cour n'ait pas estimé pouvoir établir sa compétence prima facie témoigne d'une nouvelle pratique de l'organe judiciaire. Elle a été qualifiée de décision de circonstance, du fait du « désir de la majorité de la Cour de ne pas avoir à indiquer de mesures conservatoires, tout en nourrissant certains doutes sur l'absence de compétence » (17). Le juge Gaja, traitant d'une « situation in which the Applicant invokes a juridictional clause in a treaty, but has not shown that a reasonable connection exists between the dispute submitted to the Court and the treaty including the clause » remarque que quand « a reasonable connection may conceivably appear in the future, it would be too drastic a solution to remove the case from the List. The applicant State should therefore be given an opportunity to develop its position in a memorial - whether or not its arguments are meritorious ».

Il ajoute, de plus, que « as a matter of judicial policy, this way of proceeding seems preferable because it allows the Court to establish the truth of any allegation of a wrongful act as serious as genocide » (18). On pourrait aussi avancer des considérations d'opportunité dans un contexte politique où les yeux de beaucoup d'acteurs étaient tournés vers la Cour afin qu'elle dise le droit. La question de la légalité de la conduite des opérations armées menées par les forces de l'OTAN était en effet au cœur de tous les débats (19). En maintenant les affaires inscrites à son rôle, arguant que les questions de compétence pourraient être discutées à un stade ultérieur de la procédure, la C.I.J. témoignait de son attention aux questions de maintien de la paix

et de la sécurité internationales.

B. Les limites ratione materiae, ratione temporis et ratione personae à l'intervention de la Cour internationale de Justice

- La compétence ratione materiae

Dans les huit affaires restantes dont elle était saisie, la Cour a dû examiner sa compétence au regard de la Convention sur le génocide. Elle a ainsi fait remarquer :

«(...) à l'effet d'établir, même prima facie, si un différend au sens de l'article IX de la Convention sur le génocide existe, la Cour ne peut se borner à constater que l'une des parties soutient que la convention s'applique alors que l'autre le nie ; et que, au cas particulier, elle doit rechercher si les violations de la convention alléguées par la Yougoslavie sont susceptibles d'entrer dans les prévisions de cet instrument et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae par application de l'article IX (cf. Plates-formes pétrolières (République islamique d'Iran c.

(17) Dominicé, Christian, « La jurisprudence de la Cour internationale de Justice en 1999 », Revue Suisse de Droit International et Européen, n° 1 (2000), p. 100.

(18) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Italie), ordonnance en mesures conservat oires du 2 juin 1999, Déclaration du juge ad hoc Gaja.

(19) On se référera à cet égard aux nombreux écrits sur la légalité de telles actions, notamment par rapport à la question de l'intervention humanitaire. Voir par exemple l'échange (dans YEuropean Journal of International Law, vol. 10 (1999), n° 1) entre Bruno Simma («NATO, the U.N. and the Use of Force : Legal Aspects », pp. 1-22) et Antonio Cassese (« »Ex iniuria ius oritur » : Are We Moving towards International Legitimation of Forcible Humanitarian Counter- measures in the World Community ? », pp. 23-30), ou encore les éditoriaux réunis sous le titre

« NATO's Kosovo Intervention » dans Y American Journal of International Law (1999, n° 4, pp.

824-862).

(7)

Etats-Unis d'Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996(11), p. 810 §16) » (20).

Elle a ajouté ensuite :

« (...) la Cour n'est dès lors pas en mesure de conclure, à ce stade de la procédure, que les actes que la Yougoslavie impute au défendeur seraient susceptibles d'entrer dans les prévisions de la convention sur le génocide ; et que l'article IX de la convention, invoqué par la Yougoslavie, ne constitue partant pas une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait prima facie être fondée dans le cas d'espèce » (21).

L'argumentation de la Yougoslavie selon laquelle le recours à la force était constitutif d'un acte de génocide (22), ce qui permettait d'établir la compétence de la C.I.J. en application de cette convention, fut donc reje tée (23). Du crime de génocide, la Cour retint la définition de l'article II de la convention sur le génocide, selon laquelle

« le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe » (24).

L'instance judiciaire a alors précisé sa pensée à cet égard :

« il apparaît à la Cour, d'après cette définition, « que la caractéristique essent ielle du génocide est la destruction intentionnelle d'un « groupe national, ethnique, racial ou religieux » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 345, par. 42); que le recours ou la menace du recours à l'emploi de la force contre un Etat ne sauraient en soi constituer un acte de génocide au sens de l'article II de la convention sur le génocide ; et que, de l'avis de la Cour, il n'apparaît pas au présent stade de la procédure que les bombardements qui constituent l'objet de la requête yougo slave « comporte [nt] effectivement l'élément d'intentionnalité, dirigé contre un (20) Ordonnance, § 38.

(21) Ordonnance, § 41.

(22) Les conclusions de la Yougoslavie à cet égard sont reproduites aux paragraphes 6 et 35 de Fordonnance : « 6 (...) Les actes décrits ci-dessus ont causé des morts ainsi que des atteintes à l'intégrité physique et mentale de la population de la République fédérale de Yougoslavie, de très importants dégâts, une forte pollution de l'environnement, de sorte que la population yougoslave se trouve soumise intentionnellement à des conditions d'existence devant entraîner la destruction physique totale ou partielle de ce groupe ; (...) 35 (...) la Yougoslavie soutient en outre que le bombardement constant et intensif de l'ensemble de son territoire, y compris les zones les plus peuplées, constitue « une violation grave de l'article II de la convention sur le génocide » ; (...) « la pollution du sol, de l'air et de l'eau, la destruction de l'économie du pays, la contamination de l'environnement par de l'uranium appauvri reviennent à soumettre la nation yougoslave à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique » ; (...) c'est la nation yougoslave tout entière, en tant que telle, qui est prise pour cible ; (...) le recours à certaines armes, dont on connaît par avance les conséquences dommageables à long terme sur la santé et l'environne ment, ou la destruction de la plus grande partie du réseau d'alimentation en électricité du pays, dont on peut prévoir d'avance les conséquences catastrophiques, « témoigne [nt] implicitement de l'intention de détruire totalement ou partiellement » le groupe national yougoslave en tant que tel ; »

(23) Le juge ad hoc Kreca, de la Yougoslavie, a estimé quant à lui que la Cour devait se déclarer compétente sur une base prima facie, car il n'était pas nécessaire d'établir au stade des mesures conservatoires que des violations à la Convention sur le génocide avaient été commises (Opinion dissidente jointe à l'Ordonnance, § 13).

(24) Ordonnance, § 39.

(8)

458 LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES DE LA RFY À PROPOS DU KOSOVO groupe comme tel, que requiert la disposition sus-citée » (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 240, par. 26) » (25).

La définition donnée de l'acte de génocide met l'accent sur l'élément intentionnel de celui-ci et veut s'inscrire dans la lignée de ses décisions précédentes (26). Pourtant, dans l'affaire de la Bosnie-Herzégovine contre la Yougoslavie, la Cour semble avoir été moins formaliste pour aborder cet élément, laissant place au jeu des présomptions (27). Il est vrai, toutefois, que quelle que soit l'intensité mise sur l'élément psychologique constitutif d'un crime de génocide, il est difficile de considérer les frappes aériennes comme de tels actes au sens de la Convention de 1948. Il n'y avait dès lors pas lieu de tenter de réfuter la possibilité d'un génocide en invoquant que le recours à la force n'était pas dirigé contre un groupe particulier de la population peuplant la Yougoslavie, mais visait le territoire de celle-ci, comme on a tenté de le faire (28). Cette distinction est peu convaincante. Il est, en effet, difficile de dissocier ces deux éléments, le territoire pouvant difficilement être appréhendé autrement que comme un espace habité.

Quant aux autres titres de compétence, la Cour rejeta d'un revers de main la possibilité d'un forum prorogatum, précisant « qu'il est manifeste que, en l'absence de consentement de (...) donné conformément au paragraphe 5 de l'article 38 du Règlement, la Cour ne saurait avoir compétence dans la présente affaire, même prima facie » (29).

Au stade du second tour de plaidoiries, la Yougoslavie a invoqué d'autres bases de compétence pour établir la compétence de la Cour à l'égard de la Belgique et des Pays-Bas, prenant appui sur des traités de règlement des différends précédemment mentionnés et conclus respectivement en 1930 et en 1931 (30). La Cour n'a pas tenu compte de ces titres, non pas pour des motifs liés à l'appréciation de l'étendue de sa compétence, mais pour des raisons procédurales, ces moyens ayant été présentés juste avant le second tour des plaidoiries. Ainsi :

« (...) l'invocation par une partie d'une nouvelle base de juridiction au stade du second tour de plaidoiries sur une demande en indication de mesures conser vatoires est sans précédent dans la pratique de la Cour; (...) une démarche aussi tardive, lorsqu'elle n'est pas acceptée par l'autre partie, met gravement en péril le principe du contradictoire et la bonne administration de la justice ; (...) par suite, la Cour ne saurait, aux fins de décider si elle peut ou non indiquer des mesures conservatoires dans le cas d'espèce, prendre en considé ration le nouveau chef de compétence dont la Yougoslavie a entendu se prévaloir le 12 mai 1999 » (31).

(25) Ordonnance, § 40 et 41. Voir l'opinion individuelle du juge Parra-Aranguren selon lequel il existe un différend prima facie relatif à l'interprétation et l'application de la Convention sur le génocide, § 6.

(26) Sur la définition du crime de génocide, voir LaRosa, Anne-Marie & Villalpando, Santiago, « Le crime de génocide revisité : nouveau regard sur la définition de la Convention de 1948 à l'heure de son cinquantième anniversaire - tentative d'appréhension théorique des éléments du crime », dans D. Dormoy & K. Boustany (dir.), Génocide(s), Editions de l'Université de Bruxelles/Bruylant, 1999, pp. 53-110.

(27) Voir sur ce point Boisson de Chazournes, Laurence, « Les ordonnances en mesures conservatoires dans l'affaire relative à l'application de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide », cet Annuaire, tome XXXIX (1993), pp. 529-531.

(28) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Italie), procédure orale (Italie), séance du 11 mai 1999, CR 99/19.

(29) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Espagne), ordonnance en mesures conser vatoires du 2 juin 1999, § 34.

(30) La Yougoslavie s'était réservé « le droit de réviser, compléter ou modifier » sa requête, Ordonnance, § 4.

(31) Ordonnance, § 44.

(9)

S'il est vrai que ces chefs de compétence conventionnels avaient été présentés très tard dans le déroulement de la procédure, l'on peut toutefois se demander si la Cour ne pouvait pas ajourner le second tour des audiences pour donner aux parties concernées le temps d'examiner ces titres eu égard à la gravité des violations de droit alléguées devant la C.I.J. (32). Il est aussi à noter que dans l'affaire de la Bosnie-Herzégovine contre Yougoslavie, la Cour s'était montrée plus tolérante. La Bosnie-Herzégovine avait invoqué des bases supplémentaires de compétence non mentionnées dans la requête d'instance, à la suite du dépôt tant de sa première demande en mesures conservatoires, que de sa seconde demande en mesures conservatoires. La Cour avait alors considéré qu'« aux fins d'une demande en mesures conser vatoires la Cour ne doit pas se refuser a priori d'examiner de telles bases supplémentaires de compétence » (33).

- Compétence ratione temporis

Le 25 avril 1999, soit quatre jours avant le dépôt de sa requête, la République fédérale de Yougoslavie avait déposé une déclaration de recon naissance de la compétence de la Cour en application de l'article 36, para graphe 2 du Statut du C.I.J. qui se lit de la manière suivante :

« Je déclare par la présente que le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie, conformément au paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice, reconnaît comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, c'est-à-dire sous condition de réciprocité, la juridiction de la Cour pour tous les différends, surgissant ou pouvant surgir après la signature de la présente déclaration, qui ont trait à des situations ou à des faits postérieurs à ladite signature, à l'exception des affaires pour lesquelles les parties ont convenu ou conviendront d'avoir recours à une autre procédure ou à une autre méthode de règlement pacifique. La présente déclaration ne s'applique pas aux différends relatifs à des questions qui, en vertu du droit international, relèvent exclus ivement de la compétence de la République fédérale de Yougoslavie, ni aux différends territoriaux.

L'obligation susmentionnée n'est acceptée que pour une période qui durera jusqu'à notification de l'intention d'y mettre fin » (34).

L'Espagne et le Royaume-Uni avaient, à l'époque du dépôt de leurs déclarations d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, formulé des réserves qui permettaient d'exclure de la compétence de la Cour les différends les opposant à des Etats dont la déclaration d'acceptation est antérieure de douze mois à la saisine de la Cour. Quatre autres pays restaient donc susceptibles d'être attraits devant la Cour. Toutefois, la Yougoslavie a été prise au jeu des réserves et de la réciprocité qu'elle avait elle-même initié dans sa déclaration. Le principe qui permet à une partie d'invoquer une réserve figurant dans la réserve d'une autre partie au même différend lui fut rappelé : la Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal invo quèrent la réserve ratione temporis de la Yougoslavie à leur bénéfice pour contester la compétence de la Cour. Cette dernière, citant l'affaire des Phosphates du Maroc (arrêt, 1938, C. P.J.I, série A/B n° 74), les a suivis :

(32) Voir Duursma, op. cit. (note 12), p. 294.

(33) Applicabilité de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie [Serbie et Monténégro]), ordonnance en mesures conservatoires du 13 septembre 1993, p.338, § 28.

(34) Ordonnance, § 23.

(10)

460 LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES DE LA RFY À PROPOS DU KOSOVO

« il appartient à chaque Etat, lorsqu'il formule sa déclaration, de décider des limites qu'il assigne à son acceptation de la juridiction de la Cour : « la juri diction n'existe que dans les termes où elle a été acceptée » (...); et (...) « il est reconnu que, par l'effet de la condition de réciprocité inscrite au paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour », toute limitation ratione temporis apportée par l'une des parties à sa déclaration d'acceptation de la juridiction de la Cour

« fait droit entre les parties » »

et « (...) en outre, comme la présente Cour l'a noté dans son arrêt du lljuin 1998 en l'affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (Cameroun c. Nigeria), « [d]ès 1952, elle a jugé dans l'affaire de VAnglo-Iranian Oil Co. que, lorsque des déclarations sont faites sous condition de réciprocité,

« compétence est conférée à la Cour seulement dans la mesure où elles coïncident pour la lui conférer » (C.I.J. Recueil 1952, p. 103) » (C.I.J. Recueil 1998, p. 298, par. 43) ; et considérant qu'il découle de ce qui précède que les déclarations faites par les Parties conformément au paragraphe 2 de l'article 36 du Statut ne constituent pas une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait prima facie être fondée dans le cas d'espèce » » (35).

Pour exclure sa compétence prima facie, la Cour a considéré que le différend avait commencé au moment du début des frappes aériennes, alors que la déclaration yougoslave précise que le différend doit être né après le 25 avril. Même si les opérations armées se présentaient comme des opérations distinctes les unes des autres, la Cour a considéré que l'action entreprise par les forces de l'OTAN constituait un tout. Elle a aussi tenu à préciser que le fait que le différend perdure n'avait pas d'incidence. Ce qui comptait était la date à laquelle avait surgi le différend. Les propos de la Cour sont

éloquents à cet égard :

« Considérant qu'il est constant que les bombardements en cause ont com mencé le 24 mars 1999 et se sont poursuivis, de façon continue, au-delà du 25 avril 1999 ; et qu'il ne fait pas de doute pour la Cour, au vu notamment des débats du Conseil de sécurité des 24 et 26 mars 1999 (S/PV. 3988 et 3989), qu'un « différend d'ordre juridique » (Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995, p. 100, par. 22) a « surgi » entre la Yougoslavie et l'Etat défendeur, comme avec les autres Etats membres de l'OTAN, bien avant le 25 avril 1999, au sujet de la licéité de ces bombardements comme tels, pris dans leur ensemble ; »

« Considérant que la circonstance que ces bombardements se soient pour suivis après le 25 avril 1999 et que le différend les concernant ait persisté depuis lors n'est pas de nature à modifier la date à laquelle le différend avait surgi ; que des différends distincts n'ont pu naître par la suite à l'occasion de chaque attaque aérienne ; et qu'à ce stade de la procédure, la Yougoslavie n'établit pas que des différends nouveaux, distincts du différend initial, aient surgi entre les Parties après le 25 avril 1999 au sujet de situations ou de faits postérieurs imputables à la Belgique » (36).

Le juge Weeramantry, qui vota contre la majorité sur ce point, a retenu de la déclaration faite par la Yougoslavie une lecture différente. Selon lui, la réserve n'était pas déterminante, car des violations alléguées se sont produites après la date critique du 25 avril 1999. Tel fut aussi l'argument de la Yougoslavie (37). Si ce point de vue avait été retenu, la Cour aurait

(35) Ordonnance, § 30 (36) Ordonnance, § 28 et 29.

(37) La Yougoslavie a plaidé l'argument des « délits instantanés », ceux-ci étant constitués par la répétition d'attaques militaires distinctes ; Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c.

Belgique), procédure orale (Yougoslavie), séance du 12 mai 1999, CR 99/25.

(11)

alors dû établir les allégations d'illicéité du comportement des Etats concer nés. Cela l'aurait notamment amenée dans les sables mouvants de l'inte rvention humanitaire et de ses facettes empruntant au jus ad bellum et au jus in bello. Il est intéressant à ce titre de remarquer que la Cour a pris garde de qualifier le différend dont elle était saisi en mettant l'accent sur les « bombardements comme tels » (38).

On a observé que la Cour n'a pas voulu utiliser toutes les subtilités de la phraséologie de la déclaration faite par la Yougoslavie. Celle-ci parlait de

« différends » et non d'un « différend ». En outre, s'il était vrai qu'il y avait un différend né le 24 mars avec le début des frappes aériennes, cela n'excluait pas que l'on puisse concevoir que d'autres différends aient pu naître après le 25 avril 1999. Le différend identifié par la Cour portait sur la légalité du recours à la force contre la Yougoslavie par les Etats membres de l'OTAN, à savoir, en particulier, la question du jus ad bellum. Ne pouvait-on pas parler d'autres différends portant sur les méthodes et moyens de combat auxquels les membres de l'OTAN ont recouru et le non-respect des principes applicables en la matière, et donc des différends portant sur des questions de jus in bello. L'ensemble de ces questions étaient au cœur des affaires qui avaient été soumises, la Cour s'étant d'ailleurs dite « fortement préoccupée par l'emploi de la force en Yougoslavie; (...) dans les circonstances actuelles, cet emploi soulève des problèmes très graves de droit international » (39) et ayant cru « nécessaire de souligner que toutes les parties qui se présentent devant elle doivent agir conformément à leurs obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles du droit international y compris du droit humanitaire » (40).

Au-delà de la question de l'interprétation de la déclaration de la Youg oslavie, peut se poser le problème du respect de la bonne foi (41). Le juge Oda a pour sa part, considéré que le délai de temps très court entre la saisine de la Cour et le dépôt par la Yougoslavie de sa déclaration de reconnaissance de la compétence obligatoire de la Cour est constitutif d'une violation de ce principe (42). Selon lui, l'objectif recherché par le dépôt de

(38) Ordonnance, § 28. Voir aussi les propos du Juge Higgins, au § 7 de son opinion individuelle : « (...) It is striking that the Federal Republic of Yugoslavia did not advance arguments before the Court suggesting either continuing events or a continuing dispute (the latter not having been an issue in Phosphates in Morocco). It squarely based itself on a dispute it perceived as arising, and situations and facts that it perceived as occurring, after the crucial date of April 25.

It did not wish any dispute there may have been between itself and Spain prior to April 25 to be subject to the Court's jurisdiction, nor any situations and facts relating to such dispute ; which element may be thought to have been covered by Article 1 (b) of Spain's own declaration. That was the intention of the Federal Republic of Yugoslavia and it was clear. But within that intent there was also a hope - the hope that there could be identified a dispute that arose only after April 25th. Certainly there were events, occurring after April 25, that were the subject of the Federal Republic of Yugoslavia's complaint (though these were not specified by date or in any detail). But the Court has not been able to see a dispute arising only after April 25th. The claim that aerial bombing by NATO, and NATO States, was illegal, was made in the Security Council on March 24 and March 26, and rebutted there. The conditions specified in the Mavrommatis case (Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I. J., Series A, No. 2) for the existence of a dispute were thus met at that time. »

(39) Ordonnance, § 17.

(40) Ordonnance, § 19.

(41) Voir les plaidoiries de l'Allemagne qui a posé le problème de manière générale ; Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Allemagne), procédure orale (Allemagne), séance du 11 mai 1999, CR 99/18.

(42) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), Opinion individuelle du juge Oda, § 9.

(12)

462 LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES DE LA RFY À PROPOS DU KOSOVO la déclaration ne semblait être que celui d'établir la compétence de la Cour dans un différend spécifique, rompant alors avec l'objet et le but de l'inst itution de la déclaration prévue à l'article 36, paragraphe 2 du Statut. La Cour ne s'est pas prononcée sur la question de la bonne foi au stade des mesures conservatoires. Peut-être reviendra-t-elle sur cette question à un stade ultérieur de la procédure judiciaire. Sans doute alors confirmera-t-elle sa jurisprudence en ce domaine, selon laquelle le principe de bonne foi n'est pas une source autonome de droits (43).

- Compétence ratione personae

Au stade de l'examen de sa compétence prima facie, la Cour a aussi été confrontée à la question de la qualité pour agir. Elle n'est toutefois pas entrée en matière sur la question de la succession d'Etats, et plus particu lièrement sur la question de savoir si la Yougoslavie avait la qualité de continuateur de l'ex- Yougoslavie ou celle d'un nouvel Etat. Les plaidoiries des Etats défendeurs sur cette question révèlent d'ailleurs les nombreuses incertitudes terminologiques, voire de fond, qui régnent à propos de cette question. La Cour s'est limitée à rappeler les arguments des parties, sans prendre position, s'abritant derrière le fait que les déclarations faites en application de l'article 36, paragraphe 2 du Statut, ne constituent pas en l'espèce une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait prima facie être fondée (44). L'instance judiciaire n'a donc pas suivi le Canada, la Bel gique et d'autres Etats défendeurs pour lesquels la déclaration de la You goslavie n'était pas valide en raison du fait que cet Etat n'est ni membre de l'Organisation des Nations Unies, ni partie au Statut de la Cour.

Le juge Oda a été le seul juge à se prononcer très fermement sur cette question. Il vota contre la majorité de la Cour dans tous les cas où la Cour a réservé la suite de la procédure, pour le motif que la Yougoslavie n'est pas membre des Nations Unies, ce qui entraîne qu'elle n'est pas partie au Statut de la Cour (45). Le juge Kooijmans, dans une opinion individuelle (portant sur toutes les affaires où l'article 36, paragraphe 2 était invoqué), a par ailleurs fait observer que la Cour aurait dû se prononcer sur la question de la succession d'Etats, doutant que la Yougoslavie soit partie au Statut, ce qui aurait dû entraîner l'invalidité de sa déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour (46).

On a aussi prétendu que la Cour aurait pu s'appuyer sur la lettre de la résolution 777 (1992) du 19 septembre 1992 du Conseil de sécurité et sur celle de la résolution 47/1 du 22 septembre 1992 de l'Assemblée générale, suggérant à la Yougoslavie de présenter une demande d'admission, afin de considérer que ce pays n'avait plus la qualité de membre. Cette stratégie aurait alors évité à la Cour de traiter des questions de succession d'Etats (47).

La pratique subséquente à l'adoption de ces résolutions et relative au statut de la Yougoslavie au sein des Nations Unies est pourtant peu claire, et peut (43) Voir l'Arrêt (exceptions préliminaires) rendu le 11 juin 1998 en l'affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (Cameroun c. Nigeria).

(44) Ordonnance, § 33

(45) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), Opinion individuelle du juge Oda, § 3.

(46) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), Opinion individuelle du juge Kooijmans, § 3 ss.

(47) Dominicé, op. cit. (note 18), p. 105.

(13)

laisser penser que la Yougoslavie est toujours membre des Nations Unies (48).

En dernier lieu, on rappellera les propos de la Cour dans l'affaire Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie dans laquelle elle a estimé qu'en vertu de l'article 35, paragraphe 2, de son Statut une instance pouvait être « valable ment introduite par un Etat qui sans être partie au Statut, est partie à une telle disposition d'un traité en vigueur, et ce indépendamment des conditions réglées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 9 (1946) » (49). La question des déclarations de reconnaissance de la compétence obligatoire de la Cour mise à part, l'instance judiciaire pourrait bien avoir à décider de la sorte au regard d'autres titres de compétence allégués devant elle et qui prennent appui sur une base conventionnelle.

IL - LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE DANS LA TOURMENTE DU MAINTIEN DE LA PAIX

ET DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES :

LA MISE EN ÉCLAIRAGE DE CERTAINS ASPECTS JURIDIQUES Bien que la Cour se soit déclarée incompétente en vue de l'indication de mesures conservatoires, ses ordonnances en la matière révèlent néanmoins des aspects juridiques importants afférents au maintien de la paix et de la sécurité internationales.

A. Des obiter dicta au titre de mesures conservatoires : à propos du caractère d'urgence

La Cour n'a pas ordonné de mesures conservatoires, considérant qu'elle n'avait pas compétence prima facie. Pour l'instance judiciaire, le voile de l'apparence de compétence dont elle avait drapé certaines affaires précédent es n'était pas suffisant en l'espèce. Elle n'a alors pas jugé utile de traiter des autres conditions relatives à la décision de rendre ou de ne pas rendre des ordonnances en mesures conservatoires, notamment eu égard à la situa tion dont elle était saisie et à son caractère d'urgence. Tout en adoptant cette position, elle a pourtant montré qu'elle était sensible à ces aspects.

Elle l'a fait, en égrenant ses ordonnances d'obiter dicta appelant au respect de certains principes et normes de droit international qui se lisent de la manière suivante :

« 16. Considérant que la Cour est profondément préoccupée par le drame humain, les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond du présent différend, ainsi que par les victimes et les souffrances humaines que l'on déplore de façon continue dans l'ensemble de la Yougoslavie ;

(48) Pour une présentation de cette pratique, voir Stern, Brigitte (éd.), Le statut des Etats issus de l 'ex-Yougoslavie à l'ONU : documents, Montchrestien (coll. « Documents / Centre de droit international de Nanterre », n° 1) Paris, 1996, 189 p., et Stern, Brigitte (éd.), Dissolution, Continuation, and Succession in Eastern Europe, Martinus Nijhoff Publishers, La Haye, 1998, 211 p. ; voir aussi Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), opinion dissidente du juge ad hoc Kreca, p. 997 § 8.5.

(49) Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), mesures conservatoires, Rec. CIJ, 1993, p. 14.

(14)

464 LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES DE LA RFY À PROPOS DU KOSOVO 17. Considérant que la Cour est fortement préoccupée par l'emploi de la force en Yougoslavie ; que, dans les circonstances actuelles, cet emploi soulève des problèmes très graves de droit international ;

18. Considérant que la Cour garde présents à l'esprit les buts et les principes de la Charte des Nations Unies, ainsi que les responsabilités qui lui incombent, en vertu de ladite Charte et du Statut de la Cour, dans le maintien de la paix et de la sécurité ;

19. Considérant que la Cour estime nécessaire de souligner que toutes les parties qui se présentent devant elle doivent agir conformément à leurs obl igations en vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles du droit international, y compris du droit humanitaire » (50).

La Cour a aussi estimé important de rappeler les points suivants :

« 48. Considérant que les Etats, qu'ils acceptent ou non la juridiction de la Cour, demeurent en tout état de cause responsables des actes contraires au droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur seraient imputab les ; que tout différend relatif à la licéité de tels actes doit être réglé par des moyens pacifiques dont le choix est laissé aux parties conformément à l'article 33 de la Charte ;

49. Considérant que dans ce cadre les parties doivent veiller à ne pas aggraver ni étendre le différend ;

50. Considérant que, lorsqu'un tel différend suscite une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression, le Conseil de sécurité est investi de responsabilités spéciales en vertu du chapitre VII de la Charte » (51).

On a pu considérer que la Cour était restée trop silencieuse et qu'elle n'avait pas suffisamment rappelé l'importance du respect de la règle de droit.

Elle a tout de même identifié les principes et règles en cause et insisté de manière générale sur l'importance de leur respect. Allant au-delà des ques tions de compétence pour ordonner des mesures conservatoires, elle s'est donc aventurée sur le chemin du droit matériel. La Cour a ainsi pu faire face à l'embarras de nombreux juges qui voulaient que la Cour ne reste pas silencieuse dans le cadre d'un différend mettant en lumière des questions importantes attenantes au système juridique international (52).

A l'aide d'un vocabulaire choisi et certainement très pesé pour refléter les différentes positions des juges, les principes fondamentaux du droit international relatifs au maintien de la paix et de la sécurité internationales sont énoncés, soulignant l'importance du respect des obligations de la Charte, de même que les règles du droit international humanitaire. On doit aussi noter que le libellé de certains des obiter dicta n'est pas très éloigné de celui de mesures ordonnées par la Cour, notamment dans l'affaire Nicaragua c.

Etats Unis (53) : en effet, la C.I.J. avait alors demandé aux deux parties, à titre de mesures conservatoires, de ne pas aggraver le différend. Cette formule a été reprise depuis lors dans diverses autres affaires. En outre, le rôle du Conseil de sécurité est abordé, quoique sous la forme d'indices, pour rappeler ses responsabilités en vertu du Chapitre VII de la Charte.

(50) Ordonnance, § 16-19.

(51) Ordonnance, § 48, 49 et 50.

(52) Les propos du Juge Higgins sont révélateurs : « Finally it should not be thought that the Court, because it has had to address the question of its prima facie jurisdiction in the case brought by the Federal Republic of Yugoslavia, is indifferent to the great suffering in Kosovo and Yugoslavia. Indeed, the preambular paragraphs of its Order show otherwise. (...) », Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), opinion individuelle du juge Higgins, § 30.

(53) Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.

Etats-Unis d'Amérique) - Mesures Conservatoires, Ordonnance du 10 mai 1984, C.I.J. Rec. 1984, pp. 169 ss.

(15)

L'inclusion des ces obiter dicta dans toutes les ordonnances de la Cour, y compris dans les cas de l'Espagne et des Etats-Unis, n'a toutefois pas répondu aux attentes de tous les juges. Les juges Shi, Vereshchetin et Weeramantry ont exprimé leur déception à cet égard dans leurs déclarations, regrettant dans des termes qui sont propres à chacun que, malgré son incompétence, la Cour n'ait pas, de sa propre autorité, appelé les parties au respect du droit international (54).

Au delà de l'expression de ces attentes non assouvies, on doit noter l'éclairage qu'apportent ces obiter dicta sur le rôle que la Cour peut jouer en temps de conflits. Le Président de la Cour l'a d'ailleurs souligné en rappelant, dans son discours à l'Assemblée générale des Nations Unies en octobre 1999, qu'« (...) une cour mondiale peut fondamentalement contribuer au maintien de la paix par la voie du règlement des différends internationaux et du développement d'un corps de règles de droit international » (55).

Si l'urgence fut envisagée en termes de droit matériel pour inciter les Etats à respecter leurs obligations internationales, cela n'a toutefois pas entraîné la Cour à l'appréhender de manière procédurale comme la Yougosl avie le lui demandait. Lorsqu'elle saisit la Cour d'une demande de mesures conservatoires, une partie plaignante a, en effet, la possibilité de lui demand er d'ordonner des mesures conservatoires sans que des audiences publiques soient tenues : la Cour peut décider proprio motu si les circonstances d'une espèce requièrent une indication de mesures conservatoires. La Cour avait accédé à cette demande pour la première fois, moins de deux mois plus tôt, dans l'affaire LaGrand (56). Elle s'était prononcée à l'unanimité pour l'ind ication de mesures conservatoires dans les vingt-quatre heures qui ont suivi le dépôt de la requête. Les circonstances de l'espèce en cause étaient parti culières, il est vrai, puisque M. LaGrand, condamné à mort pour lequel l'Allemagne demandait l'application de la Convention sur les relations diplo matiques, devait être exécuté dans les vingt-quatre heures.

Ce qu'elle avait refusé à la Bosnie-Herzégovine en 1993 n'allait pas être accordé à la Yougoslavie en 1999. Les circonstances d'une espèce, plus que l'urgence d'une situation, semblent être des facteurs déterminants dans ce genre de décision. Le principe fondamental reste celui du contradictoire (57).

La Cour a néanmoins montré son souci de conduire une procédure rapide, les audiences se tenant du 10 au 12 mai 1999, quelque deux semaines seulement après la saisine de la Cour. Les ordonnances ont été toutefois rendues le 2 juin, plus d'un mois après la saisine de la Cour.

(54) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. France), déclarations respectives des juges Shi, Vereschetin et Weeramantry.

(55) Schwebel, Stephen, « Discours prononcé devant l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies réunie en session plénière », 26 octobre 1999, L'Observateur des Nations Unies, n° 7, 1999, p. 96.

(56) Affaire LaGrand (Allemagne/Etats-Unis), ordonnance en mesures conservatoires, ordon nance du 3 mars 1999. La Cour a procédé en prenant appui sur l'article 75, paragraphe 1 de son Règlement. Sur cette affaire, voir par exemple V.S. Mani, « The Right to Consular Assistance as a Basic Human Right of Aliens - a Review of the ICJ Order Dated 3 March 1999 », Indian Journal of International Law, 1999, vol. 39, n° 3, pp. 431-446, ou encore Michael K. Addo,

« Interim Measures of Protection for Rights under the Vienna Convention on Consular Relations », European Journal of International Law, vol. 10 (1999), n° 4, pp. 713-732.

(57) En ce sens, Rosenne, op. cit., (note 15).

(16)

466 LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES DE LA RFY À PROPOS DU KOSOVO B. A propos du profil juridique de l'OTAN

Les ordonnances et les plaidoiries des différents Etats concernés ont donné l'occasion d'aborder la question de la responsabilité des Etats contre lesquels les requêtes étaient portées, que cette responsabilité soit individuelle ou solidaire. Se profilait aussi la question de savoir si les bombardements sont le fait des Etats ou de l'OTAN, ou encore si l'on peut considérer qu'est engagée à la fois la responsabilité des Etats et celle de l'Organisation. Si au stade des mesures conservatoires, peu d'éléments peuvent être dégagés, il n'en est pas moins intéressant de noter que la Yougoslavie a porté ses requêtes devant la Cour internationale de Justice contre chacun des Etats membres de l'OTAN engagés dans les attaques aériennes à son encontre.

Dans ses requêtes, soulignant l'aspect collectif de ces actions, elle a indiqué que les dix Etats étaient conjointement responsables (58), précisant dans ses plaidoiries que « le Conseil de l'Atlantique Nord mène la guerre contre la Yougoslavie en tant qu'entreprise commune. Il ne cesse de le dire. Ce serait une anomalie juridique et politique de premier ordre que de ne pouvoir attribuer aux Etats membres solidairement les actions du commandement militaire. Cette responsabilité solidaire se justifie tant sur le plan des principes juridiques qu'au vu du comportement des Etats membres » (59).

Elle n'a en revanche pas parlé de la responsabilité de l'OTAN en tant que sujet de droit international autonome.

Du point de vue contentieux, on peut comprendre que la Yougoslavie ait procédé de la sorte. Si elle voulait que la Cour se déclare compétente, elle ne pouvait pas porter l'affaire contre l'OTAN en tant qu'organisation inter nationale. L'article 34, paragraphe 1 du Statut de la Cour est explicite à cet égard. La Cour quant à elle, a rendu dix ordonnances traitant de divers aspects touchant à sa compétence, laissant pour les phases ultérieures de la procédure la discussion sur les questions de fond, notamment la question des éventuels contours de la responsabilité dans ces affaires.

Au travers du prisme de la responsabilité internationale, il y a en filigrane la question du statut de l'OTAN et de ses caractéristiques juridi ques. Le problème de l'implication de l'OTAN risque, en effet, d'être soulevé car certains des Etats défendeurs répondant à l'argument de la Yougoslavie ont réfuté le fait que l'ensemble des conduites incriminées puissent être attribuables à un Etat pris uti singulus. Aucun Etat n'est allé toutefois jusqu'à invoquer le fait que les attaques aériennes étaient le fait de l'OTAN en tant qu'organisation internationale pour s'abriter derrière l'écran d'une personnalité juridique distincte de celle des Etats membres.

La manière dont ont été conduites les opérations nous donne quelques indications sur la question de savoir si les actions militaires ont été menées à bien par une entité juridique internationale extérieure à ses Etats memb res, ou plutôt collectivement, certes, mais par ces Etats eux-mêmes. Certains doutent de la première thèse et invoquent à l'appui de leur argumentation le fait que bien que les Etats aient coordonné leurs actions pour les placer ensuite sous un commandement unique, chacun des Etats a agi juridiquement pour son compte et sous sa responsabilité. Les aéronefs et navires impliqués ont conservé leurs immatriculations et pavillons nationaux (60). D'autres

(58) Ordonnance, § 3.

(59) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), procédure orale (Yougoslav ie), séance du 12 mai 1999, CR 99/25 (original anglais - traduction du greffe).

(60) En ce sens, Sur, Serge, « Aspects juridiques de l'intervention de pays membres de l'OTAN au Kosovo », Défense Nationale, 1999 n° 12, pp. 44-62.

(17)

remarquent toutefois que même si les moyens utilisés étaient ceux des Etats,

« la direction opérationnelle était celle de l'Organisation et de ses organes de commandement », (61) ce qui conduit à se demander si « à supposer que l'OTAN soit dotée de la personnalité juridique internationale, ses Etats membres sont (...) néanmoins responsables de ses actes ». L'affaire du Conseil de l'Etain s'inscrit en arrière-fond de ces discussions (62).

Si donc, en termes politiques, on a tendance à attribuer les frappes aériennes à l'OTAN, du point de vue juridique, la situation apparaît diffé rente et sujette à discussions. La nature juridique de l'OTAN, classée dans les manuels et recueils de droit international parmi les organisations inte rgouvernementales et dont les activités évoquent pourtant sous maints aspects la Sainte Alliance du Congrès de Vienne, est singulière. Chacun des dix Etats a été impliqué de manière individuelle sur un plan juridique. Ils l'ont néanmoins été, il est vrai, dans le cadre d'une action collective concertée au sein d'une institution internationale d'un type particulier, pour ne pas dire d'un caractère institutionnel minimaliste. Dans une telle situation, même si l'Organisation pouvait voir sa responsabilité engagée, cela n'exclurait pas que la responsabilité des Etats membres qui ont participé aux frappes aériennes puisse également être mise en cause. Il faut noter, à ce propos, que ce ne sont pas tous les Etats membres de l'OTAN qui ont participé aux frappes aériennes, mais seulement dix d'entre eux. Là encore, il y a de subtiles distinctions à établir, l'OTAN comptant à l'heure actuelle 19 memb res. Aux côtés de la thèse du concept d'organisation internationale en tant que sujet de droit distinct, il y a l'argument de la responsabilité solidaire des Etats ayant participé aux opérations de bombardements. Celui-ci a donné lieu à des joutes vives devant la Cour, aucun des Etats défendeurs ne voulant se voir attribuer le comportement en son ensemble, celui des frappes aérien nes qui se sont échelonnées du 24 mars 1999 jusqu'au début du mois de juin (63). Ainsi, selon l'agent du Canada :

(...) Il est impossible d'établir une responsabilité solidaire, s'agissant d'actes accomplis par une organisation internationale ou d'actes accomplis par d'autres Etats agissant dans le cadre d'une telle organisation, sauf si l'instrument pertinent prévoit une telle responsabilité. L'article 5 de la convention de l'OTAN de 1949, cité lors du premier tour de parole, ne contient aucune indication quant à une présomption de responsabilité solidaire, pas plus que ne le font les dispositions du manuel relatif à la structure militaire intégrée de l'organi sation. La responsabilité individuelle de l'Australie dans l'affaire de Nauru était naturellement fondée sur les termes spécifiques des accords de tutelle en cause dans cette affaire et non pas sur des principes généraux en matière d'organi sations internationales. Les travaux de la Commission du droit international sur la responsabilité des Etats ne confirment pas non plus la notion de respons abilité solidaire. Je note en outre que ces notions ont été évoquées dans le contentieux du Conseil de l'Etain au Royaume-Uni, et les conclusions de cette (61) Dominice, op.cit. (note 18), p. 107.

(62) Sur cette affaire, voir Eisemann, Pierre-Michel, « L'épilogue de la crise du Conseil international de l'Etain », cet Annuaire, tome XXXVI (1990), pp. 678-703 ; Voir aussi les travaux de l'Institut de droit international sur « Les conséquences juridiques pour les Etats membres de l'inexécution par des organisations internationales de leurs obligations envers des tiers » (Rosalyn Higgins, rapporteur), Annuaire de l'IDI vol. 66 n° 1 et 2 (1995-96), Editions A. Pedone, Paris; et Klein, Pierre, La responsabilité des organisations internationales dans les ordres juridiques internes et en droit des gens, Ed. de l'Université de Bruxelles/Bruylant (Collection de droit international - n° 37), Bruxelles, 1998, 673 p.

(63) Voir Weckel, Philippe, « Cour internationale de Justice - Affaires relatives à la licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Allemagne et autres), ordonnances du 2 juin 1999 », Revue générale de droit international public, 1999, n° 3, p. 699.

(18)

468 LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES DE LA RFY À PROPOS DU KOSOVO affaire ne feraient rien pour renforcer la thèse du demandeur dans l'affaire en cours (64).

Toutes ces questions seront de nouveau soumises à la Cour, si les affaires venaient au fond.

Les requêtes de la Yougoslavie mettent en lumière un autre problème qui est celui des relations entre l'OTAN et l'ONU. Régionalisme et univer- salisme ne sont pas mutuellement exclusifs dans le cadre de la Charte. Ce régime de cohabitation a notamment été élaboré en matière de sécurité collective au travers des articles 52 et 53 de la Charte. L'« Agenda pour la Paix » du 30 juin 1992, rapport présenté par le Secrétaire général au Conseil de sécurité, (65) avait d'ailleurs appelé à une revitalisation du rôle des organisations régionales. L'euphorie était grande à l'époque. La belle entente entre les membres permanents du Conseil de sécurité lors de la gestion de la guerre du Golfe pouvait laisser penser que désormais le Conseil de sécurité était ré-investi dans ses fonctions en matière de paix et sécurité internatio nale. Le Secrétaire général avait alors pensé que les Nations Unies ne pourraient pas tout faire et qu'elles devaient travailler en partenariat avec les organisations régionales. Le Conseil de sécurité resterait maître à bord mais il pourrait faire du contracting out (66). Les événements des Balkans, au Liberia ou au Sierra Leone ont montré toutefois combien ces relations pouvaient être opaques ou même en porte-à-faux par rapport aux principes de la Charte des Nations Unies. Les différents habillages juridiques et politiques de ces opérations ne peuvent pas cacher la nécessité de reconsi dérer ces rapports. Ils ne peuvent être construits autour de simples appels à la complémentarité et à la décentralisation. La crise du Kosovo et les débats auxquels celle-ci a donné lieu sont là pour en témoigner. Ils ont mis en éclairage le rôle d'une organisation, l'OTAN, identifiée par le Conseil de sécurité selon les circonstances, sous son propre nom (67) ou comme « pré sence internationale de sécurité » (68).

Le cas de l'OTAN est particulier sans l'être si on considère que ses actions en matière de gestion de conflits s'apparentent à celles d'organisa tions régionales impliquées dans ces mêmes activités. On se rappellera tout d'abord que les membres fondateurs de l'OTAN avaient conçu leur alliance de manière défensive, reconnaissant au Conseil de sécurité le rôle qui lui était dévolu par la Charte des Nations Unies (69). La crise des Balkans (1992-1995), puis celle du Kosovo, ont montré que l'OTAN était prête à jouer un nouveau rôle, hors de la situation d'« une attaque armée contre une ou plusieurs des parties » au sens du Traité créant l'OTAN (70). Après avoir été conçu comme un instrument de défense collective, l'OTAN semble appelée à devenir également un instrument de sécurité collective, ce qui soulève la question de ses rapports avec le Conseil de sécurité. Est-ce que la complé mentarité entre organisations, que les membres de l'OTAN appellent de leurs vœux, pourrait conduire à désenclaver l'Alliance des contraintes de la Charte (64) Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), procédure orale (Yougoslavie), séance du 12 mai 1999, CR 99/27 (original anglais - traduction du greffe).

(65) Sur ce rapport, voir Hiscock-Lageot, C, « Boutros Boutros-Ghali, Secrétaire général de l'ONU : Grandeurs et servitudes d'un mandat unique », Revue générale de droit international public, 2000, Nol, pp. 108-141.

(66) Sur cette question, voir les propos de Bruno Simma, op. cit. (note 19).

(67) Voir la résolution 1203 adoptée le 24 octobre 1998.

(68) Voir la résolution 1244 adoptée le 10 juin 1999.

(69) Voir les articles 5 et 7 du Traité de l'Atlantique Nord.

(70) Sur l'interprétation de cette notion, voir l'article 6 du Traité de l'Atlantique Nord.

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